510 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 août 1789.] sanction royale, il faudrait la rejeter également, parce que nous ne sommes rien ici que par nos cahiers et nos pouvoirs; mais aussi, si la majorité veut et commande l’admission de la sanction royale, certainement il n’est plus permis d’élever des doutes, des incertitudes pour savoir s’il faut la reconnaître oui ou non. Nous n’avons rien de nouveau à faire ici; nos commettants ont tout fait, remplissons donc notre mission. Mais, dit-on, notre position n’est plus la même. L’organisation du pouvoir législatif va changer; nos commettants n’ont pas prévu que nous agiterions la question de savoir si l’Assemblée nationale se diviserait en deux chambres. J'y consens; mais ce n’est pas une raison pour s’éloigner des mandats qui nous sont prescrits, et pour nous soustraire au serment que nous avons prononcé. En suivant nos cahiers, notre marche sera facile et aisée, et nous n’agiterons pas des questions qui nous éloignent delà Constitution, qui préparent des maux à la patrie et qui prolongent nos souffrances. Ces principes sont applaudis par une partie de l’Assemblée. M. Pétlon de Villeneuve. M. Rhédon a fixé à l’Assemblée des bornes trop étroites. Dans ce moment, l’Assemblée exerce le pouvoir constituant puisqu’elle est envoyée pour faire la Constitution; elle ne l’a pas d'une manière indéfinie, mais j’examine la question des cahiers et je demande si nous devons les suivre? Point de doute, toutes les fois qu’ils sont impératifs. Nos commettants nous ont prescrit de faire une constitution ; il n’en est pas six qui, sur la sanction royale, aient parlé des différents degrés d’influence de l’autorité du roi. Il faut une sanction, mais jusqu’à quel degré doit-elle avoir lieu ? Si nos commettants ne nous ont astreints qu’a la sanction ; nous sommes les maîtres de sa latitude. Nous sommes obligés d’interpréter cette sorte de sanction ; ainsi, si le degré d’influence n’est pas prévu dans nos cahiers, la sanction peut-être déterminée par chacun de nous. On a raison de dire que ta sanction ne doit pas être discutée avant de connaître l'organisation du pouvoir législatif. On voulait aller aux voix; mais de nouvelles motions ont été faites sur la manière de délibérer, M. de Mirabeau a demandé l’appel nominal. M. de Castellane. Je m’oppose à ce que l’on prenne en ce moment une décision, car si les deux chambres existent, alors l’influence du veto royal n’est nullement nécessaire. M. Deschamps. Quand on nous a envoyés aux Etats généraux, on ne nous a pas dit : Vous ferez une constitution nouvelle, mais vous régénérerez l’ancienne ; vous ne direz pas que vous érigez notre gouvernement en état monarchique, mais vous confirmerez notre ancienne monarchie. Vous ne délibérerez pas sur la sanction royale, car nous en avons une. Ge n’est donc pas en nous égarant ainsi que nous arriverons à la Constitution, c’est en suivant la marche que nos commettants nous ont tracée. M. Mouiller soutient la sanction. Ges débats se terminent par la division de la motion : elle est réduite à celle de M. de Noailles : 1° Déterminer ce que l’Assemblée nationale entend par sanction royale ; 2° Si elle est nécessaire pour les actes législatifs ; 3° Dans quel cas la sanction royale doit être employée, et de quelle manière. Un membre demande que chacun représente son mandat, et qu’il soit fait deux colonnes nominales par oui ou par non. M. Delandine lit un article de son cahier, conforme à cette demande. M. le comte de Mirabeau. Ces listes sont contraires à la liberté des assemblées ; si le respect humain est une arme terrible qu’il faut ménager, ces moyens ne conviennent ni à la dignité, ni à la fraternité de l’Assemblée. Daus un pays voisin, la Chambre des communes n’est jamais souillée d’aucune protestation ; si on en a vu dans la Chambre haute, c’est que ses membres y défendent un droit individuel; mais ne donnons pas une opiniâtreté firmative aux opinions, et n’élevons pas un monument de division et de discorde. M.Duval d’Eprémenil. J’opine fortement pour qu’il soit laitdeslistes nominales. Cette forme me paraî t propre à prouver si les députés son t fidèles à leurs mandats : nous ne sommes que des mandataires liés par nos commettants, et je regarde la sanction absolue comme le rempart de la liberté publique. Mon cahier porte : « Que la loi ne sera que moyennant la sanction du roi, sans que sa religion soit obligée en aucun cas d’exposer les motifs de son refus. » J’insiste donc sur le droit du roi d’agréer ou de refuser la loi faite par les Etats généraux, et je propose la forme suivante : « Avant l’appel nominal, il sera fait un appel des bailliages, et le premier député de chaque ordre de chaque bailliage sera tenu de déclarer la volonté de ses commettants. » Les trois ordres ont èxisté dans les assemblées des bailliages, la loi y a été faite par la nation. Nous ne devons que la déclarer. Un membre des communes. J’ajoute un amendement à la motion de M. Duval d’Epreménil. Puisqu’on demande que chaque premier député de divers ordres de bailliage déclare la volonté de ses commettants, ne serait-il pas convenable que chacun de ces députés déclarât en même temps le nombre de ces mêmes commettants? M. le duc de Liancourt et M. l’abbé Grégoire remarquent que les députés ne répondent qu’à leurs commettants et à leur conscience de l’exécution des cahiers, et qu’ils n’en doivent aucun compte à l’Assemblée nationale. La séance est levée. Séance du soir . Un membre du comité de vérification dit que M. de Damas, député du clergé de Saint-Pierre-le-Moûtier a donné sa démission. Dom Abel de Lespinasse s’est présenté comme son suppléant ; ses pouvoirs ont été trouvés en règle et le comité propose de l’admettre. L’Assemblée prononce l’admission, On reprend la discussion sur le projet d'arrêté du comité des subsistances. [Assemblée nationale.] AR CH I VES P A R L EM ENTA IRES. ]29 août 1789.] 51 i L’arrêté proposé par M. Duport est l’objet de ; nombreuses critiques. M. l’abbé II au r 5 en fait remarquer le premier les inconvénients. D’abord, le préambule, dit-il, est obscur et insignifiant. L’Assemblée a le pouvoir législatif, et elle parait usurper le pouvoir exécutif. L’Assemblée nationale déclare coupable de lèse-nalion celui qui n’obéira pas à cet arreté. Mais c’est une idée nouvelle ; jusqu’au moment où nous étions courbés sous le joug du despotisme, nous n’étions qu’un peuple d’esclaves, et non une nation ; le crime de lèse-nation n’existe que depuis la nation. Il convient de le déterminer; il présente des idées nouvelles, comme le crime de lèse-majesté royale en présenterait à un peuple républicain. Beaucoup de membres présentent des arrêtés qui tous portent sur ces deux bases. 1° Défendre l’exportation des grains chez l’étranger; 2° Autoriser et commander même la circulation des grains de province à province. M. ***. Il y a plus d’un an que nous connaissons l’importance de ces deux grandes vérités. La première appauvrit la France et enrichit nos voisins; ils achètent à bon compte ce que leur avarice nous revend avec usure. Ils combinent mieux que nous, parce que nous le voulons bien, et que l’exportation chez nous a toujours été illimitée ou limitée gauchement. La seconde circonscrit la famine dans une province, et fait mouvoir le commerce dans une autre qui languit conséquemment au milieu de l’abondance. II y a plus d'un an que ces deux vérités auraient dû être respectées, proclamées, consacrées par les lois et maintenues par la force du pouvoir exécutif; au moins nous n’aurions pas à dévorer un pain corrompu, et qui peut donner la mort à l’homme qu’il doit alimenter. Je demande donc qu’on aille sur-le-champ aux voix sur les propositions faites. M.***. llseprcsente un très-grand inconvénient, auquel le gouvernement seul est dans le cas de remédier. Depuis longtemps cet abus subsiste, et il subsistera longtemps encore, si, malgré les dénonciations qui ont été faites au gouvernement, il ne se hâte de le réprimer. La circulation intérieure se fait aussi par mer. On charge dans un port quelconque de France pour se rendre dans un port français. Ainsi, les blés du Poitou sont embarqués à la Rochelle pour être transportés au Havre-de-Grâce ; le nom du vaisseau, celui du capitaine, le chargement, le lieu même de sa destination, tout est inscrit sur les registres de l’amirauté; le vaisseau part, mais il ne se rend pas au Havre; il va porter les grains chez l’étranger, y prend d’autres marchandises et se rend au Havre ; le moment de son arrivée, la nature de ses marchandises, sont inscrits sur les registres de l’amirauté du Havre. Si le dernier juge pouvait avoir un résultat, un relevé des registres du lieu du départ, la fraude serait connue et punie ; mais le juge de l’amirauté du Havre ne peut rien exiger de celui de la Rochelle. Le gouvernement a été pressé, sollicité de remédier à cela ; mais le gouvernement a répondu que cela n’était pas. H faut donc que l'Assemblée prenne une détermination. Après une assez longue discussion, l’Assemblée termine par le décret suivant : Décret relatif à la circulation des grains . « L’Assemblée nationale, considérant que l’Etat n’est pas composé de différentes sociétés étrangères l’une à l’autre, et moins encore ennemies; « Que tous les Français doivent se regarder comme de véritables frères, toujours disposés à se donner mutuellement toute espèce de secours réciproques ; « Que cette obligation est plus impérieuse encore et plus sacrée lorsqu’il s'agit d’un intérêt aussi important et aussi général que celui de la subsistance ; « Que les lieux où se trouvent les plus grands besoins sont naturellement indiqués par lé plus haut prix ; « Que ceux qui sont le plus à portée de donner des secours le sont pareillement par les plus bas prix ; « Qu’entre ces deux extremes sont, dans un état moyen d’approvisionnement et de prix un grand nombre de provinces et de cantons qui peuvent avec avantage débiter ces grains dans ceux où le besoin est plus grand et le prix le plus haut, et remplacer à meilleur marché dans les provinces les mieux fournies les secours qu’elles auront donnés à celles qui en étaient dénuées ; « Que l’on ne pourrait s’opposer à cette marche sans prononcer une véritable proscription contre les provinces qui éprouveraient la disette; « Que rien ne serait plus contraire aux lois du royaume, qui, depuis vingt-six ans, ont constamment ordonné qu’il ne serait, en aucun cas ni en aucune manière, mis aucun obstacle au transport d’une province ni d’un canton à l’autre ; « Qu’il est donc indispensable d’assurer l’exécution de ces lois et de permettre la circulation des grains et des farines, unique moyen d’égaliser la distribution et le prix des subsistances, sous la sauvegarde de la nation et du Roi; « A décrété et décrète : « Art. 1. Que les lois subsistantes et qui ordonnent la libre circulation des grains et des farines dans l’intérieur du royaume, de province à province, de ville à ville, de bourg à bourg, de village à village, seront exécutées selon leur forme et teneur ; casse et annule toutes ordonnances, jugements et arrêts qui auraient pu intervenir contre le vœu desdites lois ; fait défense à tous juges et administrateurs quelconques d’en rendre de semblables à l'avenir, à peine d’être poursuivis comme criminels de lèse-nation ; fait pareillement défense à qui que ce soit de porter directement ou indirectement obstacle à ladite circulation, sous les mêmes peines. « Art. 2. Fait pareillement défenseàqui que ce soit d’exporter des grains et farines à l’étranger jusqu’à ce que, par l’Assemblée nationale, et sur le rappport et réquisitoire des assemblées provinciales, il en ait été autrement ordonné, à peine d’être, les contrevenants, poursuivis comme criminels de lèse-nation. « Et sera le présent décret envoyé dans toutes les provinces aux municipalités des villes et bourgs du royaume, pour être lu, publié, affiché partout où besoin sera. » La séance est levée.