120 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE On observe à LEQUINIO que le décret d’hier a pourvu à tout(l). Le ministre entre dans la salle, accompagné des secrétaires de légation (2). Il entre, accompagné du commissaire des relations extérieures par la grande porte qui donne dans la salle de la liberté et se place en face du président (3). Des applaudissements s’élèvent de toutes les parties de la salle. On entend retentir de tous côtés les cris de vive la République ! (4). Son interprète et le secrétaire de légation étoient à ses côtés; sa famille étoit assise près de la barre (5). LE PRÉSIDENT : Le ministre américain ne parlant pas la langue française, un des secrétaires va donner lecture de la traduction de son discours et de ses lettres de créance. Un membre monte à la tribune (6). Le citoyen James Monroe, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique près la République française, est admis dans la salle des séances de la Convention nationale; il prend place au milieu des représentans du peuple, et fait remettre au président, avec ses lettres de créance, la traduction d’un discours adressé à la Convention nationale; il est en fait lecture par un des secrétaires : les expressions de fraternité, d’union entre les deux peuples, et l’intérêt que prennent les Etats-Unis d’Amérique aux succès de la République française, sont entendus avec la plus vive sensiblilité et couverts d’applaudis-semens (7). Discours du ministre plénipotentiaire des Etats-Unis. Citoyen président et représentants du peuple français, mon admission dans cette assemblée, en présence de la nation française (car tous les citoyens de la France sont représentés ici), pour être reconnu comme le représentant de la République américaine, affecte ma sensiblité à un point que je ne puis exprimer. Je la considère comme une nouvelle preuve de l’amitié et de l’estime que la nation française a toujours témoignées à ses alliés les Etats-Unis d’Amérique. Les Républiques devraient se rapprocher les unes des autres. Sous beaucoup de rapports elles ont toutes le même intérêt; mais cette maxime est spécialement vraie à l’égard des Républiques américaine et française : leurs gouvernements ont une grande analogie; ils chérissent tous deux les mêmes principes et reposent sur les mêmes bases, les droits égaux et inaliénables de l’homme : même le souvenir des dangers communs augmentera leur harmonie et cimentera leur union. L’Amérique a eu (1) M.U., XLII, 463. (2) Moniteur (réimpr.), XXI, 499. (3) J. Paris , n° 593. (4) Moniteur (réimpr.), XXI, 499. (5) Débats, n°694, 491. (6) Moniteur (réimpr.), XXI, 499. Selon plusieurs journaux, la lecture des traductions a été effectuée par le représentant Collombel. (7) P.V., XLIII, 242. ses jours d’oppression, de difficultés et de guerre; mais ses enfants furent vertueux et braves, et l’orage qui a si longtemps obscurci son horizon politique s’est dissipé et l’a laissée dans la pleine jouissance de la paix et de l’indépendance. La France, notre alliée, notre amie, qui nous a assistés dans notre conflit, s’est de même élancée aujourd’hui dans cette carrière honorable; et je suis heureux d’ajouter ici que, tandis que la persévérance, la magnanimité et la valeur héroïque de ses troupes commandent l’admiration et les applaudissements du monde étonné, la sagesse et la fermeté de ses conseils promettent également les résultats les plus heureux. L’Amérique n’est pas spectatrice insensible de vos efforts dans la crise actuelle; je vous soumets, dans les déclarations de chaque département de notre gouvernement, déclarations fondées sur l’affection de la masse de nos citoyens, la preuve la plus convaincante de leur attachement sincère pour la liberté, la prospérité et le bonheur de la République française. Chaque branche du Congrès, conformément au mode de délibération qui y est établi, a requis le président de vous informer de ses dispositions, et, en remplissant le désir de ces deux branches, je suis chargé de vous déclarer que le président a exprimé ses propres sentiments. Les pouvoirs qui me sont confiés étant reconnus par vous, je me promets la plus grande satisfaction dans l’exercice de mes fonctions, parce que je suis intimement convaincu qu’en suivant les impulsions de mon propre cœur, en faisant des vœux pour le bonheur et la liberté de la nation française, j’exprime les sentiments de ma patrie, et qu’en faisant tout ce qui est en mon pouvoir pour conserver et perpétuer la bonne harmonie qui existe si heureusement entre les deux Républiques, je vais servir leurs intérêts mutuels. C’est vers ces grands objets que seront dirigés tous mes efforts; si j’ai le bonheur de me conduire de manière à mériter l’approbation des deux Républiques, je regarderai cet événement comme le plus heureux de ma vie, et je me retirerai dans la suite avec cette consolation qui est exclusivement le partage de ceux dont les intentions sont pures et qui servent la cause de la liberté. Signé James Monroe. (1) Un peuple immense étoit répandu dans toutes les parties de la salle et des tribunes; chaque mot, chaque phrase de l’adresse du ministre plénipotentiaire est couvert d’applaudissements et des cris réitérés de vivent les Etats-Unis de l’Amérique, vive la République ! L’ambassadeur, touché d’un si grand spectacle, laisse couler des larmes d’attendrissement (2). Lecture est aussi donnée des lettres de créance du citoyen Monroe, ainsi que de celles écrites par le Congrès américain, et par son président, à la Convention nationale et au comité de salut public (3). (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 499. (2) J. Paris, n° 593; J. Fr., n° 690. (3) P.V., XLIII, 242. SÉANCE DU 28 THERMIDOR AN II (15 AOÛT 1794) - N° 60 121 Lettres de créance de M. Monroe, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis. George Washington, président des Etats-Unis de l’Amérique, aux représentants du peuple français, membres du comité de salut public de la République française, la grande amie et bonne alliée des Etats-Unis. Ayant été informé du désir de la République française qu’un nouveau ministre lui fût envoyé par les Etats-Unis, j’ai résolu de manifester ma sensibilité pour la promptitude avec laquelle ma demande a été accueillie en remplissant également celle de votre gouvernement. Il s’est passé quelque temps avant qu’on ait pu trouver un homme digne de la commission importante d’exprimer les vœux des Etats-Unis pour le bonheur de nos alliés, et de resserrer les liens de notre amitié. J’ai fait choix aujourd’hui de James Monroe, un de nos citoyens distingués, pour résider près la République française en qualité de ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique : il est chargé d’être auprès de vous l’interprète de notre sollicitude sincère pour votre prospérité, et de cultiver avec zèle la cordialité qui subsiste si heureusement entre nous. D’après la connaissance que j’ai de sa fidélité, probité et bonne conduite, j’ai la pleine confiance qu’il se rendra agréable auprès de vous et qu’il remplira notre désir de conserver et d’avancer dans toutes les occasions les intérêts et les liaisons des deux nations. Je vous prie en conséquence de donner une créance entière à tout ce qu’il vous dira au nom des Etats-Unis, principalement quand il vous assurera que votre prospérité est un objet de notre affection, et je prie Dieu qu’il ait la République française en sa sainte garde. ( Vifs applaudissements). Donné à Philadelphie, le 28 mai 1794 Signé Washington. Par le président des Etats-Unis d’Amérique. Edmond Randolph, secrétaire d’Etat. Pour copie conforme. Buchot, commissaire des relations extérieures. Philadelphie, le 10 juin 1794. Le soussigné secrétaire d’Etat des Etats-Unis de l’Amérique, a l’honneur d’informer le comité de salut public de la République française que, le 25 avril de l’année précédente, il a été unanimement résolu par la chambre des représentants que la lettre du comité de salut public de la République française, adressée au Congrès, soit transmise au président des Etats-Unis, et qu’il soit invité à y répondre au nom de cette chambre, en exprimant sa sensibilité de la manière amicale et affectionnée avec laquelle le comité s’est adressé au Congrès des Etats-Unis, en y ajoutant l’assurance positive que les représentants du peuple des Etats-Unis s’intéressent vivement au bonheur et à la prospérité de la République française. Le président des Etats-Unis a confié cette tâche honorable et intéressante au département d’Etat; elle ne peut être remplie plus convenablement qu’en saisissant cette occasion pour déclarer formellement à l’alliée des Etats-Unis que la cause de la liberté, pour la défense de laquelle les Américains ont prodigué tant de sang et de trésors, est chérie par notre république avec un enthousiasme toujours croissant; que partout où sera déployé l’étendard de la liberté, l’affection des Etats-Unis se ralliera toujours et que les succès de ceux qui se lèvent pour la venger seront célébrés par les Etats-Unis et y seront sentis comme leurs propres succès et comme ceux des autres amis de l’humanité {on applaudit). Oui, représentants de notre alliée, votre communication a été adressée à des hommes qui partagent votre sort et qui prennent le plus vif intérêt au bonheur et à la prospérité de la République française. Signé Edmond Randolph, secrétaire d’Etat. Déclaration du Congrès. Philadelphie, le 10 juin 1794. Le soussigné secrétaire d’Etat des Etats-Unis de l’Amérique, a l’honneur de communiquer au comité de salut public de la République française que, le 24 avril 1794, il a été ordonné par le sénat des Etats-Unis que la lettre du comité adressée au Congrès soit transmise au président et qu’il soit invité d’y répondre au nom du sénat, de manière à manifester l’amitié sincère de cette chambre et ses bonnes dispositions pour la République française. En remplissant cette tâche, commise par le président au département des Etats, les secours généreux que les Etats-Unis ont reçus de la nation française dans leur conflit pour l’indépendance, se présentent fortement à notre mémoire. C’est sur cette base que l’amitié entre les deux nations fut d’abord fondée. C’est sur cette base, et les égards mutuels témoignés depuis, qu’elle s’est accrue, et, soutenue par ces motifs, elle sera ferme et constante. C’est pourquoi le sénat présente au comité de salut public ses vœux sincères pour la République française. Il apprend avec sensibilité tous les succès qui avancent le bonheur de la nation française; et l’établissement complet de la paix et de la liberté en France sera considéré par le sénat comme un bonheur pour les Etats-Unis et pour l’humanité. Signé Edmond Randolph, secrétaire d’Etat. ( Les applaudissements recommencent et se prolongent). Le PRÉSIDENT, au ministre américain : Le peuple français n’a point oublié que c’est au peuple américain qu’il doit l’initiative de la liberté. C’est en admirant la sublime insurrection du peuple américain contre cette Albion jadis si fière, aujourd’hui si avilie; c’est en prenant lui-même les armes pour en seconder les courageux efforts; c’est en cimentant l’indépendance du sang de ses plus braves guerriers que le peuple français a appris à briser à son 122 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE tour le sceptre de la tyrannie et à élever la statue de la liberté sur les ruines d’un trône basé sur 14 siècles de corruption et de crimes. Comment donc ne seraient-ils pas amis, comment n’associeraient-ils pas les moyens réciproques de prospérité que leur offre le commerce et la navigation, ces deux peuples qui sont devenus libres l’un par l’autre ? Mais ce n’est point une alliance purement diplomatique; c’est la fraternité la plus douce, la plus franche, qui doit les unir; c’est elle qui les unit en effet et cette union sera à jamais indissoluble, comme elle sera à jamais le fléau des despotes, la sauvegarde de la liberté du monde, la conservation de toutes les vertus sociales et philanthropiques. En nous apportant, citoyen, le gage de cette union si chérie, tu ne pouvais manquer d’être accueilli avec le plus vif intérêt. Il y a 5 ans l’usurpateur de la souveraineté du peuple t’aurait reçu avec la morgue qui ne sied qu’au vice et il aurait cru faire beaucoup en accordant au ministre d’une nation libre quelques signes de son insolente protection. Aujourd’hui, c’est le peuple souverain lui-même, représenté par des mandataires fidèles, qui te reçoit; et tu vois de quel attendrissement et de quelle effusion de cœur est accompagnée cette cérémonie simple et touchante. Qu’il me tarde de la couronner par l’accolade fraternelle que je suis chargé de te donner au nom du peuple français ! Viens la recevoir au nom du peuple américain, et que ce tableau achève de détruire la dernière espérance de la coalition impie des tyrans ! (On applaudit à plusieurs reprises) (1). En témoignage de la fraternité qui unit les deux peuples français et américain, le président donne l’accolade au citoyen Mon-roe (2). Toute l’assemblée se lève par un mouvement spontané; un cri unanime de vive la République ! se fait entendre. Le ministre des Etats-Unis est conduit au président de la Convention, qui lui donne le baiser fraternel au milieu des transports de l’allégresse universelle et de la plus vive sensibilité. Il va se placer ensuite au sein des représentants du peuple qui le reçoivent par leurs acclamations unanimes. Moyse BAYLE : Je demande que la Convention, pour consacrer la fraternité entre les deux plus grandes Républiques des deux mondes, décrète que, dans le lieu de ses séances, un drapeau américain et un drapeau français seront unis en signe d’amitié et d’alliance éternelles. (On applaudit). Cette proposition est décrétée à l’unanimité. On demande que le président mette aux voix la reconnaissance du ministre américain. La Convention décrète unanimement, et le président prononce au milieu des applaudissements que James Monroe est reconnu par les représentants du peuple en qualité de ministre (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 499-500. (2) P.V., XLIII, 242. plénipotentiaire de la République américaine auprès de la République française. La salle retentit des cris de Vive la République française ! Vive la République américaine ! (1). COLLOMBEL propose d’imprimer dans le bulletin de la Convention toutes les pièces lues à la tribune avec la réponse du président. — Adopté. On demande qu’elles soient traduites dans toutes les langues et imprimées en caractère américain dans le bulletin. — Adopté (2). Ensuite, sur la proposition de divers membres, la Convention nationale rend à l’unanimité le décret suivant. La Convention nationale décrète : Article Ier. Lecture et vérification faites des pouvoirs du citoyen James Monroe, il est reconnu et proclamé ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique près la République française. Art. II. Les lettres de créance du citoyen James Monroe, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis d’Amérique; celles qu’il a remises de la part du Congrès américain et de son président, adressées à la Convention nationale et au comité de salut public; le discours du citoyen Monroe, la réponse du président de la Convention nationale, seront imprimés dans les 2 langues française et américaine, et insérés dans le bulletin de correspondance. Art. III. Les drapeaux des Etats-Unis d’Amérique seront joints à ceux de la République française, et déposés dans la salle des séances de la Convention nationale, en signe de l’union et de la fraternité étemelles des deux peuples français et américain (3). La séance est levée (4). AFFAIRES NON MENTIONNÉES AU PROCÈS-VERBAL 61 L’Assemblée demande unanimement le rapport sur l’organisation des comités de la (1) Moniteur (réimpr.), XXI, 500. La demande d’un décret reconnaissant J. Monroe comme ministre plénipotentiaire des Etats-Unis est attribuée au représentant Dubois-Crancé par Audit, nat. (n° 691) et Rép. (n° 239). (2) J. Paris, n° 593. Rapport attribué à Moyse Bayle. Décret n° 10 420. (3) P.V., XLIII, 242-243. Rapporteur: Moyse Bayle. Décrets n° 10 418 et n° 10 419, d’après C* II 20, p. 255. Reproduit dans B™, 28 therm. et 29 therm. M.U., XLII, 462-463; 472-475; XLIII, 15-16; Débats, n° 694-, 491-496; J. Fr., n08 690, 691; J. univ., n° 1727; J. Paris, n08 593, 594; Ann.R.F., n°257; F. de la Républ., n°407; J. Mont., n° 108; J. Perlet, n° 692; J. Sablier, n° 1502; Ann. patr. , n° DXCII; C. Eg. , n° 727; Gazette fr!$e , n° 958; J. S. -Culottes, n° 547. (4) P.V. , XLIII, 243. P.V., signé en exécution du décret du 3 Brumaire an IV. Signé, MOLLEVAUT, DELECLOY, POISSON, DELAUNAY, DERAZEY. Voir Arch. Pari, t. XCIII, fin de la séance du 2 thermidor, p. 372.