(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]29 août 1789.] 509 autre ordre de délibération. Les uns veulent la sanction royale, les autres n’en veulent pas. C’est de. ce choc d’opinions que naît l’embarras de notre décision. Je propose donc à l’Assemblée de juger les questions suivantes, préalablement à toute autre question. 1° Décider ce que l’on entend par sanction royale. 2° Si elle est nécessaire pour les actes législatifs. 3° Dans quel cas et de quelle manière elle doit être employée. Je propose encore de joindre à ces questions celle de la permanence des Etats, de l’organisation de l’Assemblée en une ou deux chambres. M. Alexandre de Lantetb. Plus le travail est difficile, plus il faut de méthode. Le pouvoir législatif doit passer avant l’exécutif. M. Mounier. Nous ne devons pas oublier la déclaration des droits ; c’est le premier chapitre delà Constitution. Passons au Corps législatif; voyons quelle doit être son organisation, et quelle est la nature de notre gouvernement. Il est bon de traiter la sanction royale en point de question, et d’examiner quelle doit être l’intluence du Roi dans le Corps législatif. M. le comte de Airleu. 11 faut consacrer d’abord quelle sera l’autorité royale; le Roi étant une portion constituante du Corps législatif, on doit s’occuper de lui avant toutes choses; tel est l’ordre naturel de la délibération. M. Guillotin. Je crois qu’il serait dangereux de diviser la motion de M. de Noailles. Toutes les questions qu’elle présente, il faut les juger dans leur ensemble; car, par exemple, si l’Assemblée était divisée en deux Chambres, alors le veto du Roi ne serait pas nécessaire, puisqu’il en existerait déjà un; si, au contraire, il n’y avait qu’une seule Chambre, le veto du Roi serait la barrière que l’on pourrait opposer à l’abus du pouvoir législatif; en conséquence, il importe de connaître avant tout le travail du comité sur l’organisation de l’Assemblée, sur l’influence de la sanction royale; et il faut remettre à lundi prochain cette délibération, pour donner au comité le temps de rédiger son travail. Je termine par demander : 1° que Te comité représente lundi son travail sur l’organisation des pouvoirs; 2° que ce plan soit imprimé, discuté dans les bureaux. M. Regnauld de Saint-Jean d’Angély ap-uie avec force la motion de M. le vicomte ae oailles, et demande que l’on y ajoute l’ameode-ment de M. Guillotin. De toutes parts des cris d’opposition se font entendre; l’un demande la question préalable; l’autre, que l’on délibère; celui-là, la division; M. le président ne peut statuer à la fois sur toutes ces demandes opposées. Au milieu du tumulte l’esprit de parti fermente ; l'humeur donne des soupçons; l’aigreur répand des injures; et du côté de lu tribune une voix dirigée vers les bancs de la noblesse prononce les mots de mauvais citoyens. M. le chevalier de Foucauld répond avec vivacité. M. le Président est prié de rappeler à l’ordre; sa voix est étouffée au milieu des clameurs. Enfin le calme se rétablit peu à peu. M. Duport prend la parole. Il donne quelques principes sur la sanction royale, et développe la motion de M. le vicomte de Noailles. M. d’André. La question de la sanction royale est importante à décider ; quant à moi, je la crois nécessaire, parce qu’elle est dans mon cahier et qu’elle est dans ma conscience. Enfin l’on va aux voix pour savoir si on admettra ou non la motion de M. de Aoailles : elle est admise. Plusieurs membres demandent la division de la motion. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely s’y oppose, et répète ce qu’il a déjà dit. M. le comte de Mirabeau. On vous parle de l’ouvrage du comité ; mais le seul point sur lequel il ait été d’accord, c’est la permanence. N’attendons donc pas le travail du comité pour nous décider. 11 est important cependant d’éclairer les questions proposées par M. le vicomte de Noailles. Il ne faut pas séparer la principale des questions avoisinantes; car elles ont toutes des rapports. Je demande donc qu’on les traite toutes ensemble. M. Rhédon. Quelques idées simples auraient dû suffire pour nous rappeler à ce que nous devons exécuter. Avant tout l’on devait considérer quel était le gouvernement et ce que nous étions nous-mêmes. L’est d’après cet examen rapide que nous aurions travaillé à la législation et à la formation du corps politique. Si je me demande à moi-même qui nous sommes ; si nous avons une puissance quelconque par nous-mêmes, je me réponds que cela ne peut pas être; il n’y a personne qui puisse le prétendre. La souveraine puissance réside essentiellement dans la nation, et nous ne sommes que les représentants de cette nation, ou plutôt nous ne sommes que ses délégués: mais physiquement nous ne sommes pas la nation. Cette vérité essentielle était nécessaire à préconiser. Cela posé, ce sont des droits que nous avons à exercer, et conséquemment des devoirs qu’il nous reste à remplir. Quels droits avons-nous? aucun. Quels devoirs sommes-nous dans l’obligation de remplir? Ce sont les droits de nos commettants que nous avons à exercer, et voilà nos devoirs. Nous avons, dit-on, des droits à réclamer : voilà tout; nous n’en avons pas à créer, et personne parmi nous n’a le droit d’en établir. Personne ne peut donc dire qu’il constitue la France en Etat monarchique ; mais nous devons tous dire que la France t st un Etat monarchique. Et pourquoi? Parce que c’est la volonté de nos commettants. Ce n’est pas un établissement nouveau qu’il nous faut faire, ce n’est qu’une simple déclaration. H en est de même de la sanction royale. Ce n’est pas un droit que nous allons créer, c’est un droit que nous allons reconnaître. C’est ici qu’il faut descendre dans sa conscience et consulter la volonté des cahiers; or, que disent nos cahiers? Ils portent tous que les lois ne seront exécutées que quand elles seront faites par la nation et sanctionnées par le Roi. C’est donc le vœu.’généràl ; et si tous nos cahiers, ou du moins si la plus grande partie annonce cette sanction, il n’est pas besoin de consulternotre prudence; nos mandats parlent, et nous devons nous taire; si la majorité, au contraire, rejetait la 510 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1789.] sanction royale, il faudrait la rejeter également, parce que nous ne sommes rien ici que par nos cahiers et nos pouvoirs; mais aussi, si la majorité veut et commande l’admission de la sanction royale, certainement il n’est plus permis d’élever des doutes, des incertitudes pour savoir s’il faut la reconnaître oui ou non. Nous n’avons rien de nouveau à faire ici; nos commettants ont tout fait, remplissons donc notre mission. Mais, dit-on, notre position n’est plus la même. L’organisation du pouvoir législatif va changer; nos commettants n’ont pas prévu que nous agiterions la question de savoir si l’Assemblée nationale se diviserait en deux chambres. J'y consens; mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des mandats qui nous sont prescrits, et pour nous soustraire au serment que nous avons prononcé. En suivant nos cahiers, notre marche sera facile et aisée, et nous n’agiterons pas des questions qui nous éloignent delà Constitution, qui préparent des maux à la patrie et qui prolongent nos souffrances. Ces principes sont applaudis par une partie de l’Assemblée. M. Pétlon de Villeneuve. M. Rhédon a fixé à l’Assemblée des bornes trop étroites. Dans ce moment, l’Assemblée exerce le pouvoir constituant puisqu’elle est envoyée pour faire la Constitution; elle ne l’a pas d'une manière indéfinie, mais j’examine la question des cahiers et je demande si nous devons les suivre? Point de doute, toutes les fois qu’ils sont impératifs. Nos commettants nous ont prescrit de faire une constitution ; il n’en est pas six qui, sur la sanction royale, aient parlé des différents degrés d’influence de l’autorité du roi. Il faut une sanction, mais jusqu’à quel degré doit-elle avoir lieu ? Si nos commettants ne nous ont astreints qu’a la sanction ; nous sommes les maîtres de sa latitude. Nous sommes obligés d’interpréter cette sorte de sanction ; ainsi, si le degré d’influence n’est pas prévu dans nos cahiers, la sanction peut-être déterminée par chacun de nous. On a raison de dire que ta sanction ne doit pas être discutée avant de connaître l'organisation du pouvoir législatif. On voulait aller aux voix; mais de nouvelles motions ont été faites sur la manière de délibérer, M. de Mirabeau a demandé l’appel nominal. M. de Castellane. Je m’oppose à ce que l’on prenne en ce moment une décision, car si les deux chambres existent, alors l’influence du veto royal n’est nullement nécessaire. M. Deschamps. Quand on nous a envoyés aux Etats généraux, on ne nous a pas dit : Vous ferez une constitution nouvelle, mais vous régénérerez l’ancienne ; vous ne direz pas que vous érigez notre gouvernement en état monarchique, mais vous confirmerez notre ancienne monarchie. Vous ne délibérerez pas sur la sanction royale, car nous en avons une. Ge n’est donc pas en nous égarant ainsi que nous arriverons à la Constitution, c’est en suivant la marche que nos commettants nous ont tracée. M. Mouiller soutient la sanction. Ges débats se terminent par la division de la motion : elle est réduite à celle de M. de Noailles : 1° Déterminer ce que l’Assemblée nationale entend par sanction royale ; 2° Si elle est nécessaire pour les actes législatifs ; 3° Dans quel cas la sanction royale doit être employée, et de quelle manière. Un membre demande que chacun représente son mandat, et qu’il soit fait deux colonnes nominales par oui ou par non. M. Delandine lit un article de son cahier, conforme à cette demande. M. le comte de Mirabeau. Ces listes sont contraires à la liberté des assemblées ; si le respect humain est une arme terrible qu’il faut ménager, ces moyens ne conviennent ni à la dignité, ni à la fraternité de l’Assemblée. Daus un pays voisin, la Chambre des communes n’est jamais souillée d’aucune protestation ; si on en a vu dans la Chambre haute, c’est que ses membres y défendent un droit individuel; mais ne donnons pas une opiniâtreté firmative aux opinions, et n’élevons pas un monument de division et de discorde. M.Duval d’Eprémenil. J’opine fortement pour qu’il soit laitdeslistes nominales. Cette forme me paraî t propre à prouver si les députés son t fidèles à leurs mandats : nous ne sommes que des mandataires liés par nos commettants, et je regarde la sanction absolue comme le rempart de la liberté publique. Mon cahier porte : « Que la loi ne sera que moyennant la sanction du roi, sans que sa religion soit obligée en aucun cas d’exposer les motifs de son refus. » J’insiste donc sur le droit du roi d’agréer ou de refuser la loi faite par les Etats généraux, et je propose la forme suivante : « Avant l’appel nominal, il sera fait un appel des bailliages, et le premier député de chaque ordre de chaque bailliage sera tenu de déclarer la volonté de ses commettants. » Les trois ordres ont èxisté dans les assemblées des bailliages, la loi y a été faite par la nation. Nous ne devons que la déclarer. Un membre des communes. J’ajoute un amendement à la motion de M. Duval d’Epreménil. Puisqu’on demande que chaque premier député de divers ordres de bailliage déclare la volonté de ses commettants, ne serait-il pas convenable que chacun de ces députés déclarât en même temps le nombre de ces mêmes commettants? M. le duc de Liancourt et M. l’abbé Grégoire remarquent que les députés ne répondent qu’à leurs commettants et à leur conscience de l’exécution des cahiers, et qu’ils n’en doivent aucun compte à l’Assemblée nationale. La séance est levée. Séance du soir . Un membre du comité de vérification dit que M. de Damas, député du clergé de Saint-Pierre-le-Moûtier a donné sa démission. Dom Abel de Lespinasse s’est présenté comme son suppléant ; ses pouvoirs ont été trouvés en règle et le comité propose de l’admettre. L’Assemblée prononce l’admission, On reprend la discussion sur le projet d'arrêté du comité des subsistances.