473 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 octobre 1789.] est instruite, et d’empêcher l’effet des moyens que les ennemis du bien public emploient pour troubler l’ordre et la tranquillité de la capitale, a arrêté que MM. le marquis de Saiseval, Mollieur, Cellier, d’Aval, Lefèvre et Anson se transporteraient sur-le-champ à l’Assemblée nationale, pour la supplier de vouloir bien à l’instant porter la loi contre les attroupements. « Signé : BAILLY, maire ; BLONDEL, président; VlGÉE, secrétaire. » M. le Président répond aux députés de la commune de Paris que l’Assemblée s’occupe de la loi contre les attroupements, et qu’elle ne lèvera pas la séance sans l’avoir décrétée. Cette nouvelle députation s’étant retirée, M. le garde des sceaux s’est fait annoncer; il a été introduit d’après le vœu de l’Assemblée. M. Champion de Cicé, garde des sceaux, archevêque de Bordeaux. Messieurs, je viens vous offrir les éclaircissements que vous pouvez désirer, et qui sont relatifs aux fonctions qui m’ont été confiées par le Roi. Devenu dépositaire du sceau de la loi, sans avoir cessé d’être membre de cette Assemblée, ma première parole a été pour professer hautement la responsabilité des ministres ; et je verrai toujours avec satisfaction qu’il me soit permis de' faire connaître les principes et les actes de mon administration, non-seulement à l'Assemblée nationale, mais même à chacun de ses membres. Si, malgré mon extrême attention à me conformer à vos décrets, il m’échappait quelque erreur, elle serait involontaire, et je m’empresserais de la rétracter. Les éclaircissements que vous attendez de moi, Messieurs, ont pour objet divers décrets de cette Assemblée , ou plutôt la manière dont ils ont été sanctionnés ou publiés. Et d’abord je prendrai la liberté de vous observer que les conditions désormais nécessaires pour constituer une loi, et pour la rendre exécutoire, n’ont été déterminées par vous que dans les articles de Constitution que vous avez décrétés, et que le Roi a acceptés purement et simplement à Versailles, le lundi 5 octobre. C’est depuis cette époque, et d’après les dispositions décrétées par vous, que les ministres du Roi ont pu connaître la loi à laquelle ils étaient soumis. Depuis cette époque, vous n’avez présenté à la sanction du Roi que les décrets des 8 et 9 octobre, portant réformation de quelques points de la jurisprudence criminelle. J’ai pris aussitôt les ordres du Roi; et en conséquence des lettres patentes, portant sanction de ce décret, ont dû être adressées à tous les tribunaux du royaume. Je dis que ces lettres patentes ont dû être adressées aux tribunaux, parce que l’envoi aux tribunaux, et la publication quelconque des lois n’est pas une fonction de mon office, mais de MM. les secrétaires d’Etat. Mais, vous le savez, mon zèle n’a rien négligé pour qu’une loi aussi intéressante reçût partout une prompte et facile exécution. Antérieurement à l’époque du 5 de ce mois, c’est-à-dire avant qu’une loi précise eût déterminé notre conduite, les ministres du Roi n’ont pu que suivre les mouvements de leur zèle, pour correspondre à vos intentions. Et vous-mêmes, I Messieurs, qui n’aviez pas encore exprimé, ni même délibéré les principes que vous avez depuis établis pour la confection et la sanction des lois, vous avez diversifié la forme de vos demandes. Tantôt vous avez demandé la sanction pure et simple; d’autres fois vous avez voté la promulgation; quelquefois la simple publication, et enfin l’acceptation. Il est des décrets dont vous avez spécialement demandé l’adresse aux tribunaux, d’autres, où cette condition n’est pas stipulée. Les ministres du Roi, privés du précieux avantage de communiquer avec vous, n’ont pu que proposer au Roi, pour satisfaire à vos décrets, les mesures que leur indiquaient les formes antiques non encore abrogées. C’est par cette raison que vos célèbres arrêtés des 4 août et jours suivants, ont été imprimés à l’imprimerie royale, avec l’ordre, signé du Roi, qui en ordonne l’impression et la publication, conformément à la réponse que Sa Majesté vous avait faite sur la demande de la promulgation de ces arrêtés. Vous aviez vous-mêmes envoyé ces arrêtés dans toutes les provinces avant de les présenter à la sanction du Roi; vous avez depuis ordonné l’impression des observations que le Roi vous a communiquées; et il ne m’est pas connu que vous ayez jamais demandé au Roi d’adresser vos arrêtés� soit aux tribunaux, soit aux municipalités. Cependant, je crois être sûr que MM. les secrétaires d’Etat en ont envoyé dans toutes les provinces avec profusion. Il vous a été dit que la première réponse que le Roi vous a faite sur les arrêtés avait eu la même publicité. Il est vrai, Messieurs, qu’elle a été imprimée le jour même qu’elle vous a été rendue, et cette circonstance est commune à toutes les communications qui ont existé entre l’Assemblée nationale et Sa Majesté. Cette publicité est la suite du caractère franc et loyal qui distingue le Roi, et je pourrais dire aussi, Messieurs, la suite de vos propres principes. Les décrets concernant la libre circulation des grains dans l’intérieur du royaume ne pouvaient, suivant nous, être trop tôt connus dans le royaume : mon zèle m’a inspiré de les faire d’abord adresser à toutes les municipalités, aux commandants des troupes du Roi, à ceux des milices nationales, et à ceux des maréchaussées. Cette adresse a été ordonnée par le Roi le 21 septembre dernier, et MM. les secrétaires d’Etat ont mis, sans doute, le plus grand empressement à se conformer aux intentions de Sa Majesté. Peu de jours après, une loi conforme à ces mômes décrets, et qui ne contient pas d’autres dispositions, a été adressée à tous les tribunaux. Je dois dire ici, Messieurs, qu’on ne trouve pas dans cette loi le dernier article de votre décret du 18 septembre, qui prescrit principalement l’envoi aux municipalités; et cette omission a eu deux motifs lrè--naturels. Le premier est que l'envoi de ces décrets venait d’être lait par ordre du Roi, directement à toutes les municipalités; le second est que, dans les formes anciennes, les lois ne s’adressent qu’aux seuls tribunaux, et que la publicité, qui est la suite de leur enregistrement, suffit pour astreindre légalement tous les corps et les particuliers à l’observation des lois. Je passe à l’article de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et aux points de Constitution que vous avez présentés au Roi en lui demandant son acceptation. 474 [Assemblée nationale.] Il vous l’a accordée purement et simplement ainsi que vous l’avez désiré; et c’est tout ce qu’il nous était possible de proposer à Sa Majesté, puisque votre demande était bornée à cette acceptation. Le décret stir la gabelle a été sanctionné purement et simplement et dans son entier ; mais le premier ministre des finances a cru devoir proposer d’v annexer un règlement dont l’objet est de prescrire les moyens d’exécution de votre décret. Par exemple, il fallait bien, après avoir ordonné que le sel serait désormais débité au poids et non à la mesure, déterminer le temps indispensable pour garnir les greniers des ustensiles nécessaires à la pesée, et fixer l’époque où le sel devra être débité au poids. C’est ainsi que dans le même règlement, le Roi se réserve de faire incessamment les dispositions convenables pour la suppression des commissions de Valence, Saümur et Reims. Cette suppression devait être opérée par des lettres patentes adressées aux cours des aides, et c’est ce qui a été exécuté. Je crois. Messieurs, vous avoir donné les éclaircissements que vous attendiez de moi, et surtout vous avoir prouvé de plus en plus la pureté des sentiments des ministres du Roi. Vous l’avez proclamé le restaurateur de la liberté française à l’instant même où vous daigniez le remercier du choix de ses nouveaux conseils. Il le sera, n*en doutez pas, Messieurs, pourvu qu’il ne rencontre pas après nous des ministres qui osent à la fois tromper le meilleur des rois, et ne pas respecter les droit? sacrés des peuples. M. le Président. L’Assemblée nationale prendra en considération les éclaircissements que vous venez de lui soumettre. M. le garde des sceaux se retire. M. Target, membre du comité de Constitution, fait lecture du projet de loi contre les attroupements , tel qu’il vient d’être rédigé par le comité. M. de la Galissonnière propose de mander tous les ministres pour leur ordonner d’empêcher, par les mesures les plus efficaces, les accaparements dans les provinces, les exportations, et de favoriser la circulation intérieure. Il pense qu’il faut aussi mander MM. Bailly et de Lafayette, et leur enjoindre de se servir de tous leurs moyens pour réprimer les désordres de la capitale. M. Ricard de Séalt. La loi martiale demandée ne sera pas suffisante; les gens puissants trouveront moyeu d’y échapper. Saisissez ce moment prour créer un tribunal qui jugera les crimes de lèse-nation; mais il faut qu’il soit nouveau pour inspirer le respect nécessaire à la tranquillité de ses fonctions, qu’il soit pris dans votre sein, et composé d’un membre de chaque généralité; il aura un président, deux procureurs généraux; jugera en dernier ressort, et ses arrêts seront signés par le Roi. M. Glezen. La motion de M. Rarnave est susceptible d’un amendement. Il faut dire qu’il est enjoint au comité de police de se concerter avec le comité des recherches, et non au comité des recherches de se concerter avec le comité de police. M. Pétîon de Villeneuve. Quelque affligés que nous soyons de l’état de la capitale, nous de-[21 octobre 1789.] vons l’être aussi denotre position. On nous engage à veiller aux subsistances de Paris; nos seuls moyens consistent à rendre les décrets nécessaires. On a rendu le comité de subsistances inutile ; nos décrets n’ont pas été exécutés. Il serait dangereux que le peuple crût que nous pouvons exercer une surveillance qui est hors de nos fonctions; bientôt il nous rendrait responsables des événements. Faisons-lui connaître que nous avons rendu les décrets qui dépendaient de nous, et que c’est au pouvoir exécutif de veillera leur exécution. J’adopte la motion de M. Rarnave amendée par M. Gle-zen. M. Buzot. Il ne suffit pas d’effrayer le peuple par des lois sévères, il faut encore le calmer. Gréons le tribunal demandé; annonçons qu’ainsi que ses ennemis, des citoyens seront punis. Des promesses vaines aigrissent le peuple; la loi martiale seule pourrait exciter une sédition. Ce tribunal augmentera nos forces et le zèle des bons Français à nous offrir les renseignements nécessaires à leur vengeance. Je demande que le comité de Constitution présente lundi un projet sur la formation de ce tribunal. M. Duport propose, afin d’allier la tranquillité avec la liberté, et de prévenir la nécessité de ces mesures terribles, d’ajouter un autre article qu’il rédige ainsi : « Au premier attroupement apparent il sera, par les officiers municipaux, demandé aux personnes attroupées la cause de leur réunion et le grief dont elles demandent le redressement; elles seront autorisées à nommer six personnes pour exposer leur réclamation et présenter leur pétition. Après cette nomination, les personnes attroupées seront tenues de se séparer sur-le-champ, et de se retirer paisiblement. » M. Robespierre. Ne serait-il donc question dans cette discussion que d’un fait isolé, que d’une seule loi?.... Si nous n’embrassons pas à la fois toutes les mesures, c’en est fait de la liberté; les députés de la commune vous ont fait un récit affligeant; ils ont demandé du pain et des soldats. Ceux qui ont suivi la Révolution ont prévu le point où vous êtes : ils ont prévu que les subsistances manqueraient; qu’on vous montrerait au peuple comme sa seule ressource : ils ont prévu que des situations terribles engageraient à vous demander des mesures violentes, alin d’immoler à la fois, et vous et la liberté. On demande du pain et des soldats, c’est dire : le peuple attroupé veut du pain ; donnez-nous des soldats pour immoler le peuple. On vous dit que les soldats refusent de marcher... ehl peuvent-ils se jeter sur un peuple malheureux dont ils partagent le malheur? Ce ne sont donc pas des mesures violentes qu’il faut prendre, mais des décrets sages, pour découvrir la source de nos maux, pour déconcerter la conspiration qui peut-être dans le moment où je parle ne nous laisse plus d’autres ressources qu’un dévouement illustre. Il faut nommer un tribunal vraiment national. Nous sommes tombés dans une grande erreur, en croyant que les représentants de la nation ne peuvent juger les crimes commis envers la nation. Ges crimes, au contraire, ne peuvent être jugés que par la nation, ou par ses représentants, ou par des membres pris dans votre sein. Qu’on. ne parle pas de. Constitution quand tout se réunit pour l’écraser dans son berceau. Des mandements incendiaires sont publiés, les provinces s’agitent, archives parlementaires.