591 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 février 1790.] établissements des religieuses? Non, sans doute; car s’il en est de riches, il en est aussi de très pauvres; et nous connaissons un grand nombre de maisons religieuses de femmes, dans lesquelles on ne peut compter que sur environ deux cent cinquante livres pour chaque individu; en vendant leurs propriétés, vous jetteriez, il est vrai, une plus grande partie d’effets dans le commerce; mais le trop grand nombre en ferait diminuer la valeur et le prix. Ces différentes réflexions me déterminent à vous proposer le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de l’un ni de l’autre sexe ; « 2° Qu’elle ne mettra aucun empêchement à la sortie des religieux ou religieuses existant aujourd’hui dans les cloîtres, et que la puissance ecclésiastique n’en connaîtra que pour le for intérieur ; « 3° Que tous ceux qui voudront rester dans les cloîtres seront libres d’y demeurer, en se retirant dans des maisons composées au moins de quinze personnes; « 4° Que les assemblées de département choisiront pour les religieux qui veulent rester dans leur état, les maisons les plus commodes ; » 5° Que les religieuses pourront rester dans les maisons où elles sont aujourd’hui, l’Assemblée les exceptant expressément de l’article qui oblige les religieux de réunir plusieurs maisons dans une seule. » Le discours de M. l’abbé de Montesquiou est suivi de nombreux applaudissements. L’Assembléedécrèteque la discussion est fermée. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’un grand nombre de projets de décret. Ceux de MM. de Montesquiou et Barnave réunissent beaucoup de suffrages, et l’ont met en délibération la question de savoir auquel sera accordée la priorité. Celui de M. Barnave est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que les ordres et congrégations de l’un et l’autre sexe, où l’on s’engage par des vœux solennels, sont et demeureront supprimés, sans qu’il puisse en être établi à l’avenir, l’Assemblée se réservant de statuer incessamment sur l’état et le traitement des religieux et des religieuses. Le projet de M. de Montesquiou obtient la priorité. M. le comte de Mirabeau. J’ai l’honneur de demander à M. l’abbé de Montesquiou s’il croit que le for intérieur puisse entrer pour quelque chose dans les décrets de l’Assemblée? M. l’abbé de Montesquiou. J’ai dit que la puissance ecclésiastique pouvait seule relever de eurs vœux les religieux disposés aies rompre. C’est ce motif qui m’a déterminé à me servir de cette expression dans l’article que j’ai proposé. On fait lecture du premier article. M. Le comte de Mirabeau. Je demande à M. l’abbe de Montesquiou ce que c’est que les vœux solennels de l’un et de l’autre sexe. Je demande si le mariage n’est pas un vœu solennel? M. l’abbé de Montesquiou. Les observations de M. le comte de Mirabeau me paraissent très justes, et pour y répondre, je consens à ce que le mot monastiques soit mis après celui solennels , à ce que ceux des personnes soient mis avant ceux-ci, de l’un et de l’autre sexe. M. Thouret propose d’ajouter à l’article : « Déclare en conséquence que les -ordres et congrégations religieuses de l’un et de l’autre sexe sont et demeureront supprimés en France, sans qu’on puisse à l’avenir en établir d’autres. » M. de Cazalès. L’amendement proposé par M. Thouret n’est autre chose que le projet de décret présenté par M. Barnave, et auquel l’Assemblée a refusé la priorité ; il ne peut donc pas être admis. Je demande qu’il soit rejeté, ou tout au moins ajourné. M. Thouret. Abolira-t-on les ordres religieux ? Telle est la question que l’Assemblée a décrété hier devoir être décidée aujourd’hui. Si M. l’abbé de Montesquiou a voulu remplir le vœu de l’Assemblée, je lui demande si l’article qu’il propose répond à cette question. Si, au contraire, M. l’abbé de Montesquiou n’a pas voulu, comme on pourrait le faire entendre, répondre à cette question, il faut bien que l’Assemblée entende que c’est là ce qu’on lui propose de décréter. M. Duval d’EprémesnîI. L’Assemblée a refusé la priorité à la motion de M. Barnave; l’amendement de M. Thouret est exactement la motion de M. Barnave; il doit donc être rejeté. Je demande ce que tout membre de l’Assemblée a le droit d’exiger, ce que l’Assemblée n’a pas le droit de me refuser, que la motion de M. Barnave et l’amendement de M. Thouret soient lus ( des murmures s’élèvent ); il vous sera plus possible de défendre et d’appuyer un article contraire aux principes, que de m’empêcher d’en attaquer un contraire à ma conscience. Je persiste dans ma demande. On fait la lecture demandée par M. Duval d’Eprémesnil. M. Delley d’Agier. J’observe que refuser la priorité à une motion, ce n’est pas décréter qu’elle ne pourra pas être représentée en amendement. M. l’abbé d’Eymar. Je suis chargé d’exprimer le vœu d’une province entière, de l’Alsace, qui demande la conservation de quelques maisons religieuses. M. Lavie. J’observe que je suis député d’Alsace, et que cette demande n’est consignée dans aucun article de mes cahiers. M. d’Estourinel demande, ainsi que plusieurs autres députés, à présenter des réclamations, et se dispose à les changer en amendements. L’Assemblée décide qu’elle n’entendra aucune réclamation de provinces. L’amendement de M. Thouret est mis aux voix et décrété. L’article entier est relu et décrété en ces termes : « L’Assemblée nationale décrète, comme article constitutionnel, que la loi ne reconnaîtra plus de vœux monastiques solennels de personnes de l’un ni de l’autre sexe; déclare en conséquence que les ordres et congrégations réguliers, dans lesquels on fait de pareils vœux, sont et demeureront supprimés en France, sans qu’il puisse en être établi de semblables à l’avenir. »