[7 janvier 1791.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de décret, je ne puis vous présenter que celui qu’il vous a déjà présenté lui-même, et qui, après avoir établi les principes les plus simples, vous propose la fabrication de la petite monnaie, et tend ainsi directement à votre objet (1). Si l’on persiste à écarter tout principe, à ne vouloir qu’une opération partielle, que votre comité, plus nombreux et plus instruit pour la discussion, avait unanimement rejetée comme fausse et funeste, d'autres que moi vous la présenteront. Votre comité, honoré de votre confiance, chargé par vous de vous indiquer les moyens véritablement propres à rétablir l’ordre dans cette partie importante de la chose publique, aurait cru se rendre infiniment coupable, vous tromper sciemment, et trahir lâchement les plus grands intérêts de la nation; si par faiblesse, par condescendance, par complaisance pour une partie de l’Assemblée, mal instruite, ou trompée, ou préoccupée, il avait dévié de la vérité connue, et vous avait conseillé une mesure dont il sentait le danger et les suites pernicieuses. Des médecins assemblés en consultation peuvent-ils ordonner au malade autre chose que ce qui, après un mûr examen, leur parait le meilleur, le seul efficace à rétablir sa santé. Si le malade ignorant, faible et trompé, préfère un remède de charlatan, et qu’ils ne puissent l’empêcher, quel sera l’homme assez injuste pour leur imputer sa mort? Leur honneur ne sera-t-il pas bien loin d’avoir contracté la tache de cette charlatanerie, et leur conscience celle des maux qui peuvent s’en suivre ? C’est une véritable médecine, un remède certain que vous avez demandé pour la maladie grave et très compliquée qui afflige les organes de la vie du commerce. La partie principale de cette maladie, que vous cherchez à guérir, est la rareté du numéraire; et de quel numéraire? des écus. Sans s’embarrasser de la cause qui la produit, et qui la produira toujours, tant qu’elle existera, tant qu’on négligera de l’attaquer, pour faire cesser cette rareté, pour avoir une quantité d’écus suffisante, on va vous proposer de faire fabriquer quinze millions en pièces de trente et quinze sous, au titre des écus, laissant aux étrangers, aux billonneurs et aux faux-monnayeurs, toute la liberté, toute la facilité qu’ils avaient su prendre sous le régime le plus désordonné et le plus apathique; et c’est ainsi qu’on veut travailler à la régénération, à la guérison de nos maux eu les empirant, en versant sur nos plaies, au lieu de baume, un poison sans remède. Ces comparaisons et ces expressions vous paraîtront justes et modérées, lorsque vous aurez porté une attention sérieuse sur toutes les vérités que je viens de vous exposer, lorsque vous réfléchirez sur les ressources infinies de la fraude et de l’agiotage. Il est vraisemblable, et il faut le dire, il est même certain qu’en cherchant à vous procurer, par une opération partielle, une augmentation de quinze millions en petit numéraire, il vous arrivera, à moins de précautions extraordinaires et fidèlement suivies, qu’on vous vendra fort cher vos propres écus, qu’on aura fondus et réduits en lingots. Ce que vous ne pouvez pas éviter, c’est de payer au moins seize millions et demi les quinze millions de matière qui vous sont nécessaires. Ainsi, la pièce que vous donnerez pour trente sous reviendra à l’Etat à environ trente-(1) Voir le rapport de M. de Cussy, Archives parlementaires, séance du 9 décembre 1790, tome XXI, page 344. 63 trois sous ; ainsi, pour toute augmentation de numéraire, vous aurez quinze millions de plus en pièces de trente et quinze sous, et quinze millions de moins en écus, ou, ce qui est la même chose, vous aurez quinze millions d’écus changés en pièces de trente et quinze sous, moyennant une dépense de plusieurs millions, non compris les vols et les pertes inévitables que vous préparent les billonneurs et les étrangers. C’est à quoi doit se réduire, en dernière analyse, l’opération partielle qu’on vous proposera. Votre comité vous en fera connaître l’absurdité, les dangers et les suites funestes : son devoirettousses pouvoirs se bornent là. Quitte avec sa conscience, quitte avec la nation, il fera des vœux pour que le temps elles autres affaires vous permettent de vous éclairer suffisamment sur celle qui n’est ni la moins importante, ni la moins urgente. M. de Mirabeau. Je demande à la majorité de l’Assemblée si elle a entendu un mot de ce que le préopinant vient de dire?... M. Belzais-Courménil. J’ai à vous présenfer, au nom de la majorité des comités des monnaies et des finances réunis, un plan qui a au moins le petit mérite d’être clair. Je conviens que vous ne l’adopteriez point, s’il s’agissait u 'établir en ce moment un régime général des monnaies; mais ce n’est qu’une opération provisoire que vous nous avez chargés de vous proposer. Ce projet de décret est ainsi conçu : « L’Assemblée nationale après avoir entendu ses comités des monnaies et des finances réunis, et sans rien préjuger sur les principes du système monétaire qu’elle se réserve de prendre en grande considération, a décrété et décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera incessamment fabriqué une menue monnaie d’argent jusqu’à concurrence de 12 millions de livres. « Art. 2. Cette fabrication sera faite au titre actuel des écus, et avec les mêmes remèdes, « Art. 3. Cette monnaie sera divisée en pièces de 30 sous et de 15 sous, et il en sera fait pour 6 millions de chaque espèce. « Art. 4. La valeur de chaque pièce sera exprimée sur l’empreinte. « Art. 5. L’Assemblée nationale invite les artistes à proposer le modèle d’une nouvelle empreinte ; elle charge son comité des monnaies de lui rendre compte de leur travail le plus tôt possible. « Art. 6. Il lui présentera incessamment ses vues sur la légende qu'il convient de substituer aux anciennes, et sur les moyens d’éviter les abus qui pourraient s’introduire dans cette fabrication. « Art. 7. Les divisions actuelles de l’écu en menue monnaie d’argent, et la monnaie de bi lion qui existent dans la circulation, continueront d’avoir cours, comme par le passé, jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné; mais il n’en pourra être fabriqué d’autres. « Art. 8. Il sera fabriqué de la monnaie de cuivre de 12, 6 et 3 deniers. « Art. 9. Il en sera incessamment fabriqué pour un million, et ensuite pour 100,000 livres par mois; et, sur la demande des departements, la fabrication sera augmentée ou suspendue par décret de l’Assemblée nationale. « Art. 10. Elle sera faite à la taille actuelle, l’Assemblée nationale n’entendant préjuger aucun des principes du système monétaire. « Art. 11. Un tiers de cette fabrication sera en 64 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 janvier 1791. j pièces de 12 deniers, un tiers en pièces de six, et l’autre tiers en pièces de 3 deniers. « Art. 12. Elle sera faite avec de nouveaux coins, dont le modèle sera incessamment décrété par T Assemblée nationale; toute fabrication de monnaie de cuivre avec les anciens cessera dans toutes les monnaies du royaume, aussitôt que les nouveaux pourront être employés. Les anciens seront brisés en présence de ta municipalité qui en dressera procès verbal quelle adressera sans délai au ministre des finances. « Art. 13. Pouraccélérer l’exécution du présent décret, les cloches des églises supprimées seront incessamment vendues à l’enchère, à la charge, par les adjudicataires, de payer partie du prix de l’adjudication en cuivre pur, jusqu’à concurrence du besoin des monnaies. Art. 14. Les comités des finances et d’aliénation proposeront incessamment à l’Assemblée nationale les charges et les clauses qu’ils jugeront convenables d’employer dans l’adjudication. » M. Rewbell. Il est impossible de discuter un projet sur une simple lecture ; je demande l’impression de ce projet de décret et l’ajournement de la discussion. M. Démeunier. Messieurs, vous ne pouvez pas décréter le projet qui vient de vous être lu. Vous ne faites pas attention qu’on vous propose de la petite monnaie au titre des écus. Uneémis-siou aussi considérable dans Paris serait fondue tout aussitôt. Il y en a une raison bien simple, c’est que, par un effet de votre position et de votre commerce, vous êtes obligés de payer des matières d'argent jusqu’à 55 ou 56 livres le marc. Un fondeur n’aurait qu’à prendre votre nouvelle monnaie, la mettre au creuset, porter le lingot à la monnaie et il y gagnerait une somme que je n’ai point calculée, mais qui doit être considérable. Je vous demande la permission de vous lire quatre articles qui me semblent convenir à votre position ; j’indique la somme de 15 millions. Voici ce projet de décret : « Art. 1er. Il sera fabriqué pour 15 millions de petite monnaie, laquelle contiendra huit parties d’argent et quatre de cuivre. Ou augmentera lu somme de la fabrication, si cette augmentation est jugée nécessaire. « Art 2. Les pièces delà nouvelle monnaie seront de 20,15,10 et 5 sous; leur empreinte, leur forme et leur valeur intrinsèque, seront déterminées incessamment par un décret particulier. « Art. 3. Les pièces de billon demeureront dans la circulation jusqu’à l’époque où la fabrication de la nouvelle monnaie permettra de décrier une partie de la monnaie de billon. « Art. 4. Il sera fabriqué pour un million de monnaie de cuivre pur et si les administrations de département trouvent celte somme insuffisante; il sera rendu compte de leurs pétitions à l’Assemblée nationale, qui statuera ce qu’il appartiendra ». J’appuie donc la demande d’ajournement faite par M. Rewbel et je demande que l’Assemblée veuille bien ordonner l’impression de mon projet de décret, en même temps que de celui du comité des monnaies. M. Charles de Lameth. Si le travail des comités aide les délibérations, il arrive aussi souvent que nos délibérations aident les travaux des comités. Je demande que l’Assemblée décide d’abord si ou non elle s’occupera de la révision du système monétaire, ensuite si elle changera la valeur des pièces reçues, si elle substituera les pièces de vingt sous à celles de douze, et enfin si elle veut des pièces d'argent pur ou d’alliage. Le vœu de i’Assemblée étant manifesté sur ces objets, il n’y aura rien de si simple à ordonner que la fabrication. Quant à l’opinion de M. Démeuuier, elle, mérite la plus grande attention. S’il y a du bénéfice à refondre les pièces, il est inutile d’en faire. Il faut qu’une pièce de monnaie ne soit autre chose qu’un facile moyen de commerce; il faut qu’il ne puisse pas y avoir de profit pour celui qui voudrait fondre les pièces de monnaie. Il ne doit pas y avoir ici de bénéfices pour l’Etat. Des brigands ou des ministres déprédateurs peuvent seuls forcer à prendre des pièces à une valeur qu’elles n’ont pas. C’est une chose de la plus haute importance que la petite monnaie; le peuple en a le plus grand besoin; et lorsque les ennemis de la chose publique s’occupent à le harceler par toutes sortes de manœuvres, il faut bien que l’Assemblée nationale cherche les moyens de le consoler. M. de Crillon. L’objection qu’a faite M. Dé-meunier ne me paraît pas devoir vous arrêter; car s’il y a un profit, aussi certain qu’il l’annonce, à foudre la monnaie qu’on vous propose acluelle-iernent, il est évident qu’on peut aujourd’hui fondre vos écus M. Démeimlet*. C’est ce qui se fait. M. de CriElon. Je voudrais que M. Démeunier me laissât parler; car c’est, un avantage que je ne lui dispute pas. Je ne crois point que b s écus soient fondus avec l’activité qu’on vous annonce; il paraît au contraire que l’argent devient moins cher. L’argent avait disparu par méfiance; mais la confiance qu’obtiennent les assignats le font sortir tous les jours avec plus d’abondance. I! est certain que l’argent est moins rare; c’est uu fait dont tout le inonde est témoin. Je sais, d’après ces differentes raisons, que les vues proposées par vos comités, qui nous ont annoncé, ce me seml.de, avoir consulté le gouvernement et s’être accordés avec lui, ont un grand avantage. Ain>i je conclus à ce qu’on aille aux voix sur le projet des comités. (L’Assemblée, consultée, ordonne l’impression des projets de décret et ajourne la discussion à dimanche prochain.) M. le Président fait lecture à l’Assemblée d’une lettre de M. Montmain, membre de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue, par laquelle il demande, nonobstant le décret du 12 octobre dernier, d’aller à Tonnerre, ensuite en Picardie et en Normandie, d’où il se rendra dans la capitale, aux ordres de l’Assemblée et du roi. (L’Assemblée lui accorde sa demande.) M. Charles de Lameth. Messieurs, il y a un député à l’Assemblée nationale, de la députation de la ci-devant province d’Artois, qui, m’a-t-on dit, est parti sans congé pour se rendre dans son pays. Je demande que l’Assemblée se fasse rendre compte si M. Boudard, curé de laGouture, a effectivement demandé un congé; s’il n’en a pas obtenu, comme c’est un des curés qui n’ont pas prêté leur serment et qui ne se sont pas conformés au décret,