636 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 septembre 1789.] PARLEMENT DE PROVENCE. Aix. Les fiefs étant sans profit, à moins qu’il n’y ait titre ou possession, il n’y a d’usage que pour les biens tenus à emphytéose, qui doivent lods au treizième, excepté certaines seigneuries dout les titres donnent double droit. Dans ce parlement, l’usage était de fixer l’indemnité à un droit demi-lods tous les dix ans, ou à un lods tous les vingt ans, ou obliger la mainmorte à donner un homme vivant et mourant. PARLEMENT DE PAU. Je n’ai pu découvrir aucune trace de l’usage adopté dans ce parlement. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE. Séance du lundi 14 septembre 1789, au matin (1). Il a été annoncé que M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre a été nommé président à la majorité des voix prises au scrutin, et que les trois nouveaux secrétaires sont MM. l’abbé d’Eymar, Démeunier et le vicomte de Mirabeau. M. de Clermont-Tonnerre dit : Messieurs, destiné pour la seconde fois, par vos suffrages, à l’honneur de présider l’Assemblée nationale, ce qui eut plus que payé les services de ma vie entière, devient l’encouragement de ma jeunesse. Je me flatte de mériter un jour ce que vous faites aujourd’hui pour moi. Vos bontés, Messieurs. doublent mon obligation; elles n’ajoutent rien à mon zèle ; je ne forme qu’un seul vœu : c’est qu’elles puissent doubler mes forces. M. le Président a annoncé à l’Assemblée trois différentes offres faites à la nation, pour être versées dans la caisse patriotique ; la première, de deux mille quatre cent livres, par un député qui a désiré de n’être pas nommé; la seconde, par M. Monnier, huissier, commissaire-priseur à Paris, qui a remis deux billets delà Caisse d’escompte, de 300 livres chacun; le troisième, de vingt-cinq louis d’or, par M. Trenel le jeune, juif de nation, membre du district des Carmélites. Lecture a été faite des procès-verbaux des séances des 11 et 12 septembre, et de différentes délibérations et adresses d’adhésion; de reconnaissance et de respect de la part du bourg de l’Auxois, de la ville de Sumène en Gévènes, de la ville de Pont-de-Cémarès en Haute-Guyenne, de la ville de Graponne, en Vélay, de la ville de Richelieu, de la viguerie de Draguignan en Provence, des religieux Bénédictins de l’abbaye de St. -Bénigne de Dijon, de la municipalité du bourg de St.-Pierre-sur-Dives en Normandie, de la ville d’Abbeville ; de M. Salomon, lieutenant-général du présidial de Montélimart, qui renonce aux émoluments et à des droits de farnage et d’octroi attachés à sa charge; de la ville de Riez en Provence, qui demande une justice royale; de la ville et vallée de Campan en Bi-gorre, du consul permanent d’Aubenas, et des électeurs de la ville et juridiction de Bourg en Guyenne. M. le Président, après ces lectures, a annoncé que M. Ozeray, citoyen de Chartres, avait fait conduire à Versailles dix-huit setiers de blé pour y être vendus, et le prix versé dans la caisse patriotique. Le sieur Ozeray, étant présent, a été introduit dans la salle; l’Assemblée lui a accordé une place d’honneur pendant sa séance. M. le Président lui dit : Monsieur, tous les actes de patriotisme sont précieux aux yeux de l’Assemblée nationale ; le vôtre mérite son approbation sous un double aspect : vous avez apporté du blé dans cette ville, et vous avez consenti qu’il soit vendu, et le prix versé dans la caisse patriotique. L’Assemblée nationale vous témoigne sa satisfaction, et vous accorde une place dans cette séance. Deux questions sont soumises à l’ordre du jour : 1° Le renouvellement des membres de chaque législature se fera-t-il ën tout ou en partie ? 2° Dans le cas où le refus du Roi aura lieu comme suspensif, pendant quel temps ce refus pourra-t-il durer? Sera-ce pendant une ou plusieurs législatures ? Sur la première question, les voix ayant été prises par assis et levé, il a été décrété que le renouvellement des membres de chaque législature serait fait en totalité. Lorsqu’on allait délibérer sur la seconde question, M. Barnave a demandé la parole. M. Barnave. Je crois, Messieurs, que nous devons savoir à quoi nous en tenir relativement aux arrêtés du 4 août. 11 a été dit samedi qu’ils seraient présentés à la sanction : mais il n’y a rien de statué quant à la forme de cette présentation. Il n’est pas encore décidé si ces arrêtés seront soumis au veto suspensif, comme les lois qui seront faites par les autres législatures. Il faut bien les distinguer de toutes autres lois ; 1° parce qu’ils sont faits par une Assemblée qui réunit le pouvoir constituant au pouvoir constitué ; 2° parce qu’ils touchent à la Constitution. 11 serait fâcheux qu’ils fussent arrêtés par !e veto suspensif, parce qu’ils ont été publics, et que le peuple les a reçus avec des transports de joie universelle. Je crois donc que nous devons surseoir à l’ordre du jour jusqu’à ce que nous ayons statué sur les arrêtés du 4 août, soit que nous décidions qu’ils seront sanctionnés purement et simplement, soit que nous décidions qu’ils seront soumis au veto suspensif. M. le comte de Mirabeau . Il n’est pas nécessaire de mettre en question si les arrêtés du 4 août doivent être sanctionnés ; certainement ce point-là est jugé, et nous ne prétendons pas le remettre en question. Il fallait sans doute les promulguer plus tôt; ce n’était pas obscurcir le travail de la Constitution, c’était au contraire le rendre moins difficile. Il paraît impossible dans ce moment d’en susprendre plus longtemps la promulgation ; tous les esprits ne sont que trop inflammables. Les arrêtés du 4 août sont rédigés par le pouvoir constituant ; dès lors ils ne peuvent être soumis à la sanction ; et, permettez-moi (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 septembre 1789.] 637 de vous le dire, vous n’auriez jamais dû décider d’autres questions sans juger celle-ci ; vous n’auriez pas dû songer, permettez-moi cette expression triviale, à élever un édifice sans déblayer le terrain sur lequel vous voulez construire. Les arrêtés du 4 août ne sont pas des lois, mais des principes et des bases constitutionnels. Lors donc que vous avez envoyé à la sanction les actes du 4 août, c’est à la promulgation seulement que vous les avez adressés ; et le Corps législatif éprouverait des débats terribles, des questions épineuses, des débats de compétence, si les arrêtés n’étaient pas promulgués purement et simplement. Je conclus fortement à ce que rien ne soit décidé sur ce qui peut rendre immuables, consolider, renforcer les prérogatives royales avant que les arrêtés ne soient sanctionnés. M. le comte de Lally-Tollendal ( 1). Je ne suis nïempêcher de présenter à l’Assemblée une observation qui lui paraîtra peut-être de quelque importance. Une grande question s’agitait ici, il y a quelques jours. Nous étions divisés. Cette question intéressait la prérogative du Roi; et le Roi, loin de vou-loirétendre sa prérogative, nous a presque invités, par l’organe de son ministre, à la restreindre. Ceux d’entre nous qui ont cru qu’elle importait au bonheur du peuple se sont vus obligés de défendre la prérogative royale contre le Roi lui-même. Aujourd’hui vous présentez à la sanction du Roi un acte qui ne l’intéresse pas personnellement, mais qui intéresse tous ses sujets. Il approuve la plus grande partie de vos dispositions ; mais sur quelques-unes il craint que votre zèle ne nous ait emportés trop loin ; qu’au milieu de vos sacrifices généreux il n’y en ait eu plusieurs de précoces, peut-être d’indiscrets. Celui qui n'a pas hésité quand il était question de déterminer ses propres sacrifices, hésite quand il s’agit de consentir aux vôtres, porte un œil inquiet sur les suites que quelques-uns pourraient avoir, vous fait part de ses alarmes et vous invite à de nouvelles réflexions. 11 est impossible de n’être pas frappé de ce rapprochement ; il serait impossible de ne pas s’étonner, de ne pas s’indigner qu’une méfiance injuste en fût le résultat. J’ai partagé aussi vivement que qui que ce soit l’enthousiasme patriotique qui nous à tous enflammés dans la nuit du 4 août. J’en parlais encore, il y a peu de temps, dans cette même tribune, et j’en parlais comme doit en parler tout bon citoyen. Mais n’est-ce pas une vérité reconnue que, parmi les articles résolus dans cette nuit célèbre, quelques-uns ont été étendus par la rédaction qui l’a suivie, et qui n’a été définitivement arrêtée que le 11? Pouvons-nous nous dissimuler que des réclamations se sont fait entendre, et l’exagération même de l’héroïsme n’a-t-elle pas ses dangers? Je n’ai pas oublié ce qu’en a dit un des membres de cette assemblée, un des plus éloquents, un des mieux écoutés. Peut-être eussions-nous dû faire nos arrêtés du 4 août avec plus de lenteur , et les faire précéder d'une discussion utile. On aurait plus respecté les propriétés et les usages. Les revenus de l’Etat n'auraient peut-être pas reçu une (1) Le discours de M. Lally-Tollendal est incomplet au Moniteur. diminution si sensible. Ainsi s’exprimait M. le comte de Mirabeau, dans la séance du mercredi soir 19 août ; et les mêmes paroles qui ont obtenu faveur dans sa bouche trouveront peut-être grâce dans la mienne. Les propriétés, Messieurs, c’est un nom bien sacré ! Les revenus publics , c’est un objet bien important I C’est de là que tout dépend; c’est à cela que tout tient. Je ne suis pas étonné que le patriotisme de M. de Mirabeau en ait été si vivement affecté. Il paraît qu’heureusement pour lui ses craintes sont calmées, puisqu’il vient de nous demander où sont les propriétés attaquées par nos arrêtés du 4 août : mais nous pardonnons apparemment au patriotisme du Roi d’avoir conçu les mêmes alarmes, puisqu’elles ne sont pas encore dissipées. M. de Mirabeau ne nous offrait que des regrets stériles, le Roi peut nous offrir des moyens réparateurs ou préservatifs; et s’il était vrai qu’entre toutes ces résolutions si nobles, si touchantes, qui vous immortaliseront, il vous en fût échappé quelqu’une qui, contre vos intentions, portât quelques atteintes aux règles de la justice, ne béniriez-vous pas ce droit de suspendre que vous venez de reconnaître au Roi ? La première épreuve que vous en feriez ne serait-elle pas bien propre à vous en faire sentir le prix ? Quelle ombre de danger pourriez-vous entrevoir, quand le Roi vous dit presque formellement qu’il va condescendre à vos désirs après que vous vous serez éclairés par un nouvel examen, et quand il ne sollicite aucun changement que de votre conviction et de votre justice? Enfin, Messieurs, vous-mêmes n’avez-vous pas nommé différents comités pour éclaircir les difficultés que pourraient rencontrer vos projets, pour chercher les moyens d’exécution ? La sagesse du Roi ne peut-elle pas concourir avec la vôtre, et désirer le résultat de ces éclaircissements et de ces recherches, avant de se porter à aucun acte définitif? La sanction, vous a-t-on dit, n’est pas nécessaire pour les arrêtés du 4 août ; nous sommes pouvoir constituant, et il s’agit de Constitution. Je dis, moi, que la sanction est nécessaire si jamais elle le fut. Je n’examine pas ce qu’on entend par pouvoir constituant, ni les variations dans lesquelles on est tombé à cet égard ; mais j’observe qu’il n’est pas question ici de Constitution. L’organisation, la définition, la séparation, la limitation des pouvoirs, voilà ce que j’entends par la Conslitution. Il De s’agit de rien de tout cela dans les arrêtés du 4 ; il s’agit de lois, et nous-mêmes avons reconnu que les lois devaient être revêtues de la sanction royale ; et le désir des peuples, comme leur intérêt, réclame cette sanction ; et j’entends par sanction la réunion du consentement, du sceau, de la promulgation; et je ne doute pas qu’une grande et une très-grande partie de l’Assemblée ne l’entende comme moi. Je ne me perdrai point dans la discussion de tous les étranges principes qui nous ont été révélés ; mais puisqu’on a parlé de lever le voile, je prétends, moi, le lever à mon tour et ne plus dissimuler aucune vérité. J’ai entendu murmurer encore cet éternel et banal reproche, ce nom d 'aristocratie, jadis odieux, aujourd’hui ridicule. Je l’ai prononcé, ce nom, avec autant d’indignation, je l’ai combattu avec autant de force, je l’ai poursuivi avec autant de persévérance que qui que ce soit, tant qu’il a signifié quelque chose ; mais j’avoue que je ne l’entends plus proférer qu’avec dégoût de- 638 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (14 septembre 1789.] puisque c'est un. mot vide de sens; et je ne crains pas de dire qu’il ne peut plus désormais être mis en action que par ceux-là mêmes qui en abusent dans le discours. Quant à l’autorité royale, je l’ai déjà dit, et je répète, que si les vertus du Roi peuvent me la rendre chère, c’est l’intérêt du peuple qui me la rend sacrée. Je puis dire encore qu’autant je respecte cette autorité dans son exercice légitime, autant j’en ai combattu les excès et les abus, et j’en prends à témoin, sinon l’Assemblée, entière, du moins une grande partie de l’Assemblée qui m’a entendu sur cet objet dans un autre lieu et à une autre époque; car j’ai toujours eu pour principe d’avoir des avis aussi forts, quand on me plaçait en deçà de la liberté, que modérés quand on voulait m’emporter au delà. Mais je demanderai si c’est de bonne foi qu’on peut craindre aujourd’hui les excès et les abus de l’autorité royale? Où est le despote? Où sont les suppôts du despotisme ? Où est l’armée? Oùsont même les courtisans? Les flatteurs aujourd’hui sont ceux qui médisent de l’autorité royale. Ah ! loin d’en craindre les excès, craign ex plutôt de nepou-voir pas de longtemps, même avec toute votre volonté, rendre au pouvoir exécutif la vie qu’il doit avoir. Portez vos regards autour de vous ; portez-les au loin ; voyez partout l’interruption des revenus publics, la cessation de toute justice, la disette au milieu de l’abondance, le despotisme au sein de l’anarchie, et craignez, si vous perdez encore des instants aussi précieux, de ne pouvoir plus retrouver cette unité d’action, ce centre de forces, qui seuls, dans un empire aussi vaste, peuvent tenir toutes les parties liées entre elles et maintenir la stabilité du grand ensemble. M. le comte de WIrleu. Qn a fait une observation importante sur l’ordre du jour. L’on devait examiner la question de savoir pendant combien de législatures le veto serait suspensif. Get ordre du jour, on propose de l’interrompre pour une question que l’anté-préopinant lui-même a dit être jugée. Par qui avons -nous été convoqués? C’est par le Roi • c’est vers lui que nous avons été envoyés, Sa puissance existait donc alors, et pourquoi n’existerait-elle pas aujourd’hui? Elle existait avant la nôtre. M. Marauda!. Le pouvoir de la nation existait avant celui du Roi. M. de Virieu. Nos commettants nous ont ordonné de respecter cette puissance. Nos cahiers sur ce point sont uniformes, et il a été déclaré qu’on ne pouvait s’en écarter, au moins sur les bases fondamentales. Il est écrit dans le cœur de tous les Français : Je suis libre ; et cela vaut bien des cahiers qui ont été écrits sous la verge du despotisme. Depuis que nous les traitons, ces points fondamentaux, il y a eu différents changements dans l’ordre de la discussion. 11 y en aurait bien moins sans les entêtés et les gens engoués de privilèges. Mais nous sommes revenus à cette question : combien d’années le Roi suspendra-t-il la loi proposée par une législature? Aujourd’hui, on propose un nouvel ordre; on dit qu’il faut que les arrêtés soient sanctionnés avant l’établissement de la prérogative royale. Je me bornerai à une seule proposition. Le pouvoir souverain n’a jamais changé, le Roi n’èst pas moins puissant qu’il ne l’a été, et la nation n’est pas plus qu’elle ne doit être. Si cette proposition est vraie, il est inutile de nous arrêter à là question que l’on nous propose. Si la question est avouée, le principe est faux : le Roi ne doit pas être si puissant qu’il était ; il ne doit pas être despote ; il l’était dans le fait. Maintenant l’on nous offre les arrêtés comme émanés du pouvoir constituant, mais en ce cas il faut faire le dépouillement de tous les actes qui devront être soumis à la sanction royale, et distinguer ceux du pouvoir constituant du pouvoir législatif. On parle de calme ; on dit que le peuple en a besoin ; le moyen de le ramener, c’est de consolider le pouvoir du monarque. Il est le premier après le pouvoir législatif. Je demande si, dans un moment où tous les pouvoirs sont anéantis, nos premiers travaux ne doivent pas être pour fixer les prérogatives du Roi. C’est là le moyen de rappeler le calme, de faire rendre la paix : ces droits sont dans nos cœurs, dans nos cahiers ; il faut les énoncer, et si quelqu’un s’y oppose il n’a qu’à se lever; qu’il se fasse connaître comme s’opposant aux travaux de l’Assemblée. On accumule les retards, les longueurs. 11 est temps de mettre un terme à nos lenteurs. Je demande que l’on passe à l’ordre du jour, et que l’on décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer quant à présent. Un membre des communes réfute M. de Virieu, en lui opposant une lettre de l’un des agents du clergé. Cette lettre est à peu près conçue ainsi: « Je vous prie de donner un état de vos biens ; car l’Assemblée nationale va un train que personne ne peut suivre, etc. » L’orateur, après quelques réflexions, finit par dire que le clergé ne la désavouera pas. Il en tire la conséquence que l’Assemblée nationale, du moins selon l’opinion de tous les individus, ne va pas si lentement dans les opérations. M. l’abbé de Montesquiou, sur qui portait le reproche de cette lettre, en sa qualité d’agent du clergé et comme auteur de la lettre, se justifie. Il prétend ,qu’il a demandé seulement l’état des biens de l’Eglise; que quant à son avis, il ne l’a nullement manifesté ; qu’il croit que, quant aux dîmes, la nation a fait une mauvaise opération en finance; mais que ce n’est pas l’offenser, que ce n’est pas de la part de l’Assemblée une erreur, mais un calcul fautif ; qu’elle a cru le clergé plus riche qu’il ne l’est ; qu’au , surplus, en demandant l’état des biens de l’Église, il n’a fait que céder aux sollicitations du comité ecclésiastique; que le mot de blâme ne peut entrer dans la tête d’un membre delà nation; et que s’il avait eu l’imprudence de le penser, il n’aurait pas été assez sot pour le dire, et surtout pour l’écrire. J’aurais pü, ajoute-t-il, me plaindre du secret violé ; mais ma délicatesse me commande le silence sur un reproche pareil. On revient à la question déjà jugée. M. itewbeli. Dès demain, les arrêtés seront sanctionnés ou ne le seront pas ; s’il ne le sont pas, il sera encore temps de délibérer sur la motion de M. Barnave, car la question de la durée du pouvoir suspensif conduira au moins' jusqu’à demain avant sa décision. ([Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 septembre 1789.] 639 M. l’abbé Slaury. IL est , quelquefois permis de changer l’ordre du jour. J’ai eu l’honneur de déclarer avant-hier à une partie de cette Assemblée. . .. (L’orateur est interrompu par des murmures). C’est être trop peu généreux d’interrompre un homme, quand on a la certitude de lui répliquer. Je reprends mon discours. L’Assemblée nationale a déjà prononcé par un décret que les arrêtés du 4 devaient être portés à la sanction. Les deux autres questions incidentes qui sont dans l’ordre du jour sont de savoir quelle sera la durée du veto suspensif, et quel sera l’intervalle après lequel les membres de l’Assemblée nationale pourront être réélus ; car le veto suspensif serait inutile et deviendrait illusoire, si les membres contre le vœu desquels le veto a été apposé pouvaient se représenter dans l’ Assemblée suivante. Tout le monde sent qu’ils ne peuvent être nommés députés tant que durera l’action du veto suspensif. Je reviens aux arrêtés du 4 août. M. le comte de Mirabeau a dit que ces arrêtés n’étaient pas des lois, mais des principes de Constitution. Quant à moi, je n’entends par la Constitution que le partage des pouvoirs ; tout le reste est de la législation ; et vous n’avez qu’à parcourir ces arrêtés, tous appartiennent à la législation. Mais ces lois, ou ces principes si l’on veut, ne sont pas encore rédigés; et cela est si vrai que, dans l’article XIX, vous annoncez que vous développerez les principes, et que vous les rédigerez en loi. 11 n’est donc pas temps encore de les porter à la sanction. S’il fallait juger des sentiments par les lettres, je déclare que l’on pourrait connaître presque le vœu de l’Assemblée par toutes celles que j’ai reçues. J’en ai un très-grand nombre èn mon pouvoir; et je les rendrai publiques. On verra ceux qui ont fomenté les troubles pbpulaires. On a prononcé sans cesse le mot de liberté , et les peuples l’ont écouté : mais est-ce la liberté de la presse? est-ce l’amortissement des lettres de cachet? Ces réformes ne vont pas jusqu’à eux. Le peuple a pris la licence pour là liberté; il s’est livré à des excès ; celui qui paie est armé, et celui qui doit faire payer est désarmé : voilà le véritable état de la France. II ne s’agit pas de prononcer avec précipitation des lois incohérentes, et desquelles dépend le bonheur public. Loin de nous toutes subtilités ; que les arrêtés du 4 soient examinés, soient éclaircis, et que, dès demain, ils soient soumis à notre délibération. Nous demandons à être entendus, et ce n’est pas dans une Assemblée aussi solennelle que l’on consentira à nous juger sans nous entendre. M. l*étioii de Villeneuve. 11 me semblé que le préopinant s’est écarté de la question, et s’est livré à des digressions qu’il aurait dû épargner à l’Assemblée. La question se réduit à un point fort simple : c’est de surseoira toute décision sur la prérogative royale, jusqu’à ce que le roi ait sanctionné les arrêtés du 4 août. Cette motion est dans l’ordre et voici ma raison : Samedi matin, on ne pouvait prévoir, lorsque l’on à posé la question à laquelle il faut surseoir, que l’on agiterait la question de savoir si les arrêtés du 4 seraient portés aü Roi pour être sanctionnés. Aujourd’hui rien n’est plus naturel que de surseoir à l’ordre du jour. On vous a demandé si les arrêtés pouvaient être sanctionnés; ils sont incomplets, dit-on ; les vérités qu’ils énoncent ne sont pas incomplètes ; elles sont de tous les temps, de tous les peuples. On dit que ces articles ne touchent point à la Constitution : le régime féodal, les privilèges des provinces, les justices seigneuriales ne touchent-ils donc pas à l’ordre social et à ja Constitution? Le Roi peut-il refuser sa sanction à de pareils articles? On nous a dit que l’Assemblée avait voulu jeter un voile religieux sur ces grandes questions, qu’ainsi il n’y avait lieu à délibérer j et moi je dis le contraire : je pense qu’il y a lieu à délibérer. Supposons que le Roi refuse sa sanction, il faut combattre ce refus; et voilà notre position actuelle. L’on dit qu’il est prudent d’attendre que le Roi se soit expliqué. Mais il me semble que notre comité de Gonstitulion nous a annoncé que le Roi n’avait pas le droit de refuser sa sanction. Ce principe a été publié ici, et nous avons le droit de le répéter. Il ne s’agit pas de traiter la question à fond ; la prudence exige une sürséance, et je ramène la motion à ses termes simples. Il s’agit de prononcer un ajournement, une interruption, et il faut attendre que la sanction ait été accordée par le Roi à tous les arrêtés du 4 août. M. Robespierre parle sur cette question préalable, et prouve qu’il faut délibérer. M. le comte de AÉirabeau. Bien loin de m’étonner et de m'affliger de l’espèce de chaleur qui se manifeste parmi nous, je m’en applaudis au contraire., La rtiatière qui l’excite paraît sans doute importante par le bruit même qu’elle occasionne , nous avons jeté, je le répète, un voile religieux sur une vérité avouée ; mais dès que cette vérité est attaquée, il faut tirer le voile pour la défendre. La question préalable me paraît évincée par la nécessité de délibérer sur la question présente ; et comme ce n’est pas par du bruit qu’il faut répondre, nous allons donner des raisons. La première objectiou est une fin de non-recevoir. Vous êtes dans une matière de Constitution, ou vous n’y êtes pas ; si vous y êtes, vous avez jeté un voile religieux sur la question qui touche la prérogative royale ; respectez le Rùi : si vous n’y êtes pas, vous êtes dans l’ordre du jour. Le voile religieux ne doit pas empêcher l’Assemblée nationale de s’expliquer et de manifester un principe qui est universel, et qui ne doit jamais souffrir des circonstances. Pour n’avoir pas voulu énoncer le principe, nous ne l’avons pas abandonné. Un autre membre a dit que ces articles n’étaient pas constitutionnels; je lui sais gré, dans les citations qu’il nous a données, de n’avoir pas parlé des pigeonniers ; mais ces articles se divisent : les uns sont constitutionnels, lès autres sont de petits sacrifices particuliers de munificence privée. Mais, certes, le régime féodal était constitutif; les philosophes diraient peut-être qu’il est anti-constitutionnel ; mais nous n’avorïs pas encore leur précision. Les privilèges de province ne sont pas relatifs à la Constitution. Ces principes ne sont pas contestés , même par M. l’Abbé Maury, qui appelle une Constitution la distribution des pouvoirs. Quant aux munificences privées du clergé, telles que le casuel, elles tiennent à la morale, et le clergé ne les révoquera certainement pas. J’ose attester encore à l’honorable membre qui nous a apporté son colombier, comme Tibulie son 640 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 septembre 1789.] moineau, que je n’en parle pas encore comme étant uîl principe constitutionnel. Il est un principe général dans le cœur et dans la tête de tous les membres de cette Assemblée, et qui décide la question : c’est que la volonté générale fait la loi, et elle s’est assez manifestée par les arrêtés, les adresses et les actes d’adhésion de toutes les provinces, par l’allégresse , et je demande si la volonté générale peut être plus solennellement manifestée. Je demande donc que l’arrêté, tel qu’il a été envoyé au bureau par M. Barnave, soit lu, et j’y adhère de toutes mes forces. M. Tronchet répète l’opinion, déjà développée par M. Robespierre, qu’il n’y a lieu à délibérer quant à présent. M. Barnave reproduit sa motion, et demande qu’il soit sursis à l’ordre du jour jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les arrêtés du 4 août et jours suivants, soit en obtenant du Roi la sanction de ces arrêtés, soit en déclarant que ces arrêtés ne sont pas soumis à la sanction. La question préalable est demandée sur cette motion. M. Emmery, tout en appuyant le sentiment de M. Tronchet, a cru devoir la diviser, et qu’on ne devait s’occuper que du premier membre. Sur les observations de M. Emmery, M. Barnave retire la seconde partie de sa motion, et en conséquence elle se réduit à ceci : Surseoir à la délibération jusqu'à ce que les décrets du 4 août et jours suivants aient obtenu la sanction. Un membre demande, d’après l’incertitude où l’on est encore sur la définition de sanction, si M. Barnave entend, par sanction, le consentement du Roi, c’est-à-dire le veto , ou bien l’acte matériel qui donne l’authenticité à là loi ? Dans la seconde hypothèse, la question se réduit à savoir si le Roi peut ou non refuser la promulgation-, dans la première, la question est même que pour le veto. M. Malouet observe que les décrets du 4 ne sont pas exécutoires, qu’il faut un développement, et que de là naîtront les lois. M. le Président le rappelle à l’ordre. M. Lie Chapelier. Je fais un amendement à la motion de M. Barnave : il consiste à substituer le mot promulgation au mot sanction. Je soutiens qu’il est inutile de recevoir la sanction royale pour des arrêtés auxquels Sa Majesté a donné une approbation authentique, tant par la lettre qu’elle m’a remise lorsque j’ai eu l’honneur d’être l’organe de l’Assemblée, que par les actions solennelles de grâces et le Te Deum chanté à la chapelle du Roi. Trop longtemps les peuples sont restés dans l’attente de la promulgation de ces décrets; il est temps enfin de les rassurer et de faire évanouir l’incertitude qui les tourmente à cet égard; il faut que ces décrets soient promulgués. M. Target appuie le sentiment de M. Le Chapelier. Un membre de la noblesse répond avec chaleur à M. Le Chapelier, mais sans qu’on puisse distinguer ses motifs. M. le Président, voulant ramener les esprits, résume les questions, et semble pencher du côté défavorable à la noblesse. Un noble lui demande de s’expliquer sur son opinion. M. le Président lui observe qu’il doit être impassible, que son devoir est de poser les questions, et de rappeler à l’ordre quand on s’en écarte ; que c’est ce qu’il a fait. Depuis longtemps on demandait la question préalable, chicane ordinaire du parti qui veut éluder une question ; des nobles, et entre autres celui qu’on connaît pour se laisser emporter jusqu’à laisser échapper des f.... (M. de Yirieu), se comportaient comme des furieux. Ses voisins avaient toutes les peines du monde à le retenir. Cet homme atrabilaire ou enthousiaste défavorisait, à force de colère, la cause qu’il défendait. M. Barnave propose une seconde rédaction ; la voici : Qu’il soit sursis à l’ordre du jour jusqu’à ce que les articles du 4 août et jours suivants aient été promulgués par le Roi ; que l’Assemblée, etc. Puis enfin une troisième version, à peu près la même que la seconde : Qu’il soit sursis à l’ordre du jour jusqu’à ce que la promulgation des articles du 4 août et jours suivants ait été faite par le Roi, et que l’Assemblée, etc. La priorité est réclamée pour la dernière ver sion, et elle est décidée à la majorité, après une seconde épreuve. M. le Président propose la question préalable, c’est-à-dire la question de savoir s’il y a lieu ou non à délibérer sur la motion de M. Barnave ; mais il est impossible au président de prononcer le décret. Il était prêt à décider qu’il n’y avait lieu à délibérer, parce qu’il avait cru voir la majorité pour cette opinion ; mais les réclamations opiniâtres d’une grande partie de l’Assemblée l’ont empêché de prononcer conformément à ce qu’il croyait avoir vu. Enfin la séance se termine sans rien décider. L’Assemblée se retire tumultueusement, à trois heures et demie. Séance du lundi 14 septembre 1789, au soir. Il a été fait lecture d’une lettre adressée à M. le président par M. de Saint-Sauveur, évêque de Bazas. Ce député demande à l’Assemblée nationale la permission d’êlre remplacé par son suppléant, et de se retirer à raison de son grand âge et de ses infirmités. M. Président a annoncé que l’ordre de la séance était de s’occuper successivement d’un arrêté précédemment proposé par le comité des subsistances, et d’entendre ensuite quelques rapports du comité des recherches. Alors un des membres a observé que l’Assemblée ayant décrété, dans sa séance du 12 au soir, que les arrêtés du 4 août et jours suivants, ainsi que celui par elle porté relativement aux subsistances, seraient incessamment présentés au Roi pour être sanctionnés.