[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1790.] 729 M. d’André. Jene viens poinlici plaider lacause d’un port du royaume ;je viens examiner la question sous le point de vue le plus général, celui des principes. Peut-être dira-t-on qu’il y a de la témérité de ma part à monter à cette tribune après les habiles négociants qui m’ont précédé ; mais comme la question peut se décider par les règles du bon sens, nous avons tous des droits égaux à la discuter. Les mêmes hommes qui réclament aujourd’hui un privilège pour le port de Lorient ont voté pour la liberté du commerce de l’Inde, lors de la suppression de cette compagnie; et de là je conclus qu’on peut débarquer dans tous les ports, et que des raisons majeures peuvent seules nous déterminer à une exception. Examinons si effectivement il existe des raisons de cette nature. L’avantage des vendeurs, celui des acheteurs, l’intérêt du fisc et des manufactures, tels sont les motifs qu’on allègue pour le port de Lorient. Quant à l’avantage des vendeurs, j’en demeure d’accord ; car, tant que la même nature de marchandises se vendra dans le même lieu, les vendeurs seront toujours maîtres du prix et imposeront des lois aux acheteurs. Tout le monde convient que ce commerce est nuisible à nos manufactures; il ne faut donc point chercher l’intérêt des vendeurs, mais rendre au contraire leur condition pénible. Quant à l’intérêt des acheteurs, j’en conviens encore, mais je distingue les acheteurs en gros et les acheteurs en détail. Comme tout le monde ne peut pas aller à Lorient pour acheter neuf à dix pièces de mousseline, ces premiers, c’est-à-dire les gros négociants, achètent et exercent le même monopole que les vendeurs à leur égard; ainsi, si c’est l’avantage de l’acheteur en gros, il est bien clair que c’est le désavantage de l'acheteur en détail. Le troisième avantage, c’est l’intérêt du fisc; mais de celui-là je n’en conviens point. Il est impossible, dit-on, que l’on perçoive des droits sur une foule de marchandises de l’Inde, si les retours sont libres dans tous les ports ; — mais je réponds qu’on perçoit, dans tous les ports du royaume, un droit qu’on appelle Domaine d'occident , sur tous les vaisseaux qui viennent de l’Amérique, et cependant il n’y a point de fraude. On a voulu faire valoir les avantages locaux, pour les postes des employés des fermes; mais les ports de Bordeaux, delà Rochelle et tant d’autres, ont, comme le port de Lorient, des châteaux avancés dans la mer, où sont les postes des employés. La localité n’est donc point un avantage pour le portde Lorient. Je passera l’intérêt des manufactures ; il exige que le commerce de l’Inde ne se fasse pas du tout. Si ceux qui réclament un privilège pour le port de Lorient demandaient laprohibilion des marchandises de l’Inde, je serais de leur avis ; mais c’est tout le contraire. Veut-on savoir pourquoi, sous l’ancien régime, le commerce languissait; c’est que dès qu’un homme avaitgagné cent mille écus aune manufacture, il achetait promptement une charge de secrétaire du roi, et laissait sa manufacture entre les mains de commis qui n avaient pas assez de fonds pour la soutenir : aujourd’hui que son ambition ne sera plus tentée par une charge de secrétaire du roi, qu’il ne verra plus rien au-dessus de lui, sa manufacture deviendra de plus en plus florrissante : la concurrence des marchandises de l’Inde ne fera peut-être qu’exciter l’émulation et encourager les manufacturiers. Les toiles peintes furent longtemps défendues en France; en 1760 le gouvernement fut sollicité pour permettre l’entrée de ces marchandises : le commerce jeta de grands cris; mais le gouvernement eut le bon sens de le laisser crier. Qu’arriva-t-il ? Les anciennes manufactures sont-elles détruites? non; nous avons plus de deux cents manufactures de ces toiles peintes. Il me semble qu’il résulte de tout cela que la liberté est l’âme du commerce ; qu’il faut séparer l’intérêt du vendeur et celui de l’acheteur; enfin que ni l’intérêt du fisc ni l’intérêt des manufactures n’exigent un privilège pour le port de Lorient. Je finirai par une simple observation. On doit examiner notre commerce sous ses rapports extérieurs. Nous sommes les colporteurs des nations étrangères. Nous sommes situés de manière à pouvoir faire le commerce pour les Italiens, les Turcs, les Danois et même les Anglais. Si vous ne laissez qu’un seul port, vous perdez le bénéfice du chargement; au contraire, en permettant le retour de l’Inde dans tous les ports du royaume, il s’établira une commission que les étrangers payeront tous les ans. Si, au contraire, vous défeudez les retours, vous établirez, comme auparavant, une grande compagnie, et les commerçants feront la contrebande comme ils la faisaient du temps delà compagnie. Je conclus à ce que tous les ports soient ouverts pour les retours comme pour les départs de l’Inde. — (On demandeavec empressement que la discussion soit fermée.) M. de l?azalès demande avec instance l’ajournement. L’Assemblée ajourne à la séance du jeudi soir. La séance est levée à 10 heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 6 JUILLET 1790. Exposé de la conduite de M. le due d'Orléans, dans la Révolution de France (1). (Rédigé par lui-même à Londres) (2). J’ai toujours cru, et je crois encore, que ma conduite , dans la Révolution présente , a été aussi simple et naturelle que mes motifs étaient raisonnables et justes. Il me paraît cependant que tout le monde en a jugé autrement : je dis tout le monde, car j’ai été aussi souvent étonné de l’exagération des éloges que de celle des reproches. Chacun a voulu deviner mes sentiments et mes pensées; et, comme il arrive d’ordinaire, au lieu de les chercher en moi, chacun m’a prêté les siens. Les démocrates outrés ont pensé que je voulais faire faire de la France une République ; les courtisans ambitieux ont supposé que je voulais , par une excessive popularité, forcer la cour à m’accorder une grande influence dans l’administration ; Jes méchants m’ont prêté les intentions les plus (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. (2) Le présent écrit ayant été envqyé de Londres à Paris, le 11 juin, et ses exemplaires imprimés, devant être exactement conformes au manuscrit original, ou n’a pas pu se conformer au décret de l’Assemblée nationale du 19 juin concernant les noms et les titres. (Avis de l'imprimeur.) 730 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1790.] criminelles et n’ont pas même été arrêtés par l’absurdité de leur système calomnieux ; les patriotes les plus zélés ont eu aussi leur erreur, et quoique infiniment honorable pour moi, je ne l’adopterai pas davantage, car je ne cherche pas ici ce qui serait le mieux, mais ce qui est le vrai. Les meilleurs patriotes ont donc eu aussi leur erreur. Ils m’ont vu, ils m’ont présenté comme m’immolant uniquement à la chose publique: ce que je cédais sans peine leur a paru d’immenses sacrifices ; ils ont tout calculé d’après le prince et rien d’après l’homme. En observant mieux, ils auraient bientôt reconnu que mon caractère, mes opinions, mes goûts, étaient tels que mon bonheur personnel et particulier se trouvait nécessairement lié au bonheur public, en ce qu’il ne pouvait venir que de la même source, je veux dire de la liberté. C’est ainsi que tous ont été chercher si loin des motifs que j’avais trouvés siprès de moi. Ces réflexions me déterminent à me remettre sous les yeux ce que j’ai fait, dit et pensé de relatif à la Révolution présente depuis son origine. Je rappellerai même tout ce qui, dans ma conduite précédente, peut avoir quelque rapport aux sentiments que j’ai développés depuis. Je veux enfin, pour ma propre satisfaction, tâcher de découvrir si j’ai donné lieu ou non à tant d’étonnement, à tant de louanges, à tant de reproches. En me livrant à ce travail, j’ai la ferme intention de tout dire; et j’avoue que je n’en suis pas moins persuadé que, si j’avais, par la suite, le désir ou le besoin de montrer à d’autres ce qu’en ce moment je fais pour moi seul, je suis, dis-je, très persuadé que je ne trouverais rien du tout à y changer. Je suis curieux de savoir si je conserverai cette idée jusqu’à la fin. J’ai lu quelque part , je ne me souviens plus où, que chaque homme voit avec un goût dominant qui, non seulement maîtrise tous les autres, mais qui ne cède ni aux événements, contre lesquels il ne cesse de lutter avec courage, ni même aux passions qu’il parvient toujours à modifier à son gré. Ce goût dominant a de tout temps été chez moi le goût de la liberté. Je conviens qu’il fût d'abord bien plus l’effet du sentiment que celui de la réflexion, et que je chérissais la liberté bien avant de la connaître. Je la cherchais en vain autour de moi ; je n’étais pas placé pour la rencontrer si facilement. Je crus en apercevoir l’image dans ces grands corps de magistrature qui, au moins, eu avaient, en quelque sorte, conservé les formes et le langage. Au défaut de la réalité, j’embrassai le fantôme et lui consacrai mes premiers vœux. Trois fois j’en ai été la victime, et trois fois ces traverses passagères ont augmenté le goût que, par elles, on cherchait à détruire. Je dois pourtant faire quelques distinctions. entre ces trois époques. A la première, je suivais, sans trop en chéreher les raisons, l’impulsion de mon penchant, celle de la voix publique et de l’exemple. 11 est bien vrai qu’on me dirigeait d’une manière conforme à mon goût, mais, enfin, on me dirigeait, et je ne puis pas dire que la conduite que je tins alors, fût réellement ma conduite. Livré à moi seul, fût-elle meilleure ou pire? C’est ce qu’il ne me convient pas d’examiner. A la seconde époque, je n’avais d’autre motif que de ne pas vouloir contredire , par une démarche publique, les sentiments que j’avais publiquement professés. Mais à la troisième époque, ma conduite fut entièrement le résultat de mes idées et l’effet de ma volonté. Mon goût pour la liberté m’avait, depuis longtemps, engagé à me répandre à Paris dans les différentes classes de la société ; mes opinions avaient été renversées ou raffermies par le choc des opinions contraires. Le même motif m’avait porté à voyager chez les nations voisines, et, dans ces voyages, j’avais été déjà plusieurs fois en Angleterre, cette terre natale de la liberté. Je ne m’y étais pas beaucoup occupé de rechercher sur quels principes était fondée la Constitution qui fait des Anglais un peuple libre ; je ne prévoyais pas que ces connaissances dussent être jamais à mon usage ; mais je n’en avais pas moins observé les heureux effets de la liberté pour le bonheur de tous, et mon goût dominant s’était fortifié de tout ce que j’avais acquis d’expérience. Le moment arriva où avaient été promis les Etats généraux, et les lettres de convocation parurent. Dès ce moment je me vis libre, car je ne doutai pas que la nation ne voulût le devenir. J’ai eu lieu de remarquer depuis, que, dans tout ce qui concerne la liberté individuelle, j’avais deviné le vœu de la nation jusque dans les détails. En effet, les instructions que je crus devoir joindre aux nombreuses procurations que j’étais alors dans le cas de donner sont, sur ce point, d’une conformité frappante avec la généralité des cahiers des bailliages; et l’on peut se rappeler qu’elles étaient déjà publiques avant qu’aucun bailliage eût été assemblé. Ce n’est pas que je prétende avoir servi de modèle, cela prouve surtout que je n’en avais pas besoin : cela prouve surtout que mon goût dominant, le goût de la liberté avait, dès lors, lié mon intérêt personnel à l’intérêt public. Si l’on en voulait une autre preuve, on pourrait voir encore que dans ces mêmes instructions, et toujours avant qu’aucun baillage ait pu se faire entendre, j’ai provoqué la suppression des droits qui pouvaient m’être les plus agréables, en déclarant que je me joindrais à la demande qu’en feraient les bailliages : on pense bien que je ne me fais pas un mérite d’un abandon si juste ; mais on peut au moins en conclure que, quelle que fût la vivacité de mes goûts, j’aimais encore mieux la liberté ; que je sentais déjà qu’elle ne pouvait pas prospérer au milieu des privilèges, et que rien ne me coûtait de tout ce qui pouvait me la faire acquérir. En donnant ces instructions , que je faisais rédiger à mesure, par l’un de mes secrétaires des commandements ; en y joignant un ouvrage du plus fort de nos publicistes, je n’avais eu que deux motifs : l’un d’avoir, dans les différents bailliages où j’étais représenté, un vœu uniforme et qui fût le mien; l’autre de donner à mes représentants un guide sûr qui pût les diriger dans les cas que je n’avais pas prévus. Cependant la publicité qu’acquirent ces instructions, en a fait une mémorable époque dans ma vie. C’est de ce moment que l’affection des uns et la haine des autres se sont manifestés, à mon égard, avec plus d’énergie : mais je puis bien affirmer avec vérité, que j’ai été très reconnaissant pour les uns et très peu affecté par les autres. C’est peut-être ici le lieu de dire un mot sur une sorte de reproche que je n’ignore pas qu’on me fait depuis longtemps, de mon insouciance relativement à l’opinion publique. Il me semble qu’on n’a deviné, à ce sujet, que la moitié de ma pensée : la voici tout entière. Dans toute démarche un peu importante, je ne me suis jamais décidé qu’après avoir été pleine-, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1790. J 731 ment persuadé que j’avais droit et raison ; et si quelquefois j’ai été dans l’erreur, cette erreur, d’après ma persuasion, n’en était pas moins une vérité pour moi. Or, quand l’opinion du public s’est trouvée contraire à la mienne, j’ai pensé, avec quelque raison, qu’il s’était moins occupé que moi de la question et qu’il m’avait jugé sans m’entendre; j’en ai donc été peu affecté : mais quand, au contraire, le public a approuvé ma conduite, plus affermi par là dans mon opinion, je n’en ai été que plus sensible à son suffrage. Je ne sais comment font ceux qui se conduisent autrement; mais je persiste à penser que, dans tout autre système, il faut se résoudre à faire dépendre sa raison et sa justice, de toutes les erreurs, de tous les préjugés, et aussi de tous les intrigants, qui savent si bien les faire naître et en diriger le cours. C’est pour me rendre compte de tout que je suis entré dans ces détails. Je reprends l’historique de ma conduite. A peine eus-je entrevu qu’enfin la France aurait des citoyens, que je voulus me mettre à même d’en remplir les devoirs; non seulement je désirai d’être député, mais quoique déjà nommé par deux bailliages, je ne m’en livrai pas avec moins de zèle et d’exactitude aux fonctions d’électeur que m’avait confiées l’unedes sections de la ville de Paris. J'en obtins l’honorable récompense d’être nommé député par mes concitoyens ; et quoique je n’ai pas pu accepter cette place, j’ose croire cependant avoir justifié leur confiance, par la conformité de mes principes avec ceux de la grande pluralité des députés de la ville de Paris. Pendant que tout ceci se passait, les États généraux étaient déjà ouverts; et chaque jour les débats entre les différents ordres qui existaient alors, acquéraient plus de chaleur et de vivacité. La fameuse question de la vérification des pouvoirs en commun était élevée, et l’unanimité pour le refus était presque égale dans la chambre de la noblesse, à celle qui avait décidé la demande dans la salle du tiers état. La minorité delà Chambre, si forte en raison, mais si faible en nombre, était rarement écoutée et jamais entendue; tous ses efforts ne parvenaient pas à ébranler la moindre des prétentions; et l’on se rappelle encore combien on trouvait scandaleux que des gentilshommes français osassent penser qu’il était possible que le tiers état eût raison, contre les deux premiers ordres. J’étais un de ces gentilshommes et quelques personnes prétendaient que cela ajoutait beaucoup au scandale. Je n’écris pas l’histoire de la Révolution, mais seulement celle de la conduite que j’y ai tenue; je passe donc au moment où quelques membres de la noblesse délibèrent s’il n’était pas de leur devoir d’abandonner la section des Etats généraux dont ils faisaient partie, pour se réunir à la pluralité effective des députés, que, dans la chambre de la noblesse, on appelait encore le tiers état, et quelques dissidents du clergé, mais qui s’était constituée et qui était devenue, réellement et de fait, l’Assemblée nationale. Cette délibération importante était purement individuelle et paraissait alors dépendre principalement de la teneur des cahiers de chaque bailliage, puisque la question des mandats impératifs n’était pas encore résolue, n’avait pas même encore été discutée. Quoique le cahier de mon bailliage ne contînt aucun article réellement impératif, l’opinion par ordre y était suffisamment énoncée comme le vœu de la noblesse; mais ce même cahier énonçait plus positivement encore le vœu de la régénération du royaume, et je voyais clairement que, sans réunion, il n’y aurait pas de régénération. Je jugeai qu’en toute affaire les moyens devaient être subordonnés à la fin, et je me déterminai à me joindre au petit nombre des membres de la noblesse qui se réunissait à l’Assemblée nationale. J’en rendis compte aussitôt à mes commettants, et j’eus la satisfaction d’en recevoir l’approbation la plus entière. On ne manqua pas, à cette époque, de répandre dans le public que mon seul motif était l’ambition et mon seul désir celui d’être le chef de l’Assemblée nationale. En effet, très peu de temps après, l’Assemblée me fit l’honneur de me choisir pour son président, et je refusai la présidence, non pas, à la vérité, à raison des propos qu’on avait tenus, mais, tout simplement, parce que je croyais, alors, comme je le crois encore aujourd’hui, que je ferais un très mauvais président de l’Assemblée nationale. (1) Cette démarche de quelques députés de la noblesse rendait plus pressante pour les autres la nécessité de prendre un parti ; bientôt après ils se décidèrent à la réunion désirée, et l’Assemblée nationale fut complète : l’allégresse publique qui éclata à cette occasion, fit assez connaître que tel était le vœu de la nation. Les principes de la grande pluralité de l’Assemblée furent bientôt connus, et la destruction totale et prochaine des abus de tous les genres, put être facilement aperçue par les moins clairvoyants. Aussi vit-on redoubler les efforts de tous ceux qui avaient quelque intérêt au maintien de ces abus. Les prétentions les plus opposées cédèrent même à ce danger commun : les rivalités de corps et de personnes parurent également oubliées; et si la sagesse de l’intrigue en eût égalé l’activité, il est difficile de calculer quel degré de force elle eut pu acquérir. Ce n’était pas que, dès lors, il ne me parut bien démontré qu’il était impossible d’empêcher la Révolution; car ce n’était pas l’ouvrage de quelques chefs qui aurait suffi de gagner ou de vaincre; ce n’était même pas celui de l’Assemblée nationale qui en a plutôt été l’organe que le moteur ; c’était l’effet de la volonté générale de la nation, ou au moins des dix-neuf vingtièmes de la nation : et que pouvait-on opposer à une telle puissance ? Mais tout le monde ne voyait pas ainsi, et de fausses combinaisons pouvaient être (1) Ce n’est point par les mêmes raisons qui, quelque temps auparavant, j’avais aussi refusé de présider le bureau qui m’était destiné à la seconde assemblée de notables. Comme cette démarche de ma part a paru extraordinaire à beaucoup de gens, je vais en exposer ici les motifs. Les fonctions de président du bureau, fonctions que j’avais eu l’occasion de connaître à la première assemblée, consistaient principalement à recueillir les opinions et à certifier ensuite, par sa signature, qu’un tel avis était celui de la pluralité de son bureau. Mais les questions ne s’y posaient pas par oui ou par non , et les opinants n’étaient point tenus de se réduire à deux opinions. On regardait comme majorité l’opinion seulement la plus nombreuse. Je jugeai que, surtout dans des questions aussi importantes que celles qu’on avait à discuter dans cette assemblée, je ne pouvais ni ne devais me charger de certifier que tel ou tel avis était celui de la majorité, quand il était évidemment pour moi celui de la minorité. Je n’ai jamais pu ni renoncer à ce calcul ni le faire adopter, et je me suis abstenu de présider. 732 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 millet 1790.1 soutenues par des efforts vigoureux, et entraîner des maux incalculables . J’ignore jusqu’où fut portée l’illusion à cet égard ; mais différents corps de troupes furent rassemblés, ils entouraient l’Assemblée nationale et semblaient menacer Paris. La France entière était alarmée ; la capitale, dont le danger paraissait plus pressant, observait avec inquiétude la contenance des troupes dont elle était investie ; ou qu’elle renfermait dans son sein. Les gardes françaises furent les premiers qui rassurèrent leurs concitoyens ; ils furent les premiers qui professèrent hautement les sentiments qui , depuis, sont devenus la base du serment qu’on exige des troupes. Il était naturel que la conduite civique de ce régiment déplût à tous ceux dont elle contrariait les projets, et ils publièrent avec affectation qu'il avait été acheté. Plusieurs personnes crurent aussi, ou plutôt cherchèrent à faire croire, que j’avais fait, en grande partie, les frais de ce marché. Répondre à un tel reproche serait faire à ce corps une injure gratuite, car on ne peut acheter que ceux qui sont à vendre ; mais je dirai librement mon opinion. C’eût été, si les gardes françaises se fussent conduites autrement , que j’aurais été tenté de croire que, sans doute, on leur avait payé chèrement de semblables services. Ce n’est pas que je ne connaisse comme un autre la nécessité de l’obéissance militaire, mais il faut aussi distinguer la règle de l’abus : car les exemples ne manquent pas des ressources qu’a trouvées le despotisme ministériel, dans la fausse application des principes les plus vrais. Plusieurs régiments ne tardèrent pas à manifester des sentiments conformes à ceux des gardes françaises ; mais on comptait davantage sur quelques autres, et rien ne fut changé dans les dispositions. L’alarme qui, depuis quelque temps, augmentait tous les jours, fut au comble dans Paris, quand on y apprit le renvoi d’un ministre que ses amis et ses ennemis ont également concouru à identifier avec la Révolution. Le bruit se répandit aussitôt que l’Assemblée nationale allait être dissoute et que plusieurs de ses membres devaient être arrêtés : on les désignait, on en donnait des listes, et mon nom se trouvait sur toutes : j’ai toujours pensé que ce fut cette particularité qui fut cause qu’on joignit mon effigie à celle de M. Necker, dans l’espèce de triomphe que le peuple lui décerna. On se rappelle assez la scène désastreuse qui se passa le même jour à la place de Louis XV : ce fut l’étincelle qui causa l’explosion. Au milieu de ces événements, quelle fut ma conduite ? Je ne flattai point le peuple et ne craignis point la cour. Je me dérobai à des empressements qui me paraissaient plus propres à augmenter le trouble qu’à remédier au mal; je me retirai, pour la soirée, à ma maison de Monceau, où je passai la nuit; et le lendemain, je me rendis, comme de coutume, à l’Assemblée nationale. Je n.’ai pas besoin de retracer ni la conduite si sage de l’Assemblée, ni la conduite si énergique des habitants de Paris; l’une et l’autre seront consacrées dans l’histoire et y feront l’admiration des races futures. Je passe au moment plus heureux, où le roi, mieux informé et rendu à sa propre volonté, vint se réunir à l’Assemblée nationale; et i’observe que je demandai de ne pas être de la députation qui fut chargée d’aller annoncer à la capitale cette grande et mémorable nouvelle, j’évitai pareillement de me montrer à Paris le jour où le roi y fut et encore quelques jours après. Je ne vois pas quelle conduite j’aurais pu tenir qui eût été plus sage et plus opposée aux vues ambitieuses que mes ennemis, ou plutôt les ennemis de la liberté ont, depuis, affecté de me supposer. L’orage était passé, mais l’agitation des flots dure plus longtemps que la tempête, et quelques personnes furent encore les victimes d’une impulsion dont la cause n’existait plus. Cependant l’Assemblée nationale, de coucert avec le roi, et secondée par la commune de Paris, parvint, bientôt après, à ramener le calme; et on commença, dans la capitale, à respirer l’air de la liberté dégagé deg vapeurs de la licence. Cet état de tranquillité dura jusque vers la fin de septembre. A cette époque, les alarmes se renouvelèrent. On parut craindre une contre-révolution. On débitait qu’il s’était formé un parti puissant, dont le projet était d’emmener le roi de Versailles et de le conduire dans quelque grande place de guerre : il m’a paru qu’on s’accordait peu sur les circonstances qui devaient suivre cette démarche; mais l’effet n’en était pas moins le même, et l’inquiétude devint générale. Une fête dont on n’avait pas calculé l’effet excita de la fermentation dans le peuple, que déjà l’excessive disette du pain mécontentait depuis longtemps; des cocardes (blanches pour Versailles et noires pour Paris) distribuées avec profusion et substituées par un grand nombre de personnes à la cocarde nationale, donnèrent une consistance dangereuse aux bruits qui s’étaient répandus : telles furent à mon sens les causes réunies qui amenèrent les journées des 5 et 6 octobre. Voici d’abord ce qui m’est personnel dans les événements de ces deux jours. Il n’y avait pas d’assemblée le dimanche 4, et j’étais parti, suivant mon usage, le samedi, au soir, pour me rendre à Paris. J’étais dans l’intention de retourner le lundi matin à Versailles; mais je fus retenu par le travail qu’avaient à faire avec moi quelques personnes de ma maison. J’appris successivement, pendant ce jour, l’effervescence qui régnait dans Paris, le départ pour Versailles d’une quantité de peuple assez considérable, ayant des armes et même du canon ; et enfin le départ d’une grande partie de la garde nationale parisienne. Je ne sus d’ailleurs rien de ce qui se passait à Versailles jusqu’au lendemain mardi matin, que M. le Brun, capitaine d’une compagnie de la garde nationale, bataillon de Saint-Roch, et inspecteur du Palais Royal, me fit éveiller, et vint me dire qu’un exprès de la garde nationale était venu donner, à son corps de garde, des nouvelles de Versailles; mais elles ne contenaient aucun détail, ni le récit d’aucun événement. Le même jour, vers huit heures du matin, je me mis en route pour me rendre à l’Assemblée nationale. Tout me parut tranquille jusqu’à l’entrée du pont de Sèvres; mais là, je rencontrai les têtes des malheureuses victimes de la fureur du peuple. Je dois dire cependant, à la décharge de ce même peuple, que le cortège qui suivait ce spectacle sanglant était peu considérable. Entre Sèvres et Versailles, je rencontrai quelques charrettes chargées de vivres et escortées par un détachement de la garde nationale. Quelques-uns des fusiliers de cette garde pensèrent que ma voiture ne devait pas passer ce convoi ; malheureusement mon postillon, à qui ils s’adres- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1790.] . 733 sèrent, était Anglais, et 11e savait pas un mot de français; il écoutait sans comprendre, et continuait son chemin; un des fusiliers le mit en • joue, à bout portant, et tira son coup de fusil, qui, par bonheur, ne partit point. L’officier qui commandait le détachement s’aperçut de ce qui se passait, il accourut, réprimanda sévèrement le soldat, me dit que cet homme était ivre, ordonna très honnêtement qu’on me laissât passer, et me donna deux hommes à cheval pour escorte, afin que je n’essuyasse pas de nouvelles difficultés dans ma route. Ces deux cavaliers m’escortèrent, en effet, jusque chez moi, et refusèrent la légère récompense que je crus devoir leur offrir. Je sortis sur-le-champ de chez moi pour me rendre à l’Assemblée nationale. Je trouvai une partie des députés dans l’avenue; ils m’apprirent que le roi désirait que l’Assemblée se tînt dans le salon d’Hercule ; je montai au château et j’allai chez Sa Majesté : j’appris ensuite que l’Assemblée se tiendrait dans la salle accoutumée et j’y revins à temps pour participer au décret qui déclarait l’Assemblée nationale inséparable de la personne du roi. Ici finit tout ce que je devrais avoir à dire sur ces deux journées; mais la suite des événements me forcera d’y revenir. Peu de jours après l’arrivée du roi à Paris, M. de La Fayette m’écrivit pour me demander un rendez-vous. Je lui répondis qu’il n’avait qu’à me dire le lieu et l’heure, et il me les donna chez Mme de Coigny. Voici ce qui se passa de relatif à moi, dans cette entrevue. M. de La Fayette me dit que le roi désirait que je me chargeasse d’une mission à l’étranger; et il ajouta que mon absence, ôtant tout prétexte à se servir de mon nom, dont il croyait qu’on pouvait abuser, il pensait qu’alors il trouverait plus de facilité pour maintenir la tranquillité dans la capitale et empêcher des mouvements qu’en effet ses soins n’avaient pu ni prévenir, ni réprimer. Il me présenta aussi, comme un motif pour accepter, que cette marque de confiance de la part de Sa Majesté détruirait entièrement tous les bruits que la méchanceté commençait à répandre sur mon compte. 11 finit par ajouter que son opinion personnelle était que je pouvais être en Angleterre, d’une grande utilité pour la nation. Le désir du roi eût été, à lui seul, un objet important de considération : concourir au retour de la tranquillité publique me parut le plus grand bienfait dont je pusse payer l’affection si touchante que m avait témoigné le peuple ; il me parut encore que cette tranquillité était le besoin le plus pressant de la capitale, dans un moment où déjà elle possédait son roi, et où elle allait, sous peu de jours, posséder l’Assemblée nationale; je voyais surtout la Révolution, plus affermie que jamais, n’avoir qu’à redouter que des troubles dont on pourrait tenter d’embarrasser sa marche ; enfin la mission qu’on me proposait pouvait être très importante pour la France. J’acceptai donc sous la seule condition que l’Assemblée nationale consentirait à ce que je m’absentasse ; elle consentit, et je partis aussitôt. Je ne sais quelle intrigue jugea convenable à ses intérêts d’engager le peuple de Boulogne à s’opposer à mon départ ; mais ce que je n’ai pas pu ignorer, c’est que l’agent qui fut envoyé à cet effet n’osa employer d’autres moyens que ceux que lui fournissait l’amour que me portait le peuple. Retenu par une fouie considérable, on eût dit que j’emportais avec moi le salut de toute la France ; la résistance ne se manifestait qu’au milieu des louanges et des bénédictions ; il était difficile de ne pas être impatienté, mais il était impossible de ne pas être attendri. Get incident retarda de trois jours mon arrivée en Angleterre ; mais rien ne retarda l’activité de mes ennemis, et ce voyage, entrepris par de louables motifs, a été à la fois le signal et le prétexte des plus absurdes comme des plus atroces calomnies. Il ne me convenait assurément pas de m’abaisser jusqu’à répondre à de si méprisables libellistes, mais il entre dans le plan de l’exameu que je fais en ce moment de chercher si les forfaits que la haine m’a imputés, je ne dirai pas sont vraisemblables, mais s’ils ne sont pas réellement impossibles. On a répandu que j’avais été le fauteur du mouvement de Paris sur Versailles, du 5 octobre ; et on a supposé que mon motif était l’espoir que la terreur déciderait le roi à fuir de Versailles ; qu’il emmènerait avec lui M. le Dauphin: que Monsieur l’accompagnerait; et que je parviendrais à me faire nommer régent ou lieutenant général du royanme. Ges calomnies font frémir I eh bien les libelles où elles se trouvent sont encore les plus modérés. D’autres n’ont pas craint de prodiguer les assasssinats et de me supposer l’ambition du trône. Tâchons de surmonter l’indignation que causent ces horreurs ; un moment suffira pour en démontrer l’absurdité. Examinons le premier de ces systèmes de calomnie. Le roi s’enfuira : — pour établir un fait sur cette proposition, les libellistes ont été obligés de dissimuler une remarque que tout le monde a pu faire, et qui est généralement honorable pour le monarque et pour la nation. G’est qu’au milieu des événements les plus désastreux, jamais le roi n’a manqué de confiance dans le peuple, ni le peuple dans le roi. Certes, il eût été difficile de penser que celui qui, de son propre mouvement, avait été à Paris le 16 juillet, se serait enfui de Versailles le 5 octobre : — mais soit, supposous-lui cette volonté. Ne dirait-on pas que les barrières de Versailles sont les limites de la France? Les libellistes supposent donc, ou que le roi aurait pu se dérober à tous les yeux, dans toute la traversée du royaume, et cela dans quel temps ? ou que nulle part il n’eût trouvé les Français empressés à le rassurer, à le retenir, à le ramener? Ge n’est pas moi que cette calomnie outrage, c’est à la fois le monarque et la nation. Je poursuis. Monsieur s’enfuira comme le roi, — et quelle raison aurait-il eue de fuir, lui qui ne s’était montré dans la Révolution que pour donner sa voix à la double représentation du tiers ? — Mais par attachement pour sa Majesté ; — c’eût été, il me semble, une étrange marque d’attachement que d’abandonner le soin du royaume, et peut-être l’intérêt et le salut du roi, aux premières mains qui eussent voulu s’en saisir l Et pourtant si le roi ne fuit pas, si Monsieur ne le suit point, si tous deux ne parviennent pas à se rendre invisibles à toute la France, le crime qu’on me suppose est totalement sans objet ; ce serait le délire de l’atrocité. Et dans l’impossible supposition de cet affreux succès, quel devait en être le prix ? Ou la régence, ou la lieutenance générale du royaume. Ge reproche qu’on m'a fait, m’a donné lieu de considérer quel serait donc l’avantage de ce poste qu’on suppose si désirable. J’ignore encore ce que décidera l’Assemblée nationale sur cet *334 [Assemblée nationale.] objet ; mais voici les réflexions qu’il m’a inspirées. L’Assemblée adéclaré, avecautant desagesse que de raison, la personne du roi inviolable et non responsable : mais je crois connaître assez ses principes pour être sûr qu’elle sentira que s’il y avait dans le royaume deux personnes non responsables, dès ce moment il y aurait deux rois. Or, si un régent, si un lieutenant général du royaume est responsable, comme je n’hésite pas à dire que je pense que cela doit être, il me semble que cette place, toute éminente qu’elle serait, devra toujours moins exciter l’ambition que la crainte. On se forme par l’usage, et les libellâtes ont senti l’absurdité de ce premier système ; ils ont essayé, dans un autre, de le faire disparaître à force d’atrocités. Voyons s’ils ont mieux réussi. Ils se sont aperçus que l’impossibilité évidente du roi, de la reine, du Dauphin, de Monsieur, traversant le royaume sans être aperçus, ôtait toute base à la calomnie, alors ils ont accumulé les meurtres, et m’ont frayé la route du trône a travers une foule d’assassinats. Mais comme ils n’ont pas pu y comprendre M. le comte d’Artois, ils n’ont pas hésité à supposer que la France le déclarerait, ainsi que ses enfants, inhabiles à succéder au trône. Ainsi calomniant une seconde fois la nation, ils ont pensé que les Français dépouilleraient de ses droits un prince devenu leur roi légitime, et pourquoi ? Parce que l’erreur, dont quelques courtisans l’ont entouré a duré plus que celle du reste de la France, et ces calomnia* teurs ne s’aperçoivent pas qu’ils me donnent, nécessairement, l’Assemblée nationale pour complice : car assurément on ne niera pas qu’un seul décret émané d’elle n’eût suffi pour anéantir de si criminelles prétentions : l’adnésion de toutes les parties du royaume aux décrets de l’Assem-j blée était déjà suffisamment connue. Et disons plus, cette adhésion méritée et obtenue par la raison et par la justice eût cessé dès le moment même où, par impossible, l’Assemblée eut porté cejugementinjuste. Les Français en changeant leur gouvernement, n’ont changé ni de sentiments, ni de caractère, et j’aime à croire que le prince, dont il est ici question, en fera lui-même l’heureuse épreuve. J’aime à croire que se rapprochant d’un roi qu’il chérit et dont il est si tendrement aimé, se rapprochant d’un peuple à l’affection duquel tant de qualités aimables lui donnent de si justes droits, ce prince reviendra jouir de la partie la plus précieuse de son héritage : l’amour que la nation la plus sensible et la plus aimante a voué aux descendants de Henri IV. Je n’avais pas besoin de ces réflexions pour ne laisser approcher de moi ni l’idée ni le soupçon de ces crimes odieux, mais je les ai employées pour confondre mes calomniateurs. Tandis que, par ces basses manœuvres, on cherchait en France à profiter de mon absence pourme faire perdre l'affection, des bons citoyens, je m’occupais à Londres des moyens de me rendre utile à mon pays, en préparant le succès de la négociation que le roi m’avait fait l'honneur de me confier. Différents événements, et particulièrement ceux qui ont, depuis quelque temps, entièrement changé la face des affaires publiques de l’Europe, ont opposé jusqu’ici des obstacles renouvelés aux efforts de mon zèle. Je saurai „ bientôt, je l’espère, si ces obstacles sont en effet invincibles, et alors je m’empresserai de me réunir à l’auguste Assemblée, dont j’ai l’honneur d’être membre, et de concourir avec elle à l’achève-, oient d’ une Constitution si désirable et si désirée. [7 juillet 1790.] Que si l’on demande encore quel est l’intérêt qui me guide ? je répondrai que ç’en est un le plus cher à mon cœur et dont je ne me départirai jamais : celui de vivre libre et heureux, au milieu de la France heureuse et libre ; enfin celui de voir la nation française jouir du degré de puissance, de gloire et de bonheur, que, depuis si longtemps, la nature lui destinait en vain. P. S. — En consignant dans cet écrit mes actions, mes sentiments et mes pensées, je n’avais d’autre projet que de déposer dans mes archives, pour mes enfants et pour mes amis, un exposé de ma conduite qui n’eût été défiguré ni par l’éloge, ni par la satyre. En lereiisant, j’ai jugé convenable de le rendre public, non pour répondre à de méprisables libelles, mais pour que les amis de la vérité et les bons citoyens n’aient pas à me reprocher d’avoir concouru, par mon silence, à l'erreur dans laquelle on a voulu, évidemment, les entraîner sur mon compte. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. C.-F. DE BONNAY. Séance du mercredi 7 juillet 1790, au matin (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Regnaud {de Saint-Jean-d' Angèly), secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin dans lequel il est fait mention de la lettre lue par M. de la Touche au nom de M. Louis-Philippe d’Orléans. Plusieurs membres demandent que cette partie du procès-verbal soit supprimée. D'autres membres en réclament le maintien. M. de Digoine. Lorsque l’Assemblée a passé à l’ordre du jour, son usage constant a été de ne pas faire mention des faits dans son procès-verbal. Je demande qu’il ne soit pas fait d’exception pour M. d’Orléans. M. Chabroud. Il faut distinguer entre les affaires que l’Assemblée interrompt de prime-abord pour passer à l’ordre du jour et celles qu’elle a examinées et discutées avant d’y passer. Pour ces dernières, il doit eu rester trace dans le procès-verbal. M. d’André. J’appuie l’opinion de M. de Di-goine, parce que si l’Assemblée a entendu la lecture de la lettre de M. d’Orléans, elle n’en a pas délibéré et qu’elle s’est bornée à passer à l’ordre du jour. M. Regnaud, rédacteur du procès-verbal. Il s’agit d’une circonstance particulière, d’une circonstance importante dans l’opinion publique et qui peut même être un mouvement précieux à conserver pour l’histoire de notre Révolution. Il y a d’ailleurs un dépôt de pièces sur le bureau : il est impossible de le constater dans le procès-verbal. (I) Cette séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.