[Etals généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1789. jours qu’il est favorable à la vérification séparée; sur la raison, il observe que la division par Chambres est plus propre que l’Assemblée générale à s’opposer au progrès du despotisme ministériel, attendu la facilité que le ministère pourra trouver à séduire ou entraîner plus de la moitié des membres de cette Assemblée. Un membre des communes répond : La question sur la division des Chambres est étrangère à celle de la vérification des pouvoirs, dans laquelle nous sommes renfermés par les termes de nos mandats. Au reste, le système du despotisme étant, depuis bien des siècles, de diviser pour soumettre, il sera difficile de persuader que le meilleur système de résistance soit aussi de diviser. D’ailleurs, si l’on peut croire la division des Chambres utile pour conserver une forme de constitution établie, il est évident qu’elle nepeutêtre que très-nuisible lorsqu’il s’agit de réformer, puisque, si l’on considère la prétention duneto, 151 voix dans une seule Chambre suffiraient pour empêcher une amélioration votée par 1 ,049 représentants. Des membres de la noblesse disent que tous les députés aux Etats généraux connaissent la liste et les noms des députés de chaque ordre, et que les ordres peuvent bien, sans péril, avoir la confiance mutuelle de s’abandonner les vérifications respectives. On leur répond que connaître les noms, ce n’est pas connaître les titres ; que s'il peut être uestion ici d’égards d’honnêleté, la noblesse ne oit pas douter que les communes ne s’empressent de lui donner des preuves d’une confiance méritée ; mais qu’il s’agit d’un droit national, d’un devoir des représentants de la nation, objets sur lesquels il est impossible de composer. Un autre membre de la noblesse dit encore que le tiers-état, ayant une double représen tation, acquerrait une trop grande influence sur les questions qui pourraient s’agiter au sujet de. la vérification des pouvoirs de la noblesse, sans que la hoblesse, à raison du nombre auquel elle est réduite, pût exercer la même influence sur les députations du tiers-état. Les membres des communes combattent cette objection en observant d’abord que cette double représentation n'est qu’une justice qui est due évidemment au corps de la nation composée de 25 millions d’hommes ; que, dans le fait, il n’y a rien à craindre du jugement porté dans cette forme , puisqu’une députation ne peut être rejetée tout entière sans exclure les députés des communes, comme ceux du clergé et de la noblesse. Les deux ordres étant d’ailleurs Représentés en nombre égal à celui des députés des communes, on ne peut apercevoir ici aucune influence redoutable de part ni d’autre. J Un membre des communes fait ensuite obser-!œr qu’il est d’autant plus essentiel de perdre en-in ce respect superstitieux pour les anciens usa-[es, que si l’on veut absolument les regarder omme une règle inviolable, il s’ensuivra que outes les députations de la noblesse devront être éclarées milles. En effet, en 1614, les seuls noies possédant fiefs étaient électeurs et éligibles. Si donc il est sévèrement défendu de s’écarter en aucun point de l’observation des anciens usages, les nobles choisis parmi ceux qui n’ont pas de possessions féodales, et même tous les nobles choisis par des électeurs qui ne sont point seigneurs de fiefs, c’est-à-dire l’ordre entier de la noblesse, devraient être exclus. L’un des membres de la noblesse est frappé de cette observation, et le déclare. Sur ce qu’un membre de la noblesse dit que les mandats de cet ordre s’opposent, pour la plupart, à la délibération par tête , même sur la vérification des pouvoirs, il est observé par un membre des communes que ces mandats ne peuvent être relatifs qu’à la manière d’opiner après la constitution des Etats, et qu’il est impossible d’entendre qu’ils imposassent la moindre gêne sur la forme de vérification qui est préalable à l’activité des Etats généraux. La conférence ayant duré depuis six heures jusqu’à neuf heures et demie, MM. de la noblesse annoncent qu’ils désirent pouvoir en rendre compte à leur Chambre, et que la conférence soit remise. Elle est continuée au lundi 25, à cinq heures et demie du soir. ÉTATS GÉNÉRAUX. Séance du lundi 25 mai 1789. CLERGÉ ET NOBLESSE. Le clergé et la noblesse ne se sont occupés d’aucune délibération. communes. M. Moreau. Je prends la parole pour deman der la suppression du spectacle. Le Roi n’est pas dans l’usage d’en avoir pendant l’été; il n’a interrompu cet usage qu’en faveur des Etats. Vous savez que chaque spectacle coûte plus de mille écus. Il est convenable de le supprimer, ou bien il vaut mieux assurer cette somme aux pauvres. Les spectacles ne peuvent procurer des amusements dignes de’la gravité et de la majesté d’une si auguste Assemblée. Les spectacles ne sont bons que pour un peuple corrompu, et ils ne conviennent pas à un peuple qui veut régénérer ses mœurs et faire cesser les principes de la corruption. L’Assemblée pense qu’il ne convient pas aux députés des communes, dans les circonstances présentes, de s’occuper de cet objet. Cette motion excite quelques rumeurs; mais elle n’a pas de suite, et elle est rejetée sans être délibérée. M. le Doyen lit une motion qui lui a été remise; elle contient quatre points: 1° que chaque député ne pourrait entrer qu’en habit noir, ou au moins qu’il ne pourrait parler en habit de couleur ; 2° Que les étrangers ne pourraient se placer que sur les gradins élevés sur les deux côtés de la salle, et que les députés se mettraient dans l’enceinte; 3° Que les bancs seraient numérotés et tirés au sort, et les doyens changés tous les huit jours; 4° Que les bancs du clergé et de la noblesse seraient toujours vides. Il s’élève beaucoup de tumulte pour savoir si on mettra ces quatre propositions en délibéra-ration. [Etats généraux.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 mai 1789.] On va aux voix sur les objets de la motion. Les premiers opinants sont d’avis d’abandonner cette motion qui convenait peu à la dignité d’une nation rassemblée ; que de semblables discussions ne fourniraient que trop de matière aux plaisanteries des folliculaires; et que, lorsqu’on avait à délibérer sur des affaires beaucoup plus importantes, ou ne devait pas s’agiter sur la manière dont on serait vêtu. D’autres veulent prouver que chaque député ne doit pas entrer dans la salle sans son habit noir, costume qui, par son uniformité, fait disparaître la vanité ridicule des riches. M. le comte de Mirabeau. Toutes ces discussions prouvent la nécessité d’un règlement de police, dans lequel les objets proposés pourront êtredéterminés. Je demande qu’on nomme des commissaires pour travailler à la rédaction de ce règlement, qui sera sanctionné par l’Assemblée, et au moyen duquel on remédiera au tumulte et à la longueur des délibérations. Gomme les délibérations les plus sérieuses vont se présenter chaque jour, il faut nécessairement arrêter les formes les plus sévères pour établir l’ordre et la liberté des débats, et recueillir les voix dans toute leur intégrité. A Dieu ne plaise que je blesse aucun amour-propre, ni même que je m’afflige de nos débats un peu bruyants, qui jusqu’à présent ont mieux montré notre zèle et notre ferme volonté d’être libres que ne l’eût fait la tranquillité la plus passive. Mais la liberté suppose la discipline; et puisque tous les moments peuvent nécessiter des démarches dont on ne saurait prévoir toutes les suites ni s’exagérer l’importance, il faut pour l’acquit de tous nos devoirs, et même pour notre sûreté individuelle, prendre un mode de débattre et de voter qui donne incontestablement le résul tat de l’opinion de tous. M. Mounier. J’expose qu’il y a quinze jours, ayant proposé la même motion, elle fut rejetée par l’avis même de M. de Mirabeau. Les causes qui lui ont servi de prétexte pour faire rejeter ce règlement étaient qu’il fallait opposer une force d’inaction aux refus des deux ordres de vérifier les pouvoirs en commun ; ces motifs subsistent encore, je ne peux pas me rendre à l’opinion actuelle de M. le comte de Mirabeau. M. le comte de Mirabeau. Le règlement ne sera que provisoire, au lieu qu’on proposait il y a quinze jours un règlement définitif. Un membre. J’observe que les rangs et les dignités ne doivent pas être répétés sans cesse dans une Assemblée d’hommes égaux. M. le comte de Mirabeau. J’attache si peu d’importance à mon titre de comte que je le donne à qui le voudra ; mon plus beau titre, le seul dont je m’honore, est celui de représentant d’une grande province, et d'un grand nombre de mes concitoyens. Un membre. Je suis de l’avis de M. le comte de Mirabeau. Je dis M. le comte, car j’ajoute si ( peu d’importance à un semblable titre, aujourd’hui si prodigué, que je le donne gratis à qui voudra le porter. L’avis de M. de Mirabeau passe à la pluralité de 436 voix contre 11. SUITE DES CONFÉRENCES, Pour la vérification des pouvoirs. Les objets traités dans la première conférence sont rappelés sommairement. Un des membres de la noblesse citant de nouveau les Etats de 1588, qui ont déployé beaucoup de vigueur et qui ont fait séparément la vérification des pouvoirs, un membre des communes lui répond que depuis la dernière conférence, il a vérifié le pro� cès-verbal des Etats de 1588, tiré des manuscrits de la bibliothèque du Roi, et qu’il est maintenant avéré que le renvoi des contestations sur les pouvoirs au conseil du Roi a eu lieu dans ces Etats comme dans ceux de 1614, et que dans les uns comme dans les autres le jugement des pouvoirs) n’a appartenu aux Chambres que lorsque les par4 ties ont consenti à se soumettre à leur arbitrage. MM. de la noblesse déclarent qu’ils ont dessein de maintenir l’arrêté pris dans leur Chambre pour la vérification par ordre ; que leur honneur est attaché à l’exécution de cet article ; qu’ils pourront se prêter seulement à un projet de conci-t Ration qui tiendra à donner connaissance deé pouvoirs de leurs députés à MM. du clergé et dii tiers-état, mais sans déroger à la vérification par ordre, et ils ont demandé que MM. du tiers-état proposassent quelques projets de conciliation. Les membres des communes répondent que la conférence s’étant établie pour s’éclairer mutuelt lement, ils seront toujours persuadés que MM. de la noblesse, animés du zèle le plus pur pour l’intérêt public, donneront le noble exemple de bannir de cette discussion tout sentiment d’amour-propre, et que c’est dans la rétractation d’une erreur, si elle leur est échappée, qu’ils placeront ce véritable honneur si cher à la nation française; qu’au surplus, réclamant la vérification en commun, et croyant avoir démontré la justice de cette vérification, ils n’ont à proposer sur cet objet aucune composition, et qu’ils n’ont aucune mission à cet égard. ! L’un des membres’ de la noblesse dit que les Chambres pourront renvoyer à des commissaires tirés des trois ordres l’examen des pouvoirs suif lesquels il s’élèvera quelques contestations ; que ces commissaires feront le rapport de cet examen à leurs Chambres respectives, et qu’en cas de différence dans les jugements, ils se réuniront encore jusqu’à ce que les Chambres se soient accordées. Sur ce qu’il est observé que cette forme nés présente au fond que des vérifications par ordre séparé; qu’elle entraînera beaucoup de lenteur et pourra ne conduire à aucun résultat, un membre du clergé dit qu’on pourra en ce cas renvoyer le jugement au Roi, ou convenir que le jugement se formera de la pluralité de deux Chambres contre une. Cette idée, abandonnée aussitôt que présentée, ne donne lieu à aucune discussion. Les membres des communes répètent que leur mission se borne à réclamer la vérification des pouvoirs en commun; et, rentrant dans le fond de la discussion, ils s’attachent à prouver que les députés de toutes les classes ont qualité et intérêt à cette vérification. I Les commissaires de la noblesse demandent qu’on ne s’occupe plus que des projets de concii-liation qui laisseraient néanmoins subsister les principes de l’arrêté de leur Chambre.