SÉANCE DU 25 FLORÉAL AN II (14 MAI 1794) - N° 35 329 mune de Paris ont fourni carrière à l’intrigue qui a trouvé moyen de s’y introduire et de dénaturer ainsi un des plus sûrs moyens que le patriotisme avait trouvé pour la déjouer; considérant que le gouvernement ayant besoin d’un centre et d’une activité qui ne peut être entravée sous aucun prétexte, considérant que la Société populaire séante dans la section de la Halle-au-Bled qui n’a cessé de marcher d’un pas égal dans la révolution qui a pris son origine au mois de 9bre 1792 (vieux style) au moment où la faction girondine voulait assassiner la liberté, qui la première a appelé la vengeance nationale sur la tête des Pétion, Barbaroux, Buzot, etc. doit encore donner une preuve constante de son amour pour la liberté, de son attachement au gouvernement révolutionnaire qui doit nous l’assurer, arrête qu’à compter de ce jour ses séances sont suspendues, que le président communiquera demain le présent arrêté à la Convention nationale, au Comité de salut public et à la Société populaire des Jacobins avec le nom des citoyens qui composent la Société; que le sceau de la Société sera remis au Comité révolutionnaire, et qu’elle s’assemblera pour la dernière fois septidi prochain pour entendre les comptes de la Société et satisfaire aux objets qui pourraient être dus, sans qu’on puisse délibérer à cette séance; et par un mouvement spontané et qui était dans tous les cœurs, tous les membres de la Société ont juré de se radier et de maintenir la République une et indivisible, et de ne jamais se séparer de la Convention nationale. Lavaux (vice-présid.). P.c.c : Le Guay (secrét.). (Applaudi.) 35 Le conseil-général de la commune de Paris [ayant le maire à sa tête] est admis à la barre : il félicite la Convention nationale sur le décret qu’elle a rendu le 18 floréal; et jaloux de faire disparoître tous les signes de la superstition et de propager les idées religieuses qui servent de base à la morale publique, il a arrêté que, sur tous les temples destinés aux fêtes publiques, on effaceroit ces mots, Temple consacré à la Raison, et que l’on y substitueroit cette inscription : à l’Etre suprême (1) . L’ORATEUR de la députation : Législateurs, Toutes les loix que vous donnez au peuple français pour la régénération de l’esprit public et l’affermissement de la liberté sont dictées par une philosophie politique. Les vertus, les mœurs, la probité servent de base à vos profondes discussions sur le salut de la patrie. Vous opposez aux efforts de l’Europe étonnée un peuple de héros représenté par des hommes de génie. Dans vos sublimes méditations, vous avez pensé que le bonheur du peuple se composait également de loix salutaires et de la morale publique, et qu’il était tems enfin de proclamer d’utiles opinions défigurées par le fanatisme, l’idée naturelle de (1) P.V., XXXVII, 213. l’existence de Dieu et la pensée consolante de l’immortalité de l’âme. Les efforts des ennemis de la révolution tournent toujours au profit de la révolution même. Ses premiers ennemis essayèrent de détruire la liberté, par l’anarchie de leurs excès, naquit la République. Les derniers conjurés ont employé tous les moyens pour anéantir la liberté par l’athéisme, des principes simples dont la nature fait un besoin à tous les cœurs se sont élevés sur les ruines dont ils nous avaient environnés. Ils ont voulu détruire la morale pour renverser la République qui repose sur cette base éternelle. Ils ont voulu outrer toutes nos vertus pour les rendre ridicules. Le patriotisme, ce sentiment pur et désintéressé, ils l’ont fait consister en un costume affecté; c’est ainsi que les prêtres, transformèrent la religion en des cérémonies bizarres, des signes superstitieux. Ils ont remplacé la fierté républicaine par l’insolence, la sévérité par l’injustice et la philosophie par l’intolérance. La comédie que jouaient des prêtres profondément hypocrites, commençait à tomber, faute de dupes pour les payer ou de spectateurs pour les entendre. Ils voulaient réveiller le fanatisme, ils excitèrent avec des intentions perfides un mouvement violent contre les cultes; mais leur espoir fut trompé, les étincelles du fanatisme furent étouffées par le bon esprit du peuple, votre sagesse et leur folie. L’idée de la vertu les importunait, ils voulurent créer une République sans vertu; l’idée d’un dieu était pour eux un reproche terrible, ils travaillèrent à créer urne religion sans dieu. Ils se réservèrent à juste titre les places de prêtres. Ils élevèrent des temples à la Raison; ils voulurent la rendre complice de leurs extravagances et de leurs attentats contre la divinité. Mais quelle était cette Raison à laquelle ils élevaient des temples ? Etait-ce à la raison éternelle qui gouverne le monde et qui préside à vos travaux ? Non sans doute puisqu’ils divinisaient en même temps l’athéisme. Etait-ce à la raison humaine qui croît avec nous, qui ne se forme que des leçons d’une longue expérience ? Ils ne pouvaient concevoir une idée aussi absurde et le peuple n’aurait d’ailleurs pas souffert qu’on eut outragé sa raison en lui dressant des autels. Est-ce à leur propre raison ? Mais des Français auraient-ils consenti à adorer la raison d’Hébert et de Chaumette. Ainsi ce mot la Raison prenait dans leurs bouches toutes les significations qui pouvaient être utiles à leurs intérêts; tantôt éclatait l’insurrection contre la liberté, tantôt c’était la femme d’un conspirateur (1) portée en triomphe au milieu du peuple. Un jour c’était l’actrice (2) qui la veille avait joué le rôle de Vénus ou de Junon; ou bien la Raison était représentée par un prêtre sexagénaire et fanatique, vieilli à l’ombre des autels de la superstition, dévoré de la soif de l’or et du pouvoir, se faisant un honneur de déclarer effrontément qu’il avait enseigné pendant vingt ans des erreurs et des absurdités auxquelles il n’avait jamais ajouté foi (3). Quel aveu! quelle probité ! quelle délicatesse ! (1) La femme de Momoro (précision donnée par Mon., XX, 524). (2) Mme Aubry, danseuse à l’Opéra, connue depuis sous le nom de Liberté-Aubry (id.) . (3) L’évêque de Paris, Gobel (id.). SÉANCE DU 25 FLORÉAL AN II (14 MAI 1794) - N° 35 329 mune de Paris ont fourni carrière à l’intrigue qui a trouvé moyen de s’y introduire et de dénaturer ainsi un des plus sûrs moyens que le patriotisme avait trouvé pour la déjouer; considérant que le gouvernement ayant besoin d’un centre et d’une activité qui ne peut être entravée sous aucun prétexte, considérant que la Société populaire séante dans la section de la Halle-au-Bled qui n’a cessé de marcher d’un pas égal dans la révolution qui a pris son origine au mois de 9bre 1792 (vieux style) au moment où la faction girondine voulait assassiner la liberté, qui la première a appelé la vengeance nationale sur la tête des Pétion, Barbaroux, Buzot, etc. doit encore donner une preuve constante de son amour pour la liberté, de son attachement au gouvernement révolutionnaire qui doit nous l’assurer, arrête qu’à compter de ce jour ses séances sont suspendues, que le président communiquera demain le présent arrêté à la Convention nationale, au Comité de salut public et à la Société populaire des Jacobins avec le nom des citoyens qui composent la Société; que le sceau de la Société sera remis au Comité révolutionnaire, et qu’elle s’assemblera pour la dernière fois septidi prochain pour entendre les comptes de la Société et satisfaire aux objets qui pourraient être dus, sans qu’on puisse délibérer à cette séance; et par un mouvement spontané et qui était dans tous les cœurs, tous les membres de la Société ont juré de se radier et de maintenir la République une et indivisible, et de ne jamais se séparer de la Convention nationale. Lavaux (vice-présid.). P.c.c : Le Guay (secrét.). (Applaudi.) 35 Le conseil-général de la commune de Paris [ayant le maire à sa tête] est admis à la barre : il félicite la Convention nationale sur le décret qu’elle a rendu le 18 floréal; et jaloux de faire disparoître tous les signes de la superstition et de propager les idées religieuses qui servent de base à la morale publique, il a arrêté que, sur tous les temples destinés aux fêtes publiques, on effaceroit ces mots, Temple consacré à la Raison, et que l’on y substitueroit cette inscription : à l’Etre suprême (1) . L’ORATEUR de la députation : Législateurs, Toutes les loix que vous donnez au peuple français pour la régénération de l’esprit public et l’affermissement de la liberté sont dictées par une philosophie politique. Les vertus, les mœurs, la probité servent de base à vos profondes discussions sur le salut de la patrie. Vous opposez aux efforts de l’Europe étonnée un peuple de héros représenté par des hommes de génie. Dans vos sublimes méditations, vous avez pensé que le bonheur du peuple se composait également de loix salutaires et de la morale publique, et qu’il était tems enfin de proclamer d’utiles opinions défigurées par le fanatisme, l’idée naturelle de (1) P.V., XXXVII, 213. l’existence de Dieu et la pensée consolante de l’immortalité de l’âme. Les efforts des ennemis de la révolution tournent toujours au profit de la révolution même. Ses premiers ennemis essayèrent de détruire la liberté, par l’anarchie de leurs excès, naquit la République. Les derniers conjurés ont employé tous les moyens pour anéantir la liberté par l’athéisme, des principes simples dont la nature fait un besoin à tous les cœurs se sont élevés sur les ruines dont ils nous avaient environnés. Ils ont voulu détruire la morale pour renverser la République qui repose sur cette base éternelle. Ils ont voulu outrer toutes nos vertus pour les rendre ridicules. Le patriotisme, ce sentiment pur et désintéressé, ils l’ont fait consister en un costume affecté; c’est ainsi que les prêtres, transformèrent la religion en des cérémonies bizarres, des signes superstitieux. Ils ont remplacé la fierté républicaine par l’insolence, la sévérité par l’injustice et la philosophie par l’intolérance. La comédie que jouaient des prêtres profondément hypocrites, commençait à tomber, faute de dupes pour les payer ou de spectateurs pour les entendre. Ils voulaient réveiller le fanatisme, ils excitèrent avec des intentions perfides un mouvement violent contre les cultes; mais leur espoir fut trompé, les étincelles du fanatisme furent étouffées par le bon esprit du peuple, votre sagesse et leur folie. L’idée de la vertu les importunait, ils voulurent créer une République sans vertu; l’idée d’un dieu était pour eux un reproche terrible, ils travaillèrent à créer urne religion sans dieu. Ils se réservèrent à juste titre les places de prêtres. Ils élevèrent des temples à la Raison; ils voulurent la rendre complice de leurs extravagances et de leurs attentats contre la divinité. Mais quelle était cette Raison à laquelle ils élevaient des temples ? Etait-ce à la raison éternelle qui gouverne le monde et qui préside à vos travaux ? Non sans doute puisqu’ils divinisaient en même temps l’athéisme. Etait-ce à la raison humaine qui croît avec nous, qui ne se forme que des leçons d’une longue expérience ? Ils ne pouvaient concevoir une idée aussi absurde et le peuple n’aurait d’ailleurs pas souffert qu’on eut outragé sa raison en lui dressant des autels. Est-ce à leur propre raison ? Mais des Français auraient-ils consenti à adorer la raison d’Hébert et de Chaumette. Ainsi ce mot la Raison prenait dans leurs bouches toutes les significations qui pouvaient être utiles à leurs intérêts; tantôt éclatait l’insurrection contre la liberté, tantôt c’était la femme d’un conspirateur (1) portée en triomphe au milieu du peuple. Un jour c’était l’actrice (2) qui la veille avait joué le rôle de Vénus ou de Junon; ou bien la Raison était représentée par un prêtre sexagénaire et fanatique, vieilli à l’ombre des autels de la superstition, dévoré de la soif de l’or et du pouvoir, se faisant un honneur de déclarer effrontément qu’il avait enseigné pendant vingt ans des erreurs et des absurdités auxquelles il n’avait jamais ajouté foi (3). Quel aveu! quelle probité ! quelle délicatesse ! (1) La femme de Momoro (précision donnée par Mon., XX, 524). (2) Mme Aubry, danseuse à l’Opéra, connue depuis sous le nom de Liberté-Aubry (id.) . (3) L’évêque de Paris, Gobel (id.). 330 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Enfin une mythologie plus absurde que celle des anciens, des prêtres plus corrompus que ceux que nous venions de renverser, des déesses plus avilies que celles de la fable, allaient régner en France. La Convention vit ces conspirateurs... ils ne sont plus. Il fallait néanmoins détruire sans retour leur doctrine insensée; il fallait substituer à toutes les superstitions des principes dignes des partisans de la liberté. Vous avez mis la morale et la justice à l’ordre du jour; il fallait donner un soutien à la morale que l’on avait essayé de pervertir. Citoyens et Législateurs, tout ensemble, vous avez dû envisager ces questions sous ces deux points de vue. Comme citoyens vous étiez pénétrés de l’idée de l’existence d’un Dieu, parce que vos consciences pures et justes ne vous portent point à redouter une divinité bienfaisante... Vous étiez persuadés que l’âme est immortelle, parce que l’idée du néant est un supplice pour les cœurs vertueux, et qu’il est doux pour des citoyens de penser qu’ils pourront s’occuper encore de leur patrie, même lorsqu’ils auront cessé de vivre. Comme Législateurs vous avez pensé que vous deviez favoriser toutes les idées qui élèvent l’âme, qui peuvent rendre l’homme bon dans la prospérité, et grand dans le malheur ! Vous avez senti que les principes consolans de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, étaient un encouragement pour la vertu, un frein pour le crime. Qu’elle doit être sage et régulière la conduite de l’homme persuadé qu’il est sans cesse environné d’un Dieu bienfaisant qui lit dans son cœur, qui voit toutes ses actions, qui distingue dans sa sagesse l’homme juste de l’homme pervers. Oui, l’Etre suprême qui met tout en mouvement dans la nature, abaisse des regards de bienveillance sur l’homme de bien; cette pensée sans doute entraîne le citoyen vers la vertu, elle est la récompense du bien qu’elle lui fait aimer, elle le rend indulgent et facile envers les malheureux, elle adoucit la pente qui le conduit au cercueil et du sein même de la tombe, elle fait renaître une flatteuse espérance. Si l’idée de l’existence d’un dieu est précieuse à l’homme de bien, elle est odieuse au méchant, et c’est ainsi qu’elle est utile à la société. L’homme pervers, effrayé de cette doctrine se croit sans cesse environné d’un témoin puissant et terrible auquel il ne peut échapper, qui le voit, qui le poursuit dans le silence des ténèbres, qui veille tandis que les hommes sont livrés au sommeil, et qu’il croit entendre au plus faible bruit qui vient frapper ses oreilles. Mais quand même cette image ne ferait que représenter quelquefois au méchant le tableau déchirant des crimes dont il osa se souiller, quand il n’aurait retenu qu’une seule fois son bras prêt à commettre un forfait, qu’ils seraient coupables les fonctionnaires publics qui travailleraient à enlever à l’homme le frein utile que la nature oppose à la perversité ! Par les décrets immuables de la divinité, le sort de l’homme de bien et du méchant ne sera sans doute pas le même au-delà du trépas. Par vos lois aussi sages que justes, ils n’auront plus la même destinée sur la terre. Ce n’est point une religion que vous avez créée, ce sont des principes simples, éternels, que le souvenir récent de la superstition et de l’athéisme vous a mis dans le cas de rappeler aux hommes. Ainsi lorsque vous posâtes les fondemens de l’égalité, le souvenir récent de la tyrannie vous engagea à proclamer les droits imprescriptibles de l’homme. C’est en vain que la malveillance s’efforcera de persuader que votre immortel décret fera sortir de sa bouche ensanglantée le monstre hideux du fanatisme. Le Législateur qui l’a proposé a, dans son rapport, assimilé les prêtres aux rois... d’après cette idée bien juste quel est le citoyen qui voulût être prêtre aujourd’hui ? Quel est celui qui ne préférera pas des principes simples, éternels, comme la nature, à un culte mystique inexplicable ? Un dieu juste et bienfaisant au dieu des prêtres ? Eh, quel besoin aurons-nous jamais des prêtres ? Abandonnerions-nous à nos semblables le plaisir d’être utile à notre patrie et chérir nos parens ? Choisirons-nous des hommes pour offrir à notre place à l’Etre suprême des hommages que nous aimons à lui rendre. Nous l’honorerons nous mêmes par nos vertus c’est le seul culte que nous lui rendrons; nous ne nous occuperions pas à le définir, nous ne lui donnerions que nos vices et nos passions. Nous aurons de lui une idée si sublime que nous ne le dégraderons pas en lui donnant une figure, un corps semblable au nôtre. Eh, qu’est-il besoin de le représenter aux yeux des hommes ? Tous les ouvrages sortis de ses mains, tous les dons qu’il nous a faits ne le rendent-ils pas sensible à tous les cœurs, visible à tous les regards ? Le conseil général de la commune de Paris, pénétré de respect et de reconnaissance pour les Législateurs qui ont proclamé ces principes éternels, jaloux de faire disparaître tous les signes de la superstition et de propager les idées religieuses qui servent de base à la morale publique, a arrêté que sur tous les temples destinés aux fêtes publiques, on effacerait ces mots : Temple consacré à la Raison, et que l’on y substituerait cette inscription : A l’Etre suprême, que cet arrêté serait présenté à la Convention nationale par une députation de tous ses membres (1) . (Vivement applaudi). Le PRESIDENT : La Convention nationale, en reconnaissant l’existence de l’Etre suprême, a proclamé le langage de toute la nature et les sentimens de tous les peuples. Mais instruite des maux innombrables que le fanatisme a versés sur la terre, elle ne souffrira jamais que ce principe consolateur devienne le prétexte d’une sanguinaire intolérance. Le règne des prêtres est passé, comme celui des tyrans, la philosophie qui depuis long-tems prépare à la France la liberté et le bonheur, la philosophie dont les amis de l’humanité n’oublieront jamais les bienfaits, a fait tomber leurs idoles, et ne permettra point que la superstition les relève. La Convention nationale a entendu avec intérêt l’expression des sentimens d’une commune qui, dans tous les tems, a bien mérité de la patrie, et elle vous invite aux honneurs de la séance (2) . JULIEN (de la Drôme) : Cette adresse contient les mêmes principes que vous avez applaudi C 302, pl. 1097, p. 16, signé Fleuriot (maire prov.); l’orateur était le citoyen Payen, agent nat. Reproduit dans Mon., XX, 523-524. (2) J. Paris, n° 504. 330 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Enfin une mythologie plus absurde que celle des anciens, des prêtres plus corrompus que ceux que nous venions de renverser, des déesses plus avilies que celles de la fable, allaient régner en France. La Convention vit ces conspirateurs... ils ne sont plus. Il fallait néanmoins détruire sans retour leur doctrine insensée; il fallait substituer à toutes les superstitions des principes dignes des partisans de la liberté. Vous avez mis la morale et la justice à l’ordre du jour; il fallait donner un soutien à la morale que l’on avait essayé de pervertir. Citoyens et Législateurs, tout ensemble, vous avez dû envisager ces questions sous ces deux points de vue. Comme citoyens vous étiez pénétrés de l’idée de l’existence d’un Dieu, parce que vos consciences pures et justes ne vous portent point à redouter une divinité bienfaisante... Vous étiez persuadés que l’âme est immortelle, parce que l’idée du néant est un supplice pour les cœurs vertueux, et qu’il est doux pour des citoyens de penser qu’ils pourront s’occuper encore de leur patrie, même lorsqu’ils auront cessé de vivre. Comme Législateurs vous avez pensé que vous deviez favoriser toutes les idées qui élèvent l’âme, qui peuvent rendre l’homme bon dans la prospérité, et grand dans le malheur ! Vous avez senti que les principes consolans de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, étaient un encouragement pour la vertu, un frein pour le crime. Qu’elle doit être sage et régulière la conduite de l’homme persuadé qu’il est sans cesse environné d’un Dieu bienfaisant qui lit dans son cœur, qui voit toutes ses actions, qui distingue dans sa sagesse l’homme juste de l’homme pervers. Oui, l’Etre suprême qui met tout en mouvement dans la nature, abaisse des regards de bienveillance sur l’homme de bien; cette pensée sans doute entraîne le citoyen vers la vertu, elle est la récompense du bien qu’elle lui fait aimer, elle le rend indulgent et facile envers les malheureux, elle adoucit la pente qui le conduit au cercueil et du sein même de la tombe, elle fait renaître une flatteuse espérance. Si l’idée de l’existence d’un dieu est précieuse à l’homme de bien, elle est odieuse au méchant, et c’est ainsi qu’elle est utile à la société. L’homme pervers, effrayé de cette doctrine se croit sans cesse environné d’un témoin puissant et terrible auquel il ne peut échapper, qui le voit, qui le poursuit dans le silence des ténèbres, qui veille tandis que les hommes sont livrés au sommeil, et qu’il croit entendre au plus faible bruit qui vient frapper ses oreilles. Mais quand même cette image ne ferait que représenter quelquefois au méchant le tableau déchirant des crimes dont il osa se souiller, quand il n’aurait retenu qu’une seule fois son bras prêt à commettre un forfait, qu’ils seraient coupables les fonctionnaires publics qui travailleraient à enlever à l’homme le frein utile que la nature oppose à la perversité ! Par les décrets immuables de la divinité, le sort de l’homme de bien et du méchant ne sera sans doute pas le même au-delà du trépas. Par vos lois aussi sages que justes, ils n’auront plus la même destinée sur la terre. Ce n’est point une religion que vous avez créée, ce sont des principes simples, éternels, que le souvenir récent de la superstition et de l’athéisme vous a mis dans le cas de rappeler aux hommes. Ainsi lorsque vous posâtes les fondemens de l’égalité, le souvenir récent de la tyrannie vous engagea à proclamer les droits imprescriptibles de l’homme. C’est en vain que la malveillance s’efforcera de persuader que votre immortel décret fera sortir de sa bouche ensanglantée le monstre hideux du fanatisme. Le Législateur qui l’a proposé a, dans son rapport, assimilé les prêtres aux rois... d’après cette idée bien juste quel est le citoyen qui voulût être prêtre aujourd’hui ? Quel est celui qui ne préférera pas des principes simples, éternels, comme la nature, à un culte mystique inexplicable ? Un dieu juste et bienfaisant au dieu des prêtres ? Eh, quel besoin aurons-nous jamais des prêtres ? Abandonnerions-nous à nos semblables le plaisir d’être utile à notre patrie et chérir nos parens ? Choisirons-nous des hommes pour offrir à notre place à l’Etre suprême des hommages que nous aimons à lui rendre. Nous l’honorerons nous mêmes par nos vertus c’est le seul culte que nous lui rendrons; nous ne nous occuperions pas à le définir, nous ne lui donnerions que nos vices et nos passions. Nous aurons de lui une idée si sublime que nous ne le dégraderons pas en lui donnant une figure, un corps semblable au nôtre. Eh, qu’est-il besoin de le représenter aux yeux des hommes ? Tous les ouvrages sortis de ses mains, tous les dons qu’il nous a faits ne le rendent-ils pas sensible à tous les cœurs, visible à tous les regards ? Le conseil général de la commune de Paris, pénétré de respect et de reconnaissance pour les Législateurs qui ont proclamé ces principes éternels, jaloux de faire disparaître tous les signes de la superstition et de propager les idées religieuses qui servent de base à la morale publique, a arrêté que sur tous les temples destinés aux fêtes publiques, on effacerait ces mots : Temple consacré à la Raison, et que l’on y substituerait cette inscription : A l’Etre suprême, que cet arrêté serait présenté à la Convention nationale par une députation de tous ses membres (1) . (Vivement applaudi). Le PRESIDENT : La Convention nationale, en reconnaissant l’existence de l’Etre suprême, a proclamé le langage de toute la nature et les sentimens de tous les peuples. Mais instruite des maux innombrables que le fanatisme a versés sur la terre, elle ne souffrira jamais que ce principe consolateur devienne le prétexte d’une sanguinaire intolérance. Le règne des prêtres est passé, comme celui des tyrans, la philosophie qui depuis long-tems prépare à la France la liberté et le bonheur, la philosophie dont les amis de l’humanité n’oublieront jamais les bienfaits, a fait tomber leurs idoles, et ne permettra point que la superstition les relève. La Convention nationale a entendu avec intérêt l’expression des sentimens d’une commune qui, dans tous les tems, a bien mérité de la patrie, et elle vous invite aux honneurs de la séance (2) . JULIEN (de la Drôme) : Cette adresse contient les mêmes principes que vous avez applaudi C 302, pl. 1097, p. 16, signé Fleuriot (maire prov.); l’orateur était le citoyen Payen, agent nat. Reproduit dans Mon., XX, 523-524. (2) J. Paris, n° 504.