[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] 93 nité, à l’exception du prix stipulé pour les recouvrements, et à la déduction du quart, lorsque le prix des recouvrements ne sera pas spécifié. Art. 3. « Les intérêts leur seront payés à dater du 1er juillet 1790. » (Ce décret est adopté.) M. Gossin, au nom du comité de Constitution, propose un projet de décret relatif à la fixation des limites des paroisses et municipalités de Saint-Clou et de Boulogne. Ce projet de décret est mis aux voix dans les termes suivants : « L’Assemblée aationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète ce qui suit : « Le fil de l’eau de la rivière de Seine, formant limite entre le département de Paris et celui de Seine-et-Oise, formera aussi celle des deux paroisses et municipalités de Saint-Clou et de Boulogne ; en conséquence, tous les terrains et maison-situés en deçà de la Seine seront de la municipalité et paroisse de Boulogne, et ceux situés au delà de ladite rivière du côté de Saint-Clou, seront de la municipalité et paroisse de cette ville ; mais, attendu que la répartition des contributions pour 1791 est faite entre les deux départements, la municipalité de Boulogne versera pour cette année seulement, dans la caisse de S ùut-Cloud, la portion de contribution à laquelle les terrains et maisons réunis à Boulogne seront imposés sur les rôles dudit Boulogne. « La pétition de la municipalité de Saint-Clou tendant à être distraite du departement de Seine-et-Oise, pour être réunie à celle de Paris, est renvoyée aux législatures prochaines.» (Ce décret est adopté.) M. le Président fait donner lecture : 1° ü’une lettre de M. Héraut, docteur régent et professeur de la faculté de médecine en V université de Paris , dans laquelle il offre à l’Assemblée ses vues consignées dans un imprimé sur l’organisation civile des médecins et autres officiers de santé. (Cette lettre est renvoyée au comité de salubrité.) » 2° D’une lettre de M. Charles De jean, perruquier, Vun des vainqueurs de la Bastille, demeurant à Paris, rue de Rohan, n° 20, par laquelle il demande de participer aux récompenses que l’Assemblée a bien voulu accorder à ceux qui oat été blessés à cette expédition. (Cette pétition est renvoyée au comité des pensions.) L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de décret sur la prochaine assemblée de révision (1). M. de Hoailles. Depuis longtemps, Messieurs, nous nous occupons d’une série d’uffaires qui retardent l’achèvement de la Constitution ; il est instaut que nous travaillions à cette Constitution de la façon la plus active, afin de pouvoir la présenter au roi dans le plus bref délai. Hier, sur la proposition de M. Camus, appuyée par M. d’André, vous avez pris un parti qui a abrégé beaucoup votre délibération ; je demande que, pour l’abréger encore, on se contente de présenter aujourd’hui à l’Assemblée deux projets très simples: l’un, sur la manière dont la nation française motive a son désir d’avoir une Convention nationale ; l’autre, quand la nation aura motivé ce désir, sur lu manière de rassembler cette Convention. Voilà, à mon sens, à quoi doit se restreindre notre délibération ; sans cela, nous serons encore ici dam 3 mois. ( Applaudissements .) Le comité e-t comme le tonneau des Danaïdes ; on y verse sans cesse; il en sort sans cesse et on ne finit jamais. Il est temps enfin de terminer notre travail. ( Applaudissements .) M. de Croix. C’est précisément là l’ordre du jour. M. d’André. La proposition du préopinant ne tend pas à autre chose qu’à passer à l’ordre du jour, car d’après le décret que vous avez rendu hier, il ne s’agit plus aujourd’hui que de savoir les moyens de connaître le vœu de la nation, pour avoir un corps constituant et de réunir ce corps constituant. Pour parvenir à ce but, je réitère la demande que j’ai faite hier pour que tous les membres qui ont des plans nouveaux à proposer soient successivement entendus. Je sais que M. Frochot en a un ; je sais que M. Salles en a un ; M. de Croix peut en avoir un aussi. Si ces plans sont bons, nous les adopterons ; mais quand même ils ne seraient pas bons, ils pourront faire naître des idées utiles. Je prie ensœte les opinants de se convaincre que depuis que l’Assemblée a rejeté la proposition que je lui avais faite de fixer un terme prohibitif avant lequel il ne pût pas y avoir de Convention, il est plus que jamais nécessaire de prendre des précautions pour que les Conventions nationales ne soient pas trop faciles à obtenir. M. de Croix. Avant d’entendre les plans, il faut savoir s’ils sont nécessaires ; je crois, pour ma part, que la nation n’a d’autre moyen de manifester son vœu que l’insurrection. (Murmures.) M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angély). Je demande la priorité pour les plans contre l’insurrection. (L’Assemblée, consultée, décrète que les membres qui ont des plans d’exécution à proposer seront entendus.) M. de Croix. Moi, je demande à prouver que la nation a déjà indiqué le seul moyen possible de changer sa Constitution. M. le Président. Vous n’avez pas la parole. M. Cioupil-Préfeln. On peut dire, dans un autre sens, des Conventions nationales, ce que disait un poète comique d’un musicien : Une fugue en musique est un morceau bien cher. C’est en effet une grande maxime en gouvernement que de dire que le mieux est souvent l’ennemi du bien. Une Constitution est la capitulation du corps social ; il faut la considérer avec une sorte de religion et de respect; et pour qu’on se porte à la changer, il ne suffit pas qu’on y remarque des inconvénients quelconques; il faut que ces inconvénients soient évidemment intolérables. Cette vérité est évidente pour ceux qui, comme nous, ont été témoins des secousses d’une révolution. Il faut donc songer sérieusement à " rétablir la paix intérieure; ceux qui pensent au-(1) Voy. ci-dessus, séance du 30 août 1791, au matin. 94 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] trement, ont sans doute pris quelques leçons de Tacite, qui dit que les vauriens acquièrent de la force, et ne peuvent en acquérir que dans les troub es et les révolutions. C’est dans ces vues que j’ai rédigé le projet de décret que je vais vous soumettre. Vous devez sentir que je n’ai pas cherché à aplanir la voie des Conventions nationales, ni à faciliter les accès périodiques des fièvres révolutionnaires. J’ai cherché, au contraire, à opposer une sage lenteur aux désirs inquiets de l’innovation. Voici mon projet de décret : « La plénitude de la souveraineté de la nation ne peut être exercée qu’en conformité d’une volonté nationale évidemment reconnue et légalement constatée : ce n’est qu’à cette souveraineté qu’il appartient de faire du changement à la constitution. Pour assurer l’inviolabilité de ce principe, l’Assemblée nationale décrète ce qui suit : « Tout citoyen actif qui croira qu’une partie quelconque de la Constitution doit être réformée, sera libre d’exprimer son vœu par une pétition signée de lui et de ceux qui partageront son avis. « Cette pétition sera déposée à la municipalité du lieu du domicile du pétitionnaire et il en sera tenu registre. Elle contiendra l’indication précise ‘des parties de laConstitution sur lesquelles, suivant les pétitionnaires, la réforme devra porter et les ofticiers municipaux seront tenus d’envoyer cette pétition au département. . . » Je prends ici les articles 4, 5 et 6 de la section III du projet du comité : « Les administrateurs dans chaque département, constateront le nombre des citoyens qui auront demandé la réforme d’un pu de plusieurs points de la constitution, en distinguant positivement les objets, s’il y en a plus d’uri; et si la majorité des citoyens actifs du département s’est réunie pour former celle demande sur un ou plusieurs points, l’énoncé de leur pétition sera envoyé par les administrateurs au Corps législatif. « Lorsque les pétitions sur le même objet auron t été formées dans plus de 41 départements, le Corps législatif f�ra le recensement du vœu qui lui aura été adressé: Chaque département sera compté dans ce recensement pour le nombre de députés qu’il aura fournis à l’Assemblée législative, de manière que ie calcul s’établira sur 745 comités. « Après que, par le recensement, il aura été conslaié que la pétition est formée par Itjt majorité absolue des citoyens de départements, 1 le Corps législatif établira clairement et précisément l’objet des pétitions; si elles portent sur plusieurs parties de la constitution, elles seront distinguées. « Le Corps législatif rémira ensuite un décret portant qu’il sera publié dans tout le royaume que le peuple français a émis son premier voeu pour la réforme qui fera l’objet des pétitions. L’objet de fa réforme sera énoncé dans le décret, lequel sera scellé du sceau de l’Etal, et publié sans avoir besoin dé là sanction du foi, mais qui sera, néanmoins, avanf la publication, présenté au roil . . » La raison pour laquelle on dispense le décret de la sanction du roi, est qu’il me semble que la sanction du roi tient lieu de l’acceptation du peuple français, suivant la maxime du droit public très connue, que la loi doit être acceptée de quelque manière que ce soit. ' « Si, pendant ‘la législature suivante, il est adressé par lès départements au Corps législatif, des pétitions ayant le mèmè objet, et que, par lè recensemeutquien sera fait, il soit constaté qu’elles sont faites par la majorité des citoyens actifs des départements, le Corps législatif rendra un décret portant qu’il sera publié dans tout le royaume, que le peuple français a émis son second vœu pour la réforme qui fera l’objet des pétitions. . . » (Le reste comme à l’article précédent.) « Si, pendant le cours de la troisième législature, il est encore adressé par les départements au Corps législatif des pétitions ayant le même objet que les premières, et que, par le recensement qui en sera fait il soit constaté que ces pétitions sont formées par la majorité absolue des citoyens actifs des départements, le Corps législatif rendra un décret portant que le peuple français a émis son troisième vœu pour la réforme qui fera l’objet des pétitions, lequel sera énoncé dans le décret, et ordonnera aux administrations des départements de faire convoquer dans 40 jours les assemblées primaires pour nommer les sujets qui devront composer une assemblée de révision, chargée de revoir les objets sur lesquels la réforme est demandée. » A la suite de ces articles, j’emprunte au projet du comité les articles 2, 3, 5, 6, 7 et le dernier paragraphe de l’article 4 de la lre section, concernant la formation de l’Assemblée de révision, ainsi que les articles 21, 22, 23, 24 et 25 de la 3e section qui concernent les procédés de cette Assemblée ; et je termine par une disposition particulière portant que: « Le Corps législatif ni le roi ne pourront, de leur propre mouvement, ni ensemble, ni séparément, ordonner la convocation d’une assemblée de révision, sans le vœu exprès des citoyens légalement constaté; mais qu’ils pourront faire des proclamations lorsqu’ils le trouveront convenable, pour inviter les citoyens à demander une assemblée de révision pouf la réformation d’uu article quelconque de la Constitution. » M. de Croix. Votre comité, Messieurs, ainsi que plusieurs inembres de Cette Assemblée, vous ont présenté les idées qu’ils croient que vous devez adopter pour mettre la nation à portée de revoir et corriger la Constitution que vous avez décrétée ; quant à moi, je pense qu’on pourrait rendre ces précautions inutiles, si, dès ce moment, vous ne négligez pas les moyens qu’elle-même vous a indiqués de la rendre bonne* et de l’établir légalement. C’est sur la manière d’atteindre ce but, et surtout pour faire cesser le plus tôt possible l’état monstrueux, j’ose le dire, où nous nous trouvons, par la suspension des fonctions de l’autorité royale, que je me permettrai dé vous présenter quelques réflexions. Je les puiserai dans les titres qui m’ont, ainsi qu’à vous, donné le droit de voter' dans cette Assemblée ; j’y vois partout que les lois fondamentales qui y sont demandées ne doivent acquérir le caractère qui les rend obligatoire� que lorsqu’elles auront été' revêtues de là sanction du roi. Ceux qui nous chargèrent de les représenter manifestèrent une grande prudence et une volonté décidée a cet égard. Ils sentirent que leurs représentants pouvaient s’égarer, et ils cherchèrent une garantie qui les assurât que leurs droits politiques et la liberté ne seraient pas compromis par eux. " Cette garantie, ils la virent dans l’autorité royale et dans le roi qui les avait convoqués ; ils ordonnèrent que les lois se fissent avec sa participation; et c’est sur ce devoir important que [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1791.] 95 j’ai voulu, en montant à cette tribune, ramener principalement vos réflexions; car, jusqu’à ce jour, on a prétendu envelopper cette question d’un voile religieux qu’il faut enfin déchirer, et il est impossible qu’en la discutant, vous ne reconnaissiez la vérité de ce que j’ai exposé. D’après ces principes, la conduite, que vous avez à tenir pour revoir et corriger votre ouvrage, me paraît, toute tracée ; elle consiste, selon moi, à faire présenter dès demain au roi votre travail par une députation, et à provoquer vous-mêmes les observations que l’intérêt du peuple lui suggérera. (Rires à gauche.) Réfléchissez, Messieurs, à la nécessité de cette mesure, et voyez que, si vous ne l’adoptiez pas, vous vous trouveriez en opposition avec les ordres précis que vous avez reçus, et chargés de l’effrayante responsabilité d’avoir statué seuls sur le sort d’une grande nation, contre le vœu qu’elle avait manifesté... (Murmures.) Plusieurs membres : A l’ordre! à l’ordre ! M. Gombert. C’est une critique de nos opérations! M. Goupilleau. Vous détruisez la Constitution dans ses propres bases. M. de Croix. Je dis que c’est vous-mêmes qui l’attaquez; vous vous mettez à la place de la nation dont vous n’êtes que les représentants. M. Goupilleau. Je veux réfuter votre système par ce grand principe : La souveraineté réside dans la nation ; c’est à elle seule, et non pas au roi, à ratifier la Constitution. M. de Croix. Mais, Messieurs, je suis de cet avis-là I (. Exclamations à gauche.) M. Goupilleau. Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. Plusieurs membres : Rappelez l’opinant à l’ordre, Monsieur le Président. M. de Croix. Je demande à répondre : Je dis que je reconnais la souveraineté de la nation; mais je dis aussi que vous n’êtes pas la nation, que vous n’êtes que ses représentants et que la nation a voulu que le roi fût votre modérateur. (Murmures prolongés.) Messieurs, je ne me livrerai pas à une critique de ia Constitution; je me suis peut-être expliqué trop à cet égard pour me flatter d’être écouté eu ce moment avec faveur ; mais je vous dois compte de mes observations, quelque défaveur qu’elles puissent éprouver. Je vous demanderai donc quel est celui de nous qui aurait l’amour-propre de croire ou de soutenir qu’il ne s’est jamais trompé dans le cours de vos travaux? Je dirai plus, quel est celui qui, s’il en était le maître, ne voulût y faire quelque changement. Ne vous flattez donc pas de n’avoir pas pu tomber dans des erreurs, et, lorsqu’elles peuvent compromettre le bonheur d’une grande nation, ne vous refusez pas à employer les moyens qu’elle-même a indiqués pour vous les faire apercevoir et vous mettre à même de les réparer. Je conclus donc à cp que vous adoptiez le parti que je vais avoir l'honneur de vous proposer dans un projet très court, et que je regarde comme le seul qui puisse rendre les lois obligatoires pour tous : « Art. 1er. L’Assemblée nationale décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur les différentes propositions qui lui ont été faites pour régler le mode de former des Conventions nationales. « Art. 2. — Que dès demain une députation sera chargée de présenter au roi l’acte constitutionnel. « Art. 3. — Que le roi sera prié de se retirer dans le lieu qu’il jugera propre à assurer la liberté de sa personne et de son consentement. « Art. 4. Qu’il sera en outre prié... ( Murmures à gauche.) A gauche : Prié ? M. de Croix... défaire parvenir à l’Assemblée telles observations que sa sagesse etTiniér'êJ; du peuple pourront lui dicter, pour qu’elle puisse en délibérer. » (Murmures à gauche.) M. Frochot. Messieurs, le législateur satisfait d’avoir constitué un grand peuple et donné dés lois à son pays, croirait en vain que sa tâche est remplie. Il n’a rien fait encore, si le caprice ou l’ambition des hommes peuvent à chaque instant menacer et détruire son ouvrage. Il n’a rien fait encore, si l’égide immuable de la raison ne protège pas, contre le délire de l’inconstance, les institutions qu’il a formées; si enfin il ne leur a pas attaché la garantie sacrée du temps. Mais aussi, Messieurs, les droits des nations ont été proclamés en vain, si l’on ne reconnaît pas ce principe : qu’au peuple appartient le pouvoir de rectifier, de modifier sa Constitution, de la détruire même, de changer la forme de son gouvernement, et d’en créer une autre ; du plutôt, il importe peu au principe en lui-même qu’il soit consacré par la constitution. L’éternelle vérité n’a pas besoin d’être déclarée, elle est préexistante à tous les temps, commune à tous les lieux, indépendante de tous les pactes. Dès en abordant |a question, vous apercevez donc, Messieurs, d’une part, un grand principe à respecter; de l’autre, de grandes erreurs à prévenir dans son application. Cependant laisserai-je sans réponse un argument proposé plus d’une fois contre la prévoyance du législateur à cet égard ? Des hommes inattentifs, mais de bonne foi, ont prétendu qu’ici était la fin de nos pouvoirs, et que tout acte ultérieur deviendrait une atteinte aux droits sacrés du peuple. Je conçois l’objection de la part de ceux qui ne reconnaissent, ou du moins qui raisonnent comme s’ils ne reconnaissaient dans l’Assemblée des représentants que des volontés particulières imposant des lois à la volonté générale ; de telle sorte qu’au lieu de voir les individus gouvernés parla souveraineté, ils voient sans cesse la souveraineté gouvernée par les individus ; je conçois, dis-je, 'que, ne trouvant alors dans le législateur qu’une personne privée, ils ne balancent pas à déclarer son incompétence sur le fait dont il s’agit. Mais ceux-là ne méritent pas même d’être réfutés, ils annoncent une ignorance trop grande des principes du gouvernement représentatif, et ce n’est pas à l’époque où nous sommes qu’il faudra recommencer avec eux un cours élémentaire sur cet objet. Mais, si l’argument est fait dans un sens contraire, si, pu adoptant ce système représentatif, dans toute sa pureté, et në distinguant plus