508 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { •'{ Sombre " Assemblée, et du caractère d’un peuple. Depuis, citoyen, la Convention nationale a examiné de plus près le sujet de ta condamnation et la dis¬ position de la loi qui l’avait dictée; elle t’a reconnu innocent; et en s’applaudissant d’avoir cédé au premier mouvement de sa sensibilité, elle t’a définitivement rendu la liberté. Ta peine fut grande, citoyen : ton triomphe aussi est complet. Le malheur devient souvent pour l’homme de bien une source intarissable de jouissances délicieuses. Ton cœur est fait pour connaître ces jouissances; on le lit sur ton front, où la candeur et la probité sont peintes. Va, sois libre et longtemps heureux; adore ta patrie; vis, et sache mourir, s’il le faut, pour elle; aime et sers tes semblables; chéris tes enfants : ce sont là les vertus qui constituent le vrai républicain. « Et toi, ministre juste et humain, qui as voulu présenter ton frère aux représentants du peuple, reçois les justes remerciements de la Con¬ vention nationale. « Sous la domination contre nature d’un roi, ni toi ni ce brave homme n’eussiez été enten¬ dus, car la voix du malheureux n’eut jamais le droit d’arriver jusqu’au trône; le crime seul y avait accès : mais sous le gouvernement popu¬ laire, les portes du Sénat et les cœurs des légis¬ lateurs vous sont également ouverts. Puissent les peuples de tous les pays sentir bientôt cette différence! et se pénétrant enfin du sentiment de leur dignité et de leur puissance, se délivrer à jamais des tyrans et des imposteurs, et remettre pour toujours la balance de la justice entre les mains de la vertu (1)! » Compte rendu du Moniteur universel (2). Le Président. Le ministre de la justice de¬ mande la parole. L’Assemblée la lui accorde. Le ministre. Représentants du peuple fran¬ çais, vous voyez devant vous celui qui a si fort intéressé votre justice et votre humanité : Gaudon, ce citoyen dont la tête a été pendant près de vingt-quatre heures placée sous la hache de la loi. Il s’est vu rappelé par vous à une vie honorable à l’instant où on l’appelait pour marcher au supplice réservé aux scélérats. Sous le règne odieux des lettres de grâce, tous les grands criminels invoquaient audacieuse¬ ment le pouvoir usurpé du tyran leur complice et échappaient ainsi à la vengeance publique, tandis que trop souvent l’innocence persécutée périssait sans appui. Il en est autrement sous le règne heureux de la liberté. Le crime, quel que soit celui qui l’a commis, n’a point de grâce à espérer, l’innocence n’a pas même l’erreur des juges à craindre. Mais c’est lorsqu’un citoyen injustement accusé d’accaparement est par la puissance nationale absous d’une condamna¬ tion non méritée, que les vrais accapareurs doivent trembler. Jouissez, clignes représentants d’un peuple régénéré, du doux plaisir d’avoir sauvé l’inno-(1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 184. Applaudissements, d’après le Moniteur universel [n° 102 du 12 nivôse an II (mercredi l'r janvier 1794), p. 412, col. 3]. (2) Moniteur universel [ n° 102 du 12 nivôse an II (mercredi 1er janvier 1794/, p. 408, col. 2]. cence, d’avoir rendu un père à une famille intéressante et à la patrie un citoyen ! Gaudon. Représentants du peuple fran¬ çais vous voyez devant vous un père de famille entouré de ses enfants. Il vient vous rendre grâce de lui avoir conservé la vie et l’honneur, plus cher encore au cœur d’un vrai républicain. Mis, par un jugement fatal, au rang de ces vils scélérats qui spéculent sur les malheurs publics, j’allais subir le supplice dû à leurs crimes ; ma mémoire eût été en exécration parmi mes concitoyens. La douleur, la honte, la misère et le désepoir, voilà le seul héritage que j’aurais laissé à mes tristes enfants. Mais à peine le ministre de la justice a-t-il appelé vos regards sur mon sort, que déjà votre sagesse profonde a saisi la justice de ma cause. La voix de l’humanité retentit au fond de vos cœurs; vous vous levez, vous volez au-devant du coup prêt à tomber sur ma tête; et ce jour, ce jour affreux qui devait être le dernier de mes jours, est devenu le plus beau jour de ma vie. (On applaudit.) Mon innocence est reconnue, les fers, au-devant desquels je m’étais volon¬ tairement présenté, fort du témoignage de ma conscience, les fers sont tombés de mes mains; je vis, je suis libre, je suis au sein de la repré¬ sentation nationale. Qui me donnera des paroles capables d’expri¬ mer la joie que je ressens et la reconnaissance dont mon cœur est pénétré? Mes enfants, unissez-vous à moi, unissez vos voix à la mienne, bénissons tous ensemble nos législateurs; que vos enfants, que les races futures apprennent de vous à les bénir ; en vous rendant votre père, ils sont devenus les vôtres. (On applaudit.) Proclamons-les nos sauveurs, nos pères. Bientôt la France entière, dont ils assurent le bonheur par des lois fondées sur la liberté et l’égalité, les nommera les pères de la patrie. Vivent nos législateurs ! Vive la République ! (Vifs applaudissements.) Le Président. Citoyen, l’idée seule qu’un innocent pourrait être frappé par la loi, a fait frissonner la Convention nationale, et le beau mouvement qui a eu lieu dans cette enceinte, à ton occasion, répond à toutes les calomnies de Pitt et de ses agents, qui n’oint cessé de répandre que la justice et l’humanité étaient bannies du cœur des représentants du peuple français. Ah ! pourquoi tous les peuples de la terre n’ont-ils pu assister à cette séance mémorable, où l’on vit tous les membres de la Convention apprenant qu’une loi mal conçue pouvait coû¬ ter la vie à un citoyen honnête, se lever spon¬ tanément, décréter le sursis et se précipiter ensuite en foule sur tous les points où il était à craindre que son sang versé n’eût laissé à la justice des regrets éternels, pour proclamer eux-mêmes le décret, et arrêter de leurs mains le glaive prêt à frapper. Voilà de ces traits par lesquels on doit juger de l’esprit d’une grande Assemblée et du caractère d’un peuple. Depuis, citoyen, la Convention nationale a examiné de plus près le sujet de la condamnation et la disposition de la loi qui l’avait dictée.