[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2-4 avril 1790.] L’arrêté porte : « L’assemblée coloniale a dénoncé M. de La Luzerne à l’Assemblée nationale, comme coupable de la réunion désastreuse des conseils de Saint-Domingue, coupable d’avoir, contre sa conscience, soutenu cet ouvrage ; d’avoir avec M. de Maebois, intendant, et de la Mardelle, procureur général, soutenu cette opération funeste ; d’avoir dépouillé les colons de la disposition de leur caisse municipale ; d’avoir, depuis qu’il est ministre, secondé toutes les vexations, les rapines et les caprices de ses agents subalternes; d’avoir suscité tous les obstacles possibles à l’admission des députés de Saint-Domingue à l’Assemblée nationale ; d’avoir empêché la prestation du serment des troupes, décrété par l’Assemblée nationale ; en conséquence, défend à toutes personnes, de quelque qualité et condition qu’elles soient, de correspondre en aucune manière avec M. le comte de La Luzerne, à peine d’être réputées traîtres à la patrie, et comme telles, poursuivies et punies suivant la rigueur des ordonnances. » Un membre demande l’impression de la dénonciation du ministre. Sur la demande de plusieurs membres, l’Assemblée ordonne que les pièces soient déposées sur le bureau. D'autres membres demandent le renvoi de ces pièces au comité des rapports. M. de Gosay d’Arsy, interpellé de certifier les chefs d’accusation contre le ministre, et de signer les pièces justificatives, répond que la dénonciation et tous les actes au soutien sont signés par lui et treize de ses collègues, votants ou sup-léants, et que toute la députation de Saint-omingue entend réclamer une sévère justice ; il dépose les pièces une à une sur le bureau. M. Goupil de Préfet u. Je n’entends point être ni l’apologiste ni l’accusateur des ministres; mais je crois que les inculpations contre le ministre de la marine sont vagues. Si les ministres sont responsables envers la nation, ils ne faut pas cependant qu’ils soient continuellement soumis à des dénonciations hasardées de telles ou telles assemblées, qui ne pourraient que déranger la marche des agents de l’administration et dimiuuer la confiance qui leur est nécessaire. Je conclus au renvoi des pièces au comité des rapports. M. Se vicomte de Mirabeau. Je propose par amendement qu’il soit donné communication à M. de La Luzerne de la dénonciation faite contre lui. M. Gaultier de SSlauzat. Si la dénonciation et les pièces contiennent des expressions trop offensantes pour vous, si l’on y annonce que l’on se moque de tout ce que vous pourrez faire, je ne vois pas quels égards elles peuvent mériter, et je pense que vous ne devez point en ordonner le renvoi au comité des rapports. M. l’évêque de L’Assemblée ne peut avoir foi que dans des pièces légalisées, et elle ne connaît pas la signature de M. Thibault-Larche-vêque. M. le vicomte de Mirabeau. Je requiers, au nom de la loyauté française, qu’avant d’entendre le rapport, l’Assemblée prononce les peines contre les dénonciateurs dont les dénonciations porteraient sur des bases fausses, attendu que le silence des lois sur la nature du châtiment enhardit les calomniateurs. (L’Assemblée ordonne le renvoi des pièces au comité des rapports, ainsi que la communication à M. de La Luzerne, requise par M. le vicomte de Mirabeau.) M. le vicomte de Mirabeau. Je demande C[ue l’Assemblée accorde à ma motion au moins l honneur de la question préalable. Cette proposition est appuyée ; la question préalable est mise aux voix ; l’Assemblée décide qu’il n’y a lieu à délibérer. M. le Président. Le résultat du scrutin pour l’élection d’un nouveau président a donné, sur 654 votants, 313 suffrages à M. le duc d’Aiguilion, 245 à M. de Virieu. Le surplus des voix a été perdu; il y a lieu deprocéder à un nouveau scrutin. Les nouveaux secrétaires sont : MM. Palasne de Champeaux, de La Iiéveillière de Lepeux et le comte de Grillon qui remplacent MM. Lapouie, Brevet de Beaujour et le prince de Broglie. Dom Vcrguet, député de Saint-Pol-de-Léon en Bretagne, demande à s’absenter pour affaires pressantes. M. Branche, député de Riom, demande f un congé pour affaires relatives [à sa province, en qualité de la commission intermédiaire, séant à Clermont, et pour rétablir le calme dans la contrée. Ces congés sont accordés. L'ordre du jour est le rapport du comité des rapports sur l’affaire de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux . M. le comte Mathieu de Montmorency, rapporteur. Le comité a reconnu dans la lettre du procureur général le ton de la franchise et de la déférence: le discours de M. le président d’Augeard ne lui a pas constamment présenté les mêmes caractères; mais comme l’opinion du législateur ne doit pas plus que celle du juge se composer de simples présomptions, ni se fonder sur des intentions apparentes, le comité n’a pas cru devoir s’arrêter à quelques phrases du discours que lus bons citoyens ont déjà remarquées, mais dont le sens doit être interprété avec indulgence. 1° Le système dedéfensede ces magistrats consiste à prouver, par un grand nombre de procès-verbaux et autres pièces, les désordres survenus dans les provinces du Limousin, dei’Agenais, du Périgord et du Gondomois, comme ayant nécessité le réquisitoire et l’arrêt. La connaissance que j’ai prise de ces pièces m’autorise à vous dire : 1° que ces désordres qui n’ont pas été atténués par les magistrats dans le récit qu’il vous en ont fait, avaient été en grande partie commis et même réorimés, longtemps avant l’arrêt ; 23 qu’à cet effet les comités permanents des milices nationales, des moyens de police heureusement nés avec la liberté, s’étaient employés avec autant de zèle que de succès, ainsi que la justice prévôtale pour interrompre le cours de ces désordres, et soumettre les brigands aux formes de la procédure criminelle. L’Assemblée n’ignore pas qu’ils avaient profané les vérités les plus respectables, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]24 avril 1790.] 286 pour les faire servir à leurs desseins criminels, en abusant de la misère et de l’ignorance des paisibles habitants des campagnes. L’Assemblée a gémi de ces malheurs ; elle y a remédié par tous les moyens qui étaient compatibles avec la liberté et que les lois nouvelles ou anciennes encore existantes commandaient. Les ministres de la loi ont obéi; mais ont-ils transmis aux peuples ces principes? Ont-ils dit aux peuples que ces moyens étaient les seuls qu'ils puissent invoquer pour rétablir le calme ? G’est-là ce que le comité a cherché en vain dans la lettre du procureur général et dans le discours du président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. 2° Le comité a pensé queles principes dont vous attendiez la justification, se sont représentés, au comité, non justifiés; il n’a pas pu croire qu’il fût indispensable, pour réprimer les désordres, de s’exposer au danger d’exciter une nouvelle fermentation; qu’il fût indispensable pour puuir la licence de calomnier la liberté; qu’il fût indispensable enfin, pour obéir aux décrets de l’Assemblée nationale, de lui reprocher ceux dont elle s’honore le plus et qui ont proclamés avant la loi (car c’est là un des reproches du réquisitoire), des droits antérieurs en effet à toutes les lois. Votre comité a pensé, au contraire, que de paraître attribuer à une révolution que le peuple a consacrée par son vœu, des maux qu’il ne fallait que réparer, c’était s’exposer à les reproduire en excitant, soit les stériles ou dangereux regrets de ceux qui étaient attachés à l’ancien régime, soit les inquiétudes vives et alarmantes de ceux qui veulent vivre pour la nouvelle constitution ; et si des hommes publics doivent prévoir les conséquences de leur conduite, si des fonctions publiques sont surtout importantes en ce qu’elles font exercer une véritable influence sur l’esprit du peuple à ceux qui en sont chargés et qui en deviennent nécessairement responsables, les faits ne viennent-ils pas ici à l’appui du principe qui a dirigé votre comité? Vous avez été instruits du trouble et de la fermentation qu'ont occasionnés à Bordeaux le réquisitoire et l’arrêt, et qui ont amené la dénonciation qui vous a été adressée par les officiers municipaux, la garde nationale et une foule de citoyens de cette ville : les effets s’en sont étendus plus loin. Les gardes nationales du Bas-Médoc ont suivi l’exemple de celle de Bordeaux et se sont portées de leur côté à une dénonciation, dont la copie a été envoyée à votre comité ; des magistrats inférieurs se sont refusés à publier l’arrêt et vous l’ont adressé pour l’opposer à vos décrets et vousdemander ce qu’ils avaient à faire. Lorsque tant de voix s’élèvent pour solliciter de votre part une décision et invoquer vos propres principes, votre comité s’est convaincu que vous ne pouviez garder un silence qui vous ferait accuser de contradiction ou de faiblesse; il a même pensé que la destruction prochaine et nécessaire des parlements et l’espèce d’intérêt qu’on réclame pour eux à ce titre, ne pourraient rien changer à votre décision, parce que celui qui est. ministre de la loi, ne peut ni la méconnaître ni la compromettre, sous prétexte qu’il va bientôt cesser de l’être, parce qu’un tort public ne saurait être excusé par des regrets et clés mécontentements privés. Mais que vous proposera votre comité? Il eût voulu trouver dans vos décrets précédents un exemple qui lui eût servi de règle et eût fixé sa décision. Celle que vous avez prise relativement à lachambredes vacationsdu parlement deRennes, lui apprend assez qu’il ne doit chercher, dans une pareille affaire, un délit dont la nature n’est pas encore déterminée, ni la peine fixée par aucune loi. L’interdiction civique que vous avez prononcée momentanément contre les magistrats deRennes, ne peut être applicable ici, puisque ceux de Bordeaux ont déjà prêté le serment qui était le terme de l'interdiction des autres. Une interdiction absolue serait trop grave. Votre comité vous propose donc d’exprimer l’improbation que vous devez aux maximes et aux expressions présentées dans le réquisitoire et consacrées par l’arrêt. Cette opinion manifestée par les représentants de la nation, préparée d’avance par celle d’une grande province et bientôt confirmée par le vœu général, sera en même, temps une conséquence nécessaire de vos décrets, une juste satisfaction pour ceux qui les réclament et dont le patriotisme s’était alarmé, la meilleure des punitions pour ceux qui les ont méconnus et qui attachent quelque prix aux suffrages de leurs concitoyens. \otre comité a l’honneur de vous proposer un décret qui tend à improuver le réquisitoire et l’arrêt qui l’a adopté, en ce que, sous prétexte de déplorer des maux dont tous les bons citoyens ont gémi, il semble méconnaître les principes et les intentions de l’Assemblée. M. l’abbé Maury. La dénonciation contre le réquisitoire et l’arrêt de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux portait d’abord manifestement le caractère de la passion ; mais aujourd’hui elle paraît avoir changé de nature. Votre comité n’a plus aperçu un délit national, puisqu’il ne vous propose qu’une simple improbation. Examinons premièrement si l’arrêt et le réquisitoire méritent celte improbation; secondement, si le corps législatif peut improuver. D’abord, le parlement de Bordeaux ne peut être inculpé; on vous parle d’improuver des principes, et l’on ne vous cite pas de principes; s’il y en avait de condamnables, ilne faudrait pas seulement les improuver : le dispositif de l’arrêt ne contient aucune maxime, aucun principe; il ne parle que de la conduite à tenir paries officiers pour arrêter les désordres et les brigandages. Quant au réquisitoire, il ne peut égalemeut donner lieuà inculpation ; on n’y trouve que l’expression du sentiment douloureux dont M. le procureur général avait été affecté à la vue des malheurs qui désolaient la Brive, l’Agenais, le Condomois et leQuercy; huit cents meurtres y avaient été commis. (M. l’abbé Maury est interrompu par plusieurs voix qui lui crient : huit cents fermes!) Votresurprisenousapprendcombien vous êtes peu instruits des faits. J’ai vu les procès-verbaux joints au rapport ; ils attestent la vérité de ce que j’avance ; il n’y avait pas encore quinze coupables punis, lorsque le procureur général a fait son réquisitoire. La cessation du brigandage n’étaitpas une amnistie; la chambre des vacations ne pouvait improuver ce réquisitoire; l’homme de la loi qui parie au nom du roi dans les tribunaux n’est pas justiciable de ces tribunaux. (L’orateur est de nouveau interrompu jpar des murmures d’improbation.) Une voix s’élève et dit ; Laissez déraisonner M. l’abbé. M. l’abbé Maury. Votre comité vous propose d’improuver le réquisitoire pour ses principes et ses maximes ; qu’est-ce qu’improuver des maximes et des principes que l’on ne cite pas? c’est prouver qu’il n’y a pas lieu à délibérer que de prouver