[Assemblée national#.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [î novembre 1790.) 199 Plusieurs membres demandent la parole. M. l’abbé Grégoire. Je demande à faire une observation préliminaire. Voua avez à cœur de bien vendre les domaines nationaux, de les vendre promptement : vous désirez multiplier les propriétaires. Pour remplir des vues aussi sages, il faut abolir les dispositions qui, dans diverses provinces, autorisent l’inégalité de partage. N’est-îlpas affreux qu’un père juste, qui aime également ses enfants, soit forcé de trahir et sa tendresse et sa justice ? Je demande qu’on ajourne à jour fixe la discussion sur ma motion. M. Merlin. Le comité d’aliénation vous a fait, le 18 juillet, un rapport dans lequel il proposait, dans la vue d’accélérer et de favoriser les ventes, la suppression de quelques dispositions coutumières. La motion qui vient de vous être présentée a une véritable connexité avec ce travail. Vous avez aussi renvoyé au même comité une pétition des fils de famille. Je demande que vous ajourniez à bref délai le projet de décret que nous vous avons présenté le 18 juillet, et que vous ordonniez au comité de s’ocuper de la motion de M. l’abbé Grégoire. M. Prieur. Je demande qu’on charge aussi le comité d’aliénation de vous présenter des vues sur les testaments... M. de Cazalès. Il est impossible que l’Assemblée décrète l’égalité des partages, qu’elle prononce contre les pères l’impuissance de tester. Ces deux dispositions sont essentiellement liées ; elles tiennent à notre code civil en entier : avant de s’occuper de cette motion, il faut décider si dans cette session l’Assemblée nationale veut réformer le code civil ; car si vous le touchez dans un seul point, vous serez obligés de le remanier entièrement ; il faut, dis-je, décider d’une manière positive si celte grande œuvre sera entreprise par vous ou laissée aux législatures qui suivront. (On demande à aller aux voix.) M. le Président. Je dois d’abord rétablir la question. La motion dont l’ajournement est demandé a pour objet l’abolition de l’inégalité des partages établie par la loi, et non pas d’enlever aux pères de famille la faculté de tester. M. de Foucault. J’ai été assez heureux pour faire renvoyer une fois cette motion à la législature. M. Gaillon vous la présenta à Versailles, et vous la repoussâtes avec indignation... [Il s’élève des murmures .) Je demande la question préalable, et l’ajournement à la législature, c’est-à-dire que le comité central la mettra au nombre des objets dont la législature s’occupera. M. Rœderer. 11 ne s’agit pas d’entamer la législation civile, mais de porter une loi qui a une connexité très naturelle avec fa vente des domaines nationaux. Déjà, sur les dispositions coutumières qui mettaient des obstacles à ces ventes, vous avez entendu un rapport et reçu un projet de décret dont vous avez ordonné l’ajournement. 11 ne s’agit que de joindre à ce projet de décret la motion de M. Grégoire. Je demande que cet ajournement soit fixé à jeudi prochain. M. de Cazalès. Je demande l’apport du procès-verbal de la séance dans laquelle M. de Foucault dit que le renvoi à la législature a été prononcé. (On ferme la discussion.) (On demande la question préalable sur toutes les propositions, excepté sur l’ajournement à bref délai.) M. de Cazalès. Il me paraît bien étrange qu’on demande la question préalable quand je propose que l’Assemblée s’instruise sur les dispositions qu’elle a prises. Plusieurs voix : Qu’on relise la déclaration des droits. M. de Foucault. Et moi aussi je demande la déclaration des droits; elle dit que la loi est l’expression de la volonté générale ; or, quand il s’agit de bouleverser toutes les coutumes, je demande si on a la volonté générale. M. Merlin. Il y a évidemment ici un malentendu. Il est vrai que le 5 ou 6 août, sur la rédaction du premier article des décrets du 4, M. Gaillon dit qu’attendu qu’il n’y avait plus de fiefs le droit d’aînesse féodal ne pouvait plus exister; vous ordonnâtes l’ajournement, et le 15 mars vous avez aboli le droit d’aînesse féodal. Il ne s’agit donc plus du droit d’aînesse féodal, mais d’une inégalité de partage qui est peu commune. Snr les cinq cents et tant de coutumes qui couvrent la France, vous n’en trouverez pas dix qui établissent cette disposition. Je demande la question préalable sur l’ajournement à la législature et sur l’apport du procès-verbal. (La question préalable ainsi posée est adoptée, l’Assemblée décrète « que son comité d’aliénation est chargé de lui présenter, mardi prochain, avec les autres dispositions déjà proposées et qui étaient ajournées, un projet de décret sur la motion qui tend à la suppression de l’inégalité des partages. ») M. de Cazalès. Je demande qu’il soit formé un comité de législation civile. (Cette proposition, appuyée parla partie droite, est écartée par la question préalable.) M. de Follevflle propose de joindre au comité un certain nombre de jurisconsultes. M. d’Estourmel demande que le comité de Constitution soit adjoint au comité d aliénation pour l’examen de la motion de M. Grégoire. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la première de ces deux propositions. — Elle adopte la seconde.) (La séance est levée à trois heures.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BARNAVE. Séance du mardi 2 novembre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie par la lecture des adresses suivantes : Délibération du directoire du département de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2 novembre 1790.] 200 [Assemblée nationale.] ]a Haute-Garonne, qui s’élève avec la plus grande force contre les arrêtés ou protestations de la chambre des vacations du ci-devant parlement de Toulouse. Adresse de félicitation, adhésion et dévouement de la Société des amis de la Constitution de Buxi, chef-lieu de canton du district de Chalon-sur-Saône. Adresse du corps électoral du district de Lan-nion, rassemblé pour la nomination des juges, qui envoie à l’Assemblée nationale le procès-verbal de cette nomination, et lui présente en même temps le tribut de son admiration et de son dévouement. Adresse des grenadiers du régiment de Bassi-gny qui jurent de soutenir la Constitution au péril de leur vie. Hommage d’un écrit intitulé : Traité important sur Les quatre matières de première nécessité our la subsistance, par les sieurs Chantrelle de eaumont et Langlois Beauregard. Un membre demande que l’Assemblée nationale donne quelques témoignages de satisfaction aux auteurs de cet utile traité. L’Assemblée ordonne qu’il sera fait, dans le procès-verbal, une mention honorable du patriotisme des sieurs Ghan-trelle de Beaumont et Langlois Beauregard. 11 est donné lecture d'une lettre de M. Désilles père, dans laquelle il présente à l’Assemblée nationale les sentiments de sa vive reconnaissance pour l’intéiêt qu’elle a daigné prendre à la mort de son fils. Le comité des finances demande à faire un rapport sur la confection des rôles de la commune de Chinon. M. Vernier, rapporteur. Le département d’In-dre-et-Loire a rendu la municipalité de Chinon solidairement responsable de l’exécution de l’ancien rôle de cette commune pour l’année 1790, et l’a condamnée à payer à ses frais les deniers que la mauvai-e formation d’un rôle nouveau, dressé par elle, pourra faire perdre à l’Etat. Adopterez-vous en entier ou en partie les conclusions du directoire? Tel sera le résultat du rapport dont j’ai l’honneur de vous faire au nom du comité des finances. La ville de Chinon payait des droits sur les vins et sur les boucheries. La municipalité a pris une délibération tendant à annuler l’ancien tarif, à rejeter tout impôt sur les consommations. Cinq officiers municipaux sur neuf ont signé le nouveau rôle, dont les vices sont frappants. On n’y reconnaît ni la nature, ni l’objet de l’imposition; à peine désigne-t-on ceux qui doivent être soumis à la contribution. En proscrivant l’ancien mode, on n’a pas même adopté le nouveau. Chaque article est ainsi conçu; Monsieur... payera tant", tel champ, telle maison payera tant , sans aucunei; dicalton des motifs de cette fixation, malgré le décret qui ordonne l’énonciation de ces motifs. Le district de Chinon a donné son avis : il estime que ce rôle doit être annulé, et que la municipalité doit demeurer solidairement responsable du recouvrement de l’impôt de 1790. Le directoire du département a ordonné qu’il serait dressé Un nouveau rôle, en présence de tous les officiers municipaux assemblés, sous . peine de demeurer responsables des suites de leur négligence, mais sauf par eux à percevoirensuite sur les derniers deniers les avances qu’ils auraient été obligés; de faire. Cette affaire a été portée à l’Assemblée nationale de la part du maire et de plusieurs officiers municipaux, du nombre de ceux qui n’ont pas donné leur démission. Le comité des finances est d’avis que l’Assemblée ne doit pas se saisir de cette affaire et qu’il n’y a pas lieu de délibérer. Qu’il me soit permis de vous présenter mon opinion personnelle. Il n’est pas vrai qu’il faille appliquer à une erreur commise dans l’exécution d’un rôle la même peine que celle que vous avez prononcée contre les municipalités qui seraient en retard par l’effet d’uue négligence marquée. Je crois que l’Assemblée pourrait annuler le rôle de la municipalité, comme l’a fait le directoire, mais lui accorder un certain temps pour rectifier l’erreur qu’elle a commise et dresser un nouveau rôle. L’avis du comité, me dira-t-on, est dans la rigueur de la règle; oui, mais je soutiens que, quand on introduit une nouveauté, et surtout une nouveauté d’une exécution difficile, c’est un abus, que d’exiger dès les premiers instants, la rigueur de la règle. (Le côté droit applaudit.) M. de Folleville. Les officiers municipaux ne devaient pas imposer les ci-devant privilégiés d’une manière aussi exorbitante qu’ils l’ont fait ; les lois à cet égard étaient faciles à saisir. Je crois donc que la moindre punition qu’exigent le bon exemple et l’ordre public est de leur laire payer les frais du nouveau rôle. M. Gauthier. Je crois qu’il est bon de vous exposer e i quoi consiste l’erreur des officiers municipaux. L’imposition de la taille accessoire était autrefois assez généralement considérée comme un impôt personnel. Il y avait un mode général dans la province pour la répartition de cet impôt. En 1767, la ville de Chinon représenta que ce mode d’imposition était très incommode pour elle, en ce qu’elle contenait beaucoup de négociants et d’autres individus vivant rie leur industrie; elle en obtint la conversion en un droit sur l’entrée des boissons et sur les boucheries. La municipalité a détruit, de sa propre autorité, cette imposition qu’elle avait demandée. Je crois qu’à cet égard elle est très coupable; car il n’y avait qu'un décret sanctionné qui pût l’y autoriser. Le rôle doit être annulé, parce qu’il est en effet inexécutable, et que chaque article donnerait lieu à un procès. Je conclus à ce que l’avis du département soit exécuté, et que l’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. Guillaume défend la municipalité et demande une improbation contre le département. M. Bouche. L’intention de l’Assemblée n’a jamais pu être que les officiers municipaux de Chinon fissent l’impossible; or, il leur a été impossible de faire mieux. Le fait est qu’ils ne pouvaient avoir que trois bases pour leur impôt : les aides, les droits sur les boucheries, et la contribution réelle ou mixte; les deux premières leur ont manqué : la commune assemb ée a refusé le payement des droits et des aides sur les boucheries; i) a donc fallu qu’elle eût recours à la troi-.. sième. Mais cette base ne suffisait pas; elle a trouvé le complément de son impôt, qui devait être de 13,000 livres, dans l’imposition des privilégiés, que je soupçonne très fort d’avoir un peu intrigué dans cette affaire. (U Assemblée et les tribunes applaudissent.) Mon jugement peut être erroné, mais c’est un sentiment qui m’oppresse, et que je ne puis m’empêcher d’exprimer. Je pense que les officiers municipaux de Chinon, loin d’ê-