9 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier n9l.] M. JMalartïc retire son serment et raye lui-même son nom sur le procès-verbal. M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret relatif à l'organisation des jurés. L'Assemblée reprend la question de savoir si les preuves testimoniales des délits, fournies aux jurés d’accusation, seront écrites ou purement verbales. M. Rey (1). Messieurs, vous allez prononcer sur la plus importante question de l’institution des jurés : les dépositions de témoins seront-elles oui ou non rédigées par écrit? Quoique j’aie déjà donné mon avis sur cette question en vous présentant des vues générales sur le plan du comité, je vous soumettrai, si vous le permettez, des réflexions particulières sur les raisons qui ont donné lieu au système de la procédure verbale qu’il vous propose, et sur les motifs qui ont déterminé mon opinion. Le comité pense, en premier lieu, qu’il est inutile d’écrire ce qui se dit devant les jurés, soit à raison de la décision qu’ils doivent rendre, soit parce que les cas où elle sera sujette à l’appel étant infiniment rares, il ne restera rien à faire quaud ils auront prononcé, ou bien il faudra faire une nouvelle procédure devant les nouveaux juges. Je réponds sur la seconde partie de l’objection, que si les jurés sont présents à toute l’instruction, s’ils voient, s’ils entendent tout, s’ils peuvent prendre des notes, il est faux, comme on l’a avancé qu’ils puissent toujours prononcer sur-le-champ; il peut se trouver des cas où il sera nécessaire de faire entendre un grand nombre de témoins contre l’accusé, où celui-ci voudra, en usant de la faculté que vous lui avez accordée, administrer des témoins en sa faveur; le temps nécessaire pour entendre tous les témoins, la défense de l’accusé et les plaidoyers de son conseil, de l’accusateur public, du commissaire du roi, exigera presque toujours plusieurs séances; les jurés ne pourront pas prononcer dans le même instant où ils auront entendu les témoins, et peut-on raisonnablement supposer qu’après l’intervalle de plusieurs jours ils puissent se rappeler la teneur de plusieurs dépositions et toutes les circonstances qui pourront les rendre concluantes ou les atténuer? Ils auraient, il est vrai, la faculté de prendre notes sur les dépositions des témoins, mais alors ce serait sur des faits isolés qu’ils rendraient leur jugement, et iis seraient privés des lumières que l’ensemble de la procédure pourrait leur fournir. J’ajoute que cette faculté de prendre des notes, bien loin d’être avantageuse aux accusés, leur deviendrait, au contraire, funeste; l’erreur que l’un des jurés aurait pu commettre en rédigeant par écrit un fait qu’il aurait cru entendre en faisant mention d’une circonstance qu’il aurait cru remarquer, pourrait influer sur le jugement; car il est aisé de sentir que parmi les membres d’un jury, il s’en trouvera qui auront ou de plus grandes connaissances, ou une plus grande réputation de lumière que les autres, et que si la procédure n’est pas écrite, si on ne peut y avoir recours pour contredire le fait que de pareils membres d’un jury mettront en avant, et pour éclaircir les doutes qui pourront s’élever, leur sentiment aura la plus grande influence sur la décision. _ (1) Nous empruntons ce discours au Journal le Point-du-Jour , t. XVIII, p. 24. Il peut arriver que plusieurs membres aient pris sur le même fait ou sur la même circonstance des notes différentes, et qu’il en résulte une contradiction qui entraîne de grands débats, et qu’il soit impossible d’éclaircir, s’il ne reste aucune trace légale du dire des témoins, au lieu que tous les inconvénients cesseraient si on écrivait leur déposition; puisque dans tous les cas de défaut de mémoire dans certains juges, et de contradiction dans les notes qu’ils auraient tenues, on pourrait avoir recours à une preuve d’autant plus certaine, que la rédaction des déclarations des témoins aurait été faite sous les yeux des jurés. Je passe à la deuxième partie de l’objection, et je conviens que je n’ai jamais pu croire que vous ayez l’intention d’abolir la procédure de révision en matière criminelle ; après l’exécution du jugement il peut survenir des cas où des preuves, postérieurement acquises, feront douter de la justice d’une condamnation, au dernier supplice qui aura été prononcée et exécutée. Mais ces preuves seront insuffisantes, pour faire annuler le jugement, et le degré d'évidence qui pourra leur manquer se trouvera peut-être dans la procédure sur laquelle la condamnation sera intervenue si cette procédure a été rédigée par écrit. J’ai vu un exemple frappant de cette vérité : un homme accusé d’un vol nocturne a contre lui l’assertion de deux témoins qui croient l’avoir aperçu pendant l’obscurité de la nuit, il est condamné à mort et exécuté malgré les protestations de son innocence; huit jours après un scélérat est livré au supplice pour d’autres crimes, et il avoue avant de périr qu’il est l'auteur du vol pour lequel un tel a été condamné et supplicié ; on l’interpelle; il cite des faits, des circonstances, lesquels pris séparément n’auraient produit aucune conviction de la vérité de sa déclaration et de l’innocence du condamné, mais qui, joints à la teneur des charges qui avaient servi de base au jugement, ne laissèrent plus de doute, la mémoire de ce malheureux fut réabili-tée, et l’arrêt qui intervint condamna le dénonciateur en des dommages considérables envers sa veuve et ses enfants. Or, Messieurs, je demande si un pareil cas et d’autres d’un autre genre survenaient, quelle serait la ressource des enfants infortunés d’un innocent condamné à mort et exécuté ; comment serait-il possible d’avoir recours à une procédure qui, dans le système du comité, n’aurait laissé aucune trace? Si l’on me répond qu’on pourrait faire entendre dans ce cas les mêmes témoins dont les déclarations auraient donné lieu au jugement, j’observeraiqu’indépendamment, que par un intervalle qui pourrait quelquefois être très long les témoins ne se rappelleraient peut-être pas des circonstances dont la liaison avec les nouvelles preuves pourrait être favorable à la mémoire du condamné, il peut arriver que les témoins soient décédés et, dans ces cas, je crois mon observation sans réplique, et j’en conclus que les dépositions des témoins doivent être rédigées par écrit, non seulement par rapport à la cause, mais encore pour le cas de la révision. Je n’examine point ici quelle sera l’autorité des juges s’ils sont juges en dernier ressort, ou si les accusés conserveront dans le nouvel ordre judiciaire, la précieuse institution de l’appel, que l’ancien régime leur accordait. Mais si la révision de leur jugement était ordonnée dans la forme irrégulière et insuffisante, proposée par le 10 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |4 janvier 1791.] comité, je crois même, dans ce cas, qu’il y aurait de l’inconvénient âne pas écrire les dépositions des témoins puisqu’en décidant qu’elles ne seraient pas écrites, vous donneriez encore aux témoins la faculté de varier lorsqu’ils seraient entendus devant les adjoints qu’on donnerait aux jurés, et d’aggraver, par de nouveaux faits ou par de plus grandes présomptions, le sort de l’accusé, ce qui n’arriverait pas si les dépositions étaient écrites auquel cas les adjoints auront le double avantagede voir sous leurs yeux les preuves qui auraient déterminé le juré, et d’entendre de la bouche même des témoins la déclaration déjà faite avant le premier jugement. En deuxième lieu, le comité ajoute qu’il est impossible de rédiger les dépositions des témoins entendus devant un juré. Je conteste que, lorsqu’un témoin s’explique et que l’accusé et ses conseillers répondent, il y ait impossibilité de bien rédiger ce qui est dit respectivement, parce-que je sais que le témoin doit avoir la liberté de faire sa déclaration, et que ce n’est qu’après qu’il l’a faite que l’accusé peut lui faire des interpellations ; je ne vois jusque-là que ce qui se pratiquait dans l’ancien, régime et comme les dires respectifs y ôtaient très bien rédigés, je crois qu’il est possible de les rédiger aussi bien et mieux encore dans la nouvelle procédure que vous avez décrétée. Je conviens cependant, que lorsqu’une passion forte ou la vive expression de l’innocence calomniée animera la voix du témoin et de l’accusé, et précipitera leurs paroles, le greffier ne pourra pas rendre au naturel les tableaux intéressants qu’elles pourront présenter aux jurés; mais je ne doute pas qu’après le premier moment, les faits et les circonstances ne puissent être bien rendus par écrit par l’officier qui présidera le jury, et il me semble que leur rédaction, bien loin d’effacer les idées que le combat engagé entre le témoin et l’accusé auront inspiré aux juges, leur en rendra au contraire leur applica-cation plus sensible, puisque l’authenticité des faits et des circonstances, réciproquement attestés par le témoin et par l’accusé, ne pourront pas effacer l’impression que les mouvements de l’innocence calomniée, ou l’assurance d’un témoin injustement outragé, auront faite sur leur âme, dont il résultera, soit pour la punition du crime, soit pour l’intérêt de l’innocence que les membres du jury auront des moyens plus sûrs et de plus grandes ressources pour prononcer une bonne décision. J’ai l’honneur de vous soumettre le projet de décret suivant : Art. 1er. L’officier de police sera tenu de rédiger ou de faire rédiger, par écrit, les déclarations des témoins ; mais cette rédaction sera faite sommairement, et n’exigera d’autres formalités que lasigna-ture du témoin, à cbaque feuillet ou la mention qu’il ne sait pas signer. Art. 2. Les dépositions des témoins qui seront entendus devant le jury d’accusation seront écrites par le greffier du tribunal du district, sur la rédaction du plus ancien d’âge parmi les membres qui composeront le jury. Elles seront signées par les trois plus anciens d’âge, par le témoin et par le greffier; si le témoin ne sait pas signer, il sera fait mention de sa déclaration et de la réquisition qui lui aura été faite de signer. Art. 3. Dans les vingt-quatre heures après le premier interrogatoire de l’accusé, contre lequel il lui sera signifié, en parlant à sa personne, une copie exacte et lisible de l’ancienne procédure. Art. 4. Si des témoins qui auront déjà été entendus devant le jury d'accusation sont devant le jury du jugement, soit contre l’accusé, soit en sa faveur, leurs dépositions seront écrites par le greffier du tribunal criminel sous la rédaction du président et les deux plus anciens d’âge parmi les membres du jury, par le témoin et par l’accusé et par le greffier; si le témoin ou l’accusé déclarent ne savoir signer, ou s’ils refusent de signer, il sera fait mention de la réquisition et de leur réponse. Art. 5. Ceux des témoins déjà ouïs devant le jury d’accusation qu’il sera nécessaire de faire entendre devant le jury du jugement seront tenus de déposer de nouveau sans qu’il leur soit fait lecture de leur précédente déposition, et si le président et les juges du tribunal criminel qui auront sous les yeux la première information, estiment, à la majorité des voix, qu'il n’est pas intervenu de changement essentiel dans la nouvelle déposition, elle ne sera pas écrite, Art. 6. Si ce tribunal pense, au contraire, qu’il y a un changement essentiel dans la nouvelle audition, il la fera rédiger par écrit, en la forme prescrite par l’article 4. Art. 7. Ce qui sera dit entre les témoins et l’accusé ne sera point écrit; mais celui-ci et l’accusateur public auront la faculté de faire mentionner sommairement dans le procès-verbal les faits, les aveux ou les dénis qu’ils croiront propres à Ijustifier l’innocence de l’accusé ou sa conviction. Art. 8. Lorsqu’il sera administré à l’accusé, devant le jury du jugement, des témoins qui n’auront pas été produits devant le jury d’accusation, il lui sera accordé, s’il le demande, la faculté de se recueillir avec son conseil, pour lire, sans se déplacer la déposition avant de proposer ses reproches et ses moyens de défense. Art. 9. La procédure sera mise sous les yeux du jury lors du jugement, mais les dépositions écrites dans la première information ne feront foi que dans deux cas : le premier, lorsque la rédaction n’en aura pas été réitérée lors de la deuxième audition; le second, lorsque le témoin qui avait déposé devant le jury d’accusation à la décharge de l’accusé sera mort sans avoir été ouï de nouveau avant le jugement. M. Démeunier. Le préopinant a dit qu’un témoin produit par l’accusé pour prouver un alibi , pouvant mourir dans l’intervalle de la procédure, il ne resterait aucune trace de sa déposition pour être opposée aux calomnies des dénonciateurs : à cela je réponds qu’il sera libre à l’homme faussement accusé d’avoir commis un crime dans un lieu où il ne se trouvait pas, de faire constater, par devant l’officier de police, les dépositions à sa décharge. Cette liberté, accordée en tout temps à l’accusé, de faire constater les dépositions en sa faveur, doit répondre aux autres difficultés qu’on a cherché à élever.... Je demande que les préopinants examinent s’il est possible de soumettre des jurés non payés, et souvent déplacés du lieu de leur domicile, aux lenteurs d’une procédure écrite. M. Robespierre. Les dispositions seront-elles écrites, ou plutôt les accusés seront-ils condamnés sur les traces que des déclarations verbales auront laissées dans l’esprit des juges ? Pour décider celle question, remontons aux premiers principes de toute procédure criminelle. La procédure est une précaution ordonnée par la loi [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 17J1.J \\ contre l’ignorance, la faiblesse ou la prévention du juge. Si les juges ne sont pas infaillibles, la loi ne doit pas leur dire: choisissez les moyens que vous voudrez, et jugez ce que vous voudrez; car alors la conviction des juges ignorants serait substituée aux preuves. Leur décision deviendrait arbitraire, et le jugement irréfléchi : le législateur n’aurait que des juges à créer ; il n’v aurait plus ni frein à l’arbitraire, ni lois protectrices de l’innocence opprimée ..... Mais le législateur sage sait que de tous les hommes, les juges sont ceux qu’on doit le plus surveiller: de là les formes auxquelles les jugements ont toujours été assujettis. La loi ne peut pas abandonner à la seule conscience du juge le droit de décider arbitrairement ; elle lui dit : Vous ne condamnerez personne, à moins qu’il n’existe contre l’accusé des preuves plus claires que le jour. La loi a été plus loin. Elle a elle-même posé des règles pour l’examen et pour l’admission de ces preuves ; règles sans l’observation desquelles les juges ne sauraient condamner quelle que fût leur conviction ...... S’il existe des règles, il faut constater qu’elles ont été remplies : le moyen de le constater, c’est l’écriture : sans cela il n’y a plus de barrières à l'arbitraire et au despotisme, il n’y a rien qui empêche ou qui constate les assassinats judiciaires et toutes les suites de la malversation. La société doit donc s’assurer que l’accusé n’a été condamné que sur des preuves indubitables ..... Mais la loi ne peut prévoir toutes les circonstances ; elle ne peut déterminer avec assez de précision la nature de tous les délits possibles : les preuves légales sont souvent insuffisantes ; souvent dans la pratique la conviction intime des juges est plus sûre que les dépositions de deux témoins suspects. Eh bien ! il faut que las lumières des juges concourent avec la sagesse du lé-islateur. Par exemple, le témoignage de deux . ommes est une preuve légale. Cependant, le juge saitque ces deux témoins sont d’intelligence, qu’ils sont d’une probité équivoque : il aperçoit dans leurs déclarations de l’incertitude, de l’improbabilité ; il a une connaissance particulière de la probité ou même de l’innocence de l'accusé. Dans ce cas, forcer le juge à le condamner, ne serait-ce pas faire immoler l’innocence par le glaive de la loi? ..... Il faut donc réunir et la confiance qui est due aux preuves légales, et celle que mérite la conviction intime du juge. Donner tout à la conviction des juges, sans le secours des preuves légales, c’est créer l’arbitraire et le dispotisme ; accorder uue confiance sans bornes aux preuves légales, lors même qu’elles sont contraires à la conviction des juges, c’est tolérer l’assassinat judiciaire. Je finis par un trait au-dessus de tous les arguments : Les preuves les plus imposantes, les dépositions de plusieurs témoins se présentent à la charge d’un accusé; l’un des jurés est auteur du crime; il le déclare dans le trouble de sa conscience agitée : obligerez-vous te juré à condamner l’accusé dont il reconnaît l’innocence, arce que des preuves légales parlent contre lui? ous voyez que la conliance que mérite la conviction presque unanime des juges, doit balancer l’espèce de certitude acquise par les preuves légales. Je propose donc le projet de décret suivant : Art. Ier. Les dépositions seront rédigées par écrit. II. L’accusé ne pourra être déclaré convaincu, toutes les fois que les preuves déterminées par la loi n’existeront pas. III. L’accusé ne pourra être condamné sur les preuves légales, si elles sout contraires à la connaissance et la conviction intime des juges. M. Duport, rapporteur. Je commence par supplier l’Assemblée de ne pas hâter sa décision. Quelle que soit l’opinion actuelle de chaque membre, je les prie de ne rien précipiter. 1° Vous avez décrété les jurés en matière criminelle. Vos comités se sont occupés sans, relâche pendant quatre mois de cette belle institution. La question présente a été, j’ose le dire, envisagée par eux sous toutes les faces possibles, et en résultat, et tous les membres composant les deux comités de Constitution etde jurisprudence criminelle ont été unanimes à penser qu’avec des preuves écrites, il n’y avait plus de jurés, et que si l’Assemblée se portait à adopter cette idée, elle détruirait son propre ouvrage, et donnerait un grand exemple d’inconséquence et de faiblesse , en montrant qu’elle a désiré et n’a pu réussir à fonder l’institution des jurés; 2° j’observerai ensuite que je retrouve ici en grande partie les objections, les embarras, même les individus qui furent opposés à rétablissement même du juré, et qui semblent en méditer la ruine en proposant des mesures incompatibles avec son existence; 3° enfin je dirai, ce qui n’est pas de la métaphysique, c’est ue ce que nous vous proposons, est depuis plus e mille ans en pleine vigueur d’exécutionen Angleterre; il l’est en Amérique, et les Anglais s’en trouvent si bien, qu’ils changeraient plutôt toutes leurs institutions que celle-ci. Il est des hommes singuliers, qui, lorsqu’on leur présente des raisonnements, vous traitent de métaphysiciens, et vous ramènent à l’expérience, à la pratique; et qui, lorsque l’on parle pratique, veulent raisonner; ceux-là voudront bien répondreà l'argument d’une pratique constante, suivie avec tant de succès; et quant à ces raisonnements, voici ceux que je propose : Lorsqu’un fait devient l’objet des recherches de la justice, son attention doit le porter à en connaître la vérité. Est-il arrivé, n’est-il pas arrivé? Voilà la seule question. Quels sont maintenant les moyens employés pour la connaître? Il y en a de deux sortes : Déterminer d’avance quelles seront les preuves à l’aide desquelles on connaîtra la vérité; astreindre les juges à décider sur ces preuves et à les prendre pour constantes, quelle que soit leur conviction, ou bien rassembler devant les juges tous les .moyens de connaître la vérité, et s’en rapporter à leur opinion et à leur intime conviction. Le premier moyen, ce sont les preuves légales, et le second les preuves morales. Or, je prétends que les preuves légales sont une méthode absurde en soi , dangereuse pour l’accusé et dangereuse pour la société : 1° absurde en soi ; car n’est-il pas ridicule que la loi ait déterminé d’avance comment on prouvera un fait qu’elle ne connaît pas, et dont laeombinaison varie à l’infini?Quel fait n’a-t-il passa preuve particulière et propre? La vérité peut-elle être réduite en formules? Le géomètre le plus desséché par lès calculs ne saurait l’aftirmer; 2° dangereuse à la société ; ici, je suis forcé de le dire, une vaine démonstration d’humanité ne m’égarera pas. Si vous établissiez des preuves légales, si vous disiez, par exemple, que l’on ne pourra condamner qu’avec deux témoins oculaires , ou autres preuves semblables, vous donneriez un 12 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (4 janvier 1791.] brevet d’impunité à tous les scélérats, en leur présentant un point d’appui sûr dans leurs criminels calculs. Ils n’auraient qu’à prendre garde de ne pas mettre coDtre eux les preuves requises ; ils n’auraient qu’à assassiner sans témoins, ils seraient sûrs d’être innocentés. On conçoit qu’un tel pays ne saurait être longtemps habité par des hommes, et l’ordonnance de 1670 avait bien senti cette vérité. Il est donc vrai que les preuves légales sont dangereuses à la société; 3° mais elles sont également funestes à l’accusé. En effet, si vous avez établi qu’on peut juger sur deux témoins, qui ont assisté à la confrontation, sans examiner qu’est-ce que c’est que ces témoins ; s’ils sont ou non dignes de foi, vous faites, de sang froid, la plus détestable et la plus cruelle absurdité ; tous vous jouez de la vie et de l’honneur des hommes, avec plus de légèreté que vous n’en mettez dans la plus simple affaire. Vous croyez, pour condamner un homme , un témoin que vous n’auriez pas cru souvent pour vous apprendre une nouvelle. Un fait criminel est un fait comme tous les autres. Si quelqu’un vient Tous apprendre une nouvelle, qu’il dise en avoir été témoin, vous ne vous trouvez pas obligé de le croire pour cela intérieurement. Cela dépend du degré de confiance et de crédibilité de l’individu ; s’il est menteur, faible, étourdi, fripon, vous doutez, et vous attendez d’autres preuves. Eh bien 1 parce que vous serez juges, parce que le fait sera criminel, par conséquent moins croyable, parce qu’il s’agit de condamner un homme, vous croirez cet individu dont vous auriez méprisé le récit; cela est platement barbare, et voilà néanmoins ce que c’est que la preuve légale ; voilà ce qui arrive lorsqu’on juge sur des dépositions écrites. Je conçois qu’il y ait des juges dont la conscience soit en sûreté, lorsqu'ils ont pour eux la preuve légale (la mienne n’y a jamais été en pareil cas); mais si les juges sont sans remords, le législateur, celui qui a établi cet usage absurde et barbare, ne doit pas l’être. J’aurais honte d’en dire davantage sur ce sujet. Maintenant que nous ne voulons que des preuves morales, c’est-à-dire que la vérité elle-même, par les moyens que la nature indique à tous les hommes pour la découvrir, vous avez pensé avec raison qu’il ne fallait pas en laisser l’appréciation à des hommes ayant un caractère public et constant, en petit nombre, d’un état différent de l’accusé, mais à de simples citoyens, pris au hasard, recusables en grand nombre, en un mot à des jurés, à des juges ; mais s’il est vrai que les preuves écrites font revivre nécessairement les preuves légales, ne sera-ce pas d’avance prouver qu’on ne peut ni ne doit les admettre?ür, cela est évident. Lorsqu’un homme est appelé à juger sur des preuves écrites, sur quoi se décide-t-il pour les admettre ? Ce n’est pas sur la conliance dans le témoin, ce n’est pas encore sur la conviction, c’est sur des règles qu’il se fait ou qu’il reçoit de la loi pour découvrir la vérité. La loi lui remet un instrument avec lequel il mesure tant bien que mal la déposition , et voilà ce qu’on appelle rendre la justice ! Dans ce système, on ne cherche pas si telle chose est vraie; mais si elle est prouvée. Ce n’est pas la réalité que l’on désire, mais cette image fantastique que l’on s’en est faite, et que l’on force le juge à respecter comme si c’était la vérité même. Gomme on abuse des mots! Si jamais l’on n’avait entendu parler d’écrire des dépositions, comme on trouverait ce projet métaphysique, ridicule, bizarre! Nous y sommes habitués, et c’est la nature qui nous paraît compliquée et difficile. Des hommes ont pensé que ce serait une chose bien avantageuse que de réunir la preuve écrite et la preuve orale, et d’avoir ainsi, disaient-ils, les avantages des deux systèmes. Mais cela ne se peut pas : 1° des jurés, qui devraient avoir entre leurs mains, les dépositions, ne prendraient pas au débat la part nécessaire d’attention et de réflexion pour être convaincus; ils se reposeraient toujours sur le momeDt où ils liraient les dépositions, et suspendraient jusqu’à leur jugement intérieur. Arrivés dans leur chambre, ils liraient les dépositions, ils les pèseraient, les combineraient, comme les juges de la Tournelle; et voilà, comme je l’ai dit, de très mauvais juges au lieu d’excellents jurés. De plus, ils auraient devant les yeux l’opinion que le public prendrait sur les dépositions mêmes, en conséquence, ils y conformeraient leur jugement; et pour se tirer d’affaire, ils se diraient : en jugeant suivant la déposition écrite, nous ne courrons aucun risque ; en nous en écartant, on pourra nous calomnier. Alors nous voilà dans l’absurde et funeste système des preuves légales, et cette opinion des jurés ne serait pas sans fondement; car le public, les défenseurs de l’accusé, etc., ne manqueraient pas de chercher à opposer le jugement des jurés aux preuves écrites, et de les ramener ainsi forcément aux preuves légales. Mais ce qui doit trancher toute difficulté à cet égard, c’est l’entière et absolue impossibilité d’écrire devant les jurés. Non seulement alors tout l’intérêt, tout l’avantage du débat est détruit, mais il faudrait que les jurés restassent trois mois assemblés ; car il faut évidemment que tout soit écrit ou que rien ne le soit ; car une écriture tronquée est un piège tendu par l’accusé à la justice. Et peut-être n’a-t-on pas réfléchi qu’autant une procédure est courte lorsqu’on entend de vive-voix les témoins, autant elle est longue lorsqu’on écrit ; parce qu’alors il faut que le juge écrive à peu près tout ce qu'il plaît aux témoins de déclarer. L’énorme procédure du Châtelet se serait réduite à trois ou quatre témoins, si elle eût été faite verbalement. Montesquieu dit que la raison pour laquelle les témoins sont punis en France de peine capitale, et ne le sont pas en Angleterre, est parce qu’en France les témoins ne sont produits que contre l’accusé, et qu’en Angleterre on reçoit des témoins des deux parts, et que l’accusé y a, contre les faux témoins, une ressource que la loi française ne lui donne pas. Il en conclut que chacun a son avantage et son inconvénient. Mais ici, comme dans bien d’autres matières, cet écrivain n’a fait qu’effleurer la question. La véritable raison de la différence des lois est qu’en France on admet des preuves légales, les témoins y font foi presque toujours, et malgré le juge, puisqu’il ne voit que les témoignages et non les témoins : alors, comme ce témoignage, presque toujours pris pour vrai, opère la condamnation d’un homme; s’il est trouvé faux, il opère celle du témoin. Gela est bien absurde; car un témoignage peut ne pas avoir les caractères de la vérité, sans être criminel. Lorsqu’on juge les témoignages par les témoins, alors on sépare le tout en deux; ce qui prouve et ce qui ne prouve pas, ce qui entraîne vers un avis qui force la conviction et ce qui ne ia force pas; l’articulation précise d’un homme honnête [4 janvier 1791. | [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES, et rassis est la seule vraie preuve, passé cela se trouvent le mensonge d’un scélérat et le dire d'un homme faible, insensé, étourdi; tout cela ne prouve pas, les jurés n’y ont pas égard pour se décider; ils concluent qu’un homme est innocent, tant qu’on ne leur a pas prouvé qu’il est coupable. Alors il est évident que l’on n’a pas d’intérêt à rechercher ultérieurement si ce témoignage, qui n’est pas probant, est un témoignage faux ou seulement insuffisant et de peu de poids. La justice n’a besoin que de savoir la vérité; elle pèse les témoignages sous ce rapport, et non pour chercher un coupable dans le témoin; celui-ci n’est plus responsable, si j’ose le dire, de la vie ou de l’irifamie d’un accusé, et il ne devient l’objet de la sévérité de la justice, que lorsqu’il frappe ses regards par un mensonge évident. Cela est bien plus naturel, plus humain, et plus propre à laisser arriver la vérité à ceux qui doivent décider; c’est à la favoriser d’abord, à la faire sentir vivement, qu’il faut s'appliquer par-dessus tout lorsqu’on veut voir régner la liberté et la paix. Il me semble qu’autant que l’on a une idée nette lorsqu’on demande des preuves écrites, ce n’est pas le débat, autrefois appelé confrontation, qu’on veut écrire; cela me paraît tellement impossible, qu’évidemment ce désir et celui d’avoir des jurés ne peuvent pas être entrés dans la même tête : mais on veut écrire les dépositions avant le débat : cela est moins dangereux, je l'avoue, mais cela est encore bien étranger aux jurés et bien rempli d’inconvénients. Pourquoi le demande-t-on? est-ce pour avoir des faux témoins? est-ce pour fixer les jurés? Mais c’est ies exposer à l’erreur, que de leur remettre une pièce incomplète, séparée de ce qui peut la détruire ou la modifier. Ce n’est pas pour la révision ? et à ce propos il faut s’expliquer. On a dit que l’on avait détruit la révision, mais une partie importante en est conservée dans la cassation; et dans le cas où il faudra une véritable révision, il faudra entendre de nouveau les témoins, l’accusé, ses conseils, en un mot, recommencer la preuve; car revoir, c’est voir ce qu’on a déjà vu, et non autre chose. Il serait ridicule de revoir sur de simples dépositions, après avoir décidé qu’on devait juger sur les témoins mêmes. Il serait ridicule de prendre, pour revoir, une méthode qu’on a trouvée imparfaite et insuffisante pour juger Ja première fois. On a parlé de la nécessité de faire entendre de nouveaux témoins; mais cette objection est un abus commun à tous les systèmes avec ou sans jurés, et vos comités ont pensé qu’il fallait borner ce droit pour et contre la société. Dans l’ancien ordre, il ne l’était point, et un accusé était obligé d’attendre indéfiniment que son instruction fût préparée. C’est une barbarie et un despotisme intolérable. Donnez un temps convenable; permettez quelquefois de le prolonger, mais qu’il ne dure pas indéfiniment. La procédure écrite, a-t-on dit, servira à faire punir les jurés qui auraient prévariqué. Donc on se servira contre eux de la preuve écrite ou légale; donc on les force à s’en servir eux-mêmes; donc on détruit leur conviction. On prétend avoir trouvé un système dans lequel, sans détruire le juré, sans faire écrire le débat, chose d’une impossibilité palpable, on fait écrire et récoller les témoins. J’attends l’exposition de ce système. Vos comités vous demandent la permission de répondre, ou bien ils adoptent avec empressement l’idée, si elle a les avantages qu’on lui attribue. Car ils veulent par-dessus 13 tout, répondre à votre confiance et au vœu de toute la nation. Et certes, ils ne prétendent le céder à personne dans l’amour de la justice, de l’humanité et de cette liberté sainte, fruit des lois justes, sages, de cette liberté qui annoblit toutes les actions de l’homme, l’élève au-dessus de la crainte, le rend juste, fier, généreux, confiant ; enfin, le rend propre à toutes les vertus sociales. On a dit encore qu’il fallait quelquefois recevoir les dépositions de3 mourants, des partants, etc.; mais ces objections ont été faites par des hommes à qui la procédure criminelle n’était pas familière ; ils auraient su sans cela que la déposition ne faisait jamais et ne peut faire charge contre un accusé, qu’après la confrontation; ainsi inutilement recevriez-vous la déposition d’un individu qui ne pourrait pas assister à la confrontation. M. Groupil de Préfeln. Il est bien étrange que par une fin de non-recevoir astucieuse, on vienne chercher à surprendre votre décision, et trancher tout à coup la plus grande question qui ait jamais été soumise à une Assemblée législative. On vous a dit hier, la question est jugée : car avec des témoignages écrits, il n’y a point de jurés. J’en appelle à votre conscience ; lorsque vous avez décidé qu’il y aurait des jurés en matière criminelle, qui de vous a pensé alors supprimer l’usage des dépositions écrites?... La question est de savoir si un accusé pourra être jugé, condamné, exécuté, mis à mort, sur de prétendues preuves, dont il ne subsistera aucune trace, aucun vestige ? Je demande s’il sera possible de confondre et de faire punir des témoins conjurés contre l’innocence? je vois un arrêt de mort irrévocable comme les arrêts du destin, qui soumettaient les dieux et les hommes, et auxquels Jupiter même était forcé d’obéir... Est-il rien de plus abondamment arbitraire que ce système odieux de la conviction intime des juges? Est-il rien de plus propre à produire des assassinais judiciaires? Je le dis, avec la confiance de la conviction, ce système est d’autant plus abominable, que les malversations, les tyrannies, ies injustices qu’il produira, ne pourront jamais être mises au grand jour. Une famille jetée dans la plus désespérante consternation, par la perte d’un parent innocent, ne pourra ni le faire réhabiliter, ni poursuivre les témoins calomniateurs; et l’on pourra dire des jurés ce que l’on a dit des médecins : La terre couvre irrévocablement leurs bévues. .. L’on s’est, plaint de ce que l’on juge a vi cet trop de précipitation ce système profond, médité pendant quatre mois. L’on nous a dit qu’il ne s’agissait point ici de spéculations métaphysiques, ni de système de fantaisie, mais qu’on avait pour soi l’exemple de la pratique anglaise. Eh bien! il faut que je mette ici sous vos yeux le tableau comparatif de la pratique de ce peuple et du projet de vos comités. Premièrement en Angleterre l’unanimité des jurés est requise pour la prononciation d’un Werdict : dans le projet de vos comités, il ne faudra que dix jurés sur douze. Je vous fais observer qu’il y a bien moins de danger pour l’accusé dans l’unanimité : voilà une première différence entre la pratique anglaise, et celle qu’on vous propose. Il y en a une seconde bien importante ; c’est que les juges voyant que le Werdict n’a pas été prononcé sur des preuves légales, peuvent ordonner un nouveau jury. Les juges peuvent et doivent examiner si l’accusé a été condamné sur des preuves ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] légales. Ici on vous propose de rendre le jugement du juré irrévocable ; on interdit tout examen ultérieur. En effet, si l’on défend à l’accusé d’avoir un conseil, après qu’il aura été jugé� par le juré, comment pourra-t-il solliciter auprès du juge la révision du jugement? l’accusé condamné ne pourra donc pas dire au juge : je suis innocent; en voilà les preuves : laites revoir mon jugement. Que dis-je, il sera impossible de reviser le jugement ! il ne restera plus de traces des dépositions ..... On nous dit qu’on propose des moyens d’exécution plus faciles et plus sûrs; sans doute, il y a de grands inconvénients dans la pratique des jurés d’Angleterre : mais le plus grand de tous est l'usage de ne point écrire les dépositions, usage qui rend l’examen des jugements dérisoire ou impossible.... M. le Président. Vous avez bientôt à décider sur une motion qui vous forcera peut-être à renvoyer à demain la suite du discours de M. Goupil. M. ©émeimîer. J’ai écouté avec attention M. Goupil, il a combattu des dispositions de détail; mais il n’a point encore discuté le fond de la question. Je demande qu’en continuant son discours, il l’aborde enlin. (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain matin.) M. le Président. J’ai reçu de M. Grezolies, député du département de Rhône-et-Loire, absent par congé, une lettre par laquelle il demande une prolongation. (La prolongation de congé est accordée.) M. Riquetti de Mirabeau, l’aîné, député du département des Bouches-du-Rhône , constate son retour à l’Assemblée, d’où il était absent par congé. M. l’abbé Grégoire. Vous avez bien voulu m’écouter quelquefois avec une indulgence que je réclame en ce moment. La religion, la patrie et la paix sont chères à mon cœur ; c’est en leur nom que je vais ai ticuler quelques mots. Parmi les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, qui se trouvent dans cette Assemblée, les uns ont prêté leur serment, les autres s’y sont refusés ; de part et d’autre nous devons supposer des motifs respectables. Il ne s’agit que de s’entendre mous sommes tous d’accord ; il est certain que l’Assemblée n’a pas entendu toucher à ce qui est purement spirituel. {On applaudit.) Il est certain que tout ce qui est purement spirituel est hors de sa compétence; personne ne contredira cette assertion ; l’Assemblée a déclaré formellement le principe : elle l’a toujours reconnu ; elle a toujours applaudi ceux qui l’ont professé. {On applaudit.) G’est un premier motif pour calmer les inquiétudes. L’Assemblée ne juge pas les consciences, elle n’exige pas môme un assentiment intérieur. {Il/ élève beaucoup de murmures.) Je suis bien éloigné de prétendre justifier des restrictions mentales, mais je veux dire seulement que l’Assemblée entend que nous jurions d’être fidèles, d’obéir, de procurer l’obéissance à la loi ; voilà tout ce que l’Assemblée exige, voilà tout ce qu’elle demande parle serment qu’elle a prescrit. (On applaudit.) 11 se peut qu’une loi civile ne soit pas conçue et rédigée comme beaucoup de citoyens l’auraient désiré; cependant, par le serment 1 civique, ils se sont engagés à obéir et à prouver l’obéissance à la loi; je ne pense donc pas que le serment demandé puisse effrayer les consciences. Attaché par une union fraternelle, par un respect inviolable à mes respectables confrères les curés, à nos vénérables supérieurs les évêques, je désire qufils acceptent cette explication, et si je connaissais une manière plus fraternelle, plus respectueuse de les y inviter, je m'en servirais. {On applaudit.) M. Riqnetti de Mirabeau, l’aîné, demande la parole. (Des applaudissements se font entendre dans une partie de la salle.) M. Riquetti deMirabeau, l’aîné. Il me semble que pour avoir un assentiment général, la doctrine exposée par le préopinant doit être exprimée avec plus de clarté et de simplicité. L’Assemblée n’a jamais pu penser qu’elle avait le droit d’obliger à faire serment de telle chose ; elle a pu déclarer le refus d’un serment incompatible avec telles fonctions. Nul ne remplira telles fonctions, qu’il n’ait prêté tel serment; vous êtes maîtres de le dire, pourvu que vous regardiez comme démissionnaire celui qui refuse de prêter ce serment; en effet, à l’instant même de ce refus, il n’est plus fonctionnaire public. Je ne serais pas monté à la tribune pour donner cette explication, si on ne lisait sur les murs des carrefours une affiche inconstitutionnelle, inique; on y déclare perturbateurs du repos public les ecclésiastiques qui ne prêteront pas le serment que vous avez décrété. L’Assemblée n’a jamais permis, elle n’a jamais pu permettre une telle affiche. Celui qui, après avrnr prêté le serment d’obéir à la loi, n’obéirait point à la loi, serait criminel et perturbateur du repos public. Celui qui s’obstinerait à ne pas prêter le serment et à conserver l’exercice de ses fonctions, serait également criminel et perturbateur du repos public; mais celui qui se résigne, qui dit: Je ne peux prêter le serment, et je donne ma démission, n’est certainement pas coupable. (Toute la partie gauche applaudit.) G’est donc par une étrange erreur que ces affiches ont été placardées. La force publique doit réparer cette erreur. Avant de faire cette observation, à laquelle j’attache quelque importance, j’ai dit dans quel sens je concevais l'explication donnée par le bon citoyen, par l’ecclésiastique respectable qui a parlé avant moi. Dans ce sens, j’y donne mon assentiment; dans tout autre, elle n’offrirait qu’une restriction mentale, et il serait aussi indigne de ce membre de la proposer, que de l’Assemblée de la tolérer. (On applaudit.) M. Railly, maire de Paris. Messieurs, je vais avoir l’honneur de vous rendre compte des faits qui concernent l’affiche dont le préopinant vient de parler. Lorsque les lois décrétées par l’Assemblée, acceptées ou sanctionnées parle roi, sont envoyées à la municipalité, elles sont transcrites sur le registre telles qu’on les reçoit. La loi relative à la prestation du serment des évêques, curés et autres ecclésiastiques, fonctionnaires publics, a été enregistrée par le corps municipal, jeudi 30 décembre : on en a ordonné l’impression et l’affiche. Les affiches ont été posées dimanche 2 janvier, avant le jour; dimanche au soir, on m’a apporté et dénoncé le titre de ces affiches. J’ai lu, en effet, avec surprise et avec douleur, le titre énonciatif de la loi, titre qui pouvait produire des effets funestes, et qui, d’ailleurs, était