[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ ® 'j’�mbrê 1793 327 citoyens de Bordeaux ont applaudi unanime¬ ment au supplice d’un homme qu’ils accusaient d’avoir contribué à les plonger dans un funeste égarement. Le frère de Grangeneuve, membre de la Commission prétendue populaire, un négociant conspirateur nommé Bujac et un gros marchand accapareur et fédéraliste appelé Da-guzan, ont subi le même sort. D’autres person¬ nages importants, tels que le général Gestas, ont été saisis dans des retraites disposées avec tant d’art qu’il eût été impossible de les dé¬ couvrir sans la sagacité des sans-culottes qui sentent la nécessité de livrer au glaive vengeur les auteurs de tous leurs maux. Le comité de surveillance que nous venons de renouveler, travaille avec une vigilance infatigable, la Commission militaire le seconde et en général toutes les autorités nouvellement constituées sont dignes de la confiance du peuple. Il renaît enfin dans cette ville célèbre, l’esprit public, le caractère républicain que des monstres avaient étouffé en abusant même des vertus du peuple, de sa sensibilité et de son enthousiasme. Le décadi dernier, le temple consacré à la Raison était rempli, ses voûtes ont retenti des chants de la liberté, interrompus par des instructions solides sur la morale publique et les lois. Nous sommes convenus avec les citoyens que cette assemblée de famille aurait lieu chaque décadi sous les auspices des magistrats du peuple auquel ils rendront un compte sommaire de leurs opérations et des lois et arrêtés qu’il lui importe de connaître. « Les citoyens s’empressent d’apporter vo¬ lontairement à la monnaie, l’argenterie des églises, et celle même qui leur appartient. Ce dépôt se monte déjà à plus de 20,000 marcs. Les dons en numéraire sont immenses : nous vous en ferons passer l’état (1). « Nous avons fait épurer au Club national tous les corps administratifs et tous les officiers civils et militaires en présence du peuple. Les traits de vertu doivent être connus de toute la République; nous citons celui-ci. Un sans-culotte occupant la place de notable paraît à la tribune ; à cette question : « Quelle était ta fortune en 1789 et quelle est-elle aujour¬ d’hui? » Il répond avec une simplicité touchante: « En 89 j’avais deux trésors : un père âgé de « 84 ans et une mère de 82 ans; j’ai perdu la « moitié de mon bien, l’autre m’en est dé¬ fi venue plus précieuse. » « Les subsistances étaient l’objet de nos plus vives inquiétudes; nous avons trouvé quelques ressources dans la fraternité qui unit entre eux les départements et surtout dans l’ordre et l’économie qui préside à la distribu¬ tion des vivres. Les citoyens se sont réduits eux-mêmes à une demi-livre de pain par jour, et supportent cette réduction avec la patience et la joie qui caractérise les hommes libres. Voilà les vertus républicaines. « Conformément à votre loi du 20 frimaire, nous avons supprimé l’état-major révolution¬ naire comme inutile. Nous avons confié le com¬ mandement de la place à l’adjudant général Darnaud, officier distingué par les talents et (1) Applaudissements, d’après le Journal de Per-tel [n0 461 du 7 nivôse an II (vendredi 27 décem¬ bre 1793), p. 210], la modestie. Nous vous prions de confirmer l’arrêté que nous avons pris à ce sujet. « Salut et fraternité. « C. Alex. Y sabeau ; Tallien. » Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets (!)• Levasseur lit une lettre de Bordeaux. Elle porte sommairement que Grangeneuve, ex-député, a été découvert à Bordeaux et a subi la peine due à ses crimes. Le peuple entier a applaudi à cet acte de la justice nationale. Grangeneuve, frère de l’ex-député et membre de la Commission populaire; Bujac et Daguzan, accapareurs, ont subi la même peine. L’esprit public et le véritable amour de la République renaissent dans cette commune. Les dons patriotiques en argenterie s’élèvent déjà à 20,000 marcs, et les offrandes en numéraire sont très considérables. Cette lettre sera insérée au Bulletin. Le représentant du peuple près le département de la Corrèze écrit qu’il s’était manifesté, dans le district de Meymac, un rassemblement de 4,000 brigands; qu’il s’y est rendu avec des forces et du canon, et la guillotine; que les brigands s’é¬ taient déjà rendus maîtres de plusieurs villages, où ils avaient commis des brigandages, abattu l’arbre de la liberté; mais que le génie de la Ré¬ publique l’a encore emporté; que les villageois, revenant de leur erreur, ont livré leurs chefs, et que tout est rentré dans l’ordre. Le représentant termine ainsi : « Je peux garantir à la Convention que ce pe¬ tit événement contre-révolutionnaire a servi la liberté et la raison. « Les frais de notre expédition ne seront point pris sur le trésor public : les riches, les contre-révolutionnaires y pourvoiront seuls. » Insertion au « Bulletin » (2). Suit la lettre de Lanot, représentant du peuple près le département de la Oorrèze (3). « Au quartier général de Meymac, dépar¬ tement de la Corrèze, le 28 frimaire de l’an II de la République française, une et indivisible. « Citoyens mes collègues, « J’étais à continuer mes opérations épura¬ toires et révolutionnaires dans la Haute-Vienne, où la raison fait chaque jour de rapides pro¬ grès, lorsqu’un courrier, dépêché par le dépar¬ ti), Journal des Débats et des Décrets (nivôse an II, n° 464, p. 89). (2) Procès verbaux de la Convention , t. 28, p. 108. (3) Archives nationales, carton AF II 171, pla¬ quette 1405, pièce 27. Aulard ; Recueil des actes et de la correspondance du comité de Salut public, t. 9, p. 493. 328 temeiit de la Corrèze, est arrivé dans la nuit du 21 au 22 pour m’annoncer qu’une explosion contre-révolutionnaire venait d’éclater dans le canton de Meymac, district d’Ussel, où il pa¬ raissait vouloir s’organiser une petite Vendée. « A l’instant, e’est-à-dire à minuit, je üs rassembler à Limoges toutes les autorités cons¬ tituées et le comité de surveillance, et je partis une heure après pour me rendre à Tulle, avec la certitude que toutes les mesures de prudence et de sûreté avaient été prises pour préserver ce département de la contagion du fanatisme, et pour y lever, si les besoins de la République l’exigeaient, une armée formidable. Je me con¬ tentai de requérir 100 hommes de cavalerie, 200 gardes nationales d’élite, 2 pièces de ca¬ non et une compagnie d’artillerie, et de mettre en réquisition 2 bataillons pour marcher au premier avis. La guillotine ne fut pas oubliée. Je dois à la commune de Limoges de vous dé¬ clarer que ses habitants n’ont témoigné, dans cette circonstance, que lé regret de ne pouvoir tous partir. « Arrivé à Tulle, je me rendis dans le sein du département où je fis réunir le comité de sur¬ veillance; je leur annonçai les heureuses dis¬ positions et les sages mesures qui avaient été adoptées par la Haute-Vienne; j’y vis avec plaisir que les administrations de la Corrèze avaient rempli avec intelligence et énergie leur devoir, et que de nombreux détachements des districts et de Tulle étaient déjà partis pour combattre les rebelles. « Le 24, la petite armée de Limoges, sous les ordres de l’adjudant général Béraud, arriva dans le meilleur ordre, et, le lendemain, je me rendis avec elle à Meymac, théâtre de la rébel¬ lion où j’ai établi le quartier général. Il résulte de nos opérations et de nos recherches et dé¬ couvertes qu’il a existé dans ces contrées une conspiration bien combinée et bien préparée' que les prêtres et les agents des détenus en étaient les auteurs et qu’ils avaient des agents qui, depuis quelque temps, circulaient téné¬ breusement dans les campagnes pour les sou¬ lever, sous le prétexte que la religion était perdue et que, s’ils voulaient la conserver, il fallait se réunir au son du tocsin qui devait sonner. En effet, le 20 frimaire, jour mémo¬ rable que les patriotes de Meymac avaient choisi pour célébrer la fête de la Raison, et au moment qu’ils se livraient avec sécurité aux doux épanchements de la fraternité on entend de toutes parts sonner le tocsin, et l’on voit descendre des montagnes voisines des torrents de rebelles armés de fusils, de piques, de faux emmanchées à l’envers, et autres instruments de destruction. Les patriotes réunis à Meymac, étonnés, veulent leur porter des paroles de paix; ils sont assaillis et massacrés. Le grand nombre n’évite la mort que par la fuite; plus de 40 ont été dangereusement blessés; on n’en¬ tend plus dans les rues de cette commune que les cris séditieux des chefs des révoltés qui demandent les têtes des patriotes. A ces cris de mort succèdent ceux de : Vive la religion ! vivent nos 'prêtres! vive Louis XVII; d’autres se répandent dans les maisons des républicains les mieux prononcés et particulièrement dans les maisons nationales; elles sont enfoncées et dévastées, les bonnets rouges et les cocardes nationales furent toutes arrachées et traînées dans la boue, la statue de la Liberté renversée. Les conjurés, craignant que la frénésie popu-( 6 nivôse an II ( 26 décembre 1793 laire n’eût un terme et que le moment de la vérité n’arrivât avant que ceux qu’ils avaient égarés eussent con�immé leurs sanguinaires projets, imaginèrent qu’il fallait rendre cri¬ minels et féroces leurs victimes pour éloigner toute idée de repentir; ils eurent la perversité de se répandre dans les campagnes et dans tous les lieux de rassemblement, et, pour y exciter la rage et le désespoir des agriculteurs, ils allaient à leur rencontre et leur disaient que les patriotes avaient décidé d’égorger tous les enfants, toutes les femmes et tous les vieillards depuis l’âge de 55 ans; d’autres annonçaient, en feignant la douleur et avec l’accent de l’hypocrisie, qu’à un tel lieu ils venaient de voir 400 laboureurs de leurs voisins massacrés dans les chemins : en un mot, l’Eglise, dans ses san¬ glantes annales, ne rappelle aucune conspira¬ tion contre l’humanité mieux concertée, et exécutée avec plus de stratagème et de scélé¬ ratesse. Heureusement que l’activité des pa¬ triotes et la bonne foi des agriculteurs dé¬ jouèrent cette conjuration; ces hommes simples, qui aiment encore plus les bienfaits de la Révo¬ lution que leurs prêtres, ne tardèrent pas à se repentir de leur crédulité. L’appareil imposant des troupes qui étaient sur le point de les cerner suffit pour les dissiper. La terreur et le repentir furent à l’ordre du jour. 3 à 4,000 hommes, qui n’avaient pu se réunir dans un pays aussi scabreux et aussi aride sans y avoir été excités et préparés par des contre-révolutionnaires exercés, rentrèrent sans coup férir dans leurs foyers. Revenus de leur délire fanatique, ils furent les premiers à dénoncer leurs chefs et leurs crimes. Il paraît qu’un très grand nombre avaient été forcés de s’armer et de marcher. « Déjà 70 de ceux qui sont présumés les pro¬ vocateurs et chefs sont arrêtés. Le tribunal criminel, que j’ai amené avec moi, est en acti¬ vité, deux guillotines attendent les résultats; les perquisitions les plus sévères sont faites à dix lieues à la ronde pour découvrir les cou¬ pables instigateurs et notamment le nommé Audin, que l’opinion locale désigne comme le «dincipal héros de la rébellion. « De nombreux détachements de soldats citoyens circulent dans les campagnes, des ora¬ teurs patriotes, dont je suis entouré, sont à la tête, de sorte que nous répandons avec profu¬ sion la terreur et l’instruction. « Ces événements ont soulevé dans ces con¬ trées l’indignation contre les prêtres, et ceux qui s’insurgeaient : n leur faveur sont les pre¬ miers à m’envoyer les dépouilles et les attri¬ buts du fanatisme pour les besoins de la patrie. Je peux garantir la Convention que ce petit événement contre-révolutionnaire peut être considéré comme très heureux pour la liberté, en ce qu’il nous fera établir plus d’un camp d’observation contre le fanatisme expirant qui voudrait mourir, sans doute, comme il a vécu ; dans le sang. Vous verrez par la proclamation et l’arrêté que je viens de prendre (1) que les dépenses nécessitées ne seront point acquittées par le Trésor public, mais bien à la charge des riches et des fanatiques et de leurs agents. Je vous prie, citoyens représentants, d’approuver ma (1) En marge de cette lettre on lit la note sui¬ vante : ü La proclamation et l’arrêté annoncés par la lettre n’y étaient pas. » [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. LCoaveution nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. j « 17'.)3 329 conduite, si vous la jugez avantageuse à la République. Je n’ai pu me conformer au décret qui enjoint aux députés en commission de rendre compte tous les huit jours au comité de Salut public. Ma vie active, des voyages continuels dans un pays très sauvage, ne me l’ont pas permis. « Salut et fraternité. « Le délégué du peuple, « Lanot. » La Société populaire de la commune de Mende département de la Lozère, fait part à la Conven¬ tion nationale qu’informés de la défaite des ar¬ mées espagnoles, et en même temps du dénue¬ ment ou se trouvaient les braves défenseurs de la patrie, les membres de la Société se sont em¬ pressés de couvrir l’autel de la patrie de dons en effets ou argent. La Société envoie aussi le procès-verbal conte¬ nant les détails de la fête civique et fraternelle qui a été célébrée dans la commune de Mende, lors du mariage du citoyen Saulhac, prêtre, avec la citoyenne Foutibers, ci-devant religieuse. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1). Suit le texte du procès-verbal de la séance tenue le vingt et un brumaire par la Société popu¬ laire de Mende, d’après l’original gui existe aux Archives nationales (2). Extrait du registre des délibérations de la So¬ ciété populaire séant à la ville de Mende. Séance du vingt et unième jour du mois brumaire. L’ordre du jour amène l’examen d’un projet de marche pour la cérémonie du mariage du prêtre Paulhac, qui doit se célébrer demain. Ce projet, soumis à la discussion, est adopté, après avoir reçu quelques amendements. Le secrétaire général du département obtient la parole. Il fait connaître le regret que les administrateurs éprouvent de ne pouvoir pas assister à une séance où se prépare le triomphe de la philosophie sur les préjugés. Il lit ensuite une lettre du citoyen Gaston, représentant du peuple près l’armée des Pyrénées-Orientales qui, en nous annonçant la défaite des armées espagnoles, nous peint le dénuement où se trouvent nos braves défenseurs. A la joie d’apprendre la fuite des vils esclaves des rois, succède rapidement chez tous les membres de la Société, un sentiment de com¬ misération pour les peines et le froid qu’endu¬ rent nos généreux soldats. « J’ai une rouppe (3), s’écrie le général Louis, je la donne pour cou¬ vrir nos frères d’armes. — Et moi aussi, s’écrie encore le commissaire des guerres, je donne la mienne, et la voilà. » A ces mots, plusieurs pa¬ triotes imitent ces exemples, se dépouillent de leurs rouppes, et les déposent sur le bureau. (1) Procès verbaux de la Convention, t. 28, p. 108. (2) Archives nationales, carton C 287, dossier 865, pièce 108. (3) La roupe (et non rouppe) est une sorte de blouse en drap grossier à l’usage des bergers dans la Drôme. Ceux qui n’en ont pas s’empressent de donner de l’argent. Dans un instant l’autel de la patrie est couvert d’offrandes; de jeunes enfants mêmes viennent y porter le produit de leurs petites épargnes. La Société arrête que les noms de tous ces bons citoyens seront mentionnés civiquement sur le procès-verbal. Au milieu de ce saint enthousiasme, le ci¬ toyen Louis annonce qu’il veut changer de nom. « Celui que je porte, dit-il, rappelle la mémoire d’un fanatique et d’un tyran; il ne peut convenir à un bon républicain, et je me fais gloire de l’être. » Un membre propose que la Société elle-même donne un nom à cet excel¬ lent citoyen. On propose celui de Vrai, et tout le monde applaudit, parce que chacun sait combien il caractérise celui qui doit le porter. « Je l’accepte, répond le citoyen Louis, et déjà je signerais Vrai, mais je ne le puis que lorsque la Convention et le ministre en seront ins¬ truits. » Un membre rappelle à la Société que le nom du commissaire des guerres retrace le souvenir des distinctions féodales, et qu’il faut lui en donner un plus conforme à ses sentiments pour la Révolution. Il est nommé Sincère. « Je n’ai gardé ce nom, répond le citoyen Baron, que par égard pour un père que je chéris; mais je suis si disposé à faire tout ce qui peut plaire à la Société, que j’accepte sans hésiter celui qu’elle veut bien, me donner. » On applaudit, et la Société, d’après l’obser¬ vation faite par le général, devenue commune au commissaire des guerres, arrête, qu’en adres¬ sant à la Convention et au ministre un extrait de son procès-verbal, elle leur demandera d’au¬ toriser le changement de ces deux noms. « Quant à moi, dit encore un membre, j’ai nom Le Chevalier. Les nobles donnaient ce titre à leurs enfants; je ne veux plus avoir rien de commun avec cette caste proscrite; j’ai déjà défendu ma patrie sous le nom de Bien Aimé,- et j : veux être, par mon patrio¬ tisme, le Bien Aimé de la Société. C’est sous ce nom que je demande à être inscrit, dès aujourd’hui, sufr la liste de ses membres. » Sa pétition est accueillie au milieu des applau¬ dissements. La séance est levée, après avoir été délibéré qu’on enverrait à la Convention et aux Sociétés populaires l’extrait du présent procès-verbal et de la cérémonie qui doit avoir lieu demain pour le mariage du citoyen Paulhac. Liste des citoyens qui ont contribué à l'équipe¬ ment des volontaires de l’armée des Pyrénées. Le général Levrai, une rouppe; Grilliat, neveu, une rouppe; Sincère, commissaire des guerres, une rouppe.; Tarteron, une rouppe; Malafosse, inspecteur, une rouppe; Polvère, négociant, une pièce d’étoffe; Salley aîné, une rouppe; Loubeirac, une rouppe; Victor Randon, une rouppe; Bonacier, contrôleur, une rouppe; Becamel aîné, une rouppe; Croze, conseiller municipal, une paire de bas de laine ; Fontibus aîné, une rouppe; *