168 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { ff brumaire an 11 Après avoir détaillé le décret que la Conven¬ tion a rendu à cette occasion, Dufourny invite les patriotes à défendre constamment les prin¬ cipes, et à empêcher la Convention de com¬ mettre une faiblesse. En conséquence, il de¬ mande que les Montagnards de la Convention qui sont en même temps membres de la Société, fassent les plus grands efforts pour faire rejeter tout projet de décret qui tendrait à la modéra¬ tion, et pour faire adopter une loi qui doit être le complément de toutes les lois révolutionnaires qui ont été portées jusqu’à ce jour. Montaut remercie Dufourny des réflexions qu’il a développées, et déclare qu’il a éprouvé une vive douleur dans la séance d’hier. « J’étais dit-il, indigné de voir trois patriotes faire des motions aussi basses, aussi feuillantines, aussi contre-révolutionnaires. Ils sont sensibles, ces messieurs; ils craignent que la tête des patriotes ne tombe sous le glaive de la loi; mais se sont -ils aperçus que le tribunal révolutionnaire ait condamné d’autres personnes que des contre-révolutionnaires? Ne savent -ils pas que dès lors que ce sont des patriotes qui jugent, les patriotes n’ont rien à craindre, et que celui qui tremble devant eux ne peut être qu’un contre-révolu¬ tionnaire. Il est une vérité incontestable, c’est que, si nous épargnons un seul aristocrate, vous irez tous à l’échafaud. » Montaut déclare ensuite que le but des en¬ nemis de la liberté est d’endormir le peuple, afin qu’il ne finisse pas de se venger. Il pense que si les orateurs de la faction des hommes d’Etat ont payé de leur tête tous leurs forfaits, la faction n’est pas anéantie pour cela, et qu’il ne lui manque plus qu’un chef pour se relever aussi forte qu’auparavant. Il termine ainsi : « La Convention est conve¬ nue que nous étions en Révolution ; il faut nous y tenir : reculer d’un pas, c’est vouloir tout perdre. Si vous vous arrêtez, vous êtes perdus. Le moyen proposé par Thuriot, Chabot et Basire, est contre-révolutionnaire. » Dufourny propose d’envoyer à la Conven¬ tion une députation solennelle, pour lui de¬ mander si les Français révolutionnaires peu¬ vent encore compter sur sa fermeté. Renaudin. Les orateurs qui ont parlé jus¬ qu’ici se sont servis d’expressions qui ne me paraissent pas convenables. Ce n’est pas à la Convention que nous devons les décrets qui ont sauvé la liberté; c’est à l’énergie du peuple dans la journée du 31 mai. La Convention ne peut rapporter les décrets qu’elle a rendus pour le bien public, et revenir contre les mesures qu’elle a prises pour la punition des traîtres. Un grand crime a été commis; les scélérats qui en sont les auteurs sont la seule cause de la guerre de la Vendée et de la Corse et de toutes les guerres que nous avons à soutenir. Les chefs de la conspiration sont punis; mais leurs complices ne le sont pas : trois hommes qui n’ont pas une grande réputation de patriotisme ont voulu prendre leur défense, mais les patriotes sauront dire à la Convention qu’elle n’a pas le droit de revenir contre le vœu du peuple. Je demande que toute la société s’y porte en masse. (Cette proposition est arrêtée au milieu des plus vifs applaudissements.) Hébert. Je citerai un mot remarquable de Vergniaux. C’est qu’en révolution, il ne faut jamais stationner; un pas rétrograde perdrait infailliblement le parti qui aurait molli. Pro¬ fitons de cet avis salutaire; dussions-nous perdre la vie. il faut sauver la République par des mesures vigoureuses; il faut que les cou¬ pables périssent, même ceux qui sont dans le sein de la Convention; car ils sont encore plus coupables que les autres. Je déclare que je regarde comme contre-révo¬ lutionnaires ceux qui veulent faire rétrograder la Révolution. Lors de la fuite du roi à Varennes, le peuple déploya une énergie semblable à celle qu’il a montrée depuis dans les grandes crises de la Révolution : et si l’Assemblée constituante eût été alors à la hauteur des circonstances, elle aurait décrété la République : mais une cabale funeste arrêta la Révolution, et il en est résulté de grands malheurs. Hébert dénonce ensuite Thuriot, pour s’être opposé à l’arrestation' de Custine, qu’il traitait d’acte arbitraire; et pour avoir dit qu’il n’y donnerait jamais son adhésion. Il termine par demander l’expulsion de Thu¬ riot de la Société des Jacobins et l’examen de la conduite de Chabot et de Basire, et le prompt jugement des députés complices de Brissot et de sa faction. (Adopté.) CONVENTION NATIONALE Séance du 24 brumaire de l’an II de la République française, une et indivisible. (Jeudi, 14 novembre 1793). Deux secrétaires font lecture des procès-ver¬ baux des 15 et 18 brumaire, la rédaction en est adoptée (1). On donne lecture d’une lettre d’un courrier venant de l’armée de l’Ouest. Il annonce qu’un commissaire du pouvoir exécutif à Saint-Ger-main-en-Laye a laissé passer une lettre qu’il avait pour le comité de Salut public, et que l’autre adressée directement à la Convention, il l’a arrêtée. Sur la motion d’un membre (2), la Convention nationale décrète : 1° que le commissaire du conseil exécutif qui s’est permis d’arrêter la lettre sera traduit à la barre; que le conseil exé¬ cutif donnera des renseignements sur ce com¬ missaire; 2° que la dépêche arrêtée à Saint-Ger¬ main sera remise sur-le-champ à sa destination; 3° que le conseil exécutif remettra, sous deux jours, la liste des commissaires encore employés K (1) Procès-verbaux de la Convenlion, t. 25, p. 207. §? (2) D’après les journaux de l’époque, les diverses motions qui donnèrent lieu au décret rendu furent faites par Merlin (sans désignation) et par Clauzel. [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. f j brumaire an H 169 L J ) i/t nftvpmhw 4 7QM par lui, et expliquera les motifs qui retardent l’exécution du décret qui rappelle ces commis¬ saires (1). Compte rendu du Moniteur universel (2). Le Président. Je reçois par un huissier une lettre d’un courrier, qui m’annonce qu’il était porteur de deux paquets de Lecarpentier, représentant du peuple auprès de l’armée des Ardennes; l’un adressé au Président de la (1) Procès-verbaux de la Convenlion, t. 25, p. 207. Voy. d’autre part ci-après, annexe n° 1, p. 220, plu¬ sieurs lettres de Le Carpentier (Manche), au nombre desquelles se trouve probablement celle qui fut arrêtée par le commissaire du conseil exécutif. (2) Moniteur universel [n° 56 du 26 brumaire an II (samedi 16 novembre 1793), p. 226, col. 3]. D’autre part, le Journal des Débats et des Décrets (brumaire an II, n° 422, p. 323), le Mercure universel [25 bru¬ maire an II (vendredi 15 novembre 1793), p. 239, col. 2], Y Auditeur national [n° 419 du 25 brumaire an II (vendredi 15 novembre 1793), p. 1] et le Journal de Perlel [n° 419 du 25 brumaire an II (ven¬ dredi 15 novembre 1793), p. 361] rendent compte de cet incident dans les termes suivants : I. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets. Le Président annonce que deux paquets adressés de Granville par le général des armées de la Répu¬ blique, l’un au comité de Salut public, l’autre direc¬ tement à la Convention, le premier seulement est arrivé à sa destination. Celui adressé à la Conven¬ tion a été arrêté à Saint-Germain-en-Laye, par ordre d’un commissaire du pouvoir exécutif. On demande que ce commissaire soit sur-le-champ traduit à la barre. Clauzel demande que le pouvoir exécutif soit tenu de donner des renseignements à cet égard. Il a observé que déjà la Convention avait décrété que les fonctions de ces commissaires cesseraient. « Pour¬ quoi, dit-il, le ministre se refuse�t-il obstinément à l’exécution de ce décret? Est-ce le Conseil exécutif, est-ce la Convention qui tient les rênes du gouverne¬ ment? D’ailleurs, ces sortes de commissaires s’at¬ tachent avec une perfidie dont j’ignore le motif à calomnier les opérations des représentants du peuple. Quelques -uns d’entre eux se sont permis de prendre de l’argent dans toutes les caisses, et n’en ont point rendu compte. Il faut qu’en fin cette lutte entre le pouvoir suprême et des commissaires particuliers cesse. « Je demande 1 1° que le commissaire civil coupable soit traduit à la barre; 2° que le conseil exécutif donne des renseignements sur cet homme; 3° que le ministre donne dans quarante-huit heures la liste de tous les commissaires civils actuellement en fonc¬ tion dans les différents départements; 4° enfin que le droit d’envoyer des commissaires dans les dépar¬ tements et près les armées soit réservé au comité de Salut public de la Convention. » Le décret suivant est rendu : (Suit le texte du décret que nous insérons ci-dessus d'après le procès-verbal.) IL Compte rendu du Mercure universel. Le Président. Je reçois une lettre par un cour¬ rier extraordinaire, porteur de deux paquets, l’un pour le comité de Salut public et l’autre pour votre Président. Celui qui était pour le comité lui est arrivé directement; mais celui pour le Président a été arrêté. (Indignation.) Il donne lecture de cette dépêche; elle porte que les commissaires du conseil exécutif ont arrêté ce Convention, l’autre au comité de Salut public. Un commissaire civil du conseil exécutif a arrêté, à Saint-G-ermain-en-Laye, le premier paquet, et a laissé passer l’autre. Merlin. Je demande que ce commissaire soit traduit à la barre, pour y rendre compte de ses motifs, et que le conseil exécutif donne à la Convention des renseignements sur cet agent. Clauzel. Depuis longtemps, les commissaires de la Convention sont calomniés par les com¬ missaires du conseil exécutif. La Convention avait décrété que les fonctions de ces derniers cesseraient. Je ne sais pourquoi ce décret est resté sans exécution. Je demande que le con-paquet à Saint-Germain-en-Laye, parce que le pas¬ seport ne faisait mention que du paquet du comité de Salut public. Merlin. Je demande que ces commissaires soient traduits à la barre. (Décrété.) Clauzel. Je suis bien étonné que ces commissaires qui, en vertu d’un décret, sont rappelés, n’aient point cependant exécuté ce décret. Je demande que le conseil exécutif rende compte des motifs du retard de l’exécution. (Décrété.) Un membre désire que le conseil exécutif donne des renseignements sur ces commissaires et que le paquet arrêté soit renvoyé sur-le-champ à sa desti¬ nation. Cette proposition est adoptée. III. Compte rendu de Y Auditeur national. Après la lecture des adresses, le Président a communiqué la lettre d’un courrier dépêché à Paris par Le Carpentier, représentant du peuple dans le département de la Manche. « Le Carpentier, porte la lettre, m’avait chargé de deux paquets, l’un à ton adresse, citoyen Président, l’autre à celle du comité de Salut public. En passant à Saint-Germain-en-Laye, un commissaire du conseil exécutif a retenu le paquet qui t’était adressé, en prétextant que mon passeport n’en faisait pas mention. » Plusieurs membres, et particulièrement Merlin et Clauzel, se sont fortement élevés contre cette con¬ duite du commissaire du conseil exécutif, et sur leur proposition il a été décrété : 1° que ledit commis¬ saire sera traduit à la barre de la Convention; 2° que le conseil exécutif donnera des renseigne¬ ments sur son compte et qu’en outre, il présentera dans le jour la liste des commissaires civils qu’il emploie dans les départements. IV. Compte rendu du Journal de Perlet. Un courrier, venant de l’armée de l’Ouest, écrit qu’il était porteur de deux dépêches de Le Carpen¬ tier, représentant du peuple dans le département de la Manche : l’une pour le comité de Salut public, l’autre, pour le Président de la Convention natio¬ nale; mais qu’à son passage à Saint-Germain-en-Laye, un commissaire du conseil exécutif s’est per¬ mis de retenir la dernière, sous prétexte que le passeport qui lui avait été délivré par la commune de Granville ne faisait mention que de celle destinée pour le comité de Salut public. L’Assemblée, révoltée d’une telle conduite, dé¬ crète : 1° Que le commissaire du conseil exécutif, qui a violé le respect dû à la représentation nationale, sera traduit à la barre; 2° Que le conseil exécutif donnera des renseigne¬ ments sur ce commissaire et rendra compte des mesures qu’il a prises pour l’exécution du décret qui lui enjoint de rappeler tous ses commissaires.