[Assemblée nationale } ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mars 1790.) 493 DEUXIÈME ANNEXE à la séance de V Assemblée nationale du 29 mars 1790. Moyens d’exécution pour les jurés au criminel et au civil , rédigés en articles. Par M. Duport, député de Paris. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) J’ai présenté à l’Assemblée nationale les bases d’un plan fondé sur des principes clairs, simples, évidents ; sur les notions primitives et communes à tous les hommes, de la justice, de la raison et de l’humanité. La seule objection que l’on ait faite contre ce plan, est la difficulté de son exécution (1). J’avais été néanmoins au devant de ce prétexte en citant l’Angleterre et l’Amérique, qui ont des institutions semblables, et qui s’applaudissent de les po?sé-der. J’avais cru que c’était raisonner juste, que de dire: telle chose existe, donc elle est possible. Les seuls peuples libres du monde ont des jurés, tant au civil qu’au criminel ; ils les regardent comme la plus importante de leurs institutions: donc l’expérience se joint à la théorie en faveur de l’établissement des jurés. L’Assemblée nationale a pris la détermination de discuter isolément les bases principales de l’ordre judiciaire; elle a pensé qu’un plan étant un ensemble dont toutes les parties sont liées entre elles d’une manière systématique, elle ne devait en adopter aucun, de peur de s’engager dans des détails d’articles dont l’admission des cussion bien profonde et «ne rédaction bien plus clai e pour pouvoir le placer dans la constitution, s’il doit y être. Les deux derniers articles sont importants ; le dernier est constitutionnel, je l’avoue; j’y ajouterai môme la réformation des coutumes; mais je doute que ce soit là leur place, puisqu’il s’agit uniquement ici de Tordre judiciaire, et non des principes de la législation civile. Le défaut de ce plan est d’avoir voulu exprimer tous ~ les abus auxquels les juges ont pu avoir donné lieu et d’avoir fait des articles pour les empêcher. Cette idée me parait fausse et manquer de dignité. La destruction a dû récéder l’organisation, mais celle-ci doit avoir pour ut l’avenir et non le passé; ou plutôt les considérations du passé doivent nous servir pour bien ordonner le présent. En effet, ou votre Constitution sera exécutée, et ce serait un crime d’en douter, alors les obligations que vous imposerez aux juges seront suivies et les bornes que vous mettrez à leurs pouvoirs seront respectées; ou, si vous craignez qu’elles ne le soient pas, alors vous indiquez aux juges plutôt le mal qu’ils peuvent faire que ce qu’ils ont à éviter. Dans tous les cas, vous gâtez votre Constitution, et vous l’affaiblissez en lui donnant un caractère de défiance, de crainte et de destruciion, plutôt que ce caractère simple, grand et assuré, qui convient à une nation qui se régénère et qui onde ses lois sur la raison. (1) Il existe nne difficulté commune à tous les plans qui ont été présentés, sur laquelle l’intérêt d’un grand nombre d'individus exige que Ton arrête ses regards : je veux dire le remboursement des offices de judicature et autres. A une charge soudaine, énorme, qui n’aura lieu qu’une fois, il parait nécessaire d’approprier une ressource qui a les mêmes caractères. La justice semble exiger que les remboursements soient le plus prompts possibles : la convenance et la nécessité se réunissent donc pour rembourser les propriétaires de charges, soit en a-sign&ts, soit plutôt en contrats sur les biens anciennement domaniaux et ecclésiastiques, lesquels seraient reçus concurremment avec les assignats, pour la vente dôsdits Mens. i" Sta, T. XII. uns l’exposerait nécessairement à en admettre d’autres qui leur correspondent, et qu’on voudrait ne pas adopter. Alors j’ai cru que je n’a-vais plus à défendre ni à développer mon plan. Dans l’intention de prouver à l’Assemblée ce que j’avais eu l’honneur de lui certifier, qu’en moins d un moins ou six semaines l’on pouvait voir terminer tout ce qui est nécessaire pour établir sur-le-champ les jurés, tant au civil qu’au criminel, je me suis livré au travail pénible et rebutant de refondre nos principales ordonnances pour les approprier à l’établissement des jurés. Ce travail est très avancé, il aurait pu être fini au moment où l’Assemblée, ayant consacré les principes, aurait eu besoin d’un plan qui comprît tous les détails. Tout d’un coup, en une séance, on lui a proposé de revenir sur ses décrets, et d’adopter un projet qui, jusqu’alors, n’avait point paru devoir attirer l’attention de l’Assemblée. D’autres personnes ont paru désirer qu’on leur donnât, dans un plan d’exécution par articles, une idée précise des jurés et de leurs fonctions. Ma déférence pour l’opinion des membres, et l’obligation d’un homme qui soutient ia cause de la nation entière, de ne négliger aucun moyen de la défendre ou de la faire connaître, semblent donc me faire un devoir de diviser mon ouvrage, de présenter le titre des jurés, détaché du reste de l’ordonnance et de l’ensemble du système de la procédure qui s’y apporte. Ce travail, ainsi privé de sa correspondance et de son analogie avec les autres dispositions relatives, aura nécessairement moins de force et de clarté. Je supplie qu’en veuillant bien peser mes motifs et les circonstances, on ne m’en fasse pas un sujet de reproche. On emploie une expression très impropre, lorsqu’on dit : je préfère les jurés de monsieur un tel, aux jurés de monsieur un tel ; il n’y a qu’une espèce de jurés : en voici la définition. Des jurés sont de simples citoyens pris au hasard, récusables en grand nombre, appelés à décider sur-le-champ, dans une affaire seulement, différents points qui soDt l’objet d’un procès soit entre des parties, soit entre le ministère public et les citoyens. On voit aisément par là en quoi ils diffèrent des juges, qui sont des officiers publics ayant un caractère (1) connu d’avance, des fonctions permanentes, au moins pendant un temps, faisant partie de l’établissement publicet chargesde maintenir partout l’exécution uniforme de la loi, c’est-à-dire de la volonté générale, commune à tous les citoyens de l’Empire. Les jurés doivent décider tout ce qui n’exige que du bon sens et des connaissances locales, par conséquent les faits qui peuvent varier à l’infini et n’être connus que dans le pays; les juges au contraire décident ce qui exige une étude et des connaissances particulières, ce qui appartient à la loi, et qui doit être uniforme par tout le royaume. Voilà ce que l’on entend par jurés, en Amérique, en Angleterre , dans le monde entier ; (1) Les faits, les espèces peuvent varier à l’infini; souvent elles n’ont aucune analogie avec d’autres espèces : elles peuvent donc être jugées par des citoyens qui soient désignés pour chaque affaire. La loi est une, invariable dans toutes les affaires; il faut donc qu’elle soit appliquée par des hommes qui aient des fonctions continues, l’usage, le devoir et l’habitude de les remplir. 18 434 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mars 1790.] voilà ce que M. Gbabroud, M. Thouret, et moi avons entendu, lorsque nous avons parlé de jurés. Maintenant, puisqu’on vous a proposé aussi, sous le nom de jury, un projet qui détruit absolument les jurés, je suis forcé d’en dire un mot en ce moment. Quelques personnes, parce que M. L. S. (l’abbé Sieyès), au lieu de raisonner les principes et les bases d’un système judiciaire, a donné sans développement une suite d’articles où la législation, l’établissement judiciaire et les simples règlements sont mêlés ensemble, ont paru croire qu’il avait présenté un plan complet et lié, prêt à recevoir son exécution (1). Cette erreur s’est dissipée par la lecture dé l’écrit; on ne fait pas plus un plan judiciaire, en mettant seulement 176 articles les uns à la suite des autres, qu’on n’établit des jurés en donnant ce nom à une institution qui nTen présente nilanature, ni lesavantages : bien loin que les articles de M. L. S-présentent l’utilité d’une exécution facile et immédiate, iis sont eux-mêmes la plus grande preuve que ceux qui les ont conçus n’ont aucun usage ni aucune connaissance de cette matière. J’ai entendu dire que ce projet avait Futilité de placer d’abord des gens de loi parmi les jurés, ce qui faciliterait leurs opérations ; mais cette idée, qui n’est qu’accessoire au projet, et qui n’y est liée que momeutauément, est au moins inutile. En effet, si comme on peut le croire les citoyens jugent qu’il leur soit utile d’avoir des gens de loi parmi les jurés, ils en choisiront dans cette classe, et ceux qu’ils choisiront seront certainement les plus honnêtes et les plus instruits : les admettre tous sans exception parmi les jurés, ce serait réduire les citoyens à être jugés par ceux même qui leur auraient paru indignes de leur confiance. Le jury de M. L, S. n’a de commun avec les jurés que le nom; les jurés sont de simples citoyens (2); ici, c’est ia collection entière et complète de tous les gens de loi du royaume, mêlée d’un petit nombre de citoyens. Les jurés doivent être pris au hasard; ici, ce sont des hommes choisis, ou par les citoyens, mais au second degré par des électeurs, qui, par les formes indiquées, seront en petit nombre, et connus aisément d’avance. Les jurés jugent les faits ; au criminel, ils jugent coupable ou non coupable; le juge applique la loi : dans le projet de M. L. S. les mêmes hommes jugent le fait et appliquent la loi : ils sont donc vraiment des juges. Qu’on daigne réfléchir que toutes les fois que les mêmes personnes jugeront le fait et appliqueront la loi, rien n’est changé dans l’ordre actuel : qu’on se plaise ou non à les appeler des jurés, ce sont toujours des juges. C’est la distinction des fonctions (3), la distinc-(1) Je demande A cens qui ont lu avec attention le projet de M. L. S., s’il présente des facilités pour l’exécution ; comment Ton s'y prendrait pour la soumettre à la discussion. Jamais l'Assemblée nationale n’aurait pu choisir un plan plus fait pour allonger sa marche, et pour l’embarrasser. Je supplie qu'on le lise pour s’en convaincre. (2) Quelques personnes ont paru approuver ce projet, uniquement parce qu’il emploie1 les gens de loi; mais, outre qu’il les grève beaucoup en les employant, cette disposition u’est qu'accidentelle ; et pour un accessoire inutile et même dangereux, on serait forcé d’adopter des dispositions' principales, entièrement inadmissible». (3) Voilà ce qui est beau et utile dans l’institution des jurés, ce qui en fait l’ essence ! Si vous me fartes juger par des gens d’une même profession, par dos gens de loi, par exemple, que m’importe qu’ils soient juges ou tion dans les jugements qui fait les jurés : faut-il donc répéter que si les mêmes hommes jugent ensemble le fait et le droit, ils jugent souvent à la minorité ; que S'ils jugent successivement, alors un homme peut être forcé de condamner celui qu’il croit innocent? Cette démonstration a paru évidente : si elle est fausse, qu’on le prouve ; si elle est juste et vraie, qu’on l’adopte, ou qu’on déclare qu’on ne se soucie ni dé l’honneur, ni de la liberté, ni de la vie, ai de la fortune des citoyens. Des hommes donc que l’on fait juges sans leur donner le caractère de juges, sans leur en donner les devoirs et la responsabilité qui en est la suite ; des hommes quij après avoir jugé une affaire, vont se disperser dans la société èl y seront perdus de vue ; de tels hommes, lorsqu’ils seront appelés à juger, ne se croiront nullement obligés à Fob-servatioD de la loi, rien ne pourra les y atteindre, ils l’arrangeront, la modifieront, la feront pour chaque affaire particulière; c’est ià précisément la définition du despotisme, la réunion des pouvoirs, qui jugent et dispose la loi tout à la fois ; c’est aux yeux de tous ceux qui réfléchissent, l’introduction de l’anarchie, de l’arbitraire, la prédominance de la volonté de l’homme sur celle de la loi. Otons aux juges toute autorité superflue qu’ils ne puissent jamais créer un procès, le déterminer, juger les faits qui en sont la base; qu’ils ne puissent jamais ni décréter ni condamner, sans examen de jurés ; cela est nécessaire à notre liberté : mais si, dans chaque arrondissement, vous n’avez pas un homme chargé de maintenir l’exécution uniforme de la loi et de la volonté générale, qui ait la fonction non d’expliquer, mais d’appliquer la loi, alors il n’y a plus ni gouvernement, ni société, ni monarchie ; la France n’est plus composée que d’Etats fédératifs, formés par les départements, les districts et les cantons. Dans chacuû d’ettx, il se forme une manière particulière de juger suivant les préjugés, les passions locales. Personne n’a l’obligation expresse et le pouvoir de maintenir l’exécution de la loi : le juge aura beau en représenter la disposition; les vrais juget feront ce qu’ils voudront; et un individu qui croira avoir fait une action qui n’est défendue par aucune toi, un marchand de blés, par exemple, se trouvera condamné à mort, parce que, dans un moment d’inquiétude et de chaleur, ceux qui l’aurout jugé, auront trouvé l’action d’acheter du blé digne de ce supplice. H en sera ainsi de tous les crimes qui s’augmentent ou s’atténuent, suivant les passions et les intérêts des hommes r motif évident pour diviser leurs fonctions, obliger Fun à établir le fait et l’autre à appliquer la loi, parce qu’ators la force est dans l’institution et non dans l’homme. C’est en vain que, pour rémédier aux abus dont je viens de parler, l’on établirait à 200 lieues un tribunal central de justice. S’il pouvait y suffire, son action deviendrait tellement continue et si universelle, qu’il serait bientôt le seul tribunal et le plus redoutable des despotes. Ces considérations me paraissent dignes d’être pesées avec soin. Mais le reste du projet est bien plus extraordinaire ! L’on a vu que tuas les gens de loi du jurisecflttsuîws î F abus est toujours le toéroê, car il n’était pas dans Fc Mot-juge#, mais êtes éc que les citoyens étaient jugé» pour Ü fait, par dès hommes a bien ajouté â leur force par lès Observations fines et profondes qu’il a prèSéùtéës. J’ose dire qüe, lorsqu’on cesse de s’appuyer sür la raison seule, il ne peut exciter d’autorité plus sûre pour des gens de bonne foi, que les idées d’un homme qui peut offrir pour garant de leur justesse, une expérience et une iongue médiation. Mais éë qü’il faüt toujours redire, cè qu’on ne Saurait trop répéter, c’est que, sans jüfès, il n’ÿ (1) C’est une grande cause d’immoralité, et utté tenta-tibn que la loi ne saurait offrir îtopüftéinéfit à des hommes qüi sent de la ffiêtnë profession, et qui* pà,r conséquent, font une espèce de Corps, que dé iétir permettre dè plaider des affaires, de les instruire et de les juger* s’ils ne sont pas des hommes très vertueux alors il st formera entre les jurisconsultes plaidants, ét ceux qüi jugeront, une communauté d’intérêts qui ne doit pas (limiüueï lé nombre des procès. (2) M. Chabroud. a pas de liberté dans un pays. Sans jurés , aucune élection n’est libre; sans jurés, des ministres bas et corrupteurs, comme il est bien à craindre qu’ils ne le soient toujours, excluront ceux qui leur déplairont (1) ; sans jurés,, il n’y à plus de mœurs dans une monarchie. Je ne saurais me refuser à ajouter ici une considération puissante en faveur des jurés» surtout dans la poursuite et l’examen des délits* et qui n’a pas été présentée» Un des grands avantages des .jurés , c’est de substituer la preuve morale à ce que l’on appelle la preuve légale, dette dernière preuve est très bonne, lorsqu’elle se tire d’un acte fait entre deux parties; mais, lorsqu’on prétend la faire résulter au témoignage de deux individus, elle est absurde. Cependant, lorsque l’on a des juges et que le jugement n’est pas divisé, alors la société est obligée de prendre des précautions contre l'arbitraire dés décisions, ét l’on a établi cette maxime, que le3 juges ne pouvaient juger que seçundum allegata et probata . Les juges auraient été témoins individuellement d’un fait; ils ne peuvent s’en servir daùs leur jugement : mais si les témoins en déposent, pour peu qu’ils ne soient pas formellement contredits par les circonstances, l’affaire est décidée. Gommen� a-t-on pensé qu’il était possible de donner ainsi à la vérité un caractère de convention* et soumettre à une, seule règle de probité toute l’immensité des cômbinaisons humaines? C’est avec nn sourire dédaigneux que nous parlons des pratiques de nos pères qui voulaient qu’un accusé prouvât son innocence par les éprepves de l’eau bouillante, de la croix ou d’un combat. NoA usagés ’sOùt lotît aussi ab'suhlës et plus funestes. Cotûm'énti)ëùt-Ôn vivre tranquille dans un pays lorsqu’on pense que les célérats peuvent, avec quelques combinaisons, choisir leu,r vic-timeet rendre lesjuges complices d’ün assassinat ? Tout change quand on a des jurés. Ces citoyens choisis sans intérêts, ou plutôt forcement intéressés au maintien de la justice, entendent et voient l’accusé aux prises avec les témoins» Ils voient, réunis à la fois, et sous Un seul point de vue* l’ensemble et les détails du procès. LeUrâme est ouverte à tous lës traits de la Vérité. La société ù’a àûcüne défiance Contre eüi ; elle leur permet d’employer lèUFS coùbais'sâùces personnelles et, déjuger avec toute ja loyauté possible et avec les lumières sûres du bon sens» U y a unité et accord entre toutes leurs facultés ; ils ne sont pas obligés, comme les juges* d’être doubles, pour aitièi dire ; à juger, tioii comme ils voient, mais comme ilé doiVertt Voir ; à ùe pâs obéir à léür coüsciencé, mais à suivre des règles fausses et absurdes de probabilité. Lorsqu’un homme est condamné par les cinq sixièmes d’hommes droits et honnêtes, la conscience du législateur est tranquille : il a fait tout ëe qui dépend dès hommes, pour que la vérité soit connue. (I) En Abgle terre, eU tous le$ ressorts dé la liberté «ont èn action par l’üsprit publié, l’oïi â ttehlé d’ exclure lift député du parlement pâf üüe accusation et nous, qui possédons depuis si pëtt dè temps lè liberté, nous qu’elle a’a pas pénétrés entièrement, de manière à rem-rtpaéër toutes nés habitudes, h OS g'ôîits ïüêüiè dé la s ervitude; fioüS, Stir qüi Wi Wm d’uÜ hniVAiftre ù •eiitôre de l’tèitfïH, nëüs qüô lâ SlipétStitioU de ViéUA nomS, des titrés, surtout dü pouvoir, dotaitoê encore, et tient près-qüé beUirbés, bons citoÿOni pôttvoif ftertra passer de jurés! Frànéâts, éstoté-dônb toUjoUïs pat des insurrections populaires que vous irez â la liberté? N’ôst-il pas plus sage, plus juste, plbs s4r dè la fixer par nos institutions ! 436 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [29 mars 1790.] Cette institution sainte des jurés peut seule bannir du cœur d’un citoyen la crainte et la nombreuse escorte de vices qui la suivent, et lui donner cette confiance, principe de toutes les affections généreuses, en lui assurant sa vie, sa fortune, sa liberté, son honneur : c’est elle qui fait sentir à l’homme qu’il n’est pas seul sur la terre; qu’il existe pour lui une protection contre l’injustice, et que cette protection il la trouvera parmi ceux qui l’environnent, parmi des voisins qui ne demandent, en retour, qu’une disposition semblable de sa part, Voilà le vrai moyen de donner aux hommes des mœurs, une humanité profonde, l’amour de l’égalité, de la fraternité, et ce caractère fier et élevé qui ne s’est altéré chez nous que depuis que nous avons cessé de posséder l’institution des jurés, et que le règne de la chicane leur a succédé. Titre des jurés. Formation du tableau des jurés. Art. 1er. Il sera formé tous les ans dans chaque district un tableau (1) de citoyens, pour remplir sous le nom de jurés, les fonctions ci-après, dans les affaires civiles et criminelles. Art. 2. Le nombre de citoyens qui devront entrer dans le tableau, sera fixé par le département, de manière à ce qu’il puisse se prêter aux récusations dont ilsera parlé plus bas. Art. 3. Les jurés seront choisis dans chaque canton par les assemblées primaires ; il faudra être citoyen actif pour pouvoir être placé sur le tableau des jurés. Des fonctions des jurés dans les procédures criminelles (2). Art. lor. Aussitôt après la première information, ou huit jours au plus après l’emprisonnement, s’il a eu lieu, le juge sera tenu, de faire tirer au sort dans le tableau des jurés, en présence de deux (1) Chez les Anglais, la liste des jurés se fait tous les ans par un constable; elle est signée par le juge de paix. C’est dans cette liste que le shérif choisit ceux qui doivent décider les affaires dans les sessions. Une pareille méthode donne lieu à beaucoup d’embarras, et à plusieurs récusations particulières. Pour être juré, il faut payer une certaine somme : cette condition et d’autres qui doivent servir à garantir les lumières et la probité des jurés, seront remplacées chez nous, avec avantage, par le choix des citoyens. Ce choix donne déjà un titre plus sûr à la confiance; et d’ailleurs, il est conforme aux principes de noire constitution, dans laquelle tous les pouvoirs sont dans le peuple, et viennent de lui. Mais il faut, de toute nécessité, que les jurés soient nombreux, afin que le sort ait plus de chances, et que les combinaisons sur les jugements deviennent impossibles; car tous ceux qui croient qu’on peut appeler jurés des gens qui ne sont pas pris au hasard, et qui seraient connus d’avance, n’ont aucune idée des jurés et de leurs avantages. fi) Une s’agit pas d’examiner ici dans quelles circonstances et de quelle manière un homme pourra être mis en prison : la première procédure qui a lieu dans les matières criminelles, est purement du ressort de la police, elle consiste à arrêter le coupable, s’il est pris en flagrant délit : elle consiste encore à entendre les premières informations, à dresser les procès-verbaux, etc. L’épreuve judiciaire ne commence vraiment qu’au décret, qui est l’acte qui constitue un homme accusé, et le traduit devant la justice. C’est une maxime sacrée chez les anglais, que nul homme ne peut être accusé que par le témoignage de quatorze hommes libres et légaux qui l’accusent au nom du comité, pro eorpore Comitatûs. Ce principe doit aussi être celui de tous les pavs libres, et dans lesquel* il y a des élections populaires, des juges, quoique adjoints qui seroul nommés à cet effet, le nombre de dix-huit jurés, dont deux au moins devront être du canton de celui qui est prévenu du délit. Art. 2. Pour y parvenir, on mettra d’abord à parties noms des jurés du canton où demeure Je prévenu, l’on en tirera deux an sort parmi eux, on remettra le reste, dans lequel on en tirera encore seize pour compléter le nombre de dix-huit qui doit former le premier juré. Art. 3. Le juge sera tenu de réunir sans délai les jurés dont le nom aura été désigné par le sort. Lorsqu’ils seront assemblés, il leur fera prêter le serment suivant : « Vous citoyens, vous jurez et promettez d’examiner avec toute l’attention dont vous êtes capables, tous les actes et les pièces qui vont vous être présentés, vous ferez usage de tout ce qui peut être parvenu à la connaissance de chacun de vous, vous vous expliquerez avec franchise et loyauté. Vous ne suivrez ni les sentiments de la haine et de la méchanceté, ni ceux de la crainte ou de l’affection. L’accusation que vous allez porter contiendra, autant que vous le saurez, la vérité, toute la vérité, rien que la vérité; vous garderez secret tout ce vous pourrez dire ou entendre (1). » Art. 4. Après le serment prêté, on leur présentera les informations, les écritures, les pièces, les procès-verbaux du délit et tout ce qui peut être propre à éclairer leur décision : ce fait, ils resteront seuls pour délibérer (2). Art. 5. Dans celte délibération, ils feront usage de leurs connaissances personnelles, ensuite ils pèseront les dépositions des témoins : la majorité de douze sera nécessaire pour décider qu'il y a lieu à l’accusation. Art. 6. Si le jury a décidé qu’il n’y avait lieu à l’accusation, le prévenu sera relâché s’il était en prison, et il ne pourra plus être iuquiété ni poursuivi pour raison du même fait, à moins qu’il ne survienne de nouvelles preuves. Art. 7. Si le jury décide qu’il y a lieu à l’accusation, il sera tenu de la déterminer d’une manière détaillée, positive et claire. Il dira que tel nommés par le peuple, sont connus d’avance ; ils peuvent être facilement séduits : au lieu que l’on ne peut ni séduire ni corrompre des gens que l’on ne connaît pas, et dont la mission commence et finit presque en même temps. Voilà ce qui rend I institution des jurés le Palladium de la liberté publique, comme elle l’est de la liberté individuelle, parce que de simples citoyens décident le fait dans chaque affaire. (1) Voici le serment qu’on fait prêter aux Grands Jurés en Angleterre : « Vous vous informerez avec soin et vous ferez une dénonciation véritable de tous les articles, matières et choses, comme elles vous seront données en charge, ou autrement pourront venir à votre connaissance touchant la présente fonction. Vous garuerez un secret véritable sur le Conseil du roi, ce que vous savez, ainsi que vos compagnons; vous ne dénoncerez personne par haine, malice ou mauvaise volonté. Vous ne manquerez pas non plus de le dénoncer par crainte, faveur ou affection, ni par espérance, récompense ou promesse qui vous serait faite pour cela; mais dans toutes vos dénonciations vous direz la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, suivant votre meilleure intelligence et connaissance. » L’on sent toute l’importance d’un serment dont l’objet est de déterminer l’obligation des jurés, et de les lier d’une manière positive à celte obligation. (2) L'on conçoit bien que rien ici n’est ni ne peut être public ; sans quoi il serait impossible de jamais saisir les complices. Il ne s’agit pas non plus de récusation. C’est lors du second juré que toutes ces dispositions ont liett. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 mars 1790.] est accusé d’avoir fait telle chose, et de l’avoir faite méchamment (1). Art. 8. Lorsque le jury aura décidé qu’il y a lieu à l’accusation, le juge rendra un décret (2) conformément à sa décision. 11 continuera l’instruction de l’affaire à la diligence du ministère public; et dans le délai de huitaine, le juge sera tenu d’assembler le second juré, pour décider le fait de l’accusation. Art. 9. Le délai pourra être prorogé par le juge, s’il est nécessaire de le faire, sur la demande du ministère public ; il pourra aussi être prorogé sur la demande (3) de l’accusé présent. Art. 10. Les citoyens qui auront été membres du premier jury, ne pourront (4) être membres du second. Art. 11. Lorsqu’il s’agira d'assembler le second jury, le juge fera tirer au sort, toujours en présence des deux adjoints, quarante-huit noms sur le tableau; il en présentera la liste à l’accusé, avec la désignation de leur profession et de leur demeure. Art. 12. L’accusé en récusera (5) trente-cinq sans pouvoir donner de motif. Art. 13 Les jurés seront avertis par le juge de se rendre à l’endroit indiqué, et ils ne pourront (6) s’en excuser, sans des motifs d’une évidente impossibilité, et qui devront être jugés. Art. 14. S’il y a plusieurs accusés, ils se réuniront pour la récusation : si cependant ils étaient (1) Il faut absolument mentionner qu’un délit a été commis méchamment ; car si un homme a été involontairement cause de la blessure, même de la mort d’un autre individu, il n’y a lieu à aucune punition, et par conséquent à aucune accusation. (2) Soit un décret de prise de corps pour le constituer prisonnier, soit un simple ajournement , avec ou sans caution; il faut qu’il soit rendu par le juge, qui a seul un caractère public. (3) Une grande vue d’humanité et de justice doit décider à admettre cette disposition. Souvent, dans un pays, l'on a vu tous les esprits s’échauffer à l’occasion d'un crime réel ou imaginaire; alors il se forme un sentiment générai de haine ou d’horreur contre ceux qui en sont accusés, qui dispose les jurés et les juges à être plus faciles sur la preuve. L’accusé et ses conseils qui peuvent redouter les effets de ce trouble momentané, lequel empêche les jurés de décider sans aucune prévention, doivent avoir le droit de demander que l’on suspende son jugement. Comme il faudra qu’il soit présent pour donner cette requête, il n’y a aucun danger quelconque à admettre une disposition qui concilie les principes de l’humanité, de la justice et de la raison. (4) Il ne faut pas placer les hommes dans une telle position, qu’ils soient tentés de commettre une injustice pour couvrir une erreur : ainsi l’homme qui a décrété ne doit pas être celui qui appliquera la loi; celui qui juge l’accusation, ne doit pas juger le délit. En Angleterre, nul ne peut être juré pour un crime capital, qu’il n’ait déjà été juré en matière civile (*). Cette disposition paraît juste et convenable à adopter parmi nous. (5) Ce moyen d’assurer l’impartialité des jurés est si conforme à la justice et à l’humanité, qu’il n’a besoin que d’être proposé pour être admis. Quoique douze jurés soient suffisants, il paraît convenable d’en mettre un de plus pour suppléer aux accidents, sans qu’il soit nécessaire défaire retirer de nouveau au sort d’autres jurés. Cela a lieu en Angleterre, à quelques différences près. (6) Les jurés auront en cela la même obligation que celle que les témoins ont maintenant. (*) The sberiffs ..... shall not return any person to serve on a jury, for the trail of any capital offence who would not be qualined in such respective county, city, or place to serve as a juror in civil causes and the samè matter shall be a principal challenge. Statut 3, Georg. Il, ch. 25, S 20. 437 plus de quatre, la liste sera augmentée toujours par le sort, de manière à ce que chaque accusé puisse en récuser au moins huit (1). Art. 15. Le juge fera prêter tout haut le serment suivant (2) aux jurés : « Citoyens, vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges portées contre un tel ; vous n’écouterez que votre conscience, et vous déciderez avec impartialité, vous ferez votre rapport avec la loyauté, la droiture et la fermeté qui conviennent à des hommes libres. * Art. 16. Cela fait, ils prendront place, on leur lira le procès, le ministère public donnera des conclusions avec leurs motifs. Art. 17. Toute la procédure sera entièrement publique, jusqu’à la décision des jurés exclusivement. Art. 18. Il sera d’abord demandé à l’accusé et au témoin s’ils se connaissent, et à celui-ci s’il reconnaît l’accusé pour être celui dont il a entendu parler. Art. 19. L’accusé ou ses conseils pourront alléguer leurs reproches contre les témoins; les jurés y auront tel égard que de raison, lors de l’examen. Art. 20. Cela fait, on entendra les témoins de vive voix (3), l’accusé ou ses conseils pourront les questionner et les faire expliquer ; enfin l’accusé sera interrogé, et après cet interrogatoire, il ne pourra plus être fait aucun acte judiciaire quelconque. Art. 21. S’il y a plusieurs accusés du même crime, ils seront confrontés séparément (4) avec les témoins, ensuite de quoi ils seront confrontés entre eux. Art. 22. Les jurés alors se retireront dans une chambre, et ils y resteront sans pouvoir parler (5) ni communiquer avec qui que ce soit : s’ils veulent entendre encore l’accusé, ils le pourront, mais en présence du juge et du public seulement ; et ce, avant qu’ils aient commencé à délibérer entre eux. Art. 23. Lorsqu’ils seront seuls et retirés dans leur chambre, ils discuteront l’affaire entre eux jusqu’à ce qu’ils soient convenus de leur rapport. Art. 24. Les cinq sixièmes des voix seront (1) Voici le moyen d’empêcher que les jurés ne soient parents ou alliés, serviteurs ou domestiques des parties. 11 faut obliger l’accusé ou les accusés à en faire la récusation. S’il ne la fait pas, il faudra que les jurés, avant que de prendre place, déclarent qu’ils ne sont parents, alliés, serviteurs ou domestiques; et si un juré n’avait pas été récu.'é par ces conditions, il le serait alors, et le juge ferait tirer au sort pour le remplacer, parmi ceux que l’accusé aurait déjà récusés. Je n ai pas voulu mettre en article cette combinaison un peu compliquée, et qui n’a pas lieu en Angleterre, parce que c’est le shérif qui choisit les jurés, et qu’il a eu soin, en général, de ne pas choisir des parents, etc. (2) Voici le serment anglais : « Vous examinerez bien et vraiment, vous ferez un rapport véritable entre le roi et le prisonnier à la barre, que vous êtes chargé de faire, et vous donnerez un verdict véritable suivant îévidence. » (3) Grâce à la justice et à l’humanité de l’Assemblée nationale, toutes ces dispositions ne sont plus des idées neuves, on ne les voit plus avec cette défiance que l’on conçoit toujours pour toutes les nouveautés, l’expérience en a prouvé l’avantage et l’utilité ; il en sera de même des jurés. (4) Cette disposition est nécessaire pour empêcher que les accusés ne concertent entre eux leur défense. (5) L’extrême sévérité des formes anglaises me parait inutile ; mais il faut que les jurés ne puissent communiquer avec personne, et qu’ils ne puissent voir ou entendre l’accusé ou les juges qu’en présence du public ; seul obstacle invincible à la séduction et à l’intrigue, 438 [Assemblée nationale.] ARC.HIVES PARLEMENTAIRES-[29 mars 1790.] nécessaires pour toute espèce de condamnation (1). Art. 25. Les jurés seront tenus de statuer par un seul (2) et même rapport sur tous les accusés à la fois. Art. 26. Le rapport des jurés sera toujours positif comme : un tel est déchargé avec honneur de l'accusation; un tel a fait telle chose, il l'q faite méchamment, ou U l'a faite sans dessein. Art. 27. Gé rapport sera signé $e tous les jurés et affirmé véritable par eux. Art. 28. Jls pourront néanmoins eirconstan-cier les détails du délit, et finir par requérir ($) te juge de déclarer ce que la loi ordonne en pareil cas. Art. 29. Dans tous les cas, soit qu’un horpme convienne du fait dont il est accusé, ou que ce fait soit établi par le rapport des jurés, il sera admis (4), aiqsi que ses conseils, à plaider devant les juges que ce fait n’est défendu par aucune loi. Art. 30. Les jurés pourront, dans le même rapport, condamner les dénonciateurs, les parties civiles, même les plaignants, aux dépens et dommages-intérêts, s’il y a lieu. Art. 31. A l’égard des dénonciateurs ou des plaignants qui seront trouvés calomniateurs, il y sera statué également, mais après une procédure particulière. Art. 32. Le jury qui aura déeidé le fait principal, fera l’office du premier jury (5), relativement aux faux témoins, elle juge rendra le décret sur leur accusation. Art. 33. Les juges seront tenus d’homologqer sans délai le rapport des jurés, s’il est § décharge, et d’appliquer la loi, s’il pprte que l’accusé est coupable. (1) En Angleterre, il faut l’nnanimitâ pour condamner, mais elle est également nécessaire pour absoudre. Delà il résulte ou que la décision représente la simple majorité, la minorité devant naturellement lui succéder 5 ou les hommes les plus forts et les plus tenaces obligent toujours les autres à feyepir à leur avis. D’après cela, la double unanimité est mauvaise. La loi des cinq sixièmes est plus juste et plus humaine. Chacun peut aisément sentir le motif de eette proportion t il résulte de ce qu’un seul homme peut trop aisément se tromper. Heu* peuvent aisément avoir fait une convention 5 mais entre trois, l’erreur ou la convention est jnfinim