[5 septembre 1790. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES 598 [Assemblée nationale.] toute la France, car il suffirait qu’on remboursât, à présentation, les assignats de 200 livres, pour qu’on ne cherchât plus à les échanger. Lorsque la caisse d’escompte payaità bureau ouvert, son papier avait la valeur de l’argent; ne serait-il pas à désirer que les membres de cette Assemblée ne se permissent pas de vaines et dangeureuses déclamations contre les vendeurs d’argent ? Je n’approuve pas ce commerce; mais s’il est défendu, f argent sera nécessairement et plus rare et plus cher, par la raison toute simple que plus il y a de vendeurs d’une den rée.et plus son prix est modéré; il faut donc, pour l’intérêt même du peuple, le tolérer. — Je vais réunir toutes ces idées en un petit nombre d’articles. PREMIER PROJET DE DÉCRET. « Art. 1er. Tous les créanciers propriétaires de rentes perpétuelles ou viagères consiituées et à tel titre que ce soit, soit sur l’Etat, soit sur le clergé, seront libres de garder leurs anciens titres, et l’intérêt qui leur est actuellement payé leur sera continué. « Art. 2. Pourront aussi les mêmes créanciers, ainsi que les porteurs de créances sur l’Etat, de quelque nature qu’elles soient, les propriétaires d’offices, de judicature et de charge, dont le remboursement aura été ordonné par l’Assemblée nationale, même les porteurs de créances sur les maisons et communautés religieuses, et autres établissements ecclésiastiques, lorsque ces créances, charges et offices auront été liquidés, changer leur titre contre des obligations nationales, divisibles de 1,000 à 4,000 livres, et portant intérêt à 5 0/0, ou recevoir, en payement de ce qui leur sera dû, des obligations territoriales, divisibles de 200 livres à 1,000 livres, portant 3 ou 3 1/2 0/0 d’intérêt. Je crois qu’elles doivent porter un intérêt un peu plus fort que les assignats, parce qu’elles n’auront plus force de monnaie que pour le payement des biens nationaux. « Art. 3. Les délégations territoriales seront reçues en concurrence avec l’argent et les assignats déjà décrétés pour l’acquisition des biens nationaux. « Art. 4. L’évaluation des capitaux des rentes perpétuelles et viagères, dont les propriétaires voudront échanger leurs titres contre des obligations nationales ou des délégations territoriales, sera faite, savoir : pour les rentes perpétuelles, sur le pied du denier vingt de la rente actuellement payée, déduction faite des retenues ; et pour les rentes viagères, dans la proportion de l’âge des rentiers suivant un taux graduel qui sera fixé. « Art. 5. Il ne sera délivré des délégations territoriales que jusqu’àla concurrence des biens nationaux disponibles, déduction faite de ceux hypothéqués aux 400 millions d’assignats déjà décrétés; et les rentiers ou créanciers qui se présenteront les premiers pour la conversion de leurs titres seront préférés. « Art. 6. Les directoires de département seront tenus de faire dresser immédiatement, par les directoires des districts, des états estimatifs de tous les biens nationaux de leur arrondissement. Ces états seront distribués en quatre classes, conformément au décret du 14 mai dernier, et divisés par municipalités; ils seront envoyés, sous deux mois, à l’Assemblée nationale. » SECOND PROJET DE DÉCRET. « Art. 1er. Les directoires de département seront tenus de faire procéder, sans délai, par les directoires des districts, à la vente de tous les biens nationaux situés dans leur arrondissement, pour lesquels les formalités prescrites par le titre 3 du décret du 11 mai dernier auront été remplies. t Art. 2. Les directoires de département feront passer tous les quinze jours, à l’Assemblée nationale, l’état des ventes qui auront été faites, avec une note indicative de la nature des payements. « Art. 3. Les receveurs des districts feront remettre tous les mois, au trésorier de l’extraordinaire, tous les fonds et tous les assignats qu’ils auront reçus en payement des biens nationaux qui auront été vendus, sans pouvoir en rien réserver. « Art. 4. Chaque semaine le Trésor de l’extraordinaire fera passer à l’Assemblée nationale le bordereau des fonds et assignats qu’il aura reçus des receveurs des districts ; les fonds seront employés immédiatement au remboursement d’une pareille somme d’assignats, et seront lesdits assignats, tant ceux échangés par la caisse de l’extraordinaire que ceux qui auront été envoyés par les receveurs des districts, brûlés suivant les formalités prescrites par les décrets des 16 et 17 avril dernier, sans que, sous aucun prétexte, il puisse en être fait aucun autre usage. « Art. 5. Aussitôt qu’il aura été retiré de la circulation une somme de 100 millions d’assignats, il sera ordonné aux receveurs des départements d’échanger, à présentation et en espèces, tous les assignats de 200 livres qui leur seront présentés. » TROISIÈME PROJET DE DÉCRET. « Les directoires de département s’occuperont sans relâche des moyens défaire achever les rôles des impositions de la présente année, et particulièrement ceux de la contribution patriotique, et ils ordonneront à tous les receveurs et préposés à la levée des impôts d’en accélérer la rentrée, sous peine, par lesdits receveurs et préposés, d’être responsables des retards. » QUATRIÈME PROJET DË DÉCRET. « L’Assemblée nationale ordonne à tous ses. comités de lui présenter, sous huitaine, un précis de tous les travaux qui leur restent à terminer, soit pour le complément de la Constitution, soit pour les lois dont la promulgation est indispensable avant la fin de la présente session. » M. le Président dit qu’il vientde recevoir une-lettre du ministre de la marine. Ce ministre observe que, suivant l’état adressé par lui à l’Assemblée nationale au mois de mai dernier, la dépense totale du premier armement de 14 vaisseaux, 14 frégates et autres bâtimens légers, s’élève, pour chaque mois, à 1,067,845 livres ; que la marine n’ayant reçu jusqu’à présent que sur le pied d’un million par mois, il en résulte un déficit de 203,535 livres. Il prie l’Assemblée de rendre ua décret pour que la remise de ce fonds soit faites incessamment, dans les ports, par le Trésor public. L’Assemblée renvoie l’examen de cette demande (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 septembre 1790.] à ses comités réunis de la marine et des finances. M. le Président lève la séance à trois heures et demie. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 5 SEPTEMBRE 1790. Adresse à l'Assemblée nationale , par les administrateurs du directoire du département de la Seine-Inférieure , le directoire du district de Rouen, le conseil général de la commune et la chambre du commerce de la même ville , SUR CETTE QUESTION : Convient-il, pour acquiter la dette exigible de l’Etat, de faire l’émission immédiate de deux milliards d’assignats-monnaie ne portant point intérêt et subdivisés en coupons de sommes très modiques ? Messieurs, les administrateurs composant le directoire du département de la Seine-Inférieure, le directoire du district de Rouen, le conseil général de la commune et la chambre du commerce de la même ville, obéissent à un sentiment de sollicitude pour leurs commettants, et d’inquiétude pour la nation entière, en vous adressant des observations sur une question importante, soumise présentement à votre discussion. On vous a proposé, Messieurs, de décréter la vente immédiate delà totalité des domaines nationaux, et le remboursement immédiat aussi de la totalité de la dette exigible, en assignats-monnaie, ne portant point intérêt, et subdivisés en coupons de sommes très modiques. Nous savons que ce système a trouvé de nombreux partisans, qu’il à été développé, défendu avec toutes les armes de l’éloquence ; mais, dans l’esprit de la Constitution, le cri de la conscience des administrateurs doit-il être étouffé par la crainte de déplaire à des législateurs dont ils admirent d’ailleurs les talents et dont ils respectent les principes? Nous ne pouvons le croire, Messieurs ; et si, en vous parlant avec cette assurance qu’inspire la bonne intention, nous nous trouvons en contradiction avec quelques-uns de vous, nous espérons au moins, par notre franchise, acquérir des droits à leur estime. On vous propose de décréter la vente immédiate de tous les biens nationaux ; et, sans nous dissimuler que, quelque mesure qu’on adopte, la vente précipitée d’une masse si énorme de propriétés foncières donnera un moindre produit que n’auraient fait des ventes partielles et successives, nous croyons cependant qu’il est de la sagesse, de la politique même, d’opérer, dans le plus court délai possible, la transmutation de ces propriétés, qui doit consolider à jamais l’édifice de la Constitution. Mais en adoptant, en appuyant même de notre ■vœu cette première partie de la proposition, nous devons mettre sous vos yeux les dangers sans nombre attachés au mode de remboursement indiqué par la seconde. On vous propose, Messieurs, l’émission immédiate de deux milliards d’assignats - monnaie , 9W comme un moyen sûr de relever le crédit, et de faire reparaître le numéraire réel. Mais d’abord qu’est-ce que le crédit public? c’est la confiance qu’inspire la position intérieure et extérieure d’un Etat. Qu’est-ce que l’argent? celui des signes de propriétés qui doit être le plus recherché dans les temps de troubles, parce qu’il réunit à l’avantage d’être disponible, celui d’avoir une valeur intrinsèque de tous les temps, de tous les pays, et qui survit à la révolution des empires. Si donc, dans un Etat, les limites des pouvoirs sont sagement déterminées ; si les ministres ne peuvent disposer arbitraitement du Trésor public; si la paix règne au dedans; si des traités avantageux et de bons alliés tiennent dans le respect des voisins inquiets, le crédit public sera florissant; le numéraire réel et le numéraire fictif circuleront avec une égale facilité; souvent môme on préférera le signe fictif qui se prête mieux par sa nature aux opérations de la banque du commerce et des caisses publiques. Mais, après des déprédations énormes et à la suite de violentes convulsions, lorsque le Trésor public est épuisé, lorsque l’impôt ne présente pas encore l’équilibre de la dépense, lorsque les ennemis de la Révolution affectent d’exagérer le mal et de ne pas croire au remède, le discrédit est inévitable, le papier doit refluer, l’argent doit disparaître ; et telle est malheureusement la position actuelle de la France. Et, quel est le moyen que l’on vous propose, Messieurs, pour rétablir la circulation du numéraire? Une émission de deux milliards et plus d’assignats-monnaie. Où a-t-on vu que dans des temps de crise une émission extraordinaire de papier-monnaie ait relevé le crédit d’une nation? L’Èspagne, au milieu des embarras de la dernière guerre, créa un papier public ; quel en a été le succès pendant tout le temps qu’a duré cette guerre? Les Américains aussi, lorsqu’ils ont conquis leur liberté, firent une émission considérable d’effets nationaux; et ne sait-on pas que ces effets ont perdu jusqu’à 98 0/0? Et c’est dans des circonstances plus critiques que celles où se sont trouvées ces deux nations ; c’est lorsque la grande quantité du papier en circulation a facilité déjà le resserrement de l’argent que l’on propose une émission nouvelle de deux milliards de numéraire fictif; mais si les propriétaires de-la dette exigible que l’on propose de rembourser avec ces signes fictifs et disponibles ; si ces créanciers de l’Etat, parmi lesquels on compte un grand nombre d’ennemis de la Révolution, pressés par la crainte, tourmentés par la malveillance, venaient à réaliser, enfouir, ou exporter en métaux monnayés une portion même légère du remboursement qui leur sera fait, ne voit-on pas qu’ils pourraient enlever de la circulation jusqu’à la dernière pièce d’or ou d’argent? La mesure proposée peut mettre dans les mains des ennemis de la Révolution les moyens les plus sûrs de séduction, de puissance, de despotisme ; en faut-il davantage pour la faire rejeter avec frayeur? Mais, qu’importe, objecte-t-on, l’extrême rareté du numéraire ! Il faudra beaucoup moins d'argent, il n’en faudra presque plus, si l’on fait des assignats dont la valeur descende progressivement depuis la somme de deux cents livres jusqu’à celle des pièces d’or ordinaires. Ceux-là connaîtraient mal les besoins journaliers de l’agriculture et les détails infinis des