[13 novembre 1789.] 45 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. sition ne convient plus pour les déclarations. Il ne peut y avoir d’exception quand il ne s’agit que de dire la vérité. M. Defermond. La même raison doit déterminer à comprendre dans le décret les ordres de Saint-Michel, de Malte, de Saint-Lazare, etc. M. le comte Des Roys, député du Limousin , propose cette motion : Que tous les titulaires et supérieurs des établissements ecclésiastiques, sans exception, seront tenus de faire des déclarations, etc., et que tous ceux qui auront fait des déclarations frauduleuses seront déchus de tous droits à leur bénéfice, ainsi qu’à toutes pensions ecclésiastiques. M. le marquis de Toulougeon présente cet amendement : que les déclarations soient faites par-devant les juges des lieux, et sous procès-verbaux d’inventaire, dont copie sera envoyée à l’Assemblée nationale. M. l’abbé de Alontesquiou. Vous ne pouvez pas vouloir nous soumettre à des peines avant d’avoir fixé exactement la forme des déclarations. Beaucoup d’abbés commandataires ne sont jamais allés dans leurs abbayes; voulez-vous les dépouiller pour des erreurs involontaires ? Vous ne devez punir que la mauvaise foi. indiquez-nous donc les moyens qu’il faut prendre pour faire des déclarations complètes. M. Treïlhard. Ce que vient de dire le préopinant nous prouve peut-être la sagesse de la mesure que vous venez de rejeter. Depuis trois cents ans, on a fait une multitude de déclarations, et pas une peut-être ne s’est trouvée exacte J’appuie d’autant plus volontiers la proposition de M. Des Roys, qu’il sera infiniment aisé de se conformer au vœu de l’Assemblée. Je m étonne qu’on ait cherché à excuser d’avance l’inexactitude et l’infidélité des déclarations. M. Ilébrard. Beaucoup d’ecclésiastiques ont fait au fisc des déclarations inexactes; il serait à propos d’insérer dans le decret une clause qui les mit à l’abri des poursuites des traitants. MM. delà Cfalissonnière et llilscent proposent d’ordonner que les déclarations seront affichées aux portes des églises et des paroisses. M. de Cazalès observe que beaucoup de membres ont quitté la séance dans la persuasion qu’elle était levée. Il demande l’ajournement à demain. Cet ajournement est rejeté. On délibère sur la proposition de l’affiche; elle est adoptée, ainsi que divers amendements, Le décret est conçu en ces termes : « L’Assemblée nationale a décrété ce qui suit : « Que tous titulaires de bénéfices, de quelque nature qu’ils soient, et supérieurs de maisons et établissements ecclésiastiques, sans aucune exception seront tenus de faire sur papier libre et sans frais, dans deux mois pour tout délai, à compter de la publication du_ présent décret, par devant les juges royauxou ofliciersmunicipaux, une déclaration détaillée de tous les biens mobiliers et Lumo-biliers dépendants des dits bénéfices, maisons et établissements, ainsi que de leurs revenus, et de fournir dans le même délai un état détaillé des charges dont lesdits biens peuvent être grevés ; lesquels déclarations et états seront par eux affirmés véritables devant lesdits juges ou officiers, et seront publiés et affichés à la porte principale de chaque paroisse où les biens sont situés, et envoyés à l’Assemblée nationale par lesdits juges et officiers. Décrèle pareillement que les titulaires et supérieurs d’établissements ecclésiastiques seront tenus d’affirmer qu’ils n’ont aucune connaissance qu’b ait été fait directement ou indirectement quelque soustraction des titres, papiers et mobilier desdits bénéfices et établissements, comme aussi que ceux qui auraient fait des déclarations frauduleuses seront poursuivis devant les tribunaux, et déclarés déchus de tout droit à tous bénéfices et pensions ecclésiastiques ; pourra néanmoins le susdit délai de deux mois, être prorogé, s’il y a lieu, pour les ecclésiastiques membres de l’Assemblée seulement, et sur leur réquisition, sans que des déclarations qui seront faites, il puisse résulter aucune action de la part des agents du fisc. » M. le Président a levé la séance, et l’a indiquée pour demain neuf heures et demie du matin. ANNEXES A la séance du 13 novembre 1789. lre ANNEXE. Observations et motions de M. le comte de Cler-mont-d’Esclaibes, député de Chaumont-en-Bassigny, relatives au port d’armes. (Distribuées le 13 novembre 1789.) Député du bailliage de Chauinont-en-Bassigny, j’ai l’honneur d’observer à l’Assemblée nationale : 1° Que cette partie de la Champagne est couverte de forêts qui servent d’aliment à quantité de forges, fourneaux, clouteries et autres usines à feu ; 2° Que les nombreux ouvriers occupés à l’exploitation des bois et à la fabrication des fers, sont, les uns venus de provinces éloignées, la plupart sans domicile fixe, et presque tous sans aucune propriété foncière; 3° Que d’une part on les voit, depuis la suppression du droit de chasse, empressés à se pourvoir d’armes à feu, et de l’autre, à la veille de tomber dans le désœuvrement, puisque Paris a fermé le principal débouché où se portaient les produits de leur industrie; 4° Que les réflexions à faire sur le danger de laisser armés une multitude de bras oisifs et qui portent tout avec eux sont applicables, sans doute, à plusieurs autres parties du royaume; 5° Qu’entin le prétendu droit de tout homme libre à porter des armes, disparaît devant celui de la société, qui pour sa propre conservation, peut exiger une garantie de ceux à qui elle confie cette force artificielle. En conséquence, je propose à l’Assemblée de décréter qu’aucun habitant des campagnes ne pourra porter ou garder chez lui une arme à feu, s’il n’est propriétaire ou fermier d’une étendue de sol suffisante à l’occupation d’une charrue. Nota. Il y a plus de six semaines que cette motion a été mise sur le bureau : M. le président m’a observé qu’elle n’était point dans l'ordre du jour, et je n’ai pas cru devoir insister. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1789.] 46 [Assembtée nationale.] De nouveaux avis, de pressantes, d’itératives sollicitations me persuadent que mes commettants croient nécessaires et très-urgent de la renouveler. Pressé entre ma soumission à leurs volontés et 1a crainte d’importuner l’Assemblée, j’ai pris le parti de mettre chacun de ses membres à même de juger si ma demande mérite attention ou ajournement. 2e ANNEXE. Rapport fait au comité des domaines, le 13 novembre 1789, sur les domaines de la Couronne par M. Ènjubault de Laroche, l'un des membres du comité (1). (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, le temps qui répand les lumières, perfectionne aussi les lois : celles qui régissent les domaines de la Couronne ont subi des révolutions fréquentes, qui jettent sur cette matière une assez grande obscurité. Pour bien connaître cette branche essentielle de notre législation, il faut en rechercher l’origine, en étudier les variations en suivre les progrès. C’est la tâche que vous m’avez imposée. Les détails où je vais entrer sont arides et rebutants. Je compte sur votre attention, parce que la matière est importante ; et j’implore votre indulgence, parce que je connais la faiblesse de mes moyens. Les rois de France ont eu, dès l’établissement de la monarchie, des domaines considérables. Les Francs, conquérants des Gaules, s’emparèrent d’une portion du territoire des peuples vaincus. Toute l’armée victorieuse prit individuellement une part plus ou moins grande à cet intéressant partage; et l’on juge bien que celle du chef de la nation fut relative à la dignité et aux charges qu’il avait à soutenir (2); aussi le produit des domaines royaux, joint à quelques perceptions accessoires, a-t-il longtemps suffi aux dépenses ordinaires de la souveraineté. Ces précieux domaines qui formaient toute la richesse de l’Etat, n’étaient cependant pas considérés alors comme inaliénables. Les rois mérovingiens, entourés de guerriers exigeants et farouches, de prélats ambitieux (3), de courtisans avides, détachaient chaque jour des portions considérables de leurs domaines, qu'ils conféraient à litre de bénéfice. Ces dons multipliés furent (1) Le Moniteur n’a pas inséré le rapport de M. En-jubault de Laroche. (2) Rien ne nous instruit, dit l’abbé Mably,dela manière dont ils acquirent des terres... Le silence de nos lois et de Grégoire de Tours permet de conjecturer qu’ils se répandirent sans ordre dans les provinces.... et qu’ils s’emparèrent sans règle d’une partie des possessions des Gaulois.... chacun.... suivant son avarice, ses forces ou le crédit qu’il avait dans la nation. (3) Les rois mérovingiens ne levaient d’abord aucun impôt ; la guerre se défrayait elle-même, et les rois de la seconde race, les premiers mémo de la troisième, n’établissaient des subsides, avec le consentement de la nation, que lorsque quelque grande expédition militaire ou quelque événement imprévu les forçait à des dépenses extraordinaires. Le prince eut pour subsister, dit l’auteur déjà cité, ses domaines, les dons libres de ses sujets, les amendes, les contiscalions et les autres droits que la loi lui attribuait : Aiebat (1 Ihilpericus ) plerumque : ecce pauper re-mansit fiscus noster : divitiæ nostræ ad ecclesias sunt translatée: nulli penitùs nisisoli episcopi regnans, etc. Grec. Tur. d’abord amovibles à la volonté du donateur : ils furent ensuite conférés à vie, et la commune opinion est que le traité d’Andelaw ou d’Andely entre Childebert et Contran les rendit héréditaires. Celui de Paris consomma bientôt après celte grande révolution. La prodigalité des rois eut bientôt épuisé leurs possessions territoriales, et les Francs loin de contester au monarque le droit de les aliéner, cherchèrent à faire imprimer le sceau de la loi (1 ) à ces dissipations ruineuses. Le traité dont on vient de parler fut l’ouvrage des grands du royaume. Ils allèrent jusqu’à forcer les deux rois français à rétablir dans leurs bénéfices ceux qui en avaient été dépouillés (2). Ces rois privés de leurs domaines perdirent leur puissance avec leurs richesses. Les maires du palais profitèrent de cet affaiblissement et ne leur laissèrent que le vain titre de roi. Le trône même fut vacant pendant un assez long intervalle, sous le gouvernement de Charles-Martel (3) et son Fils Pépin dicta bientôt après à levêque de Rome (4) cette fameuse réponse par laquelle ce pontife disposa du trône, en déclarant qu’il convenait que le titre et la puissance fussent réunis sur la même lête. Charlemagne dont le caractère moral porte toujours l’empreinte de la véritable grandeur, gouverna ses domaines avec une attention digne du citoyen le plus économe. On trouve, dans un de ses capitulaires, un compte exact de son administration domestique. Les détails où il daignait descendre et qu’il partageait avec l’impératrice, paraîtraientaujourd’hui minutieux et presque vils. (1) Le traité d’Andely passé entre les rois français avec le concours des grands de la nation, et réglant les propriétés particulières, doit sous ce rapport être considéré comme une loi civile. (2) Les maximes du droit public étaient alors absolument méconnues : le royaume se partageait comme une grande terre ; le monarque en détachait des portions, comme on a démembré depuis un simple fief. Les bénéfices, dit l’abbé Mably, que les rois mérovingiens donnaient à leurs leudes, furent incontestablement des terres qu’ils détachèrent des domaines considérables qu’ils avaient acquis par leurs conquêtes, et dont ils se dépouillèrent par pure libéralité, pour récompenser les services de leurs officiers, ou les complaisances de leurs courtisans. Remarques et preuves sur l’histoire de France et l’esprit des lois. (3) C’était un grand homme que Charles-Martel : il avait des talents supérieurs, de grandes lumières, et quelques vertus; ruais il était austère, dur, même cruel, et excessivement ambitieux. Il voulait être craint : pour se faire redouter, et pour exécuter ses vastes projets, il lui fallait des troupes affectionnées. Il les combla donc de bienfaits, et, comme les domaines de la couronne étaient dissipés, anéantis, il s’empara des biens ecclésiastiques, et il partagea entre ses soldats les richesses immenses que le clergé avait pieusement amassées. Plus habile et plus prévoyant que les rois mérovingiens, dont la chute avait fait remarquer les fautes, il ne fit ces dons qu’à la charge de rendre au bienfaiteur des services militaires et domestiques ; de là ces bénéficiers furent appelés vassaux : le mot vassal dans la langue de ces temps reculés signifiait un officier domestique. Ceci nous conduit naturellement à observer que c’est à ces nouveaux bénéfices, et non à ceux de la première race qu’il faut attribuer l’origine des fiefs. Celte source, comme l’on voit, n’a pas été extrêmement pure ; la féodalité, cet aliment de la vanité française, a eu pour instituteur un sujet ambitieux : des projets coupables furent ses motifs, et des dons corrupteurs ses moyens. Ce n’est qu’après une révolution de 10 siècles que l'Assemblée nationale a eu le courage et le bonheur de renverser cet édifice barbare et gothique. (4) Le pape Zacharie.