(AMemblfe national*] ARCBIVIS PARLEMENTAIRES. [il mai 1791.] Si donc vous vous rendez à la réclamation des gens de couleur, ceux-ci croiront que vous avez prononcé contre les blancs ; les blancs penseront que vous avez voulu prononcer contre leur vœu; et par une résolution dout vou3 vous seriez promis le calme des esprits et la pacification des colonies, vous n’obtiendrez véritablement que la continuation des haines des partis opposés et la renaissance de troubles beaucoup plus graves que ceux qui ont existé jusqu’à présent. Si au contrai re If vœu proposé par l’assemblée de Saint-Martin n’est pas conforme à la justice, à la raison et à la saine politique, il sera réformé par le Corps législatif. (Murmures.) On parait croire que noire projet de décret ne réserve pas ce droit au Corps législatif. Je déclare formel!' -meut que nous l’avons entendu ainsi. (Murmures.) Notre opinion était telle, et si la rédaction n’est pas claire, personne ne met obstacle à ce que la rédaction soit améliorée ; car telle a toujours été notre opinion, telle a toujours été la proposition que nous avons voulu faire; nous n’y avons vu aucune obscurité. Si qu lqu’un aperçoit cette obscurité, levons-la. Quel sera d’ailleurs, Messieurs, le résultat de cette démarche? C’est que si le Corps législatif rendait une disposition qui ne fût pas conforme à la proposition qui lui serait faite, au moins par le décret tel qu’il serait, les colonsse trouveraient assurés qee le Corps législatif ayant statué, leur sécurité d’ailleurs demeurerait pleine et entière. Il résulterait du décret nue vous auriez rendu au moment actuel, qu’il ne pourrait pas être provoqué de nouvelles dispositions à cet égard, c’est-à-dire qu’ayant ainri statué sur l’état politique de3 hommes libres, ils ne seraient pas forcés de faire de nouvelles propositions sur ce qui forme la base du régime colonial, sur ce que j’ai tracé dans la première partie. Telle a été, Messieurs, notre opinion ; tels ont été nos motifs. Je sais qu’il est diflicile de lutter contre l’application des principes ; mais je sais aussi que nous n’avons été déterminés que par des raisons impérieuses d’intérêt national. Je sais que nous avons voulu arriver à un résultat juste et raisonnable par des moyens prudents qui n’opéreraient pas le trouble, qui ne recommenceraient pas les scissions ; je sais que nous avons eu pour objet, dans les résolution* que nous vous avons présentées, la pacification des colonies, leur conservation à la France, et la conservation de tous l«s intérêts ; je sais que nous n’avons pa* aperçu sans terreur, et tous ceux qui étaient alors dans le comi'é avaient plus ou moins connaissance des colonies, carcertes, ceux qui s’en occ p> nt depuis deux ans, qui saveut littéralement tous les faits qui s’y sont passés, toutes les opinions qui y ont été rirofessées, peuvent juger avec quelque probabi-ité les effets qu’y produiront vos décrets, je sais, dis-je, quedans cette résolution-là nous avons vu la conservation d’un grand intérêt national ; que nous avons cru que rendre spontanément un décret pour donner aux hommes libres de couleur les droits de citoyens actifs, était un moyen subversif pour les colonies; que nous avons cru y voir aes semences de troubles dont les nations rivales tireraient sûrement parti. (Murmures.) Quand les faits viendront à justifier ce que je viens de vous dire, vous ne me reprocherez pas d’avoir iasisté pour vous avoir occupé quelques minutes de plus. Dans le moment actuel, je vous déclare que le décret qu’on vous propose de ren-759 dre, portera dans les colonies, parmi les blancs, qui sont actuellement seuls possesseurs des fonctions publiques; le désespoir et la terreur. ( Murmures à gauche ; appaudissements au centre.) Je ne veux plus faire qu’une observation sur ce fait : les personnes qui, je ne dis pas dans cette Assemblée, mais dans le public et par leurs écrits, cherchent à déterminer l'Assemblée nationale, dans la résolution qu’on lui a proposée ce matin, sont les mômes personnes qni, bien que convaincues par l’intérêt national, de l’avantage de l’alliance avec l’Espagne, s’opposaient à la conservation de cette alliance, lorsque le décret que vo is avez porté à cet égard a sauvé à la France une guerre terrible, de grands dangers, de grands intérêts ( Murmures.) les mêmes hommes qui provoquent aujourd’hui par leurs écrits le décret qu’on sollicite contre l’avis des comités. Eh bien ! ces mômes hommes par leurs écrits et par leurs discours publics, par d’incroyables efforts, cherchaient à déterminer l’opinion contre le décret que vous aviez rendu et cherchaient à persuader à l’Assemblée de revenir sur ses pas. (Applaudissements.) Je mets un dernier fait sous vos yeux : l’Angleterre a fait et fait eocore en ce moment d’importantes pertes dans son commerce et dans ses possessions colonial* s; elle a un très grand intérêt à chercher un dédommagement, elle est actuellement armée pour chercher ces dédommagements quelque part. (Applaudissetnents.) M. Gombert. Tout cela ne nous fait pas peur. M. Barnave. L’Angleterre dODt les soins et la politique nous occupent depuis longtemps, l’Angleterre a laissé établir dans son parlement, avec une grande sécurité, la discussion sur la proposition d’abolir la traite des nègres, et elle a contribué peut-être à amener cette question parmi nous. Par le décret qu’elle vient de rendre, elle a rejeté une proposition qui certainement lui assurera dans toutes ses colonies un grand degré de conliance et de crédit. (Applaudissements au centre; murmures ù gauche.) En prononçant sur l’état politique des gens de couleur, vous courez le risque de perdre les colonies. J’étais intimement convaincu de ce que je viens de vous dire, j’étais profondément pénétré de l’importance du décret dont vous vous occupez, je sais que le destin de ma patrie y est lié. J'ai dû vous dire franchement ma pensée; j’ai fait mon devoir. Maintenant prenez le parti qui vous conviendra. (Applaudissements à droite. Murmures à gauche.) (La suite de la discussion est renvoyée à la séance de demain). M. le Président annonce l’ordre du jour de demaia et lève la séance à trois heures et demi& ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU MERCREDI 11 MAI 1791. Nota. M. de Viefville des Essarta, député du Vermandois, fUimprimereidistribuerun discours et un projet de décret sur V affranchissement des [Assemblée netioiUkle.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |11 mai 179l.| nègres on radoucissement de leur régime. Nous insérons ici cette pièce, comme Taisant partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. Discours et projbt de loi pour l'affranchisse-. ment des nègres ou l'adoucissement de leur réaime et réponse aux objections des colons , par M. 4e Viefvllle des Essarta, député du Ver-mandois. Messieurs, la liberté est le premier droit que l’homme tient de la nature; ce droit est sacré et inaliénable; rien ne doit l’en dépouiller. L’esclavage n’est donc que l’abus de la force. La France a eu le bonheur de le voir disparaître de son continent; mais, injuste, elle a eu la cruauté de l’établir dans ses colonies. C’est une violation de toutes les lois sociales et humaines. Si jamais il y a une occasion de proscrire du sol français cet abus barbare ; si jamais il s’en est présenté une d’y briser les chaînes de la servitude; c’est sans doute dans un moment où les hommes pénétrés plus que jamais de cette vérité qu’ils sont éaaux devant l’Etre qui les a créés, et devant la loi éternelle qu’une main invisible a gravée dans leurs cœurs, réunissent tous leurs efforts pour abolir et effacer jusqu’aux dernières traces de leur ancien asservissement. Le temps me paraît donc venu, Messieurs, de vous présenter le projet le plus grand, le plus noble, le plus digne peut-être de la postérité, qui seul peut immortaliser cette auguste Assemblée : l'abolition de l'esclavage. Relever la nature de l’homme dégradée et avilie; rappeler l’homme à sadignité; le rétablir dans ses droits primitifs, c’est une action digne de la générosité française. Réparer les outrages faits à l’humanité, depuis tant de siècles ; effacer, s’il est possible, tous les crimes de la cupidité; c’en est une digne de la justice. Déjà, une nation rivale, qui a tant de droits à notre estime, s'en est occupée ; prévenons ces généreux desseins. C’estàla France, c’est à vous, essieurs, qu’il appartient de donner ce grand exemple qui vous méritera l’hommage et la véué-ration de l’univers entier. Jel’avouerai, le cœur est séduit et entraîné par une si belle et si noble entreprise. 11 est si doux d’exercer la bienfaisance, de verser des consolations dans le sein de3 malheureux, et d’y répandre le bonheur, qu’on ne peut se défendre, je ne dirai point d’un sentiment de pitié et de compassion, mais d’attendrissement, mais du plus puissant intérêt, pour ces êtres infortunés, victimes malheureuses de nos immodérations et de notre insatiable et cruelle avarice. Il n’y a point de genre de cruauté et de barbarie auquel ils ne soient exposés, ni de forfaits dont nous ne nous rendions coupables envers eux. Les moyens les plus atroces sont mis en usage pour faire une bonne traite ; on suscite la guerre et le carnage dans leur pays; et par la séduction de quelques objets futiles, on achète l’affreux droit de les enchaîner, et de les traiter comme de vils troupeaux de bétail. Il en coûte de tracer ces horreurs. La traite ne se fait ordinairement que sur la côte d’Afrique depuis les Etats du roi de Maroc, jusqu’à Mozambique, en tournant cette immense étendue de côte, par lecapde Bonne-Espérance. Les navires négriers se rendent aux différentes échelles de communications, établissent un poste à terre pour les échanges. Là se rendent les marchands d’esclaves avec lesquels ils traitent pour un certain nombre; car ils ne peuvent point faire, en un seul lieu, leur chargement. Ils sont souvent obligés, pour parvenir à le compléter, de parcourir une grande étendue de côtes, d’y rester plus ou moins de temps, seloD les circonstances, quelquefois huit à neuf mois. Ces exemples sont fréquents. Comme le succès de leur voyage dépend de la promptitude de la traite, rien n’est négligé pour l’accélérer. Oa tente la cupidité du marchand; on compose, ou s’arrange avec lui ; et, de concert, toutes sortes de moyens sont employés pour la finir promptement. Si les habitants du pays, trop crédules, séduits ou excités par la simple curiosité, se rendent à bord, ils y sont détenus, et sur-le-rhamp précipités à fond de cale, confondus avec les malheureux qui y sont déjà renfermés. Le marchand a souvent la facilité de commettre seul ces atrocités. Lorsque le capitaine n’entend pas la langue du pays, il devient complice sans s’en douter. Ces infortunés ne peuvent se faire comprendre; et quand ils le pourraient, la cupidité étoufferait leur voix. Arrachés à leurs familles, à leurs femmes, à leurs enfants, à leurs amis, à la terre qui les a vus naître, ils jettent inutilement des cris affreux de désespoir. Quelques-uns se donnent la mort; l'on enchaîne les autres qui pourraient les imiter; et le vil et féroce marchand, qui reçoit le prix de son pacteabominable,de son traité de sang, dit tout ce qu’il lui plaît sur le compte de ces malheureux; dont ou ne comprend point le langage. D’ailleurs, tout le monde profite; les éclaircissements ne sont point demandés. Il est arrivé que c’étaient des chefs de castes, qui se trouvaient ainsi traités avec leur suite, par la perfidie des marchands. Ils ont été réclamés; et il a fallu que la force s’unît à la justice pour leur faire rendre la liberté. Le marchand a toujours la liberté de se soustraire à la punition, en passant dans un autre canton. Ne craignant rit n, il ose tout. 11 calcule ordinairement ces sortes de coups, à l’époque où il sait que le nombre d’hommes qu’il amènera complétera la traite, et que le navire mettra à l’instant à la voile pour sa destinaiion. Le comble de l’horreur, c’est l’entassement de ces malheureux le3 uns sur les autres, dans le fond de cale du vaisseau, sous un ciel brûlant, n’ayant d’air que le peu que leur en donnent 3 où 4 petites fenêtres de 10 pouces en carré, étroitement barrées et grillées de grosses lames de fer. Empilés dans cet horrible cachot et abîmés dans la douleur et le désespoir, ils y pourrissent dans la saleté, l’infection et toutes les exhalaisons fétides, produites par l’excessive chaleur du climat. Ce n’est pas assez, ils y sont encore tourmentés de tous les besoins de la vie. Leur nourriture n’est composée que de salaisons presque pourries, d’une légère portion de biscuit couvert de toiles d’araignées, de vieux légumes, achetés par économie, dont les insectes ont dévoré la farine, et n’ont laissé que la pellicule. Brûlants de l’ardeur de la soif, leur grand nombre et l’incertitude du terme de la navigation empêchent qu’on ne puisse les satisfaire ; ils ne reçoivent qu’une petite mesure d’eau qui, irritant leurs désirs, ne peut qu’augmenter le feu qui les consume. Ils d scendent ainsi dans le tombeau, désespérés, frappés de tous les maux, maudissant la race cruelle qui les y précipite d’une manière aussi barbare. Tel est le sort affreux et presque incroyable des Africains, pendant tout le temps de la traite, près de 3 mois d’une pé- (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (Il mai «TW.J 701 nible navigation, constamment sous le feu de la zone torride. On ne doit pas être surpris, d'après cet horrible tableau de souffrances, si, communément, la mort en enlève le sixième, plus souvent le tiers ou la moitié, quelquefois la totalité, et jnsqn’à leurs féroces conducteurs. On ne peut rendre de pareilles atrocités sans éprouver un frémissement d’horreur. On vaudrait pouvoir écarter les réflexions déchirantes, et oublier qu� tant d’excès de barbarie aient pu subsister aussi longtemps, sans que le ciel, vengeur des crimes que la loi ne punit point, ait anéanti les monstres inhumains qui osent ainsi violer toutes les lois, et outrager la nature. Il ne faut pas croire, Messieurs, que ce soit là le terme de toutes les souffrances de ces infortunés. De nouveaux supplices 1rs attendent au delà des mers. Le bonheur a fui avec leur patrie; il ne reparaîtra pas pour eux. Bientôt un régime homicide les tiendra enchaînés dans nos colonies. Une loi de sang, connue sous le titre de Code noir (1), va les faire descendre du rang des hommes; les dépouiller de tous leurs droits; les vouer à une telle dégradation, qu’elle les attachera et incorporera, en quelque sorte, à la terre; elle ne les considérera plus que comme des instruments de labourage; ils seront condamnés à l’arroser de leur sang, et à la travailler toute leur vie. La cupidité, calculant ses bénéfices sur l’étendue rie leur travail, pressurera leurs forces, fera gronder continuellement les menaces à l’entour d’eux, et étendra sur leur tête une verge de fer, toujours prête à les immoler. Ils n’auront de liberté que pour s’abreuver de leurs larmes et dévorer leurs malheurs. Car on leur interdira celle de pouvoir se plaindre. Les tribunaux leur seront fermés; la loi deviendra sourde pour eux; elle repoussera leurs plaintes, en leur interdisant toute action. Inhumaine et injuste, elle laissera à leurs chefs le pouvoir arbitraire de les mutiler, de les déchirer de coups, de leur donner la mort impunément; et s’ils tentent d’échapper à leurs assassins, elle les condamnera à avoir les oreilles ou le jarret coupés; la vie ne leur sera laissée (1) Suivant ce code, les nègres sont considérés comme meubles. On les vend et rovcnd à l'encan, sur des affiches et publications; on les attache à une habitation; ils sont censés en fairo partie, comme des instruments nécessaires de labourago; ils sont privés de tous les droits de l’homme; ils no peuvent pas se marier sans le con-seutement de leurs maîtres. Il leur est défendu de por-tor un bâton, à peine du fouet; il leur est egalement défendu de se voir entro eux, de so réunir, pour quelque cause et en quelque lieu quo ce soit, sous peiue corporelle, qui ne peut être moins quo du fouet et de la fleur de lys; et, en cas do récidive, sous peine do mort. Ils n’ont d’action, ni au civil, ni au criminel ; leurs maîtres seuls peuvent suivro la réparation des offenses, outrages, mutilations et excès commis en leurs personnes, et par là les maîtres ont la vio do leurs esclaves en leur disposition, art. 13, 13, 25. Si un esclave frappe son maître, sa maîtresse ou leurs enfants, il est puni de mort. Si c’est une autre personne libre, do même s’il y échet, art. 27 et 28. S’il dérobe la moindre chose, la plus légère denrée, comme pois, fèves, etc., il est battu do verges par l’exécuteur do la haute justice et marqué d’une floar do lys. S’il fuit, on lui coupe, la premièro fois, les oreilles; la seconde, le jarret; la troisième, il reçoit la mort, à moins qu’il ne soit pins utile à son maitre de lui conserver 1a vie. L’homme humain qui lui aurait donné retraite, est condamné à une amende, réduit, faute de la payer, à la condition d’esclave et vendu; enfin il est permis aux maîtres et maîtresses, lorsqu’ils croient que les esclaves l’ont mérité, de les faire enchaîner, battre de verges et de cordes, art. 30, 32, 34, etc., etc. que lorsqu’elle pourra encore être utile à leurs bourreaux. C’est, Messieurs, sous un pareil régime, sous l’empire d’une loi doDt le peuple le plus sauvage aurait horreur, que lt-s malheureux Africains vivent dans nos colonies. Ils y périssent par milliers, accablés sous le poids de tous les maux. Condamnés à y déchirer la terre, à peine leur accorde-t-on quelques heures de repos. Si leurs forces épuisées ne suffisent pas pour remplir la tâche que l’avarice leur a assignée, des mains barbares meurtrissent leur corps; des ruisseaux de sang coulent et arrosent ces terres proscrites, qui déjà ensevelissent des milliards d'Africains, et qui bientôt enseveliront encore ceux qu’elles portent, également desséchés, dépéris par la cruauté et le malheur. Il n’est point pour eux un jour heureux. Leur dernier soupir finit leur travail. La mort arrive toujours trop lentement; elle est le premier instant de leur repos; elle termine leurs peines. Le fisc est encore venu ajouter à leurs maux, en resserrant leurs chaînes; son génie, aussi vasteque ses besoins, a tout soumis à sa voracité. Après s’étre asservi jusqu’aux choses de première nécessité, il a porté son odieuse exaction jusqu’aux actes de justice et de bienfaisance. Chose incroyable! il a assujetti les maîtres qui affranchissaient leurs esclaves, à lui payer 3,000 livres pour chacun. NYn doutons pas, Messieurs, la générosité frauçaiseen estun garant, sanscette gêne, sans celte entrave révoltante, mise à la liberté des noirs, plus du tiers se trouverait libre et propriétaire, et la population serait doublée. Qu’on i’ôte, 2 ou 3,000 recevront annuellement leur liberté. Je conviendrai, cependant, qu’il est des maîtres qui connaissent les droits de l’humanité, et qui en remplissent les devoirs; mais, pour le plus grand nombre, le tableau que j’ai tracé est encore au-dessous de la réalité. Et ce sont des hommes civilisés qui en traitent ainsi d’autres par la raison que la peau de ceux-ci est noire et que la leur est blanche ! La nature frémit d’indignation, >ràme est déchirée ; pressé et séduit par les mouvements de son cœur, on ne croirait sûrement point qu’on pût mettre en question, si on doit, ou non, venir au secours de ces malheureux, remplir vis-à-vis d’eux les devoirs sacrés de l’humanité, eu un mot, leur rendre leur liberté. Cependant, en réfléchissant, on trouve des difficultés embarrassantes; on éprouve ce sentiment pénible que le meilleur des rois a si dignement exprimé ; Que le bien est difficile à faire. Examinons donc ces difficultés; voyons si elles sont de nature à empêcher ou à retarder l’exécution du plus louable projet, qui fût peut-être jamais. On annonce que si l’on abolit la traite et l’esclavage des nègres, il faut renoncer aux colonies, et en abandonner les cultures, parce que les Européens n’y sont pas propres; que ces climats trop chauds les épuisent, qu’ils ne sauraient y suffire au travail. On ne doit pas craindre cet abandon; un trop grand intérêt s’y oppose. On ne croira pas à l’idée que les propriétaires négligent aucun des moyens propres à conserver leurs possessions. L’abolition de la traite, bien loin de nécessiter cet abandon, ne sera qu’un véhicule de plus pour engager les colons à favoriser la population des noirs, afin de pouvoir se passer ae U ressource 70f (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (U mai 1791.] de la traite, comme nie de la Guadeloupe nous en fournit l’exemple. D’aii leurs, c’est une erreur de penser que les Européens ne soient pas propres à la culture de nos colonies; nous conviendrons, et il est incontestable, que l'homme noir, né sous un ciel brûlant, a plusde force physique, mais les blancs acclimatés peuvent suffire, et sont capables de faire la majeure partie du travail des noirs. Ce sont eux qui ont commencé les défrichements. Dans la création des premiers établissements, sous Louis XIV, il n’y avait que des Européens, qu’on nommait engagistes, parce qu’ils étaient engagés pour un lerme de 3, 4 et 5 ans, qu’ils cultivaient ces teires, et ils le faisaient avec plus d’activité, d’intelligence et de succès que les noirs. Il est vrai qu’ils ne cultivaient que du tabac; mais ils auraient également cultivé du café, du sucre, de l’indigo, et toutes les autres plantes indigènes. Ils pourraient donc le faire encore aujourd’hui. Il suffirait pour cela de changer les heures de travail, de prendre le matin et le soir. Et puis, que I on détruise, dans ces climats barbares,; le détestable préjugé qui dégrade l homme dévoué à la culture des terres; qu’on l’honore, que ce soit à l’avenir des mains libres qui les exploitent : alors l’Européen qui aura des besoins n’hésitera plus à les cultiver. N03 colonies (celles de l’Amérique) ont, aujourd’hui, assez généralement, une population d’Africains qu’on peut établir dans la proportion de 10 à 1, les troupes non comprises, c’est-à-dire qu’il y a 10 noirs pour un blanc. Chacun sait que ces derniers sont possesseurs et ne font rien; que les autres exécutent, dirigent l’ouvrage, font tout et n’ont rien. Or, de cette disproportion de situation et de population, ou fait ce' te objection : on demande comment vivra cette foule d’esclaves, qui est sans propriété, si tout à coup on lui rend la liberté. Elle vivra avec son travail et ses services, co i me vivent vos manœuvres, journaliers ou domestiques. Le besoin et la nécessité l’y forceront. Mais il n’est pas question de lui rendre tout à c >up la liberté : on la lui rendra successivement, en prenant des précautions pour pourvoir au :-ort de chaque esclave, soit en lui donnant des terres à cultiver ou à défricher, soit autrement. On ajoute que la main-d’œuvre devenant alors plus chère, le prix des denrées augmentera à proportion; qu’il en résultera que nous ne pourrons plus fournir le commerce, dans les marchés étrangers, avec les autres mitions propriétaires; que nous allons être bornés à notre seule consommation ; que nos voisins introduiront chez nous les denrées de leurs colonies, parce que l’intérêt est toujours plus fort que la loi ; que si 500,000 noirs recevaient la liberté au même instant, ils pourraient manquer de reconnaissance, et abuser, dans le premier transport d’une révolution aussi inattendue, de leurs forces pour opprimer leurs maîtres; enfin si l’on veut être "uste, que le noir étant une propriété fondée sur a loi, sous la foi de laquelle, le colon a acquis, son capital doit lui être remboursé; qu’il lui restera encore à courir le danger de l’abandon d’une partie de ses cultures. Ces raisons bien pesées, peuvent-elles balancer les motifs si puissants et si impérieux qui s’élèvent en faveur de l’alfrancbissement? Sont-elles assez fortes pour continuer de leur sacrifier la vie et la liberté de milliards d’hommss? Une nation juste, humaine et bienfaisante ne sait point faire ae pareils sacrifices à sou luxe, à sa vanité, ou à l’intérêt de quelques milliers de personnes. 11 est d’ailleurs facile d’y répondre. 1° Le noir ne peut jamais être considéré comme propriété; il est détenu par la foice, et la force ne donne aucun droii. « Le droit de liberté inhérent à la nature de l'homme, est inaliénable et imprescriptible ; on ne veut pas y renoncer. La renonciation qu'on y ferait serait un acte illégitime et nul; et quand chacun pourrait s’aliéner lui-même, il ne peut pas aliéner ses enfants; ils naissent hommes et libres; la liberté leur appartient ; nul n'a le droit d'en disposer qu’eux. Aucun n’a aucune autorité sur son semblable (Contrat social, liv. 1er, chap. îv). » Le fort qui asservit le faible commet donc une injustice, un acte de violence, contre lequel l’imprescriptibilité du droit de l'homme réclame éternellement et il n’est dû aucune indemnité pour l’éviction d’une possession furtive. 2° Si les colons, par l’effet de l'affranchissement, salaient les noirs, leur payent des gages ou des journées, iis ces-eront d’en faire l’inlâme trafic; et en perdant sur eux le droit inhumain de vie et de mort, ils gagneront le prix de leur achat et tout ce qu’il eu coûtait à leur cruauté. 3° Les pertes et les dangers civils qu’ils présentent pour la balance du commerce, ne se trouveut que dans le calcul de leur intérêt, encore est-il lacile de les prévenir ou de les réparer. La plupart des grands propriétaires ne daignent pas résider dans les colonies, par la raison que leur fortune étant immense, ils veulent augmenter le cercle de leurs jouis ances, en fixant leur séjour dans la métropole; ils font donc gérer par un économe, qui ne tarde point de prendre le même goût, et de revenir en Europe pour les mêmes causes. Mais au lieu d’uQ bénéfice de 100 0/0 et plus, qu’ils font, qu’ils se contentent des deux tiers, ils feront encore un gain assez honnête, et la concurrence restera la même : il ne résultera d’antre inconvénient que d’être 9 ans, au lieu de 6 pour faire sa fortune. 4° Le sol de nos colonies étant singulièrement propre à y varier les productions, dans la supposition où (U s mains libres produiraient, dans le prix des denrées, une augmentation telle qu’il devînt impossible de soutenir la concurrence chez l’étranger, et qu’ori fût obligé de se borner à la consommation de la métropole, on doit croire qu’alors les propriétaires ne manqueraient pas, comme ils l’ont fait dans le temps où le café était tombé à 8 et à 10 sous la livre, de diminuer leurs culéiries et sucreries, pour se livrer, avec tout le zèle et l’intelligence qu’on doit attendre d’un peuple industrieux, à la culture de l’indigo et de tous les autres objets qui donneraient des avantages certains. On doit croire aussi que les autres nations propriétaires, dont les lies avoisinent les nôtres, suivront l’exemple de la France ; ou si elles ne le faisaient pas, elles y seraient bientôt forcées par la désertion de leurs esclaves qui ne manqueraient pas de venir chercher la liberté sur noire sol (1). (1) Celto désertion est d’autant plus présumable, qu’elle est facile. Les nègres ne sont pas enchaînés. Ils travaillent aux champs, sous la discipline d'un ancien esclave habitué, qu’on nomme commandeur . Et ce n’est mémo que dans les grandes habitations que ce surveillant est établi; la majeure partie des esclaves sont divisés, vont seuls au travail, font les commissions, conduisent les embarcations pour se rendre d'un lieu à un autre, et peuvent facilement et sans danger, s’en servir pour passer dans la colonie voisine, surtout aux lies de |Aasembléo nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (il mai 1791.) 763 5° Quant aux craintes de révoltes et d’oppression, dans le premier moment de la révolution, et toutes les autres considérations qu’on peut présenter, elles cessent et s'éteignent dans la forme lente et progressive de l’abolition de l'esclavage. Qu’on n’exécute le projet d’affranchissement que partiellement; qu’on ne donne chaque année la liberté qu’à un certain nombre de noirs, on prévient l’effet d’une révolution subite, les dangers d’une liberté générale donnée tout à coup à 500,000 âmes. Les changements nécessités par les circonstances se faisant successivement, le nouvel ordre di s choses se trouvera établi sans aucun de ees secousses orageuses qu’un projet d’une si haute importance peut faire craindre, si l’exécution en était précipitée. Ainsi donc, que les fers des esclaves soient brisés sans précautions, il peut en résulter de grands malheurs, on en convient, la mort même, pour ceux qui les auraient brisés; mais si prudemment, ce ne sera plus qu’un acte juste et salutaire, un bienfait sans danger. Tel un torrent dont les digues auraient été tout à coup rompues par des mains imprudentes porte le ravage et la désolation dans tous les lieux de son passage, en-traineet ensevelit dans ses flots précipités l’homme même qui les a déchaînés, mais, sagement dirigées, ces eaux suivent paisiblement le cours que la nature leur a indiqué; et au lieu de la dévastation, portent avec elles un germe précieux de fécondité. Il résultera, d’ailleurs, un avantage bien sensible de l’affranchissement partiel et successif. Une petite portion d’individus, recevant annuellement la liberté, trouvera plus de moyens de subsistance. Les noirs sont humains et charitables ; c’est le caractère distinctif des malheureux ; ils s’e dr’aideront. Déjà, du moment de la publication du décret de liberté, ils ne seront plus aussi tourmentés de leurs souffrances; ils y verront un terme; ils se croiront heureux; et ils le seront par l’espoir l’Amérique, dont le trajet n’est que d’une petite journée au plus, pour so rendre des îles anglaises aux lies françaises. On ne s’apercevrait de leur fuite que lorsqu’ils seraient rendus au terme de leur espérance, à l'heure du soir, où ils rentrent chez leurs maîtres. Ainsi l’ilo Dominique, qui est aux Anglais, occupe l’espaco entre la Martinique la Guadeloupe et ses dépendances. Les îles sous lo Vent, û peu no dislauce, sont encore à eux; Antigues, Monsarat, Niève, Saint-Christophe et Saint-Eustache aux Hollandais. Sainte-Lucie, qui nous appartient, touche Saint-Vincent et la Grenade. Par conséquent, de toutes parts la communication est facile; elle a lieu avec de simples canots qui sont toujours conduits par des nègres. Elle est sûre, en ce que la mer, dans ces parages, est toujours belle; on n a besoin ni do pilote, ni d’approvisionnement, puisqu’on voit le lieu où l'on vent aller, et qu'on a la possibilité do s’y rendre dans l’intervalle de deux repas. Les canots, toutes les petites cmliarcations sont au premier occu-fiant, et ne sauraient être gardés en force. D’ailleurs, es bâtiments etrangers qui communiquent, sont mouillés près de terre. On connaît ceux qui doivent toucher aux colonies françaises. Les noirs mont pas besoin do canots pour s’y rendre, ils peuvent facilement y aller à la nage.lt n’est pas douteux qu’ils no profitent de toutes ces facilités pour recouvrer le plus cher et le plus précieux de tons les biens, la liberté. Ou doit croire qu’un homme excessivement malheureux à Versailles, sachant qu'il sera heureux à Paris, aura la volonté et lo désir de s’y rendre, et s’y rendra s’il lui est possiblo. On pourra l’enchainer, mais alors il sera plus à charge qu’utile à ses maitres; car il lai faut l'usage do ses jambes pour se rendre aux champs, et ses bras pour agir et travailler. d’un avenir plus doux, car la pensée anticipe sur le temps, et, en réalité même, leurs peines seront allégées. Le maître qui aura intérêt à s’attacher son esclave, pour qu’à l’époque de sa liberté, il reste sur son habitation, le traitera avec plus de douceur. Ce malheureux bénira donc, dès lors, la nation généreuse qui aura fixé un terme à ses douleurs. Les sentiments de reconnaissance, n’en doutons point, retentiront dans toutes les parties du monde ; ils passeront dans sa postérité, qui n’oubliera jamais la génération qui aura tant fait pour elle. Enfin, on peut présumer qu’avec une administration douce et surveillante, la population s’entretiendra, de manière (abstraction faite des esclaves des îles voisines, qui pourront venir respirer la liberté sur nos possessions), qu’elle sera sans diminution, à l’époque où la liberté deviendra générale, si, toutefois, l’on ne veut pas se flatter qu’elle soit augmentée. On peut peut-être aller plus loin : présumer également que dans moins d’un siècle, la majeure partie des propriétés de nos colonies appartiendra à cette classe d’hommes, habitués à travailler beaucoup, et à dépenser peu. Mais alors, elle serait incorporée et attachée au sol, par ses possessions, et dans la supposition d’une révolution qui la conduirait à une entière indépendance, comme elle serait générale, qu’elle s’étendrait également sur nos voisins, votre situation n’en deviendrait que meilleure. Débarrassées des frais immenses d’administration , nos relations conti n ueraient d’être les mêmes par des besoins mutuels, avec l’avantage d’un côté de pouvoir rigoureusement nous passer d’eux, tandis qu’ils auraient besoin de nous pour subsister ; d’un autre avec celui sur nos voisins de posséder exclusivement les objets de première nécessité; avantages qui nous assureraient incontestablement la préférence. Pour tous ces motifs, voici donc le projet de décret que je soumets à l’examen et aux lumières de l’Assemblée nationale. L’Assemblée nationale, pénétrée de cette vérité éternelle, que l’homme naît libre; que sa liberté est inaliénable ; que la force ne produit aucun droit : Considérant que rendre l’homme à sa dignité, étendre son bonheur, le rétablir dans ses droits primitifs, est un devoir dont rien ne peut dispenser; Voulant qu’à l’avenir, il n’y ait plus, dans toute l'étendue de l’Empire français que des hommes libres, et y abolir jusqu’au mot affreux d 'esclave, arrête et décrète ce qui suit : « Art. 1er. L’esclavage sera et demeurera aboli, pour l’avenir, dans tous les pays de la domination française, de la manière et ainsi qu’il sera dit ci-après. Les hommes en y entrant, seront libres, et y jouiront de tous leurs droits. « Art. 2. La traite des nègres est et demeure abolie, à compter du jour de la promulgation du présent décret. Tous les noirs qui s’introduiront ou qui seront introduits dans les colonies françaises, ou dans toute autre partie du royaume, de quelque manière, et par qui que ce soit, 6 mois après ladite promulgation, seront libres. « Art. 3. Tous les esclaves actuellement existants dans les colonies françaises seront successivement affranchis et mis eu liberté, en 16 années, à raison d’un seizième par chaque année, dont la première commencera du jour de la publication du présent décret. « Art. 4. Les esclaves au-dessus de 70 ans 764 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (il mai 1791.| seront les premiers mis en liberté. Mais ils resteront à la charge de leurs maîtres (1), qui seront obligés de les nourrir et d’en prendre soin, ou de payer annuellement une somme pour leur subsistance et entretien, dans une maison de charité qui sera établie à cet effet. « Art. 5. Les esclaves mariés, qui auront le plus d'enfants, seront ensuite affranchis. Il sera rendu la liberté à toute la famille en même temps; les pères et mères étant libres, les enfants ne peuvent être esclaves. ■ Art. 6. Les enfants, au-dessous de i’àge de 15 ans, sur les habitations, n’ayant ni père ni mère, continueront d’être élevés et nourris, jusqu’à l'époque fixée pour la cessation totale de l’esclavage. Alors il sera pris des mesures pour pourvoir a leur subsistance, et à l’indemnité qui pourra être due au maître qui les aura nourris, sans en avoir tiré de profit (2). « Art. 7. Tout noir qui aura travaillé 20 ans sur la même habitation, ou qui, étant âgé de 40 ans et hors d’état de gagner sa vie, préférera y rester, y sera nourri : Il en sera de même des mutilés et estropiés sur l’habitation; si mieux n’aiment les maîtres, les placer à leurs frais, dans la maison de charité qui sera établie. « Art. 8. Les esclaves qui seront mis en liberté, jouiront, au même instant, de toute la faveur de la loi, pour contracter, vendre, acheter et faire le commerce, et de tous les autres droits de citoyen. « Art. 9. Le Code noir est et demeure aboli et supprimé dès ce jour, comme inhumain et barbare; il est défendu aux chefs d’habitation, maîtres et conducteurs d’esclaves, de les punir, frapper ou faire frapper arbitrairement et de leur autorité, sous aucun motif ou prétexte quelcon-ue; et à toute personne de s’arroger le droit e leur infliger aucune punition, les mettant dès à présent sous la protection de la loi. « Art. 10. Il sera établi une juridiction de discipline dans chaque quartier, composée de 8 notables, qui connaîtra exclusivement et gratuitement des fautes des noirs, conformément au règlement qui sera fait ; et les notables ne pourront être moins de 5 pour pouvoir rendre un jugement. « Art. 11. Le maître qui aura à se plaindre de son esclave ne pourra se faire justice, ainsi qu’il a été dit, article 6, à peine d’être puni suivant l’exigence des cas. 11 sera tenu de le citer devant la juridiction établie. « Art. 12. Il est permis aux noirs de se marier entre eux, sans que leurs maîtres puissent s’v opposer, savoir ceux qui professent la religion catholique, suivant les formes prescrites par l’Eglise et les lois du royaume; les autres suivant les formes établies pour les non-catholiques. Le maître à qui appartiendra l’homme, sera obligé d’acheter la femme, si elle appartient à un autre maître, ou, s’il aime mieux, de céder (i) Ayant usé leur jeunesse, ils doivent soigner leur vieillesse. (2) Dès l’àge de cinq ans, les petits négrillons travaillent, gagnent leur subsistance. Ce n’est donc que jusqu’à cet âge qu’il est dù une indemnité aux maîtres, qu'on peut estimer soixante livres par an ; c.ir ils vivent par supplément sur la nourriture des esclaves. Comme cette indemnité de subsistance ne doit être payée que la seizième année, on pourrait la faire acquitter par les noirs libres, au moyen d’une taxe qu’on établirait sur eux, en raison de leurs facultés. 11 y en aurait alors de très aisés, et tous acquitteraient volontiers la taxe. à celui-ci son noir, au prix qui sera fixé, afia u’ils puissent vivre ensemble; et il leur sera onné une cabane séparée. « Art 13. Il est expressément défendu d’obliger la femme au travail pendant les 6 dernières semaines de sa grossesse, et pendant les 6 premières après sa couche. « Art. 14. Le maître qui aura le plus favorisé la population sur son habitation, recevra une prime qui sera réglée en raison du nombre d’enfants qui lui seront né-, eu égard à la quantité d’esclaves du sexe qu’il aura. « Art. 15. Toute personne de couleur, ayant habitation, qui mourra sans enfants, et sans avoir disposé, son habitation sera donnée à la famille noue la plus chargée d’enfants, qui sera sans propriété ni moyens de subsistance. Si l'habitation est considérable, elle sera divisée en autantde portions qu’il sera jugé nécessaire pour chaque famille, les plus pauvres et les plus chargés d’enfants devant être préférés. ■ Art. 16. S’il y a des terres incultes ou abandonnées, susceptibles de rapport, elles seront divisées et distribuées, ainsi qu’il vient d’être dit au précédeot article, et il sera avancé, à ces nouveaux colons, s’il est besoin, tout ce qui sera jugé nécessaire, pour la première année de défrichement. « Art. 17. Il sera choisi et nommé 3 commissaires pour veiller à l’exécution du présent décret, lesquels s’occuperont d’assurer la subsistance des nouveaux affranchis, et de les attacher au sol par des possessions, et de concilier les principes d’humanité et de justice, avec tout ce qui peut contribuer à la sûreté et à la prospérité des colonies. » Je supplie l’Assemblée de peser dans sa sagesse ce projet de décret, et de ne prononcer qu’avec la maturité et la réflexion que l’importance d’une si grande cause exige. C’est celle de l’humanité tout entière : elle embrasse dans les générations présentes et futures le sort de milliards d’individus; elle tend à effacer les crimes de plusieurs siècles et 'a hontede presque toutes les nations. On ne croira sûrement pas, dans les époques éloignées, que la corruption était parvenue à ce point, que des hommes en achetaient d’autres, les dégradaient et les ravalaient au rang des bêtes, les traitaient de même, et étendaient leurs droits barbares, jusque sur leur postérité. Hàtons-nous, Messieurs, de réparer ces outrages, et de cons >mmer l’action la plus juste, la plus intéressante et la plus chère à l’humanité; action qui fera le bonheur d’un peuple immense, et assurera, à la nation française, une gloire immortelle. Je n’ai pas sûrement besoin de lui solliciter cet honneur. L’acte sublime qui abolira l’esclavage, dans toutes les régions de l’empire français, est dans le cœur de tous les représentants d’un peuple libre ; il n’y a plus qu’à le proclamer. Si cependant, Messieurs, cet acte dont les effets s’étendront nécessairement sur la surface du globe et embrasseront tous les siècles, vous présentait trop de dangers, pour le moment actuel, et vous effravait dans ses conséquences ; si des raisons politiques, un enchaînement de combinaisons et de circonstances qui ne peuvent échapper à votre sagesse; si (nfin, l’intérêt de votre commerce et de la métropole vous déterminaient à le renvoyer à un temps plus heureux, au moins que les mouvements qui se sont élevés au fond de vos cœurs, et h s divers sentiments quilles ont agités ne se soient pas fait en- 765 (Assemblée nationale. | ARCHIVES PARLEMENTAIRES* (11 mai 1791*] tendre vainement. Ne pouvant détruire aujourd’hui les chaînes de l’esclavage, que le poids en soit adouci; que votre humanité se venge de votre politique; que des lois protectrices veillent dorénavant à l’entour de ces infortunés, jusque dans leur patrie; qu’elles les y garantissent contre la violence et la séduction des agents négriers ; qu’elles s'élèvent avec sévérité contre tous les crimes qui seraient commis envers eux; que le Code noir, que cette loi de sang et de fer, qui livre le faible au fort, qui le voue à tous les genres de supplices qui permet le meurtre, la mutilation, et tous les excès sur lui, soit effacé de notre législation; qu’un régime plus doux et plus juste fui soit substitué; et vous n’avez besoin, Messieurs, que de le puiser au fond de vos cœurs. Si vous en écoulez les mouvements, vous proscrirez sévèrement ces infimes moyens de ruse, de violence et de séduction qui ont été si souvent et si cruellementemployés dans la traite ; vous réglerez le nombre d’esclaves que les bâtiments peuvent recevoir, vous veillerez à ce qu’il ne leur soit plus distribué que des aliments sains, à ce que le lieu de leur séjour ne devienne plus un foyer de mort et de corruption; vous établirez dans votre justice et votre bienfaisance, des lois qui puniront également le maître injuste et le serviteur coupable. La liberté sera rendue aux escla-vesdu maître inhumain; en devenant injuste envers eux, il a perdu le droit de leur commander. L’impôt barbare établi sur la liberté sera proscrit avec toute l’horreur qu’il mérite. Enfin, qu’on ne voie plus se renouveler dans nos colonies, tous ces crimes qui ont si souvent fait frémir l’humanité; que les trop malheureux Africains y trouvent une autre patrie, un asile assuré contre l’oppression ; qu’ils puissent y jouir du droit le plus cher et le plus sacré de la nature, s’y choisir librement une compagne, et s’y former une nouvelle famille; qu’à l’abri et sous la sauvegarde des lois ils puissent également, en remplissant leur trop pénible tâche, y goûter quelques moments de repos et de tranquillité. Si le bonheur de la liberté a fui loin d’eux, qu’il soit apporté à cette perte cruelle et irréparable, tous les adoucissements qu’un devoir religieux, et une charité compatissante envers ses semblables (irescri vent ; qu’ils voient, dans les personnes qui es dirigent, moins des maîtres que des bienfaiteurs; que l’univers connaisse partout ce que vous ferez, les regrets que vous éprouverez de ne pouvoir eu faire davantage, et puisse votre exemple de justice et de générosité être imité des autres nations, et produire sur la surface du globe un changement que l’humanité sollicite depuis si longtemps. Ainsi donc, et subsidiairement, dans le cas où l’Assemblée nationale jugerait ne pas devoir abolir actuellement l’esclavage des nègres, je serais d’avis qu’il fut nommé un comité, composé de 6 personnes, qui sera chargé de rédiger et de lui présenter un projet de loi sur la traite, la police et la discipline des nègres , tendant à améliorer leur sort, à adoucir leur régime, et à les attacher, par tous les liens de l’intérêt, à concourir avec les blancs, au maintien de l’ordre, de la tranquillité et de la propriété. Posr sciuptum. — Depuis cet écrit, il m’a été fait des objections que j’ai trouvées en partie consignées dans deux imprimés qui viennent de me tomber sous la main. L’un intitulé : Mémoire en réclamation des colons, sur l’idée de l'abolissement de la traite et de l'affranchissement des nègres ; l’autre intitulé : Précis sur l'importance des colonies et la servitude des noirs. J’y vais répondre très succinctement. J’observerai d’abord que le mémoire des colons est moins rempli de raisons solides que de déclamations oratoires; que les objections qu’il contient, ne sont pas neuves. Elles sont extraites de divers écrits qui ont paru depuis quelque temps, mêlées de quelques réflexions qui ne conduisent pas du tout à la conviction, et de citations de bienfaisance, qui, pour être vraies, dans quelques faits isolés, ne changent rien à la condition générale et infiniment malheureuse des esclaves. Elles sont d’ailleurs, en partie, sans application au projet présenté, qui n’admet qu’un affranchissement graduel et successif. Mais un aveu bien important, échappé aux partisans de l’esclavage, cVst celui de la nécessité d’adoucir le sort des esclaves, de réformer le Gode noir, d’établir une administration surveillante, et l’aveu de la possibilité d’abolir la traite dans les colonies, où la culture est à son dernier degré de force, et où la population plus favorisée se soutient et ne laisse plus de besoin d’augmenter le nombre des esclaves. Par conséquent, d’après ceux-là mêmesqui ont le plus d’intérêt à resserrer les chaînes de la servitude, s’il est politiquement impossible de les rompre partout, il est moralement nécessaire d’en adoucir le poids. Mais voyons si cette impossibilité politique existe réellement, et si les raisons sur lesquelles on l’étaye sont de nature à ne pouvoir le céder à aucune autre. Réponses. Objections. On convient que ces craintes pourraient se réaliser, si les esclaves recevaient tout à coup leur liberté ; mais l'intérêt exagère tout et porte l’inquiétude avec excès. L’espace do lt> années, pour assurer progressivement l’existcnco des nouveaux affranchis, atténue beaucoup le danger, ou plutôt n'en laisse point. Les colons n’ont pas plus de droit aux possessions injustes do leurs pères que la noblesse n’en avait aux privilèges dont elle a fait l’abandon et à tant d’autres droits qu’on lui a enlevés comme nuisibles à la société. Les premiers n’ont pas 200 ans d’existence ; les antres en avaient 1,000. Ce serait une chimère do penser à réaliser une telle union de bienfaisance ; la politique des cours se dirige sur d’antres principes. Il est vrai que les colonies anglaises sont an plus hant terme de leurs cultures, et que les colonies françaises en Le décret de liberté pourrait occasionner une révolution générale, entraîner des effets funestes. 11 pourrait faire perdre aux colons des possessions qu'ils ont acquises et dont ils jouissent sous la protection des lois de l’Etat. Pour réaliser un pareil projet, il faudrait un accord général, un pacte universel et solennel, entre toutes les puissances maritimes. Mais, dans l'exécution, tout le sacrifice serait pour la France ; l’Angleterre perdrait infiniment moins, ses