(19 mars 1791.) [Assemblée nationale.) {L'Assemblée ordonne l’impression de ce rapport.) M. Tellier, rapporteur. Messieurs, je dois vous observer qu’il a été remis à votre comité une réclamation des procureurs au parlement de Paris sur le classement que nous vous proposons. Votre comité ne s’est pas dissimulé que cette réclamation était juste à certains égaras ; mais elle donnerait l eu à une foule d’autres demandes aussi bien fondé -s et qui, si elles étaient accordées, augmenteraient de beaucoup la somme de liquidations. C’est donc avec regret qu’il a l’honneur de vous propus r le projet de décret suivaai : « L'Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à d» libérer sur l’exception réclamée en faveur des procureurs au parlement de Paris. » Ensuite nous passerons au décret général sur la classification. Plusieurs membres : Aux voix ! aux voix ! M. Humbert. Il est impossible de prononcer sur une question aussi importante sans avoir entendu un rapport. (La discussion est ouverle sur ce projet de décret). M. Martineau combat la proposition du comité et suutie t la réclamation des procureurs au parlement de Paris. M. le Président. Messieurs, plusieurs i er-sonnes sont iriser, t» s daus l’ordre de la parole sur cette matière ; mais M. le rapporteur de l’affaire de Douai est là. Voulez-vous l’entendre? (Marques générales d' assentiment.) La parole est à M. Alquier pour présenter le rapport des évènements survenus à Douai. M. Alquier, au nom des comités militaire , des rapports et des recherches. Messieurs, je viens vous rendre compte de* troubles survenus il y a quelques jours daus la ville de Douai. Le peu de temps que j’ai eu i our rassem 1er I s nétuils très multipliés que prése te cette affaire me do no quelques d oits à votre indulg nce, Messie irs, pour l'imperfection de mon rapport que je n’,ü pas eu le temps ne relire, et je la réclame. Le 14 de ce mois, M. Delso, négociant à Douai, chargea des grains sur un bateau po ,r Dm ker-que. Le chargement n’était pus encore ache\é lorsque le peuple se porta en foule et s’opposa à ce qu il fût continué. Le 15, lu fermentation augmenta; le peuple débarqua les grains ; et M. Delso instruisit la municipali é du trouble et de l’empé, hement apporté au chargement ne ses blés. La municipalité ne prit aucune mesure pour faire cesser l’émeute, ni pour s’oppose au pillage; elle eut même la coupable coudes» eudance de céder au vœu du p uple en ren lant une ordonnance pour faire couper les couloirs en bois qui existaient le long »i»s bords de la rivière 't qui servaient à faciliter les chargement-en faisant couler 1 s blés jusqu’aux bateaux m s mes à les re« evoir. Le peuple, croyant voir dans la suppression des couloirs la suppresion du com-meree des blés, se chargea en grande partie de l’exécution. Le même jour, à midi, deux officiers municipaux et le procureur de la commune, suivis d’u i 811 grand nombre de citoyens, se firent annoncer aux administrateurs du département qui étaient aasemnlés. Ils exposèrent que l’objet de leur mis-siou était de savon si M. Delso, en faisant charger nés b és sans avoir prévenu la municipalité, était en contravention au décret qui fixe les principes de la circulation des grains. Deux commissaires du directoire répondirent qu’aucune loi n’obligeait les citoyens qui voulaient faire charger des grains à une déclaration antérieure au chargement, que la seule forme prescrite par le règlement était un acquit-à-cau-tion. Cette réponse fut mal accueillie par la foule qui accompagnait les officiers municipaux: des murmures éclatèrent : la résolution fut prise de piller le bute m ; enfin on s’arrêta au projet de ven ire les gr.iin*, et le peuple désigna même un citoyen pour séquestre du prix de la vente. Le 16, M. Delso présen'a une pétition au directoire du département pour m-itre sa personne et son chargement sous la sauvegarde de la loi, et pour demander que, si on se décidait à faire vendre, ses blés, la recette en fût faite au moins en piéœnce de deux commissaires du district ou oe la munie palité. Le procureur général syndic et le président du département ayant été informés que la fermentation s’était accrue encore, et qu-* tout était disposé pour faire vendre sur la place les grains saisis dans le bateau, se rendirent à 9 heures à l’hôtel de ville pour s’assurer par eux-mêmes des précautions pris»‘s par la muniripalhé pour arrêter une ém, ute qui durait déjà depuis trois jours et qui devenait à chaque i >st »nt plus alar-ante. Il ne se trouva pas un seul officier municipal. Les deux membres du direcioire du département allèrent trouver le maire qui leur compta c • qu’il savait de cette affaire et avoua qu’aucune précaution n’avait été prise. Le directoire ordonna que la municipalité s’ass mblerait sur-le-cha np, afin de requérir la force armée pour s’opposer à la vente des blés de M. Delso. Uct oidre fut porté à onze heures à la municipalité. Kn même temps le département fit prévenir M. du la Noue, commandant de cette partie du département sous les ordres de M. de Ro-chauibeau, que la municipalité allait lui faire une réquisition, et qu’il prît ses précautions pour n’en pas retarder l’exécuiion. M. de la Noue accusa .la réception de l’avis du directoire. Les administrât urs, avant appris qu’une partie des grains av it été vendue sans obstacles, écrivirent une deuxième fois à la municipalité, et lui enjo gnirn t de ne pas perdre un instant pour r»“quérir la force armée, et pour arrêter la vente de ces blés. A deux henn s et demie, le procureur général s-yndie, instruit que le peuple se portait en fouie cli z le sieur Nicolon, se transporta sur les lieux, et prévint le maire, par un billet, que la fureur du peu de ail il en augmentant, et qu’il paraissait disposé à se porter aux plus grands excès. Le* événements n’ont que trop justifié les craintes du p» o urenr général syndic. Cepend ni, voyant que ie danger devenait pl s p es-ant, il se transporta à l’hôtel de ville, où il i e se trouva encore aucun officier municipal Il co rt alors chez le procureur de la com-i u ne, et ne le trouve pa*. Enfin, ayant su que le sieur Ni ohm v •nuit d’êire arraché de chez lui, ii se r ml chez M. de la Noue, pour s’assurer si la ré mis tion de la nun cipalité avait été faite, conforment ut aux deux ordres donnés par le directoire du département. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 212 M. de la Noue répondit que la réquisition, qui aurait dû avoir lieu à midi au pins tard, n’avait été faite qu’à 2 heures et un quart, et que la municipalité n’avait requis qu’un détachement de cinquante hommes. Le procureur général syndic rut surpris de ce retard, qui avait, sinon causé, au moins facilité l’enlèvement do sieur Nicolon; il ne le fut pas moins de la faiblesse du secours demandé par la municipalité. Aussi, de concert avec les administrateurs, requit-il le général de faire prendre les armes à la garnison pour contribuer au rétablissement de l’ordre, et envoyer des détachements aux portes, dont il était essentiel de s’assurer. A 3 heures et demie on vint annoncer que M. Nicolon venait d’éprouver les plus grandes violences, et que le peuple parlait de le pendra. On allait, pour la troisième fois, envoyer desordres à la municipalité, lorsqu’on annonça qu’elle se rendait en corps au département. La municipalité se borna à un récit très détaillé des faits qui s’étaient passés, sans faire mention d’am une précaution prise pour s’y opposer. Elle convint également de n’avoir fait qu à 2 heures et un quart la réquisition à M. de la Noue, quoiqu’elle en eût reçul’oidre à 11 heures, attendu, disait-elle, qu’il avait fallu délibérer avant de faire cette réquisition. (Murmures.) M. de la Noue et M. d’Orbay, commandant de la place, arrivèrent alors à l'assemblée du département et firent part des dispositions qu’ils avaient faites. Le département, voyant que le peuple paraissait disposé à se porier aux derniers excès, ordonna à la municipaliié de se reiirer à l’instant à la maison commune, pour faire publier la loi martiale. La municipalité s’y refusa, etelte se rendit, sans écharpes, a la maison commune. A cinq heures, les officiers municipaux rentrèrent et dirent que leur présence à l’hôtel de ville avait failli coûter la vie au sieur Nicolon, qui y avait été conduit; que le peuple voulait qu’ils le condamnassent à mort, et qu’ils n’avaient pas cru pouvoir mieux faire que de se retirer; qu’au reste les troubles augmentaient, et ue la vie du sieur Nicolon courait le plus g and anger. Au même instant on annonça au directoire que le sieur Derbais, imprimeur et officier de la garde nationale, venait d’êire traîné dans la rue, frappé à coups de sabre et pendu à un réverbère sur la place. ( Mouvements prolongés.) D’après le récit de cet exécrable forfait, le directoire requit de nouveau la municipalité de publier la loi martiale et d’employer tout ce que fa persuasion pouvait avoir de moyens efficaces pour détourner la fureur du peuple qu’on égarait. La municipalité se refusa constamment à publier la loi martiale. (Bruit prolongé.) Elle té-pondit que ce n’était pas le cas, parce que cette loi a pour objet d’opposer la force militaire à la fureur populaire et que, dans la circonstance présente, le peuple et la force militaire se trouvaient réunis. Aussitôt le directoire se hâta de rassembler auprès de lui les administrateurs et les officiers militaires, pour aviser en commun aux moyens d’arrêter les malheurs dont on était menacé. Le tribunal fut instruit des crimes qui avaient été commis, et il lui fut recommandé d’informer sans délai. Le zèle de l’accusateur public avait prévenu l’intention du directoire, et sa plainte était déjà portée lorsque l’avis lui parvint. Les administrateurs du district avaient aussi secondé le zèle du directoire de département; ils vaient pris les précautions nécessaires pour la 119 mars 1791. J sûreté des magasins publics et de? papiers de l'administration. Enfin, nu mumentoù iis furentrequis par ledépaitement,i!sarrè aient de s’y téunir pour remédier à une insurrection que l’on ne pe n attribuer, disent-ils dan-leur procès-verbal, qu’aux manœuvres perfides des ennemis de la Constitution. (Murmures et rires à droite.).... Plusieurs membres à gauche : Oui ! ouil Un membre à gauche : Cela les fait rirel M. Alquier, rapporteur ..... et à l’affectation coupable du maire et des ofliciers municipaux de ne pas s’assujettir aux 1 ds prescrites dans les cas d’émeuie p >pu a re. Considé ant, dismt-ils, que cette municipalité, qui è-longtemps a donné des preuves de son incivisme, a manifesté dans ceue circonstance la conduite la pl is répréhensible; que ses i n (entions malveillantes ont été portées jusqu’à auio i-er, par u i billet signé du procureur de la rom > une, la vente irrégulière d’un bateau de grains arrêté par le peuple, et jusqu’à ne requérir la fo ce armée qu’à une époque tardive, et plusieurs b ores amès que ce devoir mi a ait été prescrit par le directoire du département, il a an été de .-e rendre en corps auprès de Messieurs du dépar emem p mr prendre les moyens de ra peler c tte municipaliié à son devoir et les citoyens à la | aix. Les de x corps réuni-délibéraient sur les mesures à prendre pour ramener la nanquillité publique, et on arreui une proclamation pour inviter les citoyens à la naix. Tels sod i , Me-sieurs, le? détails contenus dans les procès-verbaux du directoire de departement, qui ont été clos le 16 à 6 heures du soir. Le 17, une nouvel e s< ène d’ho reur éclam. Le sieur Nicolon, qui avait été lu vei le meuriri de coups, qui avait été trépane pen ant la nuit, fut arraché de sa prison et pendu à un arbre. (Mouvement.) Le directoire, .-e voyant dans l'impossibilité de ramener l’ordre public et é ant violemment menacé, s’est transporte à Lille : t a nommé parle directoire dn département du Nor l, à l’rnsta t de la réception du présent décir t, Imit commis-aires pour remplacer provisoirem nt ladite mumeinalité; et ces commissaires entreront en fonctions sur-le-champ, après avoir prêté serment entre les mains des admmist'ateurs composant le district de Douai. « Art. 3. Les procédures commencées au tribu-213 nal dn district de Douai, contre les auteurs, fauteurs et instigateurs des émeutes, voies de fait, délits et assassinats commis dans ladite ville les 15, 16 et 17 de ce mois,serontcontinuées sansrelâche; et le ministre de la justice sera tenu de rendre compte à l'Assemblée nationale, de huitaine en huitaine, de l’état et des suites desdites procédures. « Art. 4. Le directoire du département du Nord pourvoira, par les mesures les plus promptes, à ce que les électeurs de ce département, qui étaient convoqués pour le 20 de ce mois, se réunissent inces-amment en tel lieu qu’il estimera convenable, sans qu’il soit besoin de plus de huit jours d’intervalle entre la nouvelle convocation et la tenue de l’assemblée desdits électeurs. « Art. 5. L’Assemblée nationale se réserve de statuer ultérieurement, d’après les motifs que le directoire du département du Nord doit lui adresser, de sa translation provisoire en la ville de Lille. « Art. 6. Les comités de Constitution, de jurisprudence criminelle et ecclésiastique présenteront sous trois jours leurs vues sur les peines à infliger aux ecclésiastiques fonctionnaires publics qui, par leurs discours ou leurs écrits, excitent le peuple à la révolte contre la loi. « Art. 7. Le roi sera prié dans le jour de donner sa sanction au présent décret, et de le faire parvenir directement et sans retard, tant au directoire et au tribunal du district de Douai, qu’au directoire du département du Nord. » (La discussion est ouverte sur ce projet de décret.) M. Gaultier-Biauzat. Je demande que la municipalité soit déclarée dès ce moment en état d’arrestation. M. Robespierre. Les lieux où se sont élevés les troubles de Douai sont voisins de celui qui m’a déuuté à cette Assemblée. A l’intérêt général qui m’attache à tout ce qui peut contribuer à la liberté publique se joint celui qui me lie à mou pays. Ce double sentiment m’engage à examiner avec scrupule les faits qui sont la base du rapport que vous venez d’entendre; et je dois avouer que je suis forcé de regretter que l’Assemblée soit exposée à prendre une délibération subite sur une affaire aussi grave, d’après un rapport fait avec autant de précipitation. (Murmures.) Voici sur quoi porte mon observation. M. le rapporteur a lu un projet de décret dans lequel il propose de mander la municipalité de Douai à la barre. A ces mots, il s’est élevé de violents murmures d’improbation. Que signitiaient-ils? Sinon qu’au lieu de mander à la barre la municipalité de Douai, il fallait la condamuer, la punir sur-le-champ. (Murmures.) Plusieurs membres : Non ! non ! Un membre : Pour les faire arrêter, on ne les condamne pas. M. Robespierre. Eh bien, conformément au premier ar iae du comité, je suis d’avis, moi, que la municipalité soit mandée à la barre, parce que je crois que sur des affaires qui intéressent aussi essentiellement la liberté et la tranquillité publique, sur des faits qui se sont passés loin de lA-semblée nationale, il faut, avant de juger, commencer par entendre toutes les parties. (Murmures.)