<0 [États généraux.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juin 1789.] a chargé ses commissaires de rappeler à la prochaine conférence que la noblesse avait arrêté précédemment qu’elle vérifierait dans son sein ses pouvoirs, prononcerait sur les contestations qui surviendraient sur leur validité, lorsqu’elles n’intéresseraient que ses députés particuliers, et en donnerait une connaissance officielle aux autres ordres. « Quant aux difficultés survenues et à survenir sur des députations entières pendant la présente tenue d’Etats généraux seulement, chaque ordre chargera, conformément aux désirs du Roi, ses commissaires de les discuter avec ceux des autres ordres, pour que, sur le rapport, il puisse y être statué d’une manière uniforme dans les trois Chambres séparées ; et, au cas que l’on ne pût y parvenir, le Roi sera supplié d’être leur arbitre. » M. le Doyen. Les communes prendront en considération l’arrêté que vous leur communiquez, et je ferai part de leur réponse à l’ordre de la noblesse. La discussion continuait sur la délibération du clergé, lorsqu’on fait sentir la nécessité de porter au plus tôt la réponse de l’Assemblée à la Chambre du clergé. M. le Doyen lit le projet suivant d’arrêté : « Pénétres des mêmes devoirs que vous, touchés jusqu’aux larmes des malheurs publics, nous vous prions, nous vous conjurons de vous réunir à nous dans l’instant même, dans la salle commune, pour aviser aux moyens de remédier à ces malheurs. » Aller aux voix était trop long; l’Assemblée préfère de délibérer par assis et levé. M. le Doyen. J’invite ceux qui votent pour l’arrêté à se lever. Toute l’Assemblée se lève. M. le Doyen. J’invite ceux qui votent contre à se lever. Personne ne se lève. Un silence majestueux règne dans l’Assemblée. — A ce silence profond succèdent des applaudissements nombreux. Une députation solennelle, qu’un mouvement estimable entraîne, se porte vers la Chambre du clergé. On donne lecture, pendant ce temps, d’une lettre de M. le garde des sceaux qui instruit l’Assemblée que les membres qu’elle nommera pour jeter de l’eau bénite sur le corps de Mgr le dau-hin pourront se rendre à Meudon lundi, à heures. Les membres députés vers le clergé rentrent dans la salle; ils annoncent à l’Assemblée que le président a répondu que l’on allait agiter sérieusement cette question, mais que plusieurs membres du clergé avaient ajouté qu’ils étaient trop peu nombreux pour délibérer. M. Dailly indique une seconde séance pour 6 heures précises. La séance est levée. Séance du samedi soir. Les communes se rassemblent sur les 6 heures du soir pour entendre la lecture dû projet de règlement provisoire. Nous allons en donner un précis rapide. Le chapitre premier porte sur la police intérieure de la salle: 1° que les sièges placés dans le fond de la salle seront distribués en amphithéâtre, sauf à MM. de la noblesse et du clergé à demander la même distribution pour leurs places ; 2° on établit vingt divisions�composées indistinctement, sans avoir égard aux gouvernements. L’article 3 porte que, pour opérer cette division, on fera une liste alphabétique des députés, et que le premier bureau sera composé du premier député, du trente-unième, etc. ; que le second sera composé du deuxième, du trente-deuxième, etc., et ainsi de suite jusqu’à la fin ; que les bureaux changeront tous les quinze jours ; que l’Assemblée ouvrira tous les jours à 9 heures; que les étrangers ne seront admis que dans les tribunes; que les députés seront tenus de mettre le manteau, pour conserver la décence; permission cependant à chacun de porter l’épée ou l’habit de couleur; que les députés garderont le plus profond silence, ne changeront point de place, etc. Que tous les suppléants auront une place particulière dans les gradins; que les députés pourront sortir quand ils voudront, mais qu’ils reprendront leurs places en rentrant; que l’on ne pourra donner aucun signe d’applaudissement ni d’improbation; que les injures, les personnalités seront défendues; que quand on prendra la parole, on s’adressera seulement au président ; que l’on n’interrompra point le président; qu’une fois le mot à l'ordre prononcé, chacun se rangera à sa place, se taira, etc. ; que quiconque contreviendra à tout ce qui a été dit ci-dessus sera rappelé à l’ordre; que s’il récidive, il recevra sur-le-champ une réprimande conçue en ces termes : « Monsieur, vous oubliez la parole que vous avez donnée à l’Assemblée de suivre son règlement, etc. » ; qu’il sera choisi pour ce quatre censeurs pris parmi les adjoints, et qu'ils seront placés dans les coins de la salle, etc. ; que le bureau nommera les députés pour recevoir et faire les députations, et ceux qui seront chargés de faire les adresses ou discours nécessaires. Le chapitre second concerne les motions; il est partagé en trois sections : la première regarde les motions seulement ; l’autre, l’admission de la motion ; et la troisième, la manière d’opiner sur la motion. Toute motion sera présentée au bureau et signée de l’auteur, lequel bureau la rejettera ou l’admettra à sa volonté. La motion approuvée par le bureau sera lue dans l’Assemblée générale; et, si elle est soutenue par plus de quatre députés, elle sera communiquée aux bureaux de division, qui voteront séparément, et rapporteront le nombre de voix données pour admettre ou rejeter la motion. La motion ad mise pour en faire une seconde discussion dans l’ Assemblée, chaque bureau aura son orateur qui discutera, et nul autre ne pourra parler. L’on remettra au président les noms des orateurs qui doivent discuter le pour et de ceux qui discuteront le contre. La discussion finie, tous débats seront interdits; personne ne pourra plus prendre la parole, à moins qu’il n’ait quelque chose d’important et de nouveau à communiquer. L’on réduira la motion, avec son amendement, de telle manière que l’on n’ait plus à opiner que par oui ou par non. Le bureau ayant examiné que la manière d’opiner par appel nominal, suivie jusqu’à présent, apporte des longueurs, a proposé deux manières [États généraux,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juin 1789.] 77 d’opiner; la première, en se levant et s’asseyant alternativement et en silence, et après un intervalle suffisant pour compter les votants. La seconde, que les censeurs recueilleront les voix de ceux qui seront dans leurs quartiers, en feront le rapport au président, qui, sur ce résultat, prononcera ce que la pluralité aura décidé. Plusieurs membres lisent des projets qui ne sont pas discutés. On discute d’abord trois points qui ont frappé l’Assemblée : 1° Condamnera-t-on les spectateurs à se réfugier dans les tribunes ? 2° Se formera-t-on par bureau ? 3° Laissera-t-on au bureau toute l’autorité que le règlement lui attribue? Sur la première question, un membre pense que c’est revenir contre le vœu général de l’Assemblée, qui veut se placer sans cesse sous les yeux de la nation. Sur la seconde, on dit qu’il est impossible de se former en vingt bureaux, attendu que Je local n’est pas assez considérable; qu’il n’y a que neuf chambres, même trop petites, pour y recevoir trente personnes ; que cela sera dangereux en ce que telle personne qui a confiance en telle autre ne pourra pas profiter de son avis, en ce qu’une bonne opinion ne sera concentrée que dans une décision de trente personnes. D’un autre côté, l’on prétend qu’il n’est pas du tout impossible de se diviser en bureaux ; que si c’est trop de vingt bureaux, on n’en établira que douze, et que la salle et les Chambres suffiront ; que l’on a déjà eu un exemple que les communes se sont rassemblées dans la salle par gouvernements, et que le tumulte n’a nullement troublé cette division; que, loin de priver les membres de l’Assemblée des opinions, elle lui servira à les étendre, en ce que souvent telle personne qui se tait, ou par défaut d’organe et de poumons assez forts pour se faire entendre de six cents personnes, ou parce qu’elle n’a pas l’usage de la parole, exposera son avis avec plus de tranquillité dans une assemblée de trente personnes, et que cela est si vrai qu’il n’y a eu encore jusqu’ici que cinquante personnes qui aient pris la parole; et qu’après l’assemblée particulière de division, tout le monde sera libre encore de parler dans l’Assemblée générale. Sur la troisième question il n’y a que quelques personnes qui se plaignent de voir le bureau érigé en dictateur, maître de rejeter ou d’admettre les motions, et par là de décider en quelque sorte du sort de la nation. M. Malouet prend la parole. Après avoir démontré l’avantage des bureaux, après avoir dit qu’on devait donner à chaque bureau une matière particulière à discuter, à l'un les impôts, à l’autre le commerce, à celui-ci la justice, à celui-là l’agriculture, etc., il termine par dire que les inconvénients de n’avoir pas de règlement sont si grands qu’il faut adopter provisoirement le règlement, et passer préalablement à son examen. Plusieurs membres sont de son avis. Cependant, après bien des débats, après que M. le Doyen eut fait tous ses efforts pour ramener les esprits à cet objet, l’on réduisit l’exécution provisoire à l’article II du règlement, c’est-à-dire à la formation des bureaux. On reprend la délibération sur l’adresse du clergé. Plusieurs membres pensent qu’il faut députer à l’instant au Roi pour l’instruire delà délibération des communes; d’autres qu’il faut lui faire parvenir une adresse. Il s’élève une discussion très-intéressante. Un des membres soutient qu’il faut demander l’exécution de la déclaration de 1709, qui, donnée dans un temps de disette, porte que tous les propriétaires, soit laïques ou ecclésiastiques, nobles ou roturiers, donneront un état des grains qu’ils ont dans leurs greniers; qu’ils ne seront autorisés qu’à garder ce qui leur est nécessaire pour les besoins de leur famille; que le reste sera conduit au marché et à un prix déterminé; qu’il faut aussi demander l’exécution des lois canoniques, qui ordonnent que les bénéficiers restitueront aux pauvres les revenus des bénéfices, à l’exception de ce qui est nécessaire pour leur subsistance. Un autre ajoute qu’il faut se retirer par devers M. le contrôleur général, et lui demander les états faits tous les huit jours des grains importés dans le royaume. Il n’est pris aucune résolution, et le président lève la séance. Suite des conférences en présence des commissaires du Roi. Une grande partie de cette séance est consommée en de longs débats sur le procès-verbal dont les commissaires de la noblesse ne veulent pas que l’authenticité soit constatée, même par la signature d’un secrétaire, toujours sur le motif par eux précédemment allégué. M. le garde des sceaux demande aux commissaires des trois ordres quel est le parti que leurs Chambres ont pris sur le rapport à elles fait de l’ouverture proposée par les ministres du Roi. Les membres du clergé disent que leur Chambre a accepté avec empressement et reconnaissance l’ouverture faite au nom du Roi. Les commissaires de la noblesse font lecture de la délibération prise le jour même par leur Chambre. Ceux des communes rendent compte de la délibération prise par l’Assemblée de leurs députés, d’attendre, pour délibérer avec une plus grande maturité et une plus grande instruction dans une circonstance aussi importante, la fin des conférences et la clôture du procès-verbal. Un membre des communes dit: qu’il leur reste à exposer leurs moyens de droit ; que, sur cette partie, il sera très-court. MM. de la noblesse annoncent qu’ils ne veulent plus rien répondre. Il est impossible de prétendreque les pouvoirs des députés aux Etats généraux puissent avoir d’autres juges naturels que le corps entier des représentants de la nation. Quelle serait l’autorité d’une délibération prise par des hommes qui n’auraient pas le droit de délibérer? Le concours des hommes dénués de ce droit, à un acte aussi important, serait l’usurpation de la plus inaliénable des autorités. Chaque assemblée de bailliage donne aux députés des trois ordres qu’elle envoie aux Etats généraux un mandat qui, soit formel, soit tacite, n’en est pas moins spécial, pour vérifier à quel titre les représentants des trois ordres, dans les autres bailliages, viennent concerter avec eux les arrangements pour l’intérêt public. Tous sont dépositaires à cet égard du droit qu’a la nation d’empêcher que ceux qui n’ont pas sa confiance usurpent l’influence qu’elle doit assurer. Tout droit confié par autrui, et, plus encore,