562 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES j jànvIeÆat . l’Univers, la prise.de Toulon. Vous savez que -les soldats do la République ont exécuté ce que toutes les armées exercées de l’Europe n’ont pu imaginer; la prise de la redoute anglaise a décidé du sort des puissances coalisées. La ville de Toulon, quoique entourée de for¬ teresses, n’avait pas paru assez puissante aux esclaves. Les Anglais avaient passé quatre mois ■ à se fortifier sur une hauteur, où ils avaient employé toutes les ressources du génie et de l’art, pour s’y maintenir durant six; ils avaient publié dans toute l’Europe qu’il était impos¬ sible de les chasser de ce poste. Eh bien, des républicains en ont eu la volonté, et ils s’en sont emparés en un instant. Les représentants du peuple distribués dans les différentes colonnes ont été témoins de l’héroïsme des soldats français. Nous rencontrions des blessés, qui ne nous parlaient de leurs blessures que pour se glorifier de les avoir reçues dans l’attaque de la redoute anglaise. Ils nous disaient : « Avan¬ cez; nous sommes les maîtres. » La première question qu’on nous faisait était celle-ci : « La redoute est-elle à nous? » Ces faits doivent vous donner une grande idée des armées de la République; celle de Tou¬ lon n’est pas la seule qui ait vaincu. Je dois vous parler de celle de l’Italie, où vous m’aviez envoyé. Tous les jours, elle a eu des redoutes à prendre, et partout, depuis six mois, elle a toujours été victorieuse. Les ennemis avaient conçu le projet de péné¬ tra en France par Entrevaux; ils l’avaient sur¬ tout manifesté depuis que le siège de Toulon était commencé; ils devaient se rapprocher du Var et nous couper le passage. Nous ne savons maintenant que trop les trahisons de Kei.er-mann; il avait travaillé pour faciliter des puis¬ sances coalisées; par son ordre, Entrevaux était dégarni; il n’v avait ni munitions, ni ca¬ nons, ni affûts, et ce général feignait ne pas en avoir connaissance. Nous le fîmes arrêter et, à sa place, nous envoyâmes un autre général qui nous donna bientôt l’état de la situation désas¬ treuse où était Entrevaux. Tel était l’état de cette partie de la frontière, il y a deux mois. C’est l’armée d’Italie, dont l’aile gauche était commandée par Dugommier, qui a détourné les suites funestes de la trahison des compagnies de grenadiers, qui n’avaient pas été relevées depuis deux jours, ne pas vouloir l’être et rester à leur poste. Je vous demande, ajoute Robes¬ pierre, que vous décrétiez que l’armée d’Italie, qui a toujours été victorieuse et n’a éprouvé d’échec que par la trahison de Brunet, a bien mérité de la patrie. (Adopté.) L'orateur apprend que l’infortuné Baille, effrayé des préparatifs de son supplice, profita du sommeil de son collègue Beauvais pour se poignarder. L’his¬ toire de ce dernier, si elle est rendue fidèlement, fera frémir l’humanité. II. Compte rendu des Annales patriotiques et littéraires. Robespierre le jeune, de retour de sa mission, retrace à la Convention, la conduite louable de l’armée d’Italie. Il ajoute que le représentant Pierre Baille, enfermé à Toulon, au fort Lamalgue, ayant, de son cachot, entendu les projets des aristocrates, qui concertaient les moyens de le faire périr par une mort douloureuse, se la donna lui-même. L’Assemblée, sur la proposition de Robespierre le jeune, a décrété que l’armée d’Italie avait bien mérité de la patrie. de KeUermann. C’est elle qui a soutenu à Gif" lette un combat violent dont on a trop peu parlé : mille Français y ont repoussé 4,00Û hommes et fait 800 prisonniers. (Vifs applau¬ dissements ). Dans un poste important, 100 Fran¬ çais ont soutenu l’attaque de 1,000 esclaves. La valeur de nos soldats a décidé la victoire en notre faveur, et cet avantage a jeté le déses¬ poir dans le Piémont et l’Autriche réunis. Ce n’est pas tout, l’armée d’Italie a non seu¬ lement vaincu l’ennemi qui l’attaquait en face, mais elle a essuyé un fléau plus terrible. Des assassins répandus dans les lignes lui portaient des coups qu’elle ne pouvait repousser, parce qu’elle ne pouvait les prévoir. Des assassins vêtus en paysans et répandus dans les cam¬ pagnes tuaient les défenseurs de la patrie lors¬ qu’ils se trouvaient isolés. Citoyens, il en a plus péri par l’assassinat que dans les combats. (Un mouvement d’indignation se manifeste dans toute l’Assemblée.) J’ajoute, citoyens, que l’armée d’Italie était campée sur des rochers, au milieu des neiges, loin des bois, sans eaux; on y a vu des compa¬ gnies de grenadiers qui n’avaient pas été rela¬ vées depuis deux, jours, ne pas vouloir l’être, et rester à leur posts. Il me seçait impossible de vous détailler tout ce que cette armée a fait de glorieux. Une partie en a été détachée pour aller à Toulon, et s’y est conduite avec le plus grand courage. Je vous demande, en conséquence, de décré¬ ter que l’armée d’Italie, qui a toujours été victorieuse, et qui n’a éprouvé d’échec que par la trahison de Brunet, a bien mérité de la patrie. Cette proposition est décrétée. Robespierre jeune. Les représentants du peu¬ ple, Beauvais et Baille après avoir essuyé les plus sanglants outrages à Toulon, furent enfer¬ més dans le fort de la Malque; c’est dans-ce fort que les esclaves de Pitt se rassemblaient pour délibérer sur le genre de supplice qu’ils feraient subir aux patriotes français; les uns proposaient de leur arracher la langue d’autres de leur faire couler du plomb fondu dans les veines, et d’autres atrocités encore plus cruelles. Ces conversations furent entendues par notre collègue Baille; il voulut se soustraire, en se donnant la mort, au sort qui l’attendait, et profita, poux se poignarder, du moment où Beauvais prenait quelque repos. Cet événement affreux doit être attribué aux monstres qui ont livré Toulon; car ce sont eux qui ont véritablement assassiné Baille. Nous avons trouvé Beauvais affaibli par les inquiétudes et l'horreur de son cachot. Je crois que le récit de son histoùe fera frémir l’huma¬ nité; et s’il veut, comme il le doit, donner à cet instant de sa vie le caractère convenable, il rendra un grand service à la patrie, en impri¬ mant dans le cœur de tous les Français la plus grande horreur pour les Anglais qui sont peut-être trop ménagés par nos soldats. Il faut que Beauvais leur dise toute la vérité, et les leur montre capables de tous les crimes, d’après ce qu’il en peut rapporter. Sergent-U résulte du rapport qui vient d’être fait par Robespierre jeune, que notre collègue Baille s’est soustrait par une mort courageuse au sort ignominieux que lui destinaient les féroces Anglais. La mort de Baille est plus glo- [Convention nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j j2 mvos.e JJ, 563 J 11" îanvier 1794 rieuse que s’il eût succombé à la tête de nos armées. Je demande qu’il soit mis au nombre des martyrs de la liberté; quand on se rappel¬ lera des noms glorieux de Lepeletier et de Marat, on se souviendra de Baille, et notre haine contre les Anglais ne fera qu’ augmenter. La proposition de Sergent est renvoyée au comité d’instruction publique. Un membre [Maximilien Robespierre (1)] observe que c’est à tort que l’on vient de porter un décret d’accusation contre l’adjoint du ministre de la guerre, pour fraude dans les livrai¬ sons qui se font aux troupes. Il ne fait qu’ordon¬ nancer les choses qu’il est nécessaire de four¬ nir, mais il n’en vérifie pas la qualité. Après quelques débats auxquels cette obser¬ vation donne lieu, le décret suivant est adopté : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, rapporte son décret de ce jour en ce qu’il renvoie au tribunal révolutionnaire l’adjoint du ministre de la guerre et les adminis-, trateurs de l’habillement des troupes; décrète que son comité de surveillance de l’habillement et équipement lui fera incessamment un rapport sur les fournitures de l’armée, et cependant que les administrateurs de l’habillement et équipement resteront en état d’arrestation (2). » Compte rendu du Moniteur universel (3). - Robespierre-La joie que vos victoires vien¬ nent de faire éclater dans le sein de cette Assem¬ blée ne doit point être troublée par l’idée qu’un patriote a été persécuté par vous. On vient de faire traduire au tribunal révolutionnaire un homme zélé pour la République, un homme dont le nom rappelle des services signalés ren¬ dus à la patrie, et qui, dans ce moment, est le coopérateur du comité de Salut public, et qui dirige presque seul les opérations militaires; je veux parler de Daubigny. Vous avez dû vous apercevoir, citoyens, lors de sa nomination, combien Daubigny avait d’ennemis. Par quelle fatalité un patriote a-t-il à craindre quand des ennemis de la Patrie respirent en paix? Je demande que le décret soit rapporté; en suppo¬ sant que le fait qui l’a provoqué fût réel, l’or¬ ganisation du département de Daubigny est telle, qu’il ne peut connaître, que par la dénon¬ ciation qu’on lui en fait, les dilapidations qui peuvent se commettre. D’ailleurs, les faits peuvent n’avoir pas été assez approfondis, et il est dangereux que l’assemblée frappe sans examen un agent du gouvernement; car vous finiriez par paralyser le gouvernement lui-même. Depuis quelque temps, des nuages se sont élevés sur la Convention; les inquiétudes y planent sans cesse. Je ne prétends pas prendre ici la défense d’aucun intrigant; mais je dis qu’il ne faut pas, sans un mûr examen, frapper une masse quelconque de citoyens, car dans cette masse se trouvent des patriotes qu’il ne faut point vexer. Je demande que la Convention nationale (1) D’après les divers journaux de l’époque. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 218. (3) Moniteur universel [n° 104 du 14 nivôse an II {vendredi 3 janvier 1794), p. 419, col. 3]. reprenne le caractère de dignité qui lui convient, et qu’indépendamment du rapport relatif 4 Daubigny, le comité de Salut public fasse un rapport sur les mesures partielles prises jusqu’à ce jour, et sur l’état actuel du gouvernement. Bourdon (de l’Oise). Si l’adjoint du ministre-chargé de surveiller l’habillement de nos troupes n’est pas responsable des mauvaises fourni¬ tures, sans doute le décret qu’on a rendu sur Daubigny est mauvais, mais s’il a accepté de mauvais modèles comme le cachet qui est dessus le prouve, c’est avec raison qu'il est tra¬ duit au tribunal révolutionnaire. On me dit que c’est l’administration de l'habillement qui est chargé de surveiller les fournisseurs, je ne conçois pas comment une administration qui fournit elle-même la République est chargée de la surveillance des marchandises qu’elle en voie; si cela est vrai cependant, je consens au rapport du décret. Après une légère discussion les propositions de Robespierre sont adoptées. La séance est levée à 5 heures (1). Signé : Couthon, Président; Bourdon (de l’Oise), Marie-Joseph Chenier, A L. Thi-baudeau, Jay, Perrin (des Vosges), Pelissier, secrétaire. PIECES ET DOCUMENTS NON MENTIONNÉS AU PROCES-VERBAL, MAIS QUI SE RAP¬ PORTENT OU QUI PARAISSENT SE RAP¬ PORTER A LA SÉANCE DU 12 NIVOSE AN n (MERCREDI 1er JANVIER 1794). I. Lettre du procureur syndic Andral, du DISTRICT DE SAINT-CÉRÉ, DÉPARTEMENT DU Lot, au président de la Convention pour annoncer que 30 lots de biens NATIONAUX, PROVENANT DES ÉMIGRÉS, ESTI¬ MÉS 13,760 LIVRES SE SONT VENDUS 55,965 LI¬ VRES (2). Suit le texte de cette lettre d’après l’original qui existe aux Archives nationales (3). Le procureur syndic du district de Saint-Céré, au Président de la Convention nationale. « Saint-Céré, le 30 frimaire, an II de la République une et indivisible. « Citoyen Président, « La Convention nationale, en détruisant les abus, détruit aussi les préjugés; s’il était encore (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 28, p. 219. (2) La lettre du procureur syndic Andral et l’état y annexé ne sont pas mentionnés au procès-verbal de la séance du 12 nivôse an II; mais en marge de l’original qui existe aux Archives nationales, on lit : « Insertion au Bulletin, le 12 nivôse 2e année répu¬ blicaine. » En outre, la lettre du procureur syndic du district de Saint-Céré est mentionnée dans le compte rendu de la séance du 12 nivôse du Moni¬ teur universel [n° 104 du 14 nivôse an II (vendredi 3 janvier 1794), p. 419, col. 1], (3) Archives nationales , carton C 288, dossier 884, pièce 31.