[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] 651 fait de distinction, quant au traitement des religieux qui sortiront du cloître, entre les religieux pourvus de bénéfices et ceux qui n’en sont point pourvus », on ajoute les mots suivants : c mais le sort de tous sera le même. » Cette addtion a uniquement pour but d’indiquer le sens de l’article avec plus de clarté. La proposition de M. Camus est adoptée et il est décidé que le décret sera ainsi corrigé dans le procès-verbal de la veille. M. le Président. L’ordre du jour ramène la suite de la discussion sur le projet de décret présenté par le comité ecclésiastique sur le traitement a faire aux religieux. M. Treilhard, rapporteur , propose l’article suivant : * Les frères donnés, lais ou convers qui auront fait des vœux solennels, et qui voudront sortir de leurs maisons, auront, par quartier et d’avance, savoir : 300 livres jusqu’à 50 ans, 400 livres jusqu’à 70 ans, et 500 livres après 70 ans. » M. l’abbé Latyl. Les frères donnés ne font pas de vœux; ils donnent une somme déterminée à un monastère, à condition qu’ils y resteront toute leur vie. Vous devez cependant les dédommager de ce sacrifice. On trouvera peut-être le dédommagement porté dans le projet de décret trop considérable : mais considérez leur vieillesse et ne craignez pas une longue surcharge. Je propose un léger changement dans la rédaction. « Les frères lais ou convers qui auront fait des vœux solennels, et les frères donnés qui rapporteront un engagement contracté en bonne forme entre eux et leur monastère, jouiront annuellement, quand il sortiront de leurs maisons, à compter du jour qui sera incessamment réglé, de 300 livres jusqu’à 50 ans, 400 livres jusqu’à 70 ans, et 500 livres après 70 ans; lesquelles sommes leur seront payées par quartier etd’ avance. M. le Président met aux voix l’amendement proposé par M. l’abbé Latyl. Il est adopté. M. Treilhard. En permettant aux religieux de sortir des cloîtres, vous n’avez pas entendu porter le trouble dans les familles. Le comité ecclésiastique vous propose, en conséquence, le projet de décret suivant : « Les religieux, qui sortiront de leur maison, n’en resteront pas moins incapables de toutes successions et dispositions entre-vifs et testamentaires ; ils pourront seulement recevoir des pensions ou rentes viagères. » M. Mougins de Roquefort demande qu’on accorde aux religieux la faculté de profiter des dispositions testamentaires de toutes autres personnes que de leur parents M. Goupil de Préfeln. Les motifs de l’incapacité qui avait été prononcée contre les religieux sont la crainte que les fortunes ne s’accumulent dans les cloîtres, et qu’ainsi des biens trop considérables ne soient enlevés à la circulation. Vous devez maintenir aujourd’hui cette incapacité, pour ne pas troubler les familles, pour assurer les espérances sur lesquelles beaucoup d’engagements ont été contractés ; mais il faut prévoir tous les cas, et je propose d’excepter les cas où il né se trouverait aucun parent, et où les religieux sécularisés seraient en concurrence avec le fisc. M. Camus. Les religieux pouvaient recevoir des libéralités, soit par des legs, soit par des donations! On doit leur laisser cette faculté hors du cloître ; mais il faut leur refuser tout droit de succéder à titre universel. M. Martineau. Votre décret ne doit avoir d’autre objet que de ne pas détruire les arrangements faits dans la famille des religieux ; mais il ne peut ôter aux religieux sécularisés le droit de succéder, s’ils sont seuls héritiers de leurs pères. Il faut leur laisser la plénitude de tous les droits de citoyens actifs, tant que l’exercice de ces droits ne peut nuire à aucun individu. Ce serait inutilement que vous les déclareriez incapables d’hériter s’il leur est possible d’accepter les donations testamentaires et entre-vifs. Un des motifs du traitement que vous leur accordez, est l’impossibilité de succéder concurremment avec leurs frères; il ne faut pas leur donner une faculté qui équivaudrait à la successibilité. M. Camus propose un article rédigé dans cet esprit. M. Bouche. Je m’élève contre la proposition par laquelle M. Camus refuse seulement aux religieux le droit de succéder à titre universel, mais leur accorde celui de succéder à titre particulier. Tous les députés des pays de droit écrit se joindront à moi. Dans ces provinces, on peut donner les trois quarts de ses biens à titre particulier. M. de Colbert-Seignelay, évêque de Rodez. Si vous ôtez le droit de succéder aux religieux que vous rendez à l'état civil, vous faites une loi qui créera des prévaricateurs ; vous faites une loi contraire à la nature. Le père ne pourra pas disposer en faveur du fils que vous lui avez rendu, il ne pourra pas améliorer le sort de ce fils, augmenter sa fortune, si des infirmités accroissent ses besoins. Vous accorderez la faculté de recevoir des pensions; mais voulez-vous forcer ce père à dénaturer son bien? Je propose de décréter que jamais un religieux sécularisé ne pourra hériter ab intestat , mais a testato. Alors vous n’avez plus à craindre de troubler les familles, et vous assurez les droits de la nature. M. Target. Il y a deux manières d’envisager la question : sous le rapport du principe et sous celui de la tranquillité de la société. Sous le rapport du principe, vous leur accordez tous les droits civils; sous celui de la tranquillité publique, il faut distinguer les successions et donations directes des successions et donations collatérales ; je ne crois pas que des espérances puissent être fondées sur des successions collatérales qui peuvent échapper à tout le monde. M. Prieur. Dans le traitement des religieux sécularisés, vous avez fait entrer la perte du droit de succéder; Vous pouvez donc sans injustice continuer cette incapacité, soit en ligne directe, soit en ligne collatérale ; mais vous devez conserver aux religieux la faculté de recevoir, par des dispositions bénévoles, des pensions alimentaires et modérées. On ferme la discussion. La priorité est demandée pour l’avis du comité. 6o2 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] M. Fréteau. Le projet du comité renferme un vice de rédaction insupportable. Il n’y a en France que deux manières de succéder : “des dispositions testamentaires et des donations entrevifs ; vous les proscrivez à l’égard des religieux, et vous permettez cependant qu’ils reçoivent des pensions et des rentes viagères. J’adopte l’avis de M. Camus. L’Assemblée délibère et accorde la priorité à l’avis du comité. M. de Custinc. 11 me paraît impossible que vous ne fassiez pas une exception en faveur des religieux qui, n’étant pas engagés dans les ordres, rentreront dans le monde et voudront se marier. M. Duport. On a présenté dans la discussion des opinions dont quelques-unes doivent former des amendements. Je propose d’ajouter au projet du comité : 1° que les religieux sécularisés rentrent dans tous leurs droits civils et politiques; 2° qu’ils peuvent succéder en ligne directe, s’ils sont fils uniques ; 3° qu’ils peuvent succéder aux personnes qui leur sont étrangères. M. Populus demande la question préalable sur tous les amendements. On propose la division de cette question. — Cette proposition est rejetée. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les amendements. On demande l’ajournement. — Il est rejeté. M. le Président met aux voix l’article du comité, sauf rédaction. Il est adopté. Le comité ecclésiastique le rédige de la façon suivante : « Les religieux qui sortiront de leurs maisons demeureront incapables de successions, et ne pourront recevoir par donation entre-vifs et testamentaire que des pensions de rentes viagères. » M. le Président nomme les membres qui ont obtenu le plus de suffrages pour former le comité de police, ce sont : MM. l’abbé de Montes-quiou, Boutteville, Dumetz,Treilhard et Defermon. Les deux suppléants, sont : MM. Fréteau et Démeunier. M. le Président, rappelant à l’Assemblée le décret qui ordonne à MM. les députés de remettre au comité de constitution la délimitation des départements sur deux cartes qui doivent être signées par les députés de chaque département et par les membres du comité de constitution. dont une doit rester aux archives nationales et l’autre doit être remise aux archives de chaque département, demande que ces cartes soient toutes remises au comité pour lundi prochain, puisque sans elles on ne peut organiser les administrations de département et de district. L’Assemblée passe à son ordre du jour de deux heures qui appelle la discussion sur le projet de loi présenté par le comité de constitution , à la séance du 18 février , pour le rétablissement de la tranquillité publique. M. le Président fait donner une nouvelle lecture des articles du projet de loi. M. Barnave. Le comité de constitution s’est proposé, dans le projet de loi qu’il vous présente, de découvrir les moyens de maintenir la tranquillité publique. A-t-il rempli cet objet C’est ce que je ne pense pas. Je laisse à d’autres le soin d’analyser ce projet, et d’examiner ses défauts de détail ; je considère cette loi sous un seul point de vue. Est-elle propre à ramener la tranquillité publique, ou bien a-t-elle une tendance directement opposée au but que ses rédacteurs se sont proposé ? Dans ma manière de voir, elle est propre à faire naître l’anarchie, et voici comment je raisonne : le comité accorde aux officiers de justice, comme aux officiers municipaux, le droit de requérir le secours des troupes. Rien ne me semble plus vicieux, car si la liberté publique exige que les pouvoirs ne soient pas concentrés dans une même main, la même liberté exige que des puissances homogènes ne soient pas réparties dans des mains différentes. Vous reconnaissez ce principe, et la loi preoposée s’en écarte essentiellement. Eh ! n’est-ce pas s’en écarter, en effet que de remettre entre les mains des officiers de justice le pouvoir de requérir la force armée ? L’officier de justice ne peut recourir à la force armée que pour protéger l’exécution de ses jugements. Dans les cas de troubles, il n’a pas jugé, et là où s’arrêtent les fonctions du juge, là aussi s’arrête le droit que lui accorde la loi de requérir le secours des troupes. S’il va plus loin, il empiète sur le pouvoir municipal. La nouvelle constitution vient d’établir de nouvelles municipalités; et comme on doit présumer que les nouveaux officiers municipaux seront attachés aux nouveaux principes, on peut craindre que les officiers de justice qui ne sont pas établis dans le nouvel ordre soient encore attachés à l’ancien état. Accorder aux uns et aux autres la disposition du même pouvoir, c’est mettre la même force entre les mains de deux puissances rivales. Vous concevez aisément les dangers qui peuvent résulter de cette rivalité. Je conclus de ces observations, que les officiers de justice ne peuvent pas, dans les cas de troubles, avoir le droit de requérir la force armée. Je passe à un second objet. Selon votre comité, dans le cas où les officiers municipaux refuseraient de requérir la force armée, quatre notables peuvent faire cette réquisition. Mais a-t-on bien réfléchi aux conséquences de cet article ? Dans les moments d’attroupements ou de troubles, le conseil municipal s’assemblera ; il sera composé des officiers municipaux et des notables ; s’il résulte de la délibération qu’il ne faut pas requérir la force armée, et que quatre notables, demandant cette réquisition soient autorisés à la faire eux-mêmes, assurément c’est accorder à la minorité l’empire sur la majorité ; les dangers de cet empire sont faciles à concevoir. Si, au contraire, les notables se soumettent à la délibération du conseil municipal, votre comité autorise à leur défaut huit citoyens éligibles à requérir la force armée. Il suffit de réfléchir un instant à cette proposition pour la rejeter immédiatement. Une assemblée peut être nombreuse sans être criminelle: huit citoyens peuvent, par des intérêts particuliers, désapprou ver les motifs de cette assemblée; et de là, deux inconvénients. Si la force armée, requise par les huit citoyens éligibles, obéit à cette réquisition, pensez-vous que l’attroupement soit disposé à se dissiper? Si, aux termes du projet de loi, les officiers municipaux ordonnent aux troupes de se retirer, et que les troupes n’obéissent pas, l’autorité municipale est compromise, et ce refus fait couler des torrents de sang. Il est donc évident que la loi qui vous est proposée pour assurer la paix peut