[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.]] 191 pointes, la veste et la culotte blanche; sur le bouton, il sera écrit: District de.... ; leretroussis de l’habit écarlate; sur l’un des retroussis, il sera écrit en lettres jaunes ou or, le mot la loi; et sur Vautre retroussis, le mot liberté. « 2° Que les gardes nationales, qui ont adopté un uniforme autre que celui qui est prescrit ci-dessus, pourront continuer de le porter jusqu’au 14 juillet prochain. « 3° Que les gardes nationales des lieux où il n’y avait point encore d’uniforme établi , et qui en ont adopté un pour assister à la confédération, pourront également continuer de le porter, mais seulement jusqu’au 14 juillet prochain, jour auquel toutes les gardes nationales du royaume porteront le même habit. M. Dupont (de Nemours). Je crois qu’il est essentiel de distinguer les gardes nationales des divers départements : si quelque jour elles étaient employées pour repousser l’ennemi, il faudrait que le général pût connaître quel est le département qui débouche de tel ou tel côté. Je demande qu’il y ait une distinction dans les revers. M. de Foucault. Je demande que conformément à la belle devise qu’ont adoptée les Français, il soit écrit sur les retroussis : la loi et le roi. M. Barnave. Je propose de substituer le mot de Constitution à celui de la loi. Ce mot ne présente qu’une idée vague, tandis que le mot Constitution a l’avantage de comprendre la loi et le roi. M. Martineau Je pense que le mot Constitution ne peut être gravé parce qu’il y a trop de lettres. M. de Toustain. Je propose de mettre sur les retroussis : défenseurs de la liberté. M. BrîIIat-Savarin. Par mesure d’économie, il faut proroger jusqu’au 14 juillet 1792, le délai rigoureux pour les changements d’uniforme. M. Démeunier. J’observe que presque tous les uniformes des gardes nationales sont bleus et qu’il suffit d’établir des signes extérieurs de fraternité et d’égalité entre tous les citoyens. M. le Président met aux voix le projet de décret du comité de Constitution. Il est adopté avec les modifications suivantes : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité de Constitution sur l’uniforme à donner aux gardes nationales du royaume, a décrété et décrète. « 1°. Qu’il n’y aura qu’un seul et même uniforme pour toutes les gardes nationales du royaume; qu’en conséquence tous les citoyens français, admis dans les gardes nationales, ne pourront porter d’autre uniforme que celui qui va être prescrit. Habit bleu-de-roi, doublure blanche, parements et revers écarlate, et passepoil blanc; collet blanc, et passe-poil écarlate; épaulettes jaunes ou en or, la manche ouverte à trois petits boutons, la poche en dehors à trois pointes et trois boutons, avec passe-poil rouge : sur le bouton il sera écrit: District de... Les retroussis de l’habit écarlate ; sur l’un des retroussis, il sera écrit en lettres jaunes ou en or, ce mot : Constitution ; et sur l’autre retroussis, ce mot : Liberté. Veste et culotte blanches. « 2°. Que les gardes nationales qui ont adopté un uniforme autre que celui qui est prescrit ci-dessus, ne pourront continuer de le porter que jusqu’au 14 juillet prochain, jour anniversaire de la fédération. « 3° Que les gardes nationales des lieux où il n’y avait point encore d’uniforme établi, et qui en a adopté un pour assister à la fédération, pourront également continuer de le porter, mais seulement jusqu’au 14 juillet prochain, jour auquel toutes les gardes nationales du royaume porteront le même uniforme. » M. Rabaud (de Saint-Etienne). Afin d’éviter des discussions sur les lieux ou seront déposées les bannières que la municipalité de Paris a données aux fédérés de chaque département , le comité de Constitution a cru devoir vous proposer le décret suivant : « L’Assemblée nationale déclare que les bannières données par la commune de Paris aux quatre-vingt-trois départements, et consacrées à la fédération du 14 juillet, seront placées et transportées dans les lieux où le conseil de l’administration de chaque département tiendra ses séances, soit que le chef-lieu se trouve provisoire, définitif ou alternatif. « Quant aux départements où les chefs-lieux ne sont pas encore choisis, la bannière sera provisoirement déposée dans la ville neutre où les électeurs seront convoqués pour déterminer le chef-lieu, afin d’être placée ensuite dans le lieu où l’administration tiendra ses séances, conformément au présent décret. » (Ce projet de décret est mis aux voix et adopté sans discussion.) M. le Président. L’ordre du jour est la discussion de la motion faite par M. de Nouilles, dans la séance du 15 juillet , au sujet de l'armée. M. de Woailles, député de Nemours. Si la proposition que je vous ai déjà faite d’attribuer au Corps législatif le droit de fixer le nombre des individus de chaque grade qui doivent composer l’armée, eût été énoncée avec plus de détail, sans doute elle aurait obtenu l’assentiment général ; il s’agit de distinguer les différents pouvoirs : ce n’est pas dans le sein de cette Assemblée qu’on voudra enlever à la nation un droit constitutionnel. Je vais rappeler les principes. Le pouvoir exécutif ne peut exister séparément des pouvoirs politiques. Il ne peut exister qu’aux conditions sur lesquelles la nation a voulu qu’il existât; il ne peut avoir de forces que celles que la nation a voulu lui confier. L’organisation de ces forces appartient à la nation ou à ses représentants, et non pas à lui-même, car il est bien évident qu’on ne peut pas lui laisser le droit de se constituer et de s’organiser; il est nécessaire de représenter les décrets précédemment rendus sur l’armée. Vous avez décrété, le 28 février, qu’au Corps législatif appartenait le droit de statuer sur la somme à désigner annuellement pour les dépenses militaires, sur le nombre d’hommes dont l’armée doit être composée, sur la solde de chaque grade, sur les règles d’admission au service et d’avancement dans tous les grades, sur les formes des enrôlements et les conditions des dégagements, sur l’admission des troupes étrangères au service de la nation, sur les lois relatives aux délits et peines militaires, et enfin sur le traitement de l’armée en cas de licenciement. Par votre décret du 2(5 juin, vous avez appliqué toutes ces lois à 192 rÀwenablée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.] l’armée navale, et vous avez ajouté qu’à chaque législature appartenait le droit de fixer le nombre d’individus dechaque grade qui doivent entrer dans la marine. Je vais vous donner lecture du décret que je vous ai déjà proposé : « L’Assemblée nationale, expliquant son décret sur l’armée, en date du 28 février, et conformément à celui du 26 juin sur l’armée navale, a décrété et décrète, qu’il appartient au Corps législatif de fixer, sur la proposition du pouvoir excutif, le nombre d’individus de chaque grade dont l’armée doit être composée, tant pour la troupe nationale, que pour les troupes étrangères à la solde de la France. » Cette proposition est inutile ou nécessaire ; si elle est inutile, il fallait le dire de bonne foi, et convenir que, quoique le décret du 28 février n’ajoutât point de chaque grade , ces termes étaient sous-entendus, surtout d’après le décretdu 26 juin. Ou la proposition était nécessaire, et en ce cas il est inconcevable qu’elle n’ait pas été adoptée : car on n’ira pas jusqu’à soutenir que les droits du pouvoir législatif doivent être moindres sur l’armée de terre que sur l’armée navale. Nous sommes précisément dans la situation du parlement d’Angleterre. Si on voulait faire quel” que changement dans l’organisation de l’armée de cet Empire, le pouvoir exécutif viendrait proposer ces changements au Corps législatif, qui délibérerait, amenderait, statuerait et renverrait au pouvoir exécutif pour sanctionner. Il est donc nécessaire que le pouvoir exécutif présente son plan au Corps législatif, qui délibérera et fera les changements qu’il croira convenables au bien public : autrement le pouvoir exécutif pourrait augmenter certains grades dans une proportion ridicule; et ainsi vous auriez des soldats et point d'armée. On a cherché à persuader qu’il était possible qu’il n’y eût aucun militaire dans l’Assemblée nationale : si le hasard l’avait ainsi composée, je ne voudrais pas dire pour cela qu’elle serait hors d’état de délibérer sur ce qui concerne l’armée : Louvois, d’Argenson et Colbert étaient-ils militaires 2 On ne dira pas cependant qu’ils aient engagé nos armées dans de mauvais pas. Il faut passer à l’objet de la délibération. Votre décret du 28 février contient quatorze articles. Les douze premiers établissent divers points constitutionnels ; le treizième est conçu en ces termes : « Décrète enfin que le roi sera supplié de faire incessamment présenter à l’Assemblée nationale un plan d’organisation de l’armée, pour la mettre en état de délibérer et statuer sans retard sur les divers objets qui sont du ressort du pouvoir législatif. » Par cet article, l’Assemblée nationale a donné l’initiative au roi sur le plan de l’organisation de l’armée. Nous ne prétendons pas la lui refuser : mais l’Assemblée ne lui a pas donné le droit exclusif d’exécution, car elle ne s’est pas interdit le droit de former elle-même un plan d’organisation de l’armée dans le cas où le roi n’en présenterait pas. D’un autre côte, le droit d’intialive accordé au roi ne lui donne que le droit de proposer le décret, et réserve au pouvoir législatif celui de délibérer et de statuer. Ce décret ne dépouille donc pas le pouvoir législatif du droit de fixer définitivement ce qui est de son ressort. On dira, et c’est ici que je termine l’examen en principe général sur le droit du pouvoir législatif, pour tâcher de saisir le véritable sens du décret du 28 février, en ce qui concerne la détermination du nombre d’officiers de chaque grade : on dira que l’article 13, dont je viens de rapporter les termes, ne réserve à l’Assemblée nationale le droit de statuer que sur les deux objets qui sont du ressort du pouvoir législatif; on dira que l’article 11, dont j’ai aussi rappelé les dispositions, n’attribue également au pouvoir législatif que le droit de statuer sur le nombre d’homme dont l’armée doit être composée, qu’il ne lui attribue pas le droit de statuer sur le nombre d’officiers de chaque grade, et l’on en conclura que le droit de statuer sur le nombre d’officiers de chaque grade appartient au pouvoir exécutif. Je réponds, en premier lieu, que la fixation du nombre des officiers de chaque grade fait incontestablement partie des articles 2 et 3, etc. Si j’ai prouvé qu’en principe général le droit de statuer définitivement sur l’armée n’appartient pas au pouvoir exécutif, mais bien au pouvoir législatif, il s’ensuit que le droit de fixer le nombre des officiers de chaque grade appartient au pouvoir législatif et non au pouvoir exécutif. Pour attribuer ce droit au pouvoir exécutif, le silence de la loi positive ne suffirait pas ; il faudrait une loi attributive qui dérogeât formellement au principe général, et il n’en existe aucune. Je dis enfin qu’il est arithmétiquement démontré que l’article 2 du décret du 28 février, a réservé au pouvoir législatif le droit de fixer le nombre des officiers et sous-officiers de chaque grade; que ce même décret lui a également réservé le droit de déterminer la dépense totale de l’armée. Un des éléments nécessaires des calculs qui doivent fixer cette dépense, c’est sans contredit le nombre des individus de chaque classe : donc le décret du 28 février a réservé au Corps législatif le droit de déterminer ce nombre. En résumant mon opinion, je dis que l’Assemblée nationale n’a donné au pouvoir exécutif que ce qui lui appartenait, l’initiative ; que les législatures ne doivent apporter aucun changement à l’armée que concurremment avec le pouvoir exécutif. Je demande qu’on n’admette pas tous ces moyens détournés pour éluder la question, et qu’on la pose ainsi : A qui appartient-il, en définitive, de statuer sur le nombre d’individus de chaque grade dans l'armée? Je pense qu’en posant ainsi la question, il n’y aura pas une grande diversité d’opinion dans l’Assemblée ; car il ne s’agira plus que de savoir si le pouvoir exécutif peut et doit exposer seul le royaume à l’invasion, ou menacer la liberté. M. Démeunier. M. de Noailles ayant refondu totalement son projet de décret en donnant l’initiative au roi et s’étant modelé sur le décret relatif au droit de paix et de guerre, il ne peut plus y avoir de difficulté et je demande qu’on aille aux voix. M. d’Ilarambure. Le plan d’organisation de l’armée, proposé par le pouvoir exécutif, répond à tout ce qu’a dit l’auteur de la proposition. (On insiste sur la demande d’aller aux voix sur-le-champ.) M. de Clermont-Tonnerre. Je n’ai qu’un mot à dire : on s’autorise de deux décrets, de celui du 28 février et de celui du 26 juin : on vous dit que le décret sur l’armée de mer porte positivement que le Corps législatif déterminera le nombre des individus de tous grades-, je réponds qu’il a été présenté, mis aux voix et adopté sans discussion dans la même séance, et qu’il est étonnant qu’on veuille s’en appuyer pour nous faire rendre un autre décret également sans discussion : j’observe que le comité de la marine a dit son rapport, qu’il s’était écarté du décret du 28 février dans [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.] deux points, à raison de la différence du service; je ne trouve rien dans ce décret qui ait rapport au changement de trois mots, à cette addition importante, de chaque grade. On ne vous a donné que les raisons qui pouvaient appuyer l’opinion qu’on vous présente. On s’est bien gardé de vous faire prévoir celles qu’on peut y opposer. Je demande que la discussion soit ouverte. M. Démeumer. Il y a ici beaucoup de malentendus. M. de Noailles propose, en effet, aujourd’hui, une addition très importante au décret qui avait précédemment été présenté, puisqu’il donne au roi une initiative dans une matière que lui seul peut connaître. Nous sommes arrivés au point où nous étions le 22 juin, au sujet du décret sur la guerre. Une partie de l’Assemblée demandait que l’initiative appartînt au roi ; l’autre partie, qu’elle appartînt au Corps législatif, et elle a été décrétée appartenir concurremment à l’un et à l’autre, suivant un mot qui a été déterminé. M. de Noailles propose une disposition absolument conforme à ce résultat ; ce n’est point au décret sur la marine que je me rapporte pour l’appuyer, c’est au décret sur la guerre. Je demande donc que l’Assemblée aille aux voix. M. de Witnpfen. Je ne m’étais opposé aux décrets qui vous avaient été proposés, que parce qu’ils ne donnaient pas l’initiative au roi; aujourd’hui je n’ai rien à objecter, et j’adhère à la proposition de M. de Noailles. M. Alexandre deljameth.il me semble que l’initiative que l’on veut qui appartienne au roi, sur l’objet qui fait la question du moment, n’est pas, quoi qu’en dise M. Démeunier, du même genre que celle qui a été accordée au pouvoir exécutif par le décret rendu sur le droit de paix et de guerre : dans ce décret l’initiative est exclusive, c’est-à-dire que l’Assemblée nationale ne pourra pas délibérer sur la guerre sans l’initiative du roi. Assurément ici vous ne devez pas être déterminés par les mêmes considérations. Il résulterait d’une initiative exclusive accordée au roi, que l’Assemblée nationale, quand des événements politiques ou l’état de force des puissances voisines permettraient de diminuer le nombre des troupes, ne pourrait délibérer sur cette diminution, si le roi ne l’avait proposée. Le Corps législatif, en déterminant le nombre des individus de chaque grade, fait une loi, et le roi a la sanction. S’il avait l’initiative exclusive, il serait le maître d’empêcher la diminution des troupes. Qu’on ne compare donc pas le décret sur la paix et la guerre à la proposition qui vous est faite; mais qu’on ajoute au décret du 28 février ces mots : « sur le nombre des individus de chaque grade. » M. Du Châtelet ( ci-devant duc). Les observations du préopinant portent à faux. L’initiative du roi tombe sur la manière dont l’armée sera composée, quand la législature aura fixé les dépenses qui seront faites, et le nombre d’hommes qui sera employé. L’opinant a confondu deux choses distinctes; au reste, un plan vous a été envoyé de la part du roi; je demande qu’il soit examiné sans délai. M. de Mouilles relit son projet de décret : « L’Assemblée nationale décrète qu’il appartient au Corps légilatif de fixer, sur la proposition du pouvoir exécutif, le nombre d’individus de chaque 4re Série. T. XVII. 193 grade des corps dont doit être composée l’armée, tant pour les troupes nationales que pour les troupes étrangères. » M. de Toulongeon (1). J’éviterai, Messieurs, de vous entretenir encore de tous les objets qui ont déjà été mis sous vos yeux dans la discussion présente, et de vous redire tous les grands principes généraux qui vous ont été exposés par tous ceux qui sont entrés avant moi dans la carrière. Vous savez déjà que la force publique, nécessaire à la sûreté extérieure du royaume, doit, par sa constitution même, être combinée avec sa liberté au dedans ; Que l’usage de cette force, dont le pouvoir exécutif doit être armé, doit aussi être modifié par les lois civiles; Que le citoyen, en devenant soldat, contracte de nouveaux devoirs sans renoncer à ceux qu’il a primitivement contractés avec la patrie; Que le roi, comme chef suprême de la force militaire doit lui commander, mais par la loi et pour la loi seulement ; Qu’enfin la nécessité reconnue est la seule mesure juste de la force et des dépenses de l’armée, ainsi que de toutes les dépenses publiques. Ces grands principes établis et reconnus, il est temps de se resserrer dans les bornes de l’analyse et de la discussion; il est des maximes d’une importance générale et qui appartiennent à tous les systèmes : celles-là peuvent se décréter à loisir, là plupart même sont déjà des vérités reconnues, telles que l’admissibilité de tous les citoyens à tous les emplois, les droits de tous les services utiles à tous les grades, la faculté bornée d’appeler les troupes étrangères, la nécessité d’un code pénal ; tous ces articles peuvent émaner successivement de vos décrets; il en est d’autres qui m’ont paru nécessaires à donner au ministre comme base du plan d'organisation qui lui sera demandé; et c’est de ceux-là seulement que je crois devoir vous entretenir aujourd’hui. On vous a invité, Messieurs, par les dernières conclusions qui vous sont proposées, de demander au ministre du département de la guerre, de vous faire connaître le plan pour l’organisation et l’entretien de l’armée. J’adhère entièrement à cette vue; elle est faite pour aplanir beaucoup de difficultés et pour abréger beaucoup de discussion par la juste confiance que vous accorderez aux vues sages et à l’expérience du ministre; mais, Messieurs, souffrez que je vous présente une observation qui me paraît importante : n’est-il pas à craindre que nous tombions dans une sorte de pétition de principe, lorsque nous demandons au ministre: « quel nombre de troupes vous est nécessaire pour maintenir la sûreté du royaume » ; il nous répond : « avec les fonds que vous avez destinés on peut entretenir tant de troupes ». Si nous lui demandons : « quels fonds vous sont nécessaires pour votre département » ; il nous répond : « l’armée sur le pied actuel coûte tant; en la réduisant, elle coûtera plus ou moins, suivant qu’elle sera plus ou moins réduite ». Et si nous lui faisions l’une et l’autre questions à la fois, si nous lui demandions : « quelle doit être la force et la dépense de l’armée? » il pourrait nous répondre « qu’elles sont les bases et les principes fondamentaux que vous fixez pour la composition et l’ad-(1) Le Moniteur ne donne qu’une très courte analyse du discours de M. de Toulongeon. 13 194 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 juillet 1790.] ministration de l’armée ; car de ces principes connus dépendra la forme de l’administration ; et celte forme, telle, ou telle entrera pour beaucoup dans le calcul des dépenses qui seront nécessaires à son entretien. » Ainsi lorsqu’il a fallu prononcer quels seraient les moyens établis pour composer et recruter l’armée, il a fallu qu’un décret préalable de l’Assemblée prononçât que tous les engagements seraient libres et volontaires; et une fois cette décision connue, elle a servi de base au plan qui vous a été proposé pour la composition et le renouvellement de l’armée ; il en est de même ici ; et pour dire quels seront les fonds nécessaires à l’entretien de l’armée, il ne suffit même pas d’avoir déterminé le nombre des hommes qui doivent en composer la force, il faut encore avoir posé les principes qui doivent déterminer la forme de sa constitution intérieure, parce que telle ou telle constitution militaire permet plus ou moins d’économie dans les moyens; et vainement le ministre se livrerait à des calculs d’après tel système, si ce système n’était pas celui des principes adoptés par l’Assemblée nationale. Un seul principe changé pourrait faire écrouler tout l’édifice des calculs : ainsi, par exemple, si, pour l’établissement des corps militaires, vous conservez les principes de permanence établis par les dernières dispositions, il est évident que l’on peut, dans cet ordre de choses, se livrer à des économies présentes, et à des améliorations à venir, auxquelles il faudrait renoncer dans le système contraire qui rétablirait dans l’armée l’ambulante mobilité à laquelle les troupes étaient condamnées ci-devant; de même, .Messieurs, si pour l’administration des fonds et pour l’emploi des dépenses particulières de chaque corps, vous y admeitez le régime intérieur d’un conseil auquel seront attribués tous les détails de son administration particulière, il sera possible alors de se livrer sur cette partie à des vues d’économie actuelle et d’améliorations futures, qu’il faudrait abandonner nécessairement sous le régime incalculable des fournitures par entreprise ou par régie, et si ces deux points fondamentaux de toute constitution militaire sont réunis ; je veux dire la fixité des établissements et l’administration intérieure de toutes les dépenses, ces deux moyens se prêtant un secours réciproque, il est possible de fonder, sur leur assistance mutuelle, des calculs d’économie et de diminution que l’on ne pourrait jamais attendre du système contraire. Vainement dirait-on, Messieurs, que le ministre est toujours le maître du choix des moyens, et que, sans doute, il emploiera ceux qui' sont reconnus les meilleurs... ; il le ferait, et cela serait encore insuffisant. Ce n’est plus par des décisions ministérielles que le bien peut s’opérer, non qu’un ministre éclairé et sage ne puisse l’ordonner et l’établir; mais la confiance publique, sans laquelle le bien ne s’achève jamais, manquera toujoursà des opérations générales dont le succès dépend de la mobilité d’une place ou d’un emploi. Tout a été aperçu et "essayé dans l’armée de France : le bien a souvent été commencé, mais l’incertitude a toujours empêche qu’i t ne s’achevât : et Farinée, fatiguée depuis trente ans de variations successives et continuelles, attend, comme un bienfait de la Constitution, une fixité de principes et de loi qu’elle n’a pu obtenir encore de l’autorité. Je vous proposerai donc, Messieurs, comme articles constitutionnels de l’armée et comme partie intégrante delà constitution du royaume, d’abord deux motifs de délibération, tendant à déterminer : 1° si ou non les établissements et emplacements militaires seront fixes et permanents ; 2° si les détails de l’administration militaire et les dépenses particulières à chacun des corps qui composent l’armée, seront régis par un conseil formé dans l’intérieur de chacun de ces corps. Et mon opinion étant pour l’affirmation sur ces deux points, je vous proposerai les deux projets de décrets suivants, me réservant de les motiver par les raisons qui, je crois, les lient intimement avec la constitution générale de la nation et qui les rendent l’un et l’autre des bases fondamentales et préalables à la formation du plan d’organisation que vous demanderez au ministre de ce département. Premier projet de décret. « Les différents corps de troupes français, s, à « pied ou achevai, composant l’armée, auront des « emplacements et établissements fixes, séparés « ou réunis; le service militaire dans les places « fortes sera fait par des corps tirés successive-« ment de leurs établissements. » Second projet de décret. « L’administration de toutes les parties de dé-« penses relatives à l’entretien de chaque corps « de troupes à pied ou à cheval sera géré par un « conseil particulier, établi dans chacun de ces « différents corps, et soumis à l’inspection et à « la révision des agents du pouvoir exécutif. » Passant ensuite à deux articles que je regarde également comme des préalables nécessaires à régler, quoiqu’ils semblent tenir moins immédiatement à la Constitution, je demanderai d’abord d’examiner, et vous croirez sans doute nécessaire de fixer, par tin décret, le mode de nomination aux premiers emplois, et le mode de l’avancement successif aux grades. Enfin, Messieurs, il est un dernier point qui me paraît tenir essentiellement à lu fois à la Constitution, à la formation, à l’organisation et à l’administration de la force publique; c’est l’état, dans l’armée, des capitaines commandant troupe: cette question exige un peu de développement, je tâcherai de la resserrer dans ses plus intimes relations avec la question générale. Il n’y a, pour ainsi dire, que deux grades dans l’armée : celui qui commande et celui qui obéit; le commandement est ou général ou médiat, tel est celui des hauts grades et des grades supérieurs; ou immédiat, tel est celui des capitaines commandants de troupes. Ce sonteuxquiontles relations directes et journalières avec le soldat; et comme, en dernière analyse* ce sont les soldats qui sont les armées, et que les armées ne sont pas seulement un rassemblement d’individus, mais un rassemblement de corps réunis par une organisation, les premiers éléments de cette organisation sont aussi la première base de toute constitution miliiaire. Il suit de là que le grade de capitaines commandant les troupes à pied 'et à cheval dont l’armée est composée, est le plus important de tous dans une constitution militaire, parce que c’est celui qui a les relations les plus directes, les plus immédiates et les plus journalières avec le soldat. Il est donc important que la Constitution même règle l’état de ce grade. Autrefois, dans les armées françaises, les capitaines étaient chargés spécialement et personnellement de tous les dé- [Assemblée nationale.} tails du formation, de complètement et d’entretien de la troupe qui était à leurs ordres; cette disposition n’a varié qu’à l’époque de la paix de 1763. Les grands changements que l’on méditait alors, les rendaient peut-être nécessaires ; mais les raisons qui décidèrent sont précisément les raisons contraires à celles qui semblent devoir décider aujourd’hui: il s’agissait alors d’établir un système de propriété du gouvernement sur l’armée, pour affranchir de toute opposition le système d’assujettissement passif, que l’on voulait rendre le système dominant; il fallait pour cda que le gouvernement s’appropriât l’armée, et le moyen le plus sûr était de rendre le gouvernement propriétaire, en quelque sorte, de tous les individus qui la composaient. On sentit qu’il fallait pour cela détruire toute propriété dans la main des particuliers commandants de troupes, et les réduire à la simple prééminence du grade; je ne vous parlerai pas, Messieurs, des autres inconvénients qui en résultèrent, tels que le moins bon choix dans les enrôlements, l’accroissement d’ambition, qui, n’étant plus satisfaite de, ce qui lui suflisait autrefois, se porta uniquement vers les grades supérieurs, et les multiplia inutilement ; enfin, le découragement et le dégoût qui vinrent saisir ceux qui ne purent y atteindre, je me bornerai aux effets que dût avoir nécessairement cette disposition nouvelle dans l’ordre civil. Lorsque l’on n’eut plus rien à attendre de son état et de son existence personnelle, on se tourna naturellement vers la source de toute existence, la cour et les ministres: tout étant devenu , dans l’armée, la propriété du gouvernement, on se donna tout à lui pour en tout obtenir; et l’armée, qui appartenait encore en quelque sorte à la nation, que l’on appelait alors l’Etat, n’appartint plus alors même à l’Etat: elle n’appartint qu’à l 'autorité arbitraire qui, disposant de tout, se rallia l’intérêt et l'ambition de tous. Aujourd’hui, Messieurs, que le roi et la nation forment véritablement l’Etat, aujourd’hui que leurs droits sont délimités, un nouvel ordre de choses dans la constitution géuérale du royaume me paraît nécessiter aussi un nouvel ordre dans la constitution de l’armée; et me réservant de motiver le décret suivant, dans la discussion, je me bornerai à vous en présenter la rédaction dans les termes suivants : Troisième projet de décret. « La nomination aux premiers emplois sera à « la disposition du roi, d’après les formes qui « seront établies et tous les fils des citoyens ac-« tifs pourront y prétendre. L’avancement suc.- « cessif aux grades sera affecté, pour les deux « tiers à l’ancienneté, et, pour un tiers, à la dis-« tinction des services dans chacun des grades « inférieurs à celui auquel il sera promu. » Quatrième projet de décret. « Les officiers, commandant les subdivisions « des corps militaires, commises sous la déno-« mination de compagnies à pied ou à cheval, « conserveront leurs troupes, tout le temps qu’ils « seront au service de l’Etat, quel que soit le « grade auquel ils auront été élevés; et seront « chargés, soit individuellement, soit collective-« ment dans chaque corps, de la formation et de [19 juillet 1790.1 ■ 193 « l’entretien de leur troupe, sous la révision du « conseil particulier. » CéS quatre projets de décrets, ou plutôt ces quatre motifs de délibération, tendent à fixer préalablement : 1° La permanence des emplacements et établissements militaires; 2° L’administration intérieure des corps militaires, remise à des corps particuliers; 3° La nomination et le mode d’avancement aux grades ; 4e L’état dans l’armée des capitaines commandant troupe. Ces quatre articles, Messieurs, m’ont paru indispensables. (Après avoir développé les motifs de ses diverses propositions, M. de Toulongeon termine en disant) : Il faut faire quelques observations sur le mot organisation. Il exprime le nombre des divisions de l’armée, ou autrement celui des régiments et des bataillons. Le mot formation est le seul convenable, puisqu’on entend par là le nombre des individus qui composent l’année. Une armée en paix ou en guerre peut être augmentéeoudiminuée en hommes et non en grades. L’organisation de l'affilée doit être fixe et stable; sans cela, qui voudrait se livrer à la carrière des armes? Je demande donc pour amendement ces mots ajoutés au décret : « L’organisation de l’armée sera arrêtée définitivement par le cofpg constituant, et les législatures s’occuperont de la formation, c’est-à-dire du nombre des individus. » M. Bàrttavé. Les deux difficultés qui agitent l’Assemblée ne sont que des malentendus. J’observe d’abord aü preopinant que l’organisation de l’armée ne peut actuellement être considérée comme Objet constitutionnel. Elle consiste dans la distribution respective des pouvoirs qui régissent l’armée, et dans ses rapports avec la liberté générale, les gardes nationales et le pouvoir civil. Cette organisation peut si peu être constitutionnelle, qu’elle ne dépend pas entièrement de la volonté nationale. La lactique que noos avons adoptée est peut être la meilleure; mais avec la perfection de celle des autres nations, elle peut devenir la pire; alors il faudrait changer l’organisation de l’armée. Elle n’est donc qu’un objet parement du ressort des législatures. La seconde difficulté est relative à l’initiative exclusive du roi. Je pense que le roi doit avoir la proposition; mais que cette proposition doit être forcée et nécessairement faite aux législatures. Je considère deux états militaires, l’état ordinaire et l’état extraordinaire; l’état ordinaire doit être décrété chaque année par les législatures; l’état extraordinaire, nécessité par un événement quelconque, doit être établi par un décret et limité par ce même decret. Dans 1 état ordinaire, le roi doit tous les ans dire au Corps législatif : Je vous propose de continuer votre état militaire, ou d’y apporter telle ou telle modification. La règle, à cet égard, est donc que la proposition appartient au roi, mais que, chaque année, le roi doit proposer. Il faut donc dire que, chaque année tous les objets qui concernent l’armée, seront déterminés, pour l’année suivante, sur la proposition du roi. M. Charles de Lameth. Je pense que si l’Assemblée nationale veut être conséquente à ses principes, on ne doit faire porter la proposition du roi que sur l’organisation de l’armée, et non sur le nombre des individus de chaque grade. On a archives Parlementaires. 196 [19 juillet 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cité fort ingénieusement le décret sur la paix et la guerre, dans lequel le roi a tout à la fois l’ini-liative et la sanction. Gomme les négociations se font dans le cabinet du roi, il fallait bien lui donner l’initiative. Quant au veto, il n’a été accordé que par ta difficulté des circonstances; il ne signifie rien : car lorsque, sur la proposition du roi, le corps législatif a décidé la guerre, le roi ne peut empêcher que la guerre soit faite; quand bien même on croirait qu’avec l’initiative il put avoir le veto, je rejetterais la proposition. On vous amènerait successivement à donuer au roi initiative et veto sur chaque loi. 11 me parait qu’il doit avoir l'initiative sur l’organisation de l’armée; mais je ne vois nulle raison pour qu’elle soit forcée, car l’initiative forcée n’a d’autre objet que de mettre en opposition défavorable le pouvoir exécutif avec le pouvoir législatif. C’est compromettre la prérogative : si le roi avait l’initiative sur le nombre des individus de chaque grade, les ministres pourraient, afin de se faire des créatures, chercher à augmenter des emplois précieux à la cupidité et à l’orgueil. Avec un tel moyen de corruption, ils parviendraient à détruire l’esprit public, à attaquer la Constitution, peut-être même à l’anéantir. Je pense donc qu’il faut refuser l’initiative sur la première partie du décret, et l’accorder sur la seconde. M. Bureaux de Pusy présente une rédaction qui obtient la priorité et qui est décrétée ainsi qu’il suit à la presque unanimité : « L’Assemblée nationale décrète qu’à chaque session de la législature, sur la proposition du pouvoir exécutif, le nombre d’individus de chaque grade sera déterminé par un décret du Corps législatif, sanctionné par le roi. » M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret du comité de Constitution sur l'ordre judiciaire. Dans la séancodu 13 jui 1 let, l’Assemblée a adopté l’article 10 du titre II concernant les juges de paix. Le rapporteur a la parole. M. Thouret, rapporteur. Messieurs, la dernière des questions qui vous sont proposées sur l’étendue des pouvoirs des juges de paix est de savoir s’ils auront une compétence exlrajudi-ciaire. Je crois qu’on peut leur transmettre le droit d’apposer les scellés en cas de décès ou de faillite, ainsi que la nomination des tuteurs, et je vous propose de les autoriser à recevoir le serment des tuteurs ou curateurs, parce qu’il n’est pas naturel qu’on aille, eu exécution d’uoe délibération homologuée devant eux, prêter serment devant d’autres. Nous vous proposons, en conséquence, un article nouveau qui serait le 11e et qui est ainsi conçu : « Art. 11. Le juge de paix apposera les scellés en cas de décès ou de faillite ; il recevra les délibérations de famille, tant pour la nomination des tuteurs, que pour la direction des affaires pendant la durée de la tutelle, à la charge de renvoyer devant le juge de district tout ce qui deviendra contentieux ; et, dans tous les cas, il pourra re e-voir le serment des tuteurs et des curateurs. » M. Troncliet. En ce qui concerne les faillites, j’observe qu’il y a lieu souvent à des ventes d’immeubles et que cet objet ne peut être compris dans la compétence des juges cle paix. Je. propose donc de retrancher de l’article les expressions en cas de décès ou de faillite et de dire en général que lorsqu’il y aura lieu à l'apposition des scellés elle sera faite par les juges de paix. Pour que l’article soit complet, il faut encore ajouter que le juge de paix procédera aussi à la reconnaissance des scellés, mais sans pouvoir connaître des contestations auxquelles cette reconnaissance donnera lieu. M. Lanjuinais. Je demande que le juge de paix ne soit pas toujours obligé d’apposer lui-même les scellés et que cette apposition puisse être faite par un greffier assisté d’un des prud’hommes. � M. de Lachéze. Je demande qu’il soit dit dans l’article que le juge de paix pourra recevoir les délibérations de famille dans le cas où il s’agira de nommer un curateur soit à un enfant, soit à un enfant à naître. M. de Folleville. Je pense qu’il y aurait avantage à ajouter à l’article les délibérations des familles pour l’émancipation et la curatelle des mineurs. _ M. Defermon. Je demande si les �[délibérations de familles relatives à l’éducation et aux mariages des mineurs sont comprisesdans l’article. M.Tronchet. J’observe que l’article comprend, par une expression générale, toutes les délibérations relatives à l’admi nistraton de la tutelle pendant tout le temps de sa durée. Plusieurs des amendements proposés sont adoptés. L’article 11e est ensuite adopté pour la rédaction entière en être de nouveau présentée par le rapporteur à la séance de demain. M. Thouret, rapporteur. L’article 11e du projet primitif qui devient le 12® du titre 11 est ainsi conçu : « Art. 12. L’appel des jugements des juges de « paix, lorsqu’ils seront sujets à l’appel, sera « porté devant les juges de districts, et jugés « sommairementàTaudience sur le simple exploit « d’appel/» M. Prugnon. L’article aurait pour effet de préjuger qu’il y aura des tribunaux de districts, ce qui n’est pas encore décidé. Je demande l’ajournement. M. Bouche. J’observe que pour ne pas nou-s lier sur l’établissement des juges de districts, il suffit de dire : juge supérieur ou juge d’appel. (L’ajournement est de nouveau demandé. 11 est mis aux voix et adopté.) M. le Président annonce que l’Assemblée va se retirer dans ses bureaux pour la nomination de son Président. La séance est levée à trois heures.