[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [5 mai 1791-J 613 port du comité de judicature sur le remboursement des offices d'avocats au Conseil. M. Régnier, au nom du comité de judicature (1). Messieurs, malgré la suppression générale des offices ministériels, une partie des avocats aa Conseil doutaient encore qu’ils dussent se regarder comme compris dans celte suppression; ils ne croyaient pas même qu’ils fussent enveloppés dans celle du conseil des parties ; mais votre décret du 14 de ce mois a dû. faire cesser toutes leurs incertitudes, et il ne s’agit plus dans ce moment-ci que de déterminer ce qui peut leur être légitimement dû à titre de remboursement. Avant de vous présenter l’opinion de votre comité sur ce point, il importe de vous retracer en peu de mots, les basea que vous avez consacrées par vos précédents décrets. A ne consulter que les règles austères d’une rigoureuse justice, vous eussiez pu vous borner sans doute à décréter en général que les offices seraient remboursés sur le pied de la finance, puisque, d’après cette mesure, l’Etat aurait rendu aux titulaires tout ce qui a été effectivemeit versé dans le Trésor p iblic : mais vous avez senti, Messieurs, que l’adoption de cette base unique deviendrait funeste à une multitude de familles au sort desquelles vous n’avez pas cru que la nation pût être indifférente. En effet, vous saviez que, par le concours de plusieurs causes, un grand nombre d’offices avaient tellement augmenté de valeur, surtout dans les derniers temps, que le. prix auquel ils avaient été vendus n’avait plu3 aucune proportion avec la finance originaire; ainsi, restreindre les acquéreurs au simple recouvrement de cette finance, c'eût été en quelque sorte décréter leur ruine, et peut-être encore celle de leurs légitimes créanciers. Vous avez donc jugé, Messieurs, que d’autres bases devaient être préférées à celles-là, et sûrs d’être avoués par la nation généreuse dont vous êtes les représentants, vous vous êtes portés à procurer, aux titulaires supprimés, tous les adoucissements que vous avez crus compatibles avec les devoirs sévères que vous avez à remplir. C’est cet esprit qui a évidemment dicté vos décrets des mois de septembre et décembre 1790. Pour les premiers, qui se réfèrent aux offices de judicature et de municipalité, vous avez voulu d’abord que tous les titulaires, qui avaient évalué en exécution de l’édit de 1771, fussent liquidés sur le pied de cette évaluation, mesure équitable, puisque par là vous accordiez à ces titulaires la valeur qu’ils avaient eux-mêmes assignée à leurs offices. Passant ensuite à ceux qui n’avaient pas été soumis à l’évaluation de 1771, vous avez décrété qu’ils seraient remboursés sur le pied du dernier contrat d’acquisition, c’est-à-dire de tout ce que l’office avait pu leur coûter effectivement : enfin, prévoyant le cas où le titulaire se trouverait dans l’impuissance de produire un contrat d’acquisition, vous avez décidé que dans ce cas même il serait remboursé, non sur le pied de la finance, mais sur celui du prix moyen des offices de la même nature et de la même compagnie qui auraient été vendus 10 ans avant et 10 ans après l’époque des provisions du titulaire. En un mot, par vos décrets du mois de septembre, vous n’avez réduit l’officier supprimé (1) Le rapport de M. Régnier n’a pas été inséré an Moniteur. au simple prix de la finance que dans une seule hypothèse; c’est celle où, ayant pu évaluer en exécution de l’édit de 1771, il n’a pas jugé à propos de le faire, ce qui devient infiniment juste alors, puisqu’à défaut d’évaluation il est présumé avoir adopté lui-même le prix de la finance comme formant la véritable valeur de son office. Les décrets du mois de décembre, concernant les offices rainistérie's, ont aussi pour bases ces grands principes d’équité ; mais il suffira de vous rappeler ici l’article 20 de ces décrets qui, selon votre comité, est susceptible d’une application parfaite à l’espèce sur laquelle vous aviz à prononcer maintenant. « Les offices de différente nature dont il vient d’être parlé, qui n’étaient pas soumis à l’évaluation de 1771, autres néanmoins que ceux des greffiers et huissiers audienciers sur lesquels il a été statué par les décrets des 2 et 6 septembre dernier, seront remboursés sur le pied des contrats d’acquisition, et à leur défaut sur le pied de la finance. » Aux termes de tous vos décrets, le remboursement sur le pied de la finance ne doit donc jamais venir qu’en dernier ordre ; l’évaluation et le prix du contrat ayant obtenu une préférence formelle sur ce mode de remboursement. Maintenant si nous appliquons ces principes à la liquidation des offices d’avocats au Conseil, il ne paraît pas que le mode de cette liquidation puisse être problématique; il est très constmt d’une part que ces officiers n’ont point été soumis à l’évaluation de 1771 : il ne l’est pas moins, de l’autre, que tous ont des contrats d’acquisition en bonne forme; c’est donc sur le pied de ces contrats que tous doivent être remboursés. En vain prétendrait-on que les avocats au C n-seil ne sont ni officiers de judicature ni officiers ministériels, et qu’ainsi les bases de remboursement décrétées en septembre et en décembre ne sauraient leur être appliquées. D’abord, quelles qu’aient été les prétentions de ces officiers, il parait assez difficile de ne pas le3 ranger dans la classe des officiers ministériels ; non pas à la vérité dans le même sens que de simples procureurs, mais du moins comme ayant réuni les fonctions ministérielles à d’autres fonctions d’un ordre plus relevé. Ensuite, qu’importerait d’ailleurs qu’on ne dût pas les classer parmi les officiers ministériels? La base des remboursements sur le pied des contrats, lorsqu’on n’a pas été soumis à l’évaluation, ne peut pas être regardée comme une mesure particulière, et qui ne convienne qu’à une certaine classe d’officiers ; il est évident que c’est une mesure générale que l’équité vous a fait adopter, et dont l’équité sollicite aussi l’application dans le même cas, à tous les offices, d ms quelque classe qu’il faille les ranger. En effet, Messieurs, pourquoi avez-vous préféré cette base à celle de la finance? Votre comité en a déjà donné la raison, c’est que vous avez craint qu’une foule de titulaires n’eussent trop à souffrir, s’ils se trouvaient réduits au simple recouvrement de cette finance qui, très souvent, se trouve dans unedisproportionénormeavecle prix des contrats. Or, ce motif si légitime et si respectable de vos décrets s’applique aux avocats au Conseil peut-être plus encore qu’à toute autre classe d’officiers, car le plus haut prix où la finance de leurs offices se soit élevée n’excède pas 10 livres, tandis que plusieurs d’entre eux ont acheté sur le pied de 70, 80, 90, 000 livres, etc... que 2 ont même porté le prix de leurs acqui- 014 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 15 mai 1791.] sitions, l’un à 105 et l’autre à 115,000 livres. Quelle ne serait pas la perte de ces titulaires, si le remboursement de la finance était le seul recouvrement sur lequel ils pussent compter. Ces prix qui, au premier aspect, peuvent paraître excessifs, trouvent pourtant leur excuse dans les circonstances. La Juridiction du Conseil était d’une étendue immense : de brillantes clientèles, des relations qui, en flattant l’amour-propre, pouvaient en môme temps ouvrir le chemin de la fortune ; le séjour dans la capitale, la stabilité que semblaient avoir les offices d’avocats au Conseil; tout a concouru à en faire hausser prodigieusement le prix. Quoiqu’il en soit, l’application de la base que vous ave� posée ne dépend pas du prix plus ou moins fort auquel les contrats de vente ont pu s’élever ; quel que puisse être ce prix, vos décrets en ordonnent le remboursement, lorsque l’office n’a pas été soumis à l’évaluation. Les offices des avocats au Conseil sont incontestablement dans ce cas; ainsi. en vous proposant de les liquider sur le pied des contrats d’acqui3ition, votre comité ne vous propose que de décréter l’exécution de la loi que vous avez précédemment portée. Il s’en faut nien pourtant que l’adoption de cette base équitable doive satisfaire également tous les avocats au Conseil. Sur 73 individus dont cette compagnie était composée, 50, à ce qu’on assure, demandent avec instance que vouslarejet-tiez, ce sont ceux dont les contrats passés à des époques reculées, au lieu de s’élever au prix auquel ont acheté les derniers acquéreurs, descendent au contraire de 40,000 jusqu’à 20,000, 17,000 et même jusqu’à 9,500 et 8,000 livres. A en croire cette portion nombreuse de la compagnie, au lieu de décréter le remboursement sur le pied de chaque contrat, il faut former un prix général et commun de 40,000 livres par exemple : appliquer ce prix à chaque titulaire indistinctement pour lui tenir lieu de la valeur du titre de l’office, et ajouter ensuite une autre somme qui puisse l’indemniser de la perte de la clientèle. Selon eux, ce mode de liquidation serait de toute justice, parce qu’il s’agit, disent-ils, de titres égaux en valeur, et qu’aiosi il ne saurait y avoir aucun prétexte d’accorder à un titulaire plus qu’à uu autre. Ils ajoutent qu’en adoptant cette mesure, au lieu de faire supporter toute la perte par une partie des titulaires seulement, elle se répartira également sur tous, et deviendra par conséquent plus légère pour chacun d’eux. Ce n’est pas la première fois qu’on a tenté de faire admettre ce plan de liquidation. Vous n’aurez pas oublié sans doute qu’il vous fut déjà proposé lorsque vous prononçâtes sur le remboursement des offices ministériels; mais le rapport de votre comité qui existe, prouve qu’il le combattit dès lors avec toute l’autorité de la justice et de la raison; aussi, Messieurs, vous êtes-vous bien gardé de l’adopter. Comment donc a-t-on pu se persuader de nouveau que vous prissiez jamais sur vous de retrancher une partie notable du prix de leurs contrats à des titulaires qui ont acheté fort cher, pour en gratifier d’autres qui n’ont payé de leurs offices que des prix très inférieurs? Serait-ce là, comme on le suppose, faire justice à tous? Et n’est-il pas évident au contraire qu’une telle mesure violerait les premières règles de l’équité naturelle eu dépouillant les uns de leur propriété pour la transférer gratuitement aux autres? En quoi donc le mode du remboursement, sur le pied de chaque contrat, favorise-t-il ceux des titulaires qui ont acheté à des prix élevés? Ce mode leur procure-t-il un bénéfice? Il eat évident que non : tout ce qui en résulte, c’est qu’ils ne perdront pas; c’est qu’ils récupéreront les sommes qu’ils ont réalisées en acquérant. Mais ceux dont les acquisitious ont été faites à de moindres prix ne seront-ils pas traités de même?' Ne recevront-ils pas aussi tout ce qu’il leur eu a coûté? Y aura-t-il entre les titulaires deux poids et deux mesures? Un système qui favoriserait les uns au préjudice des autres serait précisément celui qui tend à faire admettre un prix commun ; car dans . ce cas, tandis qu’une partie des titulaires ae recevrait pas à beaucoup près le prix de leurs acquisitious, les autres obtiendraient bien au delà de ce prix; voilà l’injustice qu’il faut éviter et que vous éviterez, en effet, par l’adoption du plan que votre comité vous propose. Il est vrai qu’en l’adoptant les anciens titulaires ne recouvreront pas la totalité du prix auquel ils eussent pu vendre ces offices avant la Révolution, mais ce n’est qu’un bénéfice qu’ils manqueront de faire, au lieu que, dans le système que votre comité combat, les autres feraient une pertu réelle par la privation d’une partie considérable du prix qu’il3 ont payé en acquérant. Quand vous n’auriez pas déjà posé et confirmé les bases du remboursement des offices, quand la question serait encore entière, pourriez-vous, Messieurs, balaucer entre ces deux systèmes, et ne vous hâteriez-vous pas de donner la préférence à celui qui tend à procurer à chaque titulaire la restitution de ce qu’il a déboursé en effet? Il y aurait d’autant moins de justice à diminuer le-remboursement des derniers acquéreurs, pour augmenter celui des autres, que ceux-là ont à peine eu quelques instants de jouissance, et que le plus clair au produit de leur travail a été encore absorbé par l’intérêt des emprunts qu’ils ont été obligés de faire en achetant. C’est ce que les anciens titulaires ont parfaitement compris eux-mémes ; bien convaincus qu’avant tout vous vouliez être justes, et que jamais vous ne vous détermineriez à ôter aux uns pour donner aux autres, ils ont pris le parti, dans un écrit postérieur, de proposer un tempérament qui pût faire disparaître ce que leur système offrait de choquant et d'injuste à l’égard de leurs confrères. Ce tempérament est qu’après avoir accordé à tous le prix commun de 40,000 livres, et l’indemnité pour la perle de la clientèle, vous ajoutiez, en faveur de ceux qui ne seraient pas remplis par là de la totalité du prix de leurs contrats, un supplément d’indemnité qui les désintéresse complètement. Il faut convenir qu’à ce moyen l’injustice die-paraîtraitcomplètement,et que les derniersacqué-reurs n’auraient plus sujet de se plaindre. Mais, s’il est vrai que cette mesure conciliât les intérêts de tous, votre comité n’a pas cru qu’elle pût s’accorder également avec ceux de la nation, à laquelle il n’y a pas de doute que dans ce cas les remboursements ne devinssent beaucoup plus onéreux. Or, un mode de liquidation qni tend à augmenter la dette nationale ne saurait être admis qu’au-tant qu’une stricte justice, ou du moins des considérations supérieures d'équité le demandent impérieusement; ainsi vous avez décidé que les titulaires non soumis à l'évaluation seraient remboursés sur le pied de leurs contrat, parce qu’en [Assemblée nationale� ARCHIVES PARLE M£NTAiR£S. [5 mai 1791.J gfK .effet il semblait souverainement équitable que -ceux qui n’avaient pas eu la faculté de déterminer, par cette voie, la valeur de leurs offices, pussent y suppléer par leurs contrats, lesquels formaient la preuve incontestable du prix, auquel il les avaient évalués en acquérant. D’ailleurs, quel serait l'homme assez sévère rur improuver qu’un acquéreur de bonne foi, et qui il faut avouer qu’une suppression devait sembler fort peu probable, soit, lorsqu’il perd sou état, au moins remboursé des sommes qu’il a délivrées I Eu effet, il n’y a pas là de grâce, de faveur, c’est seulement une perte évidente dont on le sauve, et il était sans doute de la grandeur et de la dignité nationale qu’on l’eu sauvât; mais rembourser au delà du prix des contrats, ce ne serait pas se borner à empêcher que le titulaire ne perde, ce serait en effet lui procurer un bénéfice, et c’est ce que votre comité n’a pas cru qu’il lui fût permis de vous proposer. On dit crue ce bénéfice même n’équivaudrait pas encore à beaucoup près à celui qu’auraient fait les titulaires s’ils avaient vendu dans le temps : cela peut être ; mais, de bonne foi, la nation doit -elle à ces titulaires le dédommagement des bénéfices qu’ils ont manqué de faire, en ne vendant pas? Votre comité l’a déjà dit; dans la rigueur du droit, la nation aurait pu, sans qu’on ait été fondé à l’accuser d’injustice, s’en tenir au remboursement pur et simple de la finance, mais si les représentants légitimes, interprètes de ses sentiments et de ses vœux, ont cru pouvoir se relâcher 4e l’austérité du droit, lorsqu’il s’est agi d’empêcher que les titulaires des offices De perdissent une portion notable du prix qu’ils avaient réellement déboursé, croit-on qu’ils puissent pousser la condescendance au point de mettre encore à la charge de la nation les bénéfices que quelques titulaires ont manqués, pour n’avoir pas fait d’aussi heureuses spéculations, que ceux qui -ont vendu! Il est fâcheux sans doute pour ces titulaires de n’avoir pas vendu dans un temps où ils eussent pu le faire à des conditions avantageuses; mais c’est un malheur dont la nation ne saurait être responsable, et que rien par conséquent ne l’oblige à réparer. Ajoutons que, dans le cours d’une longue jouissance, les anciens avocats au Conseil, à la différence de leurs jeunes confrères, ont eu le temps de se procurer un sort sinon brillant, du moins honnête ; si l’on fait attention surtout, qu’ayant acheté leurs offices à des prix très modiques, le produit de leur travail u’a pas pu être absorbé par des remboursements d'emprunts ou par le payement de gros intérêts. Quoi qu’il en soit, votre comité n’a dû connaître que les bases que vous avez établies, il était de sou devoir de s’y asservir rigoureusement, et jamais il ne lui sera reproché de s’en être écarté d’un seul pas. On prétend que, si vous les avez appliquées aux offices ministériels des tribunaux ordinaires, ç’a été, d’une part, parce que tous ces offices étaient d’une valeur très médiocre, et de l’autre Earce que tous les contrats des titulaires stipulent un prix d’acquisition à peu près égal. Mais si l’on consulte les rapports qui ont précédé vos décrets, rapports qui ont été adoptés par vous, on est bientôt convaincu que ce n’est pas dans ces motifs que votre décision a pris sa source. On y voit au contraire qne la raison qui vous a déterminés à adopter les contrats individuels, à défaut d’évaluation, a été que le prix de ces contrats était la véritable mesure du dédommagement de chaque titulaire, et que vous avez regardé le prix commua et uniforme pour tous, comme une ba?e injuste par cela môme qu’elle établirait l’égalité de dédommagement entre des titulaires qui avaient acheté à des prix très différents. Les motifs qu’on allègue ont été si peu capables d’influersurvos décrets qu’il n’est pas vrai, comme on le suppose, que tous les offices ministériels ne fussent que a’une très faible valeur, et qu’il ne l’est pas davantage que tons eussent été achetés à des prix à peu près égaux : votre comité a eu l’occasion de se procurer à cet égard des connaissances d’après lesquelles il ne saurait douta* de l’inexactitude de ces assertions. Mais, dit-on, les procureurs ont été traités bien plu s favorablement que nous : non seulement on a rectifié les évaluations trop faibles qu’ils avaient faites, mais on leur a encore accordé une indemnité déterminée d’après le prix de leurs contrats lorsque l’évaluation rectifiée n’équivalait pas à ce prix. Mais pourquoi ces adoucissements ont-ils été accordés aux procureurs ? Précisément parce que vos décrets ne leur ont pas laissé la liberté de demander le prix porté par leurs contrats. Vous n’ignoriez pas que pour échapper à la rapacité du génie fiscal, la plupart d’entre eux n’avaient fait que des évaluations très faibles, et vous n’avez pas voulu qu’ils devinssent les victimes d’une dissimulation excusable. Vous avez jugé aussi, il est vrai, qu’une indemnité devait alléger-ia perte de ceux dont les contrats excéderaient l’évaluation rectifiée ; mais tout cela ne forme qu’une compensation fort imparfaite du prix de leurs contrats, qu’ils n’ont point obtenu par vos décrets. Cette compensation ne peut donc justement leur être enviée par ceux à qui vous accordez ce prix. Le prix du contrat a tellement été considéré par vous, comme le dernier terme où l’obligation nationale pût s’étendre, qu’après avoir accordé aux greffiers, huissiers, commissaires de police, gardes et archers, un sixième du prix de leurs contrats, au delà du montant de leur évaluation, vous avez eu grand soin de décréter en même temps que le remboursement de l’évaluation et l’indemnité jointe ne pourraient, dans aucun cas, excéder le prix des contrats. C’est donc à ce prix que votre comité a dû nécessairement se uxer. La teneur expresse de vos décrets, le danger des conséquences, tout lui a fait une loi de rejeter toute autre mesure qui pût devenir plus onéreuse à la nation. Mais, en accordant le prix des contrats, vos décrets veulent qu’on fasse à chaque titulaire la déduction de la valeur des recouvrements qui peuvent avoir été compris dans son acquisition. À ce sujet, votre comité vous observe d'abord que cette déduction ne saurait avoir lieu à Té-gard de ceux des avocats au Conseil, dont le prix des contrats d’acquisition n’est que de 10,000 livres et au-dessous : la raison est que ce prix représente uniquement le titre de l office, et qu’aiusi lorsque le titulaire n’a payé que cette somme ou même une somme inférieure, il est présumé n’avoir acheté que le titre nu, et sans aucun recouvrement. Mais tous les contrats qui excédent 10,000 livres sont incontestablement susceptibles de lacLéduo- 616 [S mai 1791.] [ Assemblée national*. ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. tioa; seulement il s’agit de savoir à quel taux elle sera fixée. Les contrats produits par les avocats au Conseil ne sauraient servir de guide à cet égard; car, dan s tous, la clientèle et les recouvrements se trouvent confondus, ce qui ne permet pas de découvrir quel a été le prix de ces recouvrements. Quand les recouvrements sont énoncés dans les contrats sans spécification de la somme àlaquelle ils se montent, l’article 22 des décri ts du mois de décembre veut qu'il soit réputé équivaloir, savoir: pour les procureurs, au tiers de leurs contrats, et pour les autres officiers ministériels dont il i st parlé dans ces décrets, au douzième ; mais d’après les informations que votre comité a prises sur ce point, il s’est persuadé que nulle de ces deux bases ne pouvait être adoptée aux avocats au Conseil. Ce n’est pas qu’il se flatte d’avoir à vous présenter des données infaillibles ; mais dans une manière où la simple conjecture doit nécessairement tenir lieu de la preuve, il peut vous assurer du moins qu’il a pris toutes les précautions qui étaient en son pouvoir pour mettre à couvert l'intérêt national. Il a interrogé un très grand nombre d’avocats au Conseil, et tous, un seul excepté, se sont accordés à soutenir que la déduction d’un douzième fiour les recouvrements était le retranchement e plus fort qu’on pût leur faire supporter, et votre comité n’a pas cru qu’une assertion solitaire et destituée de preuves dût balancer tant de témoignages contraires. Ce n’est pas qu’il ignore la juste défiance que peut inspirer l’intérêt peisonnd; mais celte défiance aussi duit avoir ses bornes; et quand tant d’hommes d’ailleurs divisés se réunissent sur un point, il estbieD difficile de ne pas croire qu’au moins ils ne s’éloignent pas trop de la vérité; la cho.e estd’autai t plus probable ici que des faits constants viennent encore à l’appui de ci langage unanime. Il est génoralerm nt connu en effet : 1° Que l'instruction qui se faisait au Conseil était d’une extrême simplicité, et qu’ainsi il ne pouvait guère exiser dans ce tribunal de ces procédures volumineuses qui, en grossissant la masse des frai?, en reculent ausi le recouvrement ; 2° Que les avocats au Conseil ayant pour clients des hommes domiciliés dans toutes les parties de la domination française, et souvent même des é rangers, ils re manquaient pas de prendre leurs précautions avec ces clients qui pour la plupart leur étaient inconnus : il ét it donc très rare qu’ils ne ee fissent pas faire des avances qui ussent leur procurer la certitude de ne paspro-iguer g atuitement leurs peines et leurs soins dans une affaire difficile et laborieuse. Ajoutons à cela que la nature de leurs fonctions ne comportait pas même de retard dansle3 payements: des conférences chez les ministres, chez les magistrats, dans les bureaux, de fréquents voyages à Versailles et dans tous les lieux où le roi faisait son séjour ; uu travail enfin dont il ne restait presque jamais aucune trace, et qui dans le cas trop ordinaire de mauvaise volonté de la part d’un client aigri par la p�rte de son procès, était exposé à rester sans récompense ; tout, en un mot, exclut à l’égard des avocats au Conseil, l’idée de ces gros recouvrements si communs dans les études des procureurs accrédités. Observons en outre que les procès au Conseil u’éiant pas fort crdinaires, un avocat ne devait pas compter que le même plaideur y revint une seconde fois : ainsi ri»‘n ne l’obligeait à ces ménagements politiques et calculés août us: ient les procureurs envers leurs clients pour les attirer encore. Aussi, parmi les contrats quioDtété communiqués à votre comité, en trouve-t-on un grand nombre dans lesquels les acquéreurs sont expres-? émeut chargés par leurs vendeurs des trop reçus; ce qui prouve bien cet usage dans lequel étaient le?: avocats au Conseil, de se faire taire régulièrement des avances qui les missent à l’abri de l’ince: titude des recouvrements. Mais, dira-t-on, comment concevoir cette modicité, lorsqu’on voit que, le titre des offices étant énéralement fixé à 10,000 livres au plus, le prix es contrats se trouve cependant quelquefois porté à 100,000 livres et au delà? Cette objection avait d’abord frappé votre comité; mais, après un examen plus approfondi, il a reconnu : 1® que l’évaluation donnée par les contrats au titre de l’office n’exprimait point la vraie valeur gue ce titre avait acquise, surtout dans les derniers temps; il a été convaincu qu’on ne l’avait fixée à ce taux que pour éluder une ancienne défense, faite par le ministre, de vendre les offices d’avocats au Conseil, au-dessus de 10,000 livres, défense qui avait contraint les vendeurs à rejeter sur les recouvrements et sur la clientèle tout ce qui pouvait excéder celte somme. Votre comité a reconnu, en second lieu, que souvent un vendeur transmettait à son acquéreur l’espérance des plus brillantes clientèles, et qu’il était naturel qu’une telle perspective rendît cet acquéreur peu difficile sur le prix. Les vi les principales du royaume, les pays d’Etats, le ci-devant clergé séculier et régulier, la ferme générale, la régie des aides et les messagerie?, toutes les grandes clientèles enfla qui, indépendamment de-profits casuels, procuraient encore à l’aveeat des retenues considérables, étaient, il faut en convenir, un appât bien séduisant. On conçoit donc sans peine que ceux à qui ou transmettait un bon nombre de semblables clientèles, aient porté très haut le prix de leurs acquisitions. Toutes ces acquisitions ont fait juger à votre comité qu’il n’était pas possible de supposa r que les recouvrements fussent entrés pour un tiers dans le prix des contrats. Ü n’a pas cru cependant qu’ils ne dussent être comptés que pour un douzième ; car, quoiqu’il soit évident qu’ils ne pouvaient pas approcher de ceux des procureurs, on peut supposer qu’ils surpassaient de quelque chose ceux des autres officiers ministériels dont il est parlé dans les décrets du mois de décembre; votre comité a donc pensé qu'il était équitable d’adopter un autre taux tel que le huitième. Voici, eu conséquence, le projet de décret que nous vous proposons : « L’Assemblée nationale, ouï le rapport de son comité de judicature, décrète que les avocats au Go iseil seront remboursés sur le pied du dernier contrat d’acquisition de chaque titulaire, à la déduction d’un huitième pour les recouvrements, de laquelle déduction seront exempts ceux dont le prix des contrats ne se porte qu’à 10,000 livres et au-dessous. • M. Prugnon. L’intention de l’Assemblée est de reodre justice à tous ; or, le remboursement sur le pied du dernier contrat d’acquisition de chaque titulaire ne remplit pas ce but, puisque