661 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [l*r février 1191.] privation de sa liberté, d’une erreur que la société ne doit imputer qu’à elle-même. M. le rapporteur paraît persuadé que fuir une procédure criminelle est toujours un crime; et il fonde tout son système de la contumace sur ce principe. Passons-lui pour un moment cette idée absurde, démentie par le premier sentiment de l'humanité; mais voyons de quel côté est le plus grand tort, ou de la part de l’innocence poursuivie qui a craint et qui a fui un moment, ou de la part de celui qui l’a soupçonnée, qui l’a poursuivie, qui l’a mise en danger. Tout le monde conviendra, sans doute, que la société, au nom de laquelle l’innocent a été exposé à toutes les suites d’une procédure criminelle, lui doit une plus grande réparation, pour cette injure ou pour ce danger, que l’innocent n’en doit à la société pour avoir éprouvé un mouvement de défiance et de timidité. Gomment donc la société pourrait-elle lui opposer cette faiblesse, pour se dispenser de lui donner l’indemnité qui lui est due? Que dis-je! pour l’en punir encore par un mois de prison, après qu’elle aura été obligée de l’absoudre? Punir rinuoceuce malheureuse, au moment où l’on avoue qu’elle a été injustement persécutée! Quelle doctrine! Quelle morale! Jamais l’antique tyrannie judiciaire nous a-t-elle présenté une violation aussi révoltante de la raison, de la nature et de l’humanité ? Je demande, pour l’honneur de nos principes, que cette proposition soit rejetée sur-le-champ. M. Tronchet. Je demande la suppression de la disposition qui enlève toute indemnité à l’accusé contumax et de celle qui le condamne, à titre de correction, à un mois de prison. Ce n’est pas que je ne sois persuadé que, dans un pays libre, il est essentiel que les hommes connaissent toute l’étendue de la soumission qu’ils doivent à la loi. Sur cela les Anglais ont une jurisprudence plus sévère que la nôtre. Chez eux, le défaut d’obéissance à la loi et de comparution devant le tribunal soumet à une peine terrible, que sa seule atrocité ne met plus aujourd’hui en usage. Mais je crois qu’il faut accoutumer peu à peu les hommes à cette soumission absolue à la loi ; c'est pour cela que je propose de conserver seulement cet avertissement qui est dans le milieu de l’article, parce qu’insensi-blement, après avoir accoutumé les hommes à cette soumission par l’avertissement public qui sera toujours donné à l’accusé qu’il a eu tort de se méfier de la justice et de la loyauté de ses concitoyens, on pourra peut-être, par la suite, en venir à une peine même pour celui qui n’aura pas obéi à la loi ; mais je la crois prématurée dans la circonstance, et je demande que tout contumax soit simplement rappelé à son devoir comme il est contenu dans le milieu de l’article. M. Duport, rapporteur. Je considère comme un devoir de se soumettre à la loi ; mais si l’Assemblée croit devoir changer l’article, je consens qu’on aille aux voix sur l’amendement de M. Tronchet. (L’amendement, mis aux voix, est adopté.) L’article 12 est décrété comme suit : « Dans le cas même d’absolution, l’accusé qui a été coutumax n’aura aucun recours; et le juge pourra lui faire en public une réprimande pour avoir douté de la justice et de la loyauté de ses concitoyens. » Art. 13. « Pendant toute la vie de l’accusé, tant qu’il sera contumax, le produit de ses biens saisis sera versé dans la caisse du district, en la forme qui sera déterminée par la suite. » M. de Laclièze. Cette disposition renouvelle la loi injuste de )a confiscation ; tandis que l’Assemblée a voulu abolir le préjugé des peines infamantes, c’est rappeler une disposition contraire tendant à les punir. M. Tronchet. Il faut distinguer, dans les biens d’un accusé contumax, ceux qui sont à lui et ceux de sa femme, par exemple, lorsqu'il en a une et qu’elle a du bien dont il n’est que l’administrateur. La justice, par cela même qu’elle est la justice, ne peut toucher à ceux-ci. Les enfants d’un contumax innocent, ou même coupable, n’en ont pas moins le droit de vivre, et de vivre sur les biens de leur père. Il faut donc distraire de la saisie tous les biens propres à la femme et toute la portiou des biens du contumax, nécessaires à la subsistance des enfants. M. Prieur. Je crois qu’il est de la justice d’accorder également une provision au père et à la mère de l’accusé, dans le cas où ils seraient dans le besoin. Vous savez que c’est une obligation imposée par les lois et par la nature elle-même à un enfant de nourrir son père et sa mère lorsqu’ils ont des besoins. M. Garat l'aïnè appuie l’opinion de M. Prieur. M. Bontteville-Dumetz. Je crois inutile d’ordonner dès à présent la remise des fruits dans la caisse du district et qu’il suffit de dire que les revenus du contumax seront séquestrés et employés comme il sera dit ci-après ; parce que je ne crois pas qu’il soit possible de décider actuellement de l’emploi qui sera fait de ces deniers. M. Duport, rapporteur . J’adopte les amendements de MM. Tronchet et Prieur; j’ajouterai du reste que, si ces observations ne sont pas manifestées dans la rédaction de l’article, elles étaient tout au moins dans les intentions des rédacteurs. M. de Montlosier. 11 serait atroce que dans un pays libre la loi s’emparât à la fois de LP personne et des biens des citoyens accusés. La société n’a de droits que sur le crime et le criminel : la personne seule du criminel répond du crime qu’il a commis; elle seule peut être punie. Mai? ses biens ne sont pas en votre pouvoir; ils appartiennent à sa femme, à ses enfants, à sa famille, que vous avez si solennellement déclarée ne pouvoir être entachée par les forfaits d’un de ses membres. Qu’est-ce qu’on vous propose dans cet article? C’est de confisquer les biens d’un accusé qui n’est encore convaincu d’aucun crime, qui peut-être n’est pas coupable, mais timide. Dans l’ancien régime, cette peine odieuse de la confiscation n’était pas connue. A quoi donc vous serviront et votre Constitution et votre liberté que vous vantez tant, si les droits naturels de l’homme y sont moins respectés, si l’ouvrier indigent, quia manqué du courage nécessaire pour soutenir l’épreuve d’une procédure criminelle, n’a pu s’enfuir sans qu’on enlève à sa femme et à ses en-