SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - Nos 49 A 53 639 la rentrée des autres biens acquis par confiscation » (1) . 49 « La Convention nationale, après avoir entendu [MONNOT, au nom de] son comité des finances, décrète : » Que les employés conservés pour la liquidation des passeports des fermes, et ceux du ci-devant contrôle des finances, conservés pour l’expédition des actes à délivrer pour la liquidation générale, seront payés par la trésorerie nationale, ainsi qu’il est prescrit par la loi du 21 floréal, concernant les employés de la ferme et de la régie. » Le présent décret ne sera point imprimé » (2) . 50 « La Convention nationale, après avoir entendu son comité des finances, décrète qu’il sera établi des bureaux de poste dans les communes de Bissy et Jouvence, ci-devant Saint-Gengoux, district de Châlons-sur-Saône; de Damville, district de Verneuil; de Veurdre et Luroi-le-Sauvage, ci-devant Lévy, district de Cerilly; de Main-Libre, ci-devant Saint-Laurent, département du Jura; et de Saint-Vit, département du Doubs. » Le présent décret ne sera pas imprimé » (3) . 51 Un membre du comité de législation [PONS, de Verdun] propose de lever le sursis prononcé le 24 prairial, à l’exécution du jugement du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise, qui a condamné Lohy Vaudry à la peine de mort. ... L’un des principaux motifs du sursis étoit un alibi bien constaté. Le tribunal criminel du département de Seine et Oise a envoyé depuis, au comité de législation, des renseignements qui prouvent que le certificat qui atteste l’alibi est une pièce fabriquée; qu’il est démontré que cet homme a été complice de plusieurs assassinats. Le comité de législation, qui avait été induit en erreur par cette fausse pièce, et qui a fait décréter le sursis s’est hâté de réparer son erreur et la Convention a levé le sursis (4). (1) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9515. Reproduit dans Mon., XX, 737. Mention dans J. Mont., n° 50; J. Sablier, n° 1381; C. Univ., 28 prair.; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n° 629. (2) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9516. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737. (3) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9517. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737. (4) Mess, soir, n° 666; J. S.-Culottes, n° 487. Le décret suivant est rendu. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, sur la pétition de la citoyenne femme de Lohy-Vaudry, tendante à obtenir, pour cause d’alibi, la révision du jugement du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise, du 19 floréal, qui a condamné ledit Lohy-Vaudry à la peine de mort, comme convaincu de complicité dans différens vols et assassinats; » Lève le sursis qu’elle avoit prononcé le 24 prairial, à l’exécution dudit jugement. » Le présent décret ne sera pas imprimé; il en sera adressé une expédition manuscrite à l’accusateur public du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise » (1) . 52 Un membre, au nom du comité d’aliénation et domaines réunis, fait un rapport sur une pétition du citoyen Guichard. Sur les observations faites par plusieurs opinans le décret suivant est rendu. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités d’aliénation et domaines réunis et de législation, sur la pétition du citoyen Hilaire Guichard, tant pour lui que pour ses frères et sœurs héritiers de Pierre Guichard leur père, tendante à ce qu’il soit décrété qu’ils sont propriétaires du pré et du domaine de Boissiers, district de Cahors, département du Lot; Renvoie la pétition à la commission des émigrés » (2) . 53 Un membre [VADIER] fait un rapport, au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la découverte d’une nouvelle conspiration qui, pour amener la contre-révolution et le rétablissement de la royauté, avoit établi une école primaire de fanatisme rue Contrescarpe, section de l’Observatoire (3). VADIER : Citoyens, c’est au moment où la République française s’élève majestueusement sur les débris de la royauté, où la vertu succède au crime, et la morale publique au règne passager des factions; C’est lorsque les soldats de la liberté franchissent les Alpes et les Pyrénées au pas de charge, volent au-devant des escadrons ennemis et les renversent à la baïonnette; C’est lorsque le génie révolutionnaire frappe de sa massue les conspirateurs et les traîtres, et que les trônes ébranlés ne laissent aux tyrans d’autre perspective que l’échafaud; Enfin, c’est au moment où le peuple français (1) P.V., XXXIX, 317. Minute de la main de Pons. Décret n° 9518. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737; J. Fr., n° 631; C. Univ., 28 prair. Voir ci-dessus, séance du 24 prair., n° 8. (2) P.V., XXXIX, 317. Minute de la main de Piette. Décret n° 9519. (3) P.V., XXXIX, 318. SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - Nos 49 A 53 639 la rentrée des autres biens acquis par confiscation » (1) . 49 « La Convention nationale, après avoir entendu [MONNOT, au nom de] son comité des finances, décrète : » Que les employés conservés pour la liquidation des passeports des fermes, et ceux du ci-devant contrôle des finances, conservés pour l’expédition des actes à délivrer pour la liquidation générale, seront payés par la trésorerie nationale, ainsi qu’il est prescrit par la loi du 21 floréal, concernant les employés de la ferme et de la régie. » Le présent décret ne sera point imprimé » (2) . 50 « La Convention nationale, après avoir entendu son comité des finances, décrète qu’il sera établi des bureaux de poste dans les communes de Bissy et Jouvence, ci-devant Saint-Gengoux, district de Châlons-sur-Saône; de Damville, district de Verneuil; de Veurdre et Luroi-le-Sauvage, ci-devant Lévy, district de Cerilly; de Main-Libre, ci-devant Saint-Laurent, département du Jura; et de Saint-Vit, département du Doubs. » Le présent décret ne sera pas imprimé » (3) . 51 Un membre du comité de législation [PONS, de Verdun] propose de lever le sursis prononcé le 24 prairial, à l’exécution du jugement du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise, qui a condamné Lohy Vaudry à la peine de mort. ... L’un des principaux motifs du sursis étoit un alibi bien constaté. Le tribunal criminel du département de Seine et Oise a envoyé depuis, au comité de législation, des renseignements qui prouvent que le certificat qui atteste l’alibi est une pièce fabriquée; qu’il est démontré que cet homme a été complice de plusieurs assassinats. Le comité de législation, qui avait été induit en erreur par cette fausse pièce, et qui a fait décréter le sursis s’est hâté de réparer son erreur et la Convention a levé le sursis (4). (1) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9515. Reproduit dans Mon., XX, 737. Mention dans J. Mont., n° 50; J. Sablier, n° 1381; C. Univ., 28 prair.; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n° 629. (2) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9516. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737. (3) P.V., XXXIX, 316. Minute de la main de Monnot. Décret n° 9517. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737. (4) Mess, soir, n° 666; J. S.-Culottes, n° 487. Le décret suivant est rendu. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de son comité de législation, sur la pétition de la citoyenne femme de Lohy-Vaudry, tendante à obtenir, pour cause d’alibi, la révision du jugement du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise, du 19 floréal, qui a condamné ledit Lohy-Vaudry à la peine de mort, comme convaincu de complicité dans différens vols et assassinats; » Lève le sursis qu’elle avoit prononcé le 24 prairial, à l’exécution dudit jugement. » Le présent décret ne sera pas imprimé; il en sera adressé une expédition manuscrite à l’accusateur public du tribunal criminel du département de Seine-et-Oise » (1) . 52 Un membre, au nom du comité d’aliénation et domaines réunis, fait un rapport sur une pétition du citoyen Guichard. Sur les observations faites par plusieurs opinans le décret suivant est rendu. « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités d’aliénation et domaines réunis et de législation, sur la pétition du citoyen Hilaire Guichard, tant pour lui que pour ses frères et sœurs héritiers de Pierre Guichard leur père, tendante à ce qu’il soit décrété qu’ils sont propriétaires du pré et du domaine de Boissiers, district de Cahors, département du Lot; Renvoie la pétition à la commission des émigrés » (2) . 53 Un membre [VADIER] fait un rapport, au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la découverte d’une nouvelle conspiration qui, pour amener la contre-révolution et le rétablissement de la royauté, avoit établi une école primaire de fanatisme rue Contrescarpe, section de l’Observatoire (3). VADIER : Citoyens, c’est au moment où la République française s’élève majestueusement sur les débris de la royauté, où la vertu succède au crime, et la morale publique au règne passager des factions; C’est lorsque les soldats de la liberté franchissent les Alpes et les Pyrénées au pas de charge, volent au-devant des escadrons ennemis et les renversent à la baïonnette; C’est lorsque le génie révolutionnaire frappe de sa massue les conspirateurs et les traîtres, et que les trônes ébranlés ne laissent aux tyrans d’autre perspective que l’échafaud; Enfin, c’est au moment où le peuple français (1) P.V., XXXIX, 317. Minute de la main de Pons. Décret n° 9518. Débats, n° 633, p. 414; Mon., XX, 737; J. Fr., n° 631; C. Univ., 28 prair. Voir ci-dessus, séance du 24 prair., n° 8. (2) P.V., XXXIX, 317. Minute de la main de Piette. Décret n° 9519. (3) P.V., XXXIX, 318. 640 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE rend grâce de tant de bienfaits à l’Etre Suprême, et proclame le principe consolateur de l’immortalité de l’âme; c’est dans ce moment que des hommes pervers conspirent dans l’ombre, qu’ils méditent froidement les assassinats, et calculent toutes les chances qui peuvent enfanter les fléaux et les calamités publiques. Le plus redoutable de leurs ateliers est celui sans doute où s’aiguisent les poignards de la superstition, où s’allument les torches du fanatisme. C’est dans ces laboratoires du crime, dans ces écoles de la Vendée qu’on a enflammé les fragiles cerveaux de tant de pieux assassins, dont la nomenclature remplit les pages des annales théocratiques. Citoyens, la cruauté des prêtres fut toujours en mesure de leur cupidité. Portés à ce triste métier par lâcheté ou par égoïsme, ils s’y maintenaient par l’hypocrisie et la bassesse. Et comment tromper la société, égarer la raison, et couper la bourse des gens crédules autrement que par la fourberie ? (On applaudit). Ne fallait-il pas abuser les sots par le merveilleux, par des prédictions et des miracles, des convulsions et des patenôtres ? C’est un bon moyen, sans doute, pour faire des dupes, que de se rendre inintelligible, et de commander aux âmes faibles la foi d’un tas d’absurdités, sous peine de tourments étemels. (Nouveaux applaudissements) . De tels charlatans ne pouvaient donc régner que par l’illusion ou la terreur : ceux qui croyaient à leurs chimères étaient leurs dupes et leurs esclaves; ceux qui osaient les combattre devenaient tôt ou tard leurs victimes. Ils promettaient le paradis pour de l’argent, vendaient les prières du purgatoire; mais sans argent il n’y avait de salut ni dans ce monde, ni dans l’autre. (On rit et on applaudit). Afin de fonder leur domination par la terreur, ils avaient eu soin de défigurer la Divinité, et pour la rendre bien hideuse ils en avaient modelé le fantôme sur leur image. Le Dieu des prêtres était, comme eux, irascible, cruel, jaloux, vindicatif, aussi bizarre dans le pardon que furibond et déraisonnable dans sa colère; aussi les plus rusés comme les plus relâchés de leurs casuistes, je veux dire les Jésuites, dispensaient-ils les hommes de l’amour de Dieu, pourvu que ce qu’ils appelaient la pénitence fût fondée sur la terreur de ses châtiments et sur l’épouvante que doit produire l’idée dilacérante d’une éternité de supplices. Voilà, citoyens, la théorie des prêtres de tous les pays et de tous les cultes; je dis de tous les cultes, car le Ténare des païens, la roue d’Ixion, le vautour de Prométhée, les Euménides, ne composent pas moins un enfer que les démons et les chaudières du prince des ténèbres; les houris de Mahomet n’ont pas moins d’attraits que les biens ineffables et la béatitude du paradis promis par le pape. (On applaudit à plusieurs reprises). D’après ce rapide tableau de la science théorique des prêtres, je vais, citoyens, vous les faire connaître dans la pratique. Je viens vous dénoncer, au nom de vos comités de sûreté générale et de salut public réunis, une école primaire de fanatisme, découverte dans la rue Contrescarpe, section de l’Observatoire, n° 1078, au 3e étage. C’est là que réside une fille âgée de 69 ans, nommé Catherine Théos, qui ose s’appeler la religion chrétienne et la mère de Dieu. On sait que le mot grec Théos signifie la Divinité, comme Jéhova, Adonai et beaucoup d’autres, qui expriment les divers attributs de l’Etre Suprême. On voit dans ce réduit un essaim nombreux de bigotes et de nigauds se grouper autour de cette ridicule pagode; on y voit aussi quelques chefs de file plus dangereux encore : ce sont des demi-savants, des médecins, des hommes de loi, des capitalistes oisifs qui, détestant la révolution, se mêlent à ces momeries avec des intentions perfides. On y voit des mesmériens, des illuminés, de ces cagots atrabilaires et vaporeux qui, avec un cœur froid pour la patrie, ont la tête chaude et bien disposée à la troubler ou à la trahir. Il y en a chez qui on a trouvé des correspondances à Londres avec prêtres émigrés. On remarque surtout qu’il n’y a pas un seul patriote dans cette bande; elle n’est composée que de royalistes, d’usuriers, de fous, d’égoïstes, de muscadins, de contre-révolutionnaires des deux sexes. La mère Catherine est le pivot de cette société dangereuse; elle se dit inspirée de Dieu, et promet en son nom l’immortalité de l’âme et du corps à ceux qu’elle aura initiés dans ses mystères. La réception de ces élus n’est pas moins ridicule que sa doctrine. Il faut être en état de grâce, faire abnégation des plaisirs temporels pour approcher de la sainte mère; on se prosterne devant elle, et ses élus deviennent immortels lorsqu’ils ont baisé par sept fois la face vénérable de la prétendue mère du Verbe. (On rit). Ces baisers mystérieux se distribuent en forme circulaire : on en fait deux au front, deux aux tempes, deux aux joues; mais le septième qui est le complément des sept dons du Saint-Esprit, s’applique respectueusement sur le menton de la prophétesse (on rit), que les catéchumènes sucent avec une sorte de volupté. (On rit encore). Ce dernier baiser est encore le symbole des sept sceaux de l’Apocalypse, des sept plaies d’Egypte, des sept sacrements de la loi nouvelle, des sept allégresses et des sept douleurs de la Vierge, car tout va par sept dans le jargon mystique des prédications et des oracles. (Nouveaux éclats de rire). La mère Catherine se dit choisie pour enfanter le Verbe divin; c’est la pierre angulaire du royaume de Dieu sur la terre; c’est elle qui choisit les élus, qui doit commander aux soldats du Dieu des armées; son trône doit être miraculeusement érigé près du Panthéon, au local ci-devant destiné aux écoles de droit. C’est de là que cette immortelle doit régir l’univers. Un seul éclair doit réduire en poudre les trônes, les armées et tous les mécréants de la terre, aplanir les montagnes et dessécher les mers. C’est une nouvelle Eve qui doit réparer les malheurs causés au genre humain par nos premiers parents, et réaliser la rédemption qui n’avait existé, dit-elle, qu’en figure. La population du globe sera réduite à cent quarante mille élus par la sainte mère (c’est encore un nombre de sept fois vingt), immortels comme elle; ils chanteront ses louanges, et jouiront sans fin, au paradis terrestre qu’elle 640 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE rend grâce de tant de bienfaits à l’Etre Suprême, et proclame le principe consolateur de l’immortalité de l’âme; c’est dans ce moment que des hommes pervers conspirent dans l’ombre, qu’ils méditent froidement les assassinats, et calculent toutes les chances qui peuvent enfanter les fléaux et les calamités publiques. Le plus redoutable de leurs ateliers est celui sans doute où s’aiguisent les poignards de la superstition, où s’allument les torches du fanatisme. C’est dans ces laboratoires du crime, dans ces écoles de la Vendée qu’on a enflammé les fragiles cerveaux de tant de pieux assassins, dont la nomenclature remplit les pages des annales théocratiques. Citoyens, la cruauté des prêtres fut toujours en mesure de leur cupidité. Portés à ce triste métier par lâcheté ou par égoïsme, ils s’y maintenaient par l’hypocrisie et la bassesse. Et comment tromper la société, égarer la raison, et couper la bourse des gens crédules autrement que par la fourberie ? (On applaudit). Ne fallait-il pas abuser les sots par le merveilleux, par des prédictions et des miracles, des convulsions et des patenôtres ? C’est un bon moyen, sans doute, pour faire des dupes, que de se rendre inintelligible, et de commander aux âmes faibles la foi d’un tas d’absurdités, sous peine de tourments étemels. (Nouveaux applaudissements) . De tels charlatans ne pouvaient donc régner que par l’illusion ou la terreur : ceux qui croyaient à leurs chimères étaient leurs dupes et leurs esclaves; ceux qui osaient les combattre devenaient tôt ou tard leurs victimes. Ils promettaient le paradis pour de l’argent, vendaient les prières du purgatoire; mais sans argent il n’y avait de salut ni dans ce monde, ni dans l’autre. (On rit et on applaudit). Afin de fonder leur domination par la terreur, ils avaient eu soin de défigurer la Divinité, et pour la rendre bien hideuse ils en avaient modelé le fantôme sur leur image. Le Dieu des prêtres était, comme eux, irascible, cruel, jaloux, vindicatif, aussi bizarre dans le pardon que furibond et déraisonnable dans sa colère; aussi les plus rusés comme les plus relâchés de leurs casuistes, je veux dire les Jésuites, dispensaient-ils les hommes de l’amour de Dieu, pourvu que ce qu’ils appelaient la pénitence fût fondée sur la terreur de ses châtiments et sur l’épouvante que doit produire l’idée dilacérante d’une éternité de supplices. Voilà, citoyens, la théorie des prêtres de tous les pays et de tous les cultes; je dis de tous les cultes, car le Ténare des païens, la roue d’Ixion, le vautour de Prométhée, les Euménides, ne composent pas moins un enfer que les démons et les chaudières du prince des ténèbres; les houris de Mahomet n’ont pas moins d’attraits que les biens ineffables et la béatitude du paradis promis par le pape. (On applaudit à plusieurs reprises). D’après ce rapide tableau de la science théorique des prêtres, je vais, citoyens, vous les faire connaître dans la pratique. Je viens vous dénoncer, au nom de vos comités de sûreté générale et de salut public réunis, une école primaire de fanatisme, découverte dans la rue Contrescarpe, section de l’Observatoire, n° 1078, au 3e étage. C’est là que réside une fille âgée de 69 ans, nommé Catherine Théos, qui ose s’appeler la religion chrétienne et la mère de Dieu. On sait que le mot grec Théos signifie la Divinité, comme Jéhova, Adonai et beaucoup d’autres, qui expriment les divers attributs de l’Etre Suprême. On voit dans ce réduit un essaim nombreux de bigotes et de nigauds se grouper autour de cette ridicule pagode; on y voit aussi quelques chefs de file plus dangereux encore : ce sont des demi-savants, des médecins, des hommes de loi, des capitalistes oisifs qui, détestant la révolution, se mêlent à ces momeries avec des intentions perfides. On y voit des mesmériens, des illuminés, de ces cagots atrabilaires et vaporeux qui, avec un cœur froid pour la patrie, ont la tête chaude et bien disposée à la troubler ou à la trahir. Il y en a chez qui on a trouvé des correspondances à Londres avec prêtres émigrés. On remarque surtout qu’il n’y a pas un seul patriote dans cette bande; elle n’est composée que de royalistes, d’usuriers, de fous, d’égoïstes, de muscadins, de contre-révolutionnaires des deux sexes. La mère Catherine est le pivot de cette société dangereuse; elle se dit inspirée de Dieu, et promet en son nom l’immortalité de l’âme et du corps à ceux qu’elle aura initiés dans ses mystères. La réception de ces élus n’est pas moins ridicule que sa doctrine. Il faut être en état de grâce, faire abnégation des plaisirs temporels pour approcher de la sainte mère; on se prosterne devant elle, et ses élus deviennent immortels lorsqu’ils ont baisé par sept fois la face vénérable de la prétendue mère du Verbe. (On rit). Ces baisers mystérieux se distribuent en forme circulaire : on en fait deux au front, deux aux tempes, deux aux joues; mais le septième qui est le complément des sept dons du Saint-Esprit, s’applique respectueusement sur le menton de la prophétesse (on rit), que les catéchumènes sucent avec une sorte de volupté. (On rit encore). Ce dernier baiser est encore le symbole des sept sceaux de l’Apocalypse, des sept plaies d’Egypte, des sept sacrements de la loi nouvelle, des sept allégresses et des sept douleurs de la Vierge, car tout va par sept dans le jargon mystique des prédications et des oracles. (Nouveaux éclats de rire). La mère Catherine se dit choisie pour enfanter le Verbe divin; c’est la pierre angulaire du royaume de Dieu sur la terre; c’est elle qui choisit les élus, qui doit commander aux soldats du Dieu des armées; son trône doit être miraculeusement érigé près du Panthéon, au local ci-devant destiné aux écoles de droit. C’est de là que cette immortelle doit régir l’univers. Un seul éclair doit réduire en poudre les trônes, les armées et tous les mécréants de la terre, aplanir les montagnes et dessécher les mers. C’est une nouvelle Eve qui doit réparer les malheurs causés au genre humain par nos premiers parents, et réaliser la rédemption qui n’avait existé, dit-elle, qu’en figure. La population du globe sera réduite à cent quarante mille élus par la sainte mère (c’est encore un nombre de sept fois vingt), immortels comme elle; ils chanteront ses louanges, et jouiront sans fin, au paradis terrestre qu’elle SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 641 va rétablir, de l’éclat radieux de son antique virginité (On rit) . Tel est, citoyens, l’abrégé d’un tas d’inepties qu’on a été forcé de relater dans les procès-verbaux et interrogatoires recueillis par votre comité. L’arme du ridicule, le sentiment de la pitié sont les seuls remèdes sans doute dont la raison peut faire usage contre ces jongleries fanatiques; aussi vos comités les eussent-ils méprisées si par un anneau dangereux elles ne se rattachaient au cercle des conspirations qui se sont reproduites sous tant de formes pour nous ramener à la tyrannie. C’est sous rapport seulement que nous allons les envisager. Observons d’abord que c’est à cet anneau que tient l’infernale tactique des assassinats et la théorie des poignards. La Saint-Barthélemy, les vêpres siciliennes, la conspiration des poudres, les auto-da-fés et tant d’autres horreurs religieuses qui ont abreuvé la terre de sang humain pendant dix-huit siècles, ont pris leur source dans l’âme dépravée des prêtres : c’est en suscitant des visionnaires et des inspirés; c’est en électrisant des cerveaux combustibles, c’est avec les promesses du paradis et les menaces de l’enfer que ces hommes fourbes ont dirigé le fer et le poison au gré de leur vengeance et de leur ambition criminelle. Si notre glorieuse Révolution n’eût pas été souillée par les conspirations des traîtres qui ont tenté de l’anéantir, si nous touchions à cette heureuse époque où la chute des tyrans et de leurs esclaves nous permettra de reposer sur les lauriers de la victoire, de fonder le bonheur du peuple et la démocratie sur des lois paisibles, sous le tranquille ombrage de l’arbre de la liberté et de l’olivier de la paix, nous ne songerions guère aux prêtres que pour déverser sur eux le mépris et le ridicule qu’ils méritent. (On applaudit.) Mais lorsque leurs scélérates singeries deviennent une arme meurtrière dans les mains de nos ennemis, lorsque Pitt envoie sur nos côtes une cargaison de poignards destinés pour Paris; lorsque les crucifix, les sacrés-cœurs, les rosaires sont les signes de ralliement des conspirateurs; lorsqu’on les trouve dans les poches des émigrés, sur la poitrine des brigands de la Vendée, et qu’on voit ces funestes emblèmes dans les galetas de la prétendue mère de Dieu...; lorsqu’il est prouvé que le monstre Lamiral, assassin de Collot d’Herbois, était le camarade et le commensal du baron de Batz, chef de toutes les conspirations de l’étranger, payeur général de l’armée des fripons, des traîtres et des assassins, qui est ici à la solde l’Angleterre..., verrez-vous de sang-froid et sans inquiétude se former autour de la représentation nationale un atelier de fanatisme, une manufacture de fous et une pépinière de Corday ? Non, citoyens, cette insouciance serait peu digne de votre sagesse... H est un temps où l’on peut dédaigner les dangers et braver le délire et la méchanceté des hommes; mais ce n’est pas lorsque le vaisseau de la révolution est en pleine mer, lorsqu’il est tourmenté par la tempête, qu’il faut jeter l’ancre; attendons qu’il soit arrivé dans le port avant d’en quitter la manœuvre. Sachez encore, citoyens, que la prétendue mère de Dieu n’est que la pièce curieuse de cet atelier, qu’elle n’est là que pour le mécanisme des grimaces et pour la partie matérielle des cérémonies; mais le moral de l’institution, le substantiel de sa doctrine, l’explication du sens des oracles, des prophéties et des Ecritures, tout cela est confié à des mains plus exercées et bien plus dangereuses. C’est un ex-moine qui est chargé de cette partie, un moine qui a déjà marqué dans la révolution par les écarts d’une imagination déréglée, un cénobite dont la solitude du cloître a creusé le cerveau et embrouillé l’entendement, qui ne rêve que des prophéties, et n’enfante que les plus sinistres augures; une bile noire provoque en lui des visions extatiques et des prédictions effrayantes; sa tête est imbibée de sombres passages d’Ezéchiel et d’Isaïe; il applique aux événements actuels les figures de l’Apocalypse et le sens le plus hyperbolique de l’Ecriture; en un mot, on ne voit que du noir dans les esquisses de son pinceau. Ce moine est le nommé dom Antoine-Christophe Gerle, ex-chartreux, député à l’Assemblée constituante. Il n’y a personne qui ne se rappelle sa motion audacieuse, qui avait pour but de proclamer un culte dominant en faveur de la religion catholique. Dom Gerle siégeait du côté gauche; les patriotes, auquels il avait eu la ruse s’accoler, imputèrent cette motion liberticide au dérèglement de son cerveau; on fut la dupe de cette prétendue débauche d’esprit, et plus encore de sa perfide bonhomie. Il rentra aux Jacobins, dont on avait d’abord résolu de l’exclure, et, feignant un hypocrite repentir, il abusa, à l’exemple de son ami Gobel, de la confiance des patriotes, pour les mieux tromper. Eh bien, c’est ce même dom Gerle qui ose préconiser la mission de la mère de Dieu, qui répand partout sa doctrine, qui accrédite ses prophéties, qui en trouve l’application dans la Bible, qui assiste à ses fanatiques mystères et aux réceptions des initiés, qui préside à ses momeries, qui enflamme de vive voix et par écrit le cerveau des imbéciles qui affluent dans ce repaire. Dom Gerle ose avouer, dans ses interrogatoires, qu’il a reconnu la mère Catherine comme inspirée par Dieu lui-même; qu’il la croit des-tinée de toute éternité à donner le bonheur au monde, et à réparer les malheurs de notre première mère; il a ajouté la connaître depuis deux ans, et avoir reconnu dans la sainte Ecriture la vérité de tout ce qu’elle dit. On a trouvé dans les papiers de ce moine des lettres de quelque nouvelle Alacoque, dont le style mystique peut donner une idée des élèves et de l’instituteur. Ce n’est que pour remplir ce but que je me permets de citer des choses ridicules par elles-mêmes, et qui seraient peu analogues à la gravité du sujet, c’est-à-dire aux conspirations affligeantes dont j’ai à vous entretenir. Voici des fragments de ces lettres : « O Gerle, cher fils Gerle, chéri de Dieu, digne amour du Seigneur... (on rit), c’est sur ta tête, sur ce front paisible où doit être posé le diadème digne de ta candeur... Vis à jamais, cher frère, dans le cœur de tes deux petites 41 SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 641 va rétablir, de l’éclat radieux de son antique virginité (On rit) . Tel est, citoyens, l’abrégé d’un tas d’inepties qu’on a été forcé de relater dans les procès-verbaux et interrogatoires recueillis par votre comité. L’arme du ridicule, le sentiment de la pitié sont les seuls remèdes sans doute dont la raison peut faire usage contre ces jongleries fanatiques; aussi vos comités les eussent-ils méprisées si par un anneau dangereux elles ne se rattachaient au cercle des conspirations qui se sont reproduites sous tant de formes pour nous ramener à la tyrannie. C’est sous rapport seulement que nous allons les envisager. Observons d’abord que c’est à cet anneau que tient l’infernale tactique des assassinats et la théorie des poignards. La Saint-Barthélemy, les vêpres siciliennes, la conspiration des poudres, les auto-da-fés et tant d’autres horreurs religieuses qui ont abreuvé la terre de sang humain pendant dix-huit siècles, ont pris leur source dans l’âme dépravée des prêtres : c’est en suscitant des visionnaires et des inspirés; c’est en électrisant des cerveaux combustibles, c’est avec les promesses du paradis et les menaces de l’enfer que ces hommes fourbes ont dirigé le fer et le poison au gré de leur vengeance et de leur ambition criminelle. Si notre glorieuse Révolution n’eût pas été souillée par les conspirations des traîtres qui ont tenté de l’anéantir, si nous touchions à cette heureuse époque où la chute des tyrans et de leurs esclaves nous permettra de reposer sur les lauriers de la victoire, de fonder le bonheur du peuple et la démocratie sur des lois paisibles, sous le tranquille ombrage de l’arbre de la liberté et de l’olivier de la paix, nous ne songerions guère aux prêtres que pour déverser sur eux le mépris et le ridicule qu’ils méritent. (On applaudit.) Mais lorsque leurs scélérates singeries deviennent une arme meurtrière dans les mains de nos ennemis, lorsque Pitt envoie sur nos côtes une cargaison de poignards destinés pour Paris; lorsque les crucifix, les sacrés-cœurs, les rosaires sont les signes de ralliement des conspirateurs; lorsqu’on les trouve dans les poches des émigrés, sur la poitrine des brigands de la Vendée, et qu’on voit ces funestes emblèmes dans les galetas de la prétendue mère de Dieu...; lorsqu’il est prouvé que le monstre Lamiral, assassin de Collot d’Herbois, était le camarade et le commensal du baron de Batz, chef de toutes les conspirations de l’étranger, payeur général de l’armée des fripons, des traîtres et des assassins, qui est ici à la solde l’Angleterre..., verrez-vous de sang-froid et sans inquiétude se former autour de la représentation nationale un atelier de fanatisme, une manufacture de fous et une pépinière de Corday ? Non, citoyens, cette insouciance serait peu digne de votre sagesse... H est un temps où l’on peut dédaigner les dangers et braver le délire et la méchanceté des hommes; mais ce n’est pas lorsque le vaisseau de la révolution est en pleine mer, lorsqu’il est tourmenté par la tempête, qu’il faut jeter l’ancre; attendons qu’il soit arrivé dans le port avant d’en quitter la manœuvre. Sachez encore, citoyens, que la prétendue mère de Dieu n’est que la pièce curieuse de cet atelier, qu’elle n’est là que pour le mécanisme des grimaces et pour la partie matérielle des cérémonies; mais le moral de l’institution, le substantiel de sa doctrine, l’explication du sens des oracles, des prophéties et des Ecritures, tout cela est confié à des mains plus exercées et bien plus dangereuses. C’est un ex-moine qui est chargé de cette partie, un moine qui a déjà marqué dans la révolution par les écarts d’une imagination déréglée, un cénobite dont la solitude du cloître a creusé le cerveau et embrouillé l’entendement, qui ne rêve que des prophéties, et n’enfante que les plus sinistres augures; une bile noire provoque en lui des visions extatiques et des prédictions effrayantes; sa tête est imbibée de sombres passages d’Ezéchiel et d’Isaïe; il applique aux événements actuels les figures de l’Apocalypse et le sens le plus hyperbolique de l’Ecriture; en un mot, on ne voit que du noir dans les esquisses de son pinceau. Ce moine est le nommé dom Antoine-Christophe Gerle, ex-chartreux, député à l’Assemblée constituante. Il n’y a personne qui ne se rappelle sa motion audacieuse, qui avait pour but de proclamer un culte dominant en faveur de la religion catholique. Dom Gerle siégeait du côté gauche; les patriotes, auquels il avait eu la ruse s’accoler, imputèrent cette motion liberticide au dérèglement de son cerveau; on fut la dupe de cette prétendue débauche d’esprit, et plus encore de sa perfide bonhomie. Il rentra aux Jacobins, dont on avait d’abord résolu de l’exclure, et, feignant un hypocrite repentir, il abusa, à l’exemple de son ami Gobel, de la confiance des patriotes, pour les mieux tromper. Eh bien, c’est ce même dom Gerle qui ose préconiser la mission de la mère de Dieu, qui répand partout sa doctrine, qui accrédite ses prophéties, qui en trouve l’application dans la Bible, qui assiste à ses fanatiques mystères et aux réceptions des initiés, qui préside à ses momeries, qui enflamme de vive voix et par écrit le cerveau des imbéciles qui affluent dans ce repaire. Dom Gerle ose avouer, dans ses interrogatoires, qu’il a reconnu la mère Catherine comme inspirée par Dieu lui-même; qu’il la croit des-tinée de toute éternité à donner le bonheur au monde, et à réparer les malheurs de notre première mère; il a ajouté la connaître depuis deux ans, et avoir reconnu dans la sainte Ecriture la vérité de tout ce qu’elle dit. On a trouvé dans les papiers de ce moine des lettres de quelque nouvelle Alacoque, dont le style mystique peut donner une idée des élèves et de l’instituteur. Ce n’est que pour remplir ce but que je me permets de citer des choses ridicules par elles-mêmes, et qui seraient peu analogues à la gravité du sujet, c’est-à-dire aux conspirations affligeantes dont j’ai à vous entretenir. Voici des fragments de ces lettres : « O Gerle, cher fils Gerle, chéri de Dieu, digne amour du Seigneur... (on rit), c’est sur ta tête, sur ce front paisible où doit être posé le diadème digne de ta candeur... Vis à jamais, cher frère, dans le cœur de tes deux petites 41 642 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sœurs... (Nouveaux éclats de rire). Elles t’engagent à venir déjeuner avec elles demain, jour de décadi, sur les neuf heures et demie, ni plus tôt, ni plus tard... Mille choses agréables au cher fils de la part de ses deux colombes... » (on rit.) Vadier : On voit aussi dans ses papiers quelques strophes de vers de sa composition et écrits de sa main, une collection de passages latins choisis d’I&aïe, qui annoncent la subversion du gouvernement et la chute prochaine des gens en place : on y reconnaît le dessein d’appliquer ces prédictions à la mission de la prétendue mère de Dieu. Voici quelques-uns de ces vers : « O Paris ! ville très-heureuse Entre les cités d’ici-bas, Lève-toi, ne sois plus peureuse, La Vérité guide tes pas. De l’ennemi la tête altière Doit, en peu, tomber sous nos coups; Tu le sais, la nature entière N’attend son salut que de nous... Vérité, montre-toi, viens changer notre sort, Viens pour anéantir l’empire de la Mort ». On lit ailleurs : Ni culte, ni prêtre, ni roi; Car la nouvelle Eve, c’est toi. Vadier : Ceci s’applique clairement à Catherine Theos; c’est la nouvelle Eve dont Gerle a entendu parler; c’est elle qui donne à ses élus l’immortalité corporelle, et qui anéantit pour eux l’empire de la Mort. C’est à Paris qu’elle a fixé son trône; c’est cette heureuse cité que le moine invite à se lever et à marcher sans crainte sur les pas de la Vérité qui l’éclaire. On peut apprécier les conséquences que des fanatiques peuvent tirer de ce pieux galima-thias; il en faut beaucoup moins pour faire fermenter des cerveaux brûlés, des têtes mal organisées et incandescentes. Un fanatique plus dangereux encore est un nommé Quesvremont, dit Lamotte, un des médecins en titre du ci-devant duc d’Orléans; on a trouvé chez cet empirique, disciple de Mesmer et grand magnétiseur, des paperasses du même genre. En voici une légère esquisse : «A la Pentecôte ou aux environs frappera enfin, et se fera sentir sur la partie proprement enragée des chefs de la nation, le coup céleste et vengeur depuis un peu longtemps différé à mes yeux, qui de longue main désirent voir l’ordre et le bonheur rétablis en France par un coup du Ciel; mais ce qui est différé n’est point pour cela perdu et manqué. Et seront terrassés ces Titans orgueilleux, Osant dans leur fureur braver même les cieux. ». On y a trouvé de plus une estampe allégorique, où sont les mystères de l’Ancien et du Nouveau Testament, et particulièrement les sept dons de Dieu, placés autour d’un médaillon de forme ovale, dans le même ordre que la sainte mère reçoit les sept baisers des nouveaux élus. (On rit.) On voit que c’est lui qui est l’inventeur de cette allégorie fanatique. On aperçoit dans l’intérieur du médaillon le jardin d’Eden, l’arbre de vie, celui de la science du bien et du mal; une croix surmontée d’un pélican dans un nuage, sur laquelle croix on lit ces mots latins : Porte me ut sigïllum super cor tuum. On voit, d’un coup d’œil, dans cette estampe, tout le système de la mère de Dieu, et il en résulterait que ce n’est pas dans un galetas que cette secte d’illuminés est circonscrite, lors même que nous n’aurions pas acquis la preuve de ses ramifications sur tous les points de la République. Il en existe dans les départements et dans les armées; beaucoup de militaires, avant de partir, ont été initiés aux mystères de la prétendue mère de Dieu; des familles entières y ont apporté leurs enfants nouveau -nés; tous y ont été attirés par le prestige de l’immortalité corporelle. Ce fait est prouvé par nombre de déclarations, et par l’aveu de tous les détenus. On a trouvé de plus, chez Lamotte, une lettre d’un prêtre déporté, qui est à Londres, du 18 décembre 1792, d’où il résulte que cet empirique cherchait à cet époque des prosélytes du mesmérisme et de la doctrine de Swendemborg. Gerle et Lamotte ont pour adjoint une femme nommée Amblard, veuve Godefroy. Ces trois personnages, réunis à Catherine Theos, sont les principaux arcs-boutants et instigateurs de ce nouveau genre de conspiration. Ce n’est pas à Paris seulement que les contre-révolutionnaires ont établi des ateliers de fanatisme; nous venons d’en découvrir à Versailles, et à Marly. C’est là que des ci-devant seigneurs, des dames de haut parage, des prêtres et de lâches valets s’exercent à des manœuvres superstitieuses, à des opérations cabalistiques. C’est chez la ci-devant marquise de Chaste-nois qu’était le noyau de ce criminel rassemblement. Comme Catherine Théos, elle a le don de prophétie; on la dit inspirée de Dieu; mais il y a cette différence que sa recette est artificielle; elle a besoin de se livrer à des procédés où elle mêle la mysticité à la magie. Ses collaborateurs sont presque tous des correspondants d’émigrés qui ont leurs relations à Londres. On en a arrêté près de trente, dont la trahison est déjà constatée par les papiers qu’on a saisis chez eux. Voici la nomenclature bizarre des livres, bijoux et emblèmes magiques trouvés chez la femme Chastenois. On y voit d’abord un médaillon en bas-relief, qui représente le portrait de la scélérate Antoinette; une médaille où l’on voit d’un côté la Vierge, et de l’autre un Michel archange terrassant Lucifer, sert d’appendice à cet exécrable portrait; 2°. Un livre de sorcellerie, intitulé les Clavicules du rabbi Salomon; 3° Les prophéties de maître Michel Nostrada-mus, où l’on remarque qu’on a noté par des onglets toutes les rêveries qui peuvent s’appliquer à la révolution actuelle; 4° Un autre livre de magie, intitulé Euchiri-dion, qui fut envoyé d’Italie à l’empereur Charlemagne; c’est une espèce d’Agrippa, avec lequel on voit le diable, d’après les procédés que l’on indique (de longs éclats de rire partent de l’assemblée) ; 642 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE sœurs... (Nouveaux éclats de rire). Elles t’engagent à venir déjeuner avec elles demain, jour de décadi, sur les neuf heures et demie, ni plus tôt, ni plus tard... Mille choses agréables au cher fils de la part de ses deux colombes... » (on rit.) Vadier : On voit aussi dans ses papiers quelques strophes de vers de sa composition et écrits de sa main, une collection de passages latins choisis d’I&aïe, qui annoncent la subversion du gouvernement et la chute prochaine des gens en place : on y reconnaît le dessein d’appliquer ces prédictions à la mission de la prétendue mère de Dieu. Voici quelques-uns de ces vers : « O Paris ! ville très-heureuse Entre les cités d’ici-bas, Lève-toi, ne sois plus peureuse, La Vérité guide tes pas. De l’ennemi la tête altière Doit, en peu, tomber sous nos coups; Tu le sais, la nature entière N’attend son salut que de nous... Vérité, montre-toi, viens changer notre sort, Viens pour anéantir l’empire de la Mort ». On lit ailleurs : Ni culte, ni prêtre, ni roi; Car la nouvelle Eve, c’est toi. Vadier : Ceci s’applique clairement à Catherine Theos; c’est la nouvelle Eve dont Gerle a entendu parler; c’est elle qui donne à ses élus l’immortalité corporelle, et qui anéantit pour eux l’empire de la Mort. C’est à Paris qu’elle a fixé son trône; c’est cette heureuse cité que le moine invite à se lever et à marcher sans crainte sur les pas de la Vérité qui l’éclaire. On peut apprécier les conséquences que des fanatiques peuvent tirer de ce pieux galima-thias; il en faut beaucoup moins pour faire fermenter des cerveaux brûlés, des têtes mal organisées et incandescentes. Un fanatique plus dangereux encore est un nommé Quesvremont, dit Lamotte, un des médecins en titre du ci-devant duc d’Orléans; on a trouvé chez cet empirique, disciple de Mesmer et grand magnétiseur, des paperasses du même genre. En voici une légère esquisse : «A la Pentecôte ou aux environs frappera enfin, et se fera sentir sur la partie proprement enragée des chefs de la nation, le coup céleste et vengeur depuis un peu longtemps différé à mes yeux, qui de longue main désirent voir l’ordre et le bonheur rétablis en France par un coup du Ciel; mais ce qui est différé n’est point pour cela perdu et manqué. Et seront terrassés ces Titans orgueilleux, Osant dans leur fureur braver même les cieux. ». On y a trouvé de plus une estampe allégorique, où sont les mystères de l’Ancien et du Nouveau Testament, et particulièrement les sept dons de Dieu, placés autour d’un médaillon de forme ovale, dans le même ordre que la sainte mère reçoit les sept baisers des nouveaux élus. (On rit.) On voit que c’est lui qui est l’inventeur de cette allégorie fanatique. On aperçoit dans l’intérieur du médaillon le jardin d’Eden, l’arbre de vie, celui de la science du bien et du mal; une croix surmontée d’un pélican dans un nuage, sur laquelle croix on lit ces mots latins : Porte me ut sigïllum super cor tuum. On voit, d’un coup d’œil, dans cette estampe, tout le système de la mère de Dieu, et il en résulterait que ce n’est pas dans un galetas que cette secte d’illuminés est circonscrite, lors même que nous n’aurions pas acquis la preuve de ses ramifications sur tous les points de la République. Il en existe dans les départements et dans les armées; beaucoup de militaires, avant de partir, ont été initiés aux mystères de la prétendue mère de Dieu; des familles entières y ont apporté leurs enfants nouveau -nés; tous y ont été attirés par le prestige de l’immortalité corporelle. Ce fait est prouvé par nombre de déclarations, et par l’aveu de tous les détenus. On a trouvé de plus, chez Lamotte, une lettre d’un prêtre déporté, qui est à Londres, du 18 décembre 1792, d’où il résulte que cet empirique cherchait à cet époque des prosélytes du mesmérisme et de la doctrine de Swendemborg. Gerle et Lamotte ont pour adjoint une femme nommée Amblard, veuve Godefroy. Ces trois personnages, réunis à Catherine Theos, sont les principaux arcs-boutants et instigateurs de ce nouveau genre de conspiration. Ce n’est pas à Paris seulement que les contre-révolutionnaires ont établi des ateliers de fanatisme; nous venons d’en découvrir à Versailles, et à Marly. C’est là que des ci-devant seigneurs, des dames de haut parage, des prêtres et de lâches valets s’exercent à des manœuvres superstitieuses, à des opérations cabalistiques. C’est chez la ci-devant marquise de Chaste-nois qu’était le noyau de ce criminel rassemblement. Comme Catherine Théos, elle a le don de prophétie; on la dit inspirée de Dieu; mais il y a cette différence que sa recette est artificielle; elle a besoin de se livrer à des procédés où elle mêle la mysticité à la magie. Ses collaborateurs sont presque tous des correspondants d’émigrés qui ont leurs relations à Londres. On en a arrêté près de trente, dont la trahison est déjà constatée par les papiers qu’on a saisis chez eux. Voici la nomenclature bizarre des livres, bijoux et emblèmes magiques trouvés chez la femme Chastenois. On y voit d’abord un médaillon en bas-relief, qui représente le portrait de la scélérate Antoinette; une médaille où l’on voit d’un côté la Vierge, et de l’autre un Michel archange terrassant Lucifer, sert d’appendice à cet exécrable portrait; 2°. Un livre de sorcellerie, intitulé les Clavicules du rabbi Salomon; 3° Les prophéties de maître Michel Nostrada-mus, où l’on remarque qu’on a noté par des onglets toutes les rêveries qui peuvent s’appliquer à la révolution actuelle; 4° Un autre livre de magie, intitulé Euchiri-dion, qui fut envoyé d’Italie à l’empereur Charlemagne; c’est une espèce d’Agrippa, avec lequel on voit le diable, d’après les procédés que l’on indique (de longs éclats de rire partent de l’assemblée) ; SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 643 5° Une espèce d’amulette en carton, et de forme triangulaire, dont les angles sont terminés par des nœuds de faveurs ou petits rubans de couleurs différentes, avec une Gloire dans le milieu; 6° Quatre cahiers d’invocations ou prières cabalistiques, qui respirent le fanatisme le plus insensé; Enfin des lettres contre-révolutionnaires, sans signature, datées de Londres et de Genève, qui expriment le plus lâche enthousiasme en faveur des prêtres et des rois. Cette dernière liasse donne la solution et le motif des manipulations magiques de la sorcière Chastenois. Votre comité n’a pu débrouiller encore le chaos des pièces qu’on a saisies chez tous les scélérats qu’on vient d’amener; mais vous pouvez juger, citoyens, par le peu que j’indique, de la liaison qu’elles ont au système de conspiration que je vous dénonce. Les commissaires de votre comité ont découvert encore dans la même tournée et au ci-devant château de Saint-Cloud un tableau mystérieusement caché derrière un lit, qui n’a été ni numéroté ni étiqueté, et qu’on a frauduleusement soustrait à l’inventaire du mobilier de cette maison. On ne l’a découvert que parce qu’on avait oublié d’en déplacer la crémaillère. Ce tableau, qui est supérieurement dessiné, a été peint par la femme Lebrun, maitresse du traître Calonne. Il représente le portrait en pied du jeune Capet qui est au Temple. Il existe déjà des probabilités que ce tableau était réservé à servir au système de la prétendue mère de Dieu. C’est l’inauguration de ce tableau aux Ecoles de Droit, près le Panthéon, qui devait être le prélude de l’enfantement miraculeux du Verbe divin et de l’accomplissement des prophéties. (Nouveaux éclats de rire.) Ceci n’a pas besoin de commentaire pour inspirer un grand intérêt. Aussi ai-je dit que ce n’est sous aucun rapport religieux qu’il faut envisager cette affaire; sous cet aspect, elle ne peut inspirer que le mépris ou la pitié; mais c’est sous le rapport politique, surtout révolutionnaire, qu’elle mérite toute votre attention. Pourrait-il exister de frein contre des fanatiques qui auraient la folie de croire à l’immortalité corporelle ? Il n’est point de barrière, point de lien moral ni civil capable de contenir l’audace de tels maniaques. Les prêtres n’ont-ils pas allumé la rage des brigands de la Vendée par la promesse de ressusciter au bout de trois jours ? N’est-ce pas cet espoir qui les enhardissait à s’élancer sans armes sur nos batteries et à s’en emparer avec fureur ? Ils sont donc bien coupables les scélérats qui ont inventé ou accrédité de pareils principes dans un temps où les poignards sont levés sur les plus courageux défenseurs du peuple, et où les campagnes désertes de la Vendée fument encore du sang que le fanatisme y a fait répandre par torrents. Il est démontré à la France et à l’univers que la République naissante a été tourmentée par deux factions : toutes deux voulaient nous redonner un maître. L’une, fomentée par l’Autriche, cherchait à conserver la royauté et tous ses abus dans la famille du tyran. L’autre, excitée par la scélératesse de Pitt, voulait reporter tous les crimes de la tyrannie dans une dynastie nouvelle et river nos fers à l’anglaise. (On rit et on applaudit.) On a vu déployer dans la première tout ce que le despotisme aux abois peut inventer en cruauté comme en perfidie : les massacres du Champ-de-Mars, de Nancy et du 10 août; la fuite et les parjures du tyran et les infamies de sa femme; les lâches complots des princes et des émigrés; la trahison des courtisans et des ministres. La seconde a utilisé tous les crimes, soudoyé tous les scélérats, et n’a fait la guerre qu’à la vertu. C’est à la faction de d’Orléans que se sont ralliés surtout les hommes corrompus et déshérités de l’estime publique; c’est cette honteuse écume du genre humain qui a engendré les monstres de l’athéisme et de l’anarchie, et qui a putréfié les germes de la morale et de la sagesse. De tels brigands, pour qui le crime est un besoin, et le bonheur public un supplice, pourraient-ils avoir d’autres principes que l’immoralité, d’autre espérance que le néant ? Mais, pour replonger le peuple dans la servitude et le dégoûter de la liberté, ne fallait-il pas l’épouvanter par le spectacle de tous les fléaux réunis, appeler la famine et la guerre, invoquer la discorde, secouer surtout les torches du fanatisme et tourner au profit de la contre-révolution les égarements de l’esprit et tous les vices du corps humain ? De là ce monstrueux mélange de modérés et de démagogues, d’exagérateurs et d’alarmistes, d’athées et de faux dévots, de fripons et de traîtres sauve qui peut. C’est là qu’on a vu harmoniser, sous l’apparence du contraste, les faux caractères de Necker et de Mirabeau, de Carra et de Sillery, d’Hébert et de Danton, de Phélippeaux et de Ronsin, de Brissot et de d’Eglantine, et de tant d’autres monstres qui, sous les formes populaires et la souplesse d’une âme double et versatile, ont tant de fois guidé le char de la révolution vers des précipices creusés par le crime. Parmi tant d’écueils, le plus affreux sans doute était le volcan horrible de la Vendée. Avec quel art la perfidie des prêtres et la scélératesse des conjurés n’ont-elles pas envenimé ce charbon politique ! Quel est le point de la République qui n’a pas ressenti l’influence de ces miasmes pestilentiels ? N’est-ce pas au fanatisme qu’on doit les troubles de Nîmes et de Montauban, de la Lozère et d’Avignon, d’Arles et du camp de Jalès ? Citoyens, ce n’est jamais qu’au nom du ciel que la guerre civile a pris naissance, et que la superstition a ensanglanté la terre. Les législateurs ne sauraient porter assez d’attention à déraciner tous les germes de cette gangrène contagieuse. La conspiration que je vous dénonce a tous les caractères qui peuvent exciter la vigilance et l’indignation : elle tient d’une part à la malice incommensurable des prêtres, de l’autre à la formidable faction que la hache populaire a punie. Dom Gerle est un moine hypocrite, plein de prestige et de fanatisme; il était l’ami du traître Gobel; celui-ci tenait à Chaumette, et par voie de suite à Danton. SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 643 5° Une espèce d’amulette en carton, et de forme triangulaire, dont les angles sont terminés par des nœuds de faveurs ou petits rubans de couleurs différentes, avec une Gloire dans le milieu; 6° Quatre cahiers d’invocations ou prières cabalistiques, qui respirent le fanatisme le plus insensé; Enfin des lettres contre-révolutionnaires, sans signature, datées de Londres et de Genève, qui expriment le plus lâche enthousiasme en faveur des prêtres et des rois. Cette dernière liasse donne la solution et le motif des manipulations magiques de la sorcière Chastenois. Votre comité n’a pu débrouiller encore le chaos des pièces qu’on a saisies chez tous les scélérats qu’on vient d’amener; mais vous pouvez juger, citoyens, par le peu que j’indique, de la liaison qu’elles ont au système de conspiration que je vous dénonce. Les commissaires de votre comité ont découvert encore dans la même tournée et au ci-devant château de Saint-Cloud un tableau mystérieusement caché derrière un lit, qui n’a été ni numéroté ni étiqueté, et qu’on a frauduleusement soustrait à l’inventaire du mobilier de cette maison. On ne l’a découvert que parce qu’on avait oublié d’en déplacer la crémaillère. Ce tableau, qui est supérieurement dessiné, a été peint par la femme Lebrun, maitresse du traître Calonne. Il représente le portrait en pied du jeune Capet qui est au Temple. Il existe déjà des probabilités que ce tableau était réservé à servir au système de la prétendue mère de Dieu. C’est l’inauguration de ce tableau aux Ecoles de Droit, près le Panthéon, qui devait être le prélude de l’enfantement miraculeux du Verbe divin et de l’accomplissement des prophéties. (Nouveaux éclats de rire.) Ceci n’a pas besoin de commentaire pour inspirer un grand intérêt. Aussi ai-je dit que ce n’est sous aucun rapport religieux qu’il faut envisager cette affaire; sous cet aspect, elle ne peut inspirer que le mépris ou la pitié; mais c’est sous le rapport politique, surtout révolutionnaire, qu’elle mérite toute votre attention. Pourrait-il exister de frein contre des fanatiques qui auraient la folie de croire à l’immortalité corporelle ? Il n’est point de barrière, point de lien moral ni civil capable de contenir l’audace de tels maniaques. Les prêtres n’ont-ils pas allumé la rage des brigands de la Vendée par la promesse de ressusciter au bout de trois jours ? N’est-ce pas cet espoir qui les enhardissait à s’élancer sans armes sur nos batteries et à s’en emparer avec fureur ? Ils sont donc bien coupables les scélérats qui ont inventé ou accrédité de pareils principes dans un temps où les poignards sont levés sur les plus courageux défenseurs du peuple, et où les campagnes désertes de la Vendée fument encore du sang que le fanatisme y a fait répandre par torrents. Il est démontré à la France et à l’univers que la République naissante a été tourmentée par deux factions : toutes deux voulaient nous redonner un maître. L’une, fomentée par l’Autriche, cherchait à conserver la royauté et tous ses abus dans la famille du tyran. L’autre, excitée par la scélératesse de Pitt, voulait reporter tous les crimes de la tyrannie dans une dynastie nouvelle et river nos fers à l’anglaise. (On rit et on applaudit.) On a vu déployer dans la première tout ce que le despotisme aux abois peut inventer en cruauté comme en perfidie : les massacres du Champ-de-Mars, de Nancy et du 10 août; la fuite et les parjures du tyran et les infamies de sa femme; les lâches complots des princes et des émigrés; la trahison des courtisans et des ministres. La seconde a utilisé tous les crimes, soudoyé tous les scélérats, et n’a fait la guerre qu’à la vertu. C’est à la faction de d’Orléans que se sont ralliés surtout les hommes corrompus et déshérités de l’estime publique; c’est cette honteuse écume du genre humain qui a engendré les monstres de l’athéisme et de l’anarchie, et qui a putréfié les germes de la morale et de la sagesse. De tels brigands, pour qui le crime est un besoin, et le bonheur public un supplice, pourraient-ils avoir d’autres principes que l’immoralité, d’autre espérance que le néant ? Mais, pour replonger le peuple dans la servitude et le dégoûter de la liberté, ne fallait-il pas l’épouvanter par le spectacle de tous les fléaux réunis, appeler la famine et la guerre, invoquer la discorde, secouer surtout les torches du fanatisme et tourner au profit de la contre-révolution les égarements de l’esprit et tous les vices du corps humain ? De là ce monstrueux mélange de modérés et de démagogues, d’exagérateurs et d’alarmistes, d’athées et de faux dévots, de fripons et de traîtres sauve qui peut. C’est là qu’on a vu harmoniser, sous l’apparence du contraste, les faux caractères de Necker et de Mirabeau, de Carra et de Sillery, d’Hébert et de Danton, de Phélippeaux et de Ronsin, de Brissot et de d’Eglantine, et de tant d’autres monstres qui, sous les formes populaires et la souplesse d’une âme double et versatile, ont tant de fois guidé le char de la révolution vers des précipices creusés par le crime. Parmi tant d’écueils, le plus affreux sans doute était le volcan horrible de la Vendée. Avec quel art la perfidie des prêtres et la scélératesse des conjurés n’ont-elles pas envenimé ce charbon politique ! Quel est le point de la République qui n’a pas ressenti l’influence de ces miasmes pestilentiels ? N’est-ce pas au fanatisme qu’on doit les troubles de Nîmes et de Montauban, de la Lozère et d’Avignon, d’Arles et du camp de Jalès ? Citoyens, ce n’est jamais qu’au nom du ciel que la guerre civile a pris naissance, et que la superstition a ensanglanté la terre. Les législateurs ne sauraient porter assez d’attention à déraciner tous les germes de cette gangrène contagieuse. La conspiration que je vous dénonce a tous les caractères qui peuvent exciter la vigilance et l’indignation : elle tient d’une part à la malice incommensurable des prêtres, de l’autre à la formidable faction que la hache populaire a punie. Dom Gerle est un moine hypocrite, plein de prestige et de fanatisme; il était l’ami du traître Gobel; celui-ci tenait à Chaumette, et par voie de suite à Danton. 644 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE Quesvremont, dit Lamotte, était un des commensaux d’Orléans, mesmérien et empirique; il est l’ami de Bergasse, l’illuminé, connu par le plaidoyer du banquier Kommann, par des ouvrages sur le somnambulisme, par d’ingénieuses rêveries sur le pouvoir du fluide animal. On connaît les liaisons d’agiotage entre ce banquier Kornmann et le fameux cardinal Collier (1), dans les pirateries des Quinze -Vingts. On sait aussi que ce Bergasse avait à sa suite une espèce de prophétesse qu’il endormait pour obtenir des prédictions même sur les événements politiques. On sait qu’au moyen de ce jeu-là son génie et sa raison s’endormirent aussi. (On applaudit.) Après que l’Assemblée constituante eut quitté Versailles pour venir à Paris, il allait tous les matins, en costume de député, dans la cour des Menus, chanter le refrain de Nina : Mon bien aimé ne revient pas, etc. (On rit.) il attendait, disait-il, le roi et l’Assemblée. On sait enfin que ce maniaque résidait à Petit-Bourg auprès de la sœur de d’Orléans, ci-devant duchesse de Bourbon, et qu’il lui avait échauffé le cerveau par les prestiges du somnambulisme. Au surplus, ce Bergasse, tout visionnaire qu’il est, faisait des vœux très-prononcés pour la contre-révolution. Il était possédé de l’anglicisme; il rêvait la trinité des pouvoirs. (On rit.) Il était lié à Clermont-Tonnerre le monarchien; à l’anglomane Mon-nier, à l’emphatique Tollendal. Mais il eut l’orgueil de croire que lui seul avait hérité du jugement des Lycurgue et des Solon, et qu’une sage constitution devait exclusivement sortir de son cerveau. Ses amis l’abandonnèrent à cet excès de gloire, et il ne reste de sa renommée que le souvenir de son plaidoyer et de sa chanson aux Menus. (Nouveaux applaudissements.) Dom Gerle était aussi l’ami de Bergasse; il avait aussi des habitudes à Petit-Bourg, et c’est de là que lui écrivent si tendrement et si mystiquement ses deux petites sœurs, ses deux jeunes colombes. De ces détails épisodiques résultent des rapprochements lumineux qui prouvent la source et le but de ce nouveau fil de conspiration. On voit qu’il se rattache aux factions, et qu’il est ourdi par les prêtres : les tyrans même n’y sont pas étrangers, car Frédéric-Guillaume est illuminé et embêté par cette ridicule secte : on le verrait, s’il était à Paris, dans le galetas de Catherine ou au sabbat de la Chastenois. (On rit et on applaudit.) On peut juger, par sa conduite politique, des brèches déjà faites à sa raison, et comment il est devenu le jouet du machiavélisme des cabinets de Vienne et de Pétersbourg, et du patelinage des fanatiques. Citoyens, il ne m’appartient pas de prévenir les sages mesures qui vous restent à prendre à l’égard des prêtres scélérats; je dois me renfermer dans le sujet qui fut la matière de ce rapport; mais mon amour pour la liberté m’engage à vous dire que toute composition, toute demi-mesure, tout acte de clémence envers des (1) Allusion au Cardinal de Rohan, rendu célèbre par l’affaire du Collier (1785). Le cardinal de Rohan était grand aumônier de France, abbé de Saint-Waast, proviseur de Sorbonne et administrateur des Quinze-vingts. prêtres convaincus de fanatisme est une barbarie, un crime de lèse-humanité envers le peuple. Il en est parmi eux en qui la nature et la vertu ont surmonté les vices de l’éducation, et qui ont eu le courage de détester les principes contagieux de cette corporation gan-grénée; mais comme ils sont en petit nombre, il sera bien facile de les excepter de la masse. Je reviens à mon sujet, c’est-à-dire à la prétendue mère de Dieu, et j’observe que, malgré la foule innombrable qui s’initiait tour à tour dans le sombre réduit où reposait ce vieux tabernacle, nul n’a été introduit sans la plus sévère précaution; il fallait user de signes convenus et connaître le mot de l’ordre. De telles mesures, propres à tromper la vigilance de la police, prouvent assez combien ces rassemblements étaient suspects. Aussi les commissaires du comité n’ont-ils pu s’y introduire que l’un aprè l’autre, et comme récipiendaires; ils ont été obligés de subir les épreuves du noviciat, de garder le sérieux pendant les cérémonies grotesques et les ridicules grimaces dont ils ont soutenu le spectacle. Dom Gerle fut le seul qui se défia de leurs intentions, et qui devina leur mandat à leur contenance; alors il essaya de s’éclipser, mais on le força de remonter l’escalier que la peur lui avait fait descendre. Les commissaires ne purent soutenir plus longtemps le rôle simulé qu’ils avaient joué; ils manifestèrent leur mandat; ils appelèrent la force armée, qui était dispersée dans la rue, et ils procédèrent à l’interrogatoire et à l’arrestation des quatorze individus qui étaient dans l’appartement, y compris la mère de Dieu et dom Gerle, qui paraissait présider l’assemblée. Vous connaissez à présent, citoyens, ce nouveau genre de conspiration, vous en apercevez tout le danger, et je n’ai plus besoin d’insister sur la nécessité de la déjouer et de la punir. Mais serait-il raisonnable d’y envelopper un tas d’imbéciles tombés dans les filets de quelques scélérats soudoyés, de quelques fripons rattachés au système des conspirateurs ? Je ne le pense pas; votre justice a toujours distingué l’erreur d’avec le crime. (On applaudit) . Les principaux instigateurs sont ici bien faciles à reconnaître; il peut en survenir encore qu’on pourra signaler aux mêmes caractères. On voit d’une part un moine déjà noté par une motion dangereuse, qui, avec de l’esprit et des connaissances, va s’accoler dans un galetas avec une vieille extravagante, pour fanatiser les bigotes, prêcher un nouveau monde et l’immortalité corporelle... Cet homme, habitué à la vie solitaire et contemplative, au silence du cloître et à des psalmodies nocturnes, paraissait peu fait pour être un secrétaire et pour pérorer le peuple sur des tréteaux; sa haine pour la révolution a pu seule lui inspirer l’envie de parcourir cette périlleuse carrière. On voit ensuite un médecin qui a vanté les prétendus prodiges de la nature dans le magnétisme animal, et qui est censé croire à ses merveilles plutôt qu’aux inintelligibles mystères de la révélation, devenir tout à coup un illuminé, et le principal favori de la mère de Dieu. Il n’y a que le désir de la contre-révolution qui puisse expliquer cette étonnante métamorphose. 644 ARCHIVES PARLEMENTAIRES CONVENTION NATIONALE Quesvremont, dit Lamotte, était un des commensaux d’Orléans, mesmérien et empirique; il est l’ami de Bergasse, l’illuminé, connu par le plaidoyer du banquier Kommann, par des ouvrages sur le somnambulisme, par d’ingénieuses rêveries sur le pouvoir du fluide animal. On connaît les liaisons d’agiotage entre ce banquier Kornmann et le fameux cardinal Collier (1), dans les pirateries des Quinze -Vingts. On sait aussi que ce Bergasse avait à sa suite une espèce de prophétesse qu’il endormait pour obtenir des prédictions même sur les événements politiques. On sait qu’au moyen de ce jeu-là son génie et sa raison s’endormirent aussi. (On applaudit.) Après que l’Assemblée constituante eut quitté Versailles pour venir à Paris, il allait tous les matins, en costume de député, dans la cour des Menus, chanter le refrain de Nina : Mon bien aimé ne revient pas, etc. (On rit.) il attendait, disait-il, le roi et l’Assemblée. On sait enfin que ce maniaque résidait à Petit-Bourg auprès de la sœur de d’Orléans, ci-devant duchesse de Bourbon, et qu’il lui avait échauffé le cerveau par les prestiges du somnambulisme. Au surplus, ce Bergasse, tout visionnaire qu’il est, faisait des vœux très-prononcés pour la contre-révolution. Il était possédé de l’anglicisme; il rêvait la trinité des pouvoirs. (On rit.) Il était lié à Clermont-Tonnerre le monarchien; à l’anglomane Mon-nier, à l’emphatique Tollendal. Mais il eut l’orgueil de croire que lui seul avait hérité du jugement des Lycurgue et des Solon, et qu’une sage constitution devait exclusivement sortir de son cerveau. Ses amis l’abandonnèrent à cet excès de gloire, et il ne reste de sa renommée que le souvenir de son plaidoyer et de sa chanson aux Menus. (Nouveaux applaudissements.) Dom Gerle était aussi l’ami de Bergasse; il avait aussi des habitudes à Petit-Bourg, et c’est de là que lui écrivent si tendrement et si mystiquement ses deux petites sœurs, ses deux jeunes colombes. De ces détails épisodiques résultent des rapprochements lumineux qui prouvent la source et le but de ce nouveau fil de conspiration. On voit qu’il se rattache aux factions, et qu’il est ourdi par les prêtres : les tyrans même n’y sont pas étrangers, car Frédéric-Guillaume est illuminé et embêté par cette ridicule secte : on le verrait, s’il était à Paris, dans le galetas de Catherine ou au sabbat de la Chastenois. (On rit et on applaudit.) On peut juger, par sa conduite politique, des brèches déjà faites à sa raison, et comment il est devenu le jouet du machiavélisme des cabinets de Vienne et de Pétersbourg, et du patelinage des fanatiques. Citoyens, il ne m’appartient pas de prévenir les sages mesures qui vous restent à prendre à l’égard des prêtres scélérats; je dois me renfermer dans le sujet qui fut la matière de ce rapport; mais mon amour pour la liberté m’engage à vous dire que toute composition, toute demi-mesure, tout acte de clémence envers des (1) Allusion au Cardinal de Rohan, rendu célèbre par l’affaire du Collier (1785). Le cardinal de Rohan était grand aumônier de France, abbé de Saint-Waast, proviseur de Sorbonne et administrateur des Quinze-vingts. prêtres convaincus de fanatisme est une barbarie, un crime de lèse-humanité envers le peuple. Il en est parmi eux en qui la nature et la vertu ont surmonté les vices de l’éducation, et qui ont eu le courage de détester les principes contagieux de cette corporation gan-grénée; mais comme ils sont en petit nombre, il sera bien facile de les excepter de la masse. Je reviens à mon sujet, c’est-à-dire à la prétendue mère de Dieu, et j’observe que, malgré la foule innombrable qui s’initiait tour à tour dans le sombre réduit où reposait ce vieux tabernacle, nul n’a été introduit sans la plus sévère précaution; il fallait user de signes convenus et connaître le mot de l’ordre. De telles mesures, propres à tromper la vigilance de la police, prouvent assez combien ces rassemblements étaient suspects. Aussi les commissaires du comité n’ont-ils pu s’y introduire que l’un aprè l’autre, et comme récipiendaires; ils ont été obligés de subir les épreuves du noviciat, de garder le sérieux pendant les cérémonies grotesques et les ridicules grimaces dont ils ont soutenu le spectacle. Dom Gerle fut le seul qui se défia de leurs intentions, et qui devina leur mandat à leur contenance; alors il essaya de s’éclipser, mais on le força de remonter l’escalier que la peur lui avait fait descendre. Les commissaires ne purent soutenir plus longtemps le rôle simulé qu’ils avaient joué; ils manifestèrent leur mandat; ils appelèrent la force armée, qui était dispersée dans la rue, et ils procédèrent à l’interrogatoire et à l’arrestation des quatorze individus qui étaient dans l’appartement, y compris la mère de Dieu et dom Gerle, qui paraissait présider l’assemblée. Vous connaissez à présent, citoyens, ce nouveau genre de conspiration, vous en apercevez tout le danger, et je n’ai plus besoin d’insister sur la nécessité de la déjouer et de la punir. Mais serait-il raisonnable d’y envelopper un tas d’imbéciles tombés dans les filets de quelques scélérats soudoyés, de quelques fripons rattachés au système des conspirateurs ? Je ne le pense pas; votre justice a toujours distingué l’erreur d’avec le crime. (On applaudit) . Les principaux instigateurs sont ici bien faciles à reconnaître; il peut en survenir encore qu’on pourra signaler aux mêmes caractères. On voit d’une part un moine déjà noté par une motion dangereuse, qui, avec de l’esprit et des connaissances, va s’accoler dans un galetas avec une vieille extravagante, pour fanatiser les bigotes, prêcher un nouveau monde et l’immortalité corporelle... Cet homme, habitué à la vie solitaire et contemplative, au silence du cloître et à des psalmodies nocturnes, paraissait peu fait pour être un secrétaire et pour pérorer le peuple sur des tréteaux; sa haine pour la révolution a pu seule lui inspirer l’envie de parcourir cette périlleuse carrière. On voit ensuite un médecin qui a vanté les prétendus prodiges de la nature dans le magnétisme animal, et qui est censé croire à ses merveilles plutôt qu’aux inintelligibles mystères de la révélation, devenir tout à coup un illuminé, et le principal favori de la mère de Dieu. Il n’y a que le désir de la contre-révolution qui puisse expliquer cette étonnante métamorphose. SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 645 Quant à Catherine Théos, elle n’a point changé de principes; elle a passé la moitié de sa vie à la Bastille ou à la Salpêtrière. Rien n’a pu la désabuser de l’idée de la maternité divine; elle se croit immortelle et invulnérable; elle dit avoir pris du poison et de l’eau de chaux sans que ces corrosifs aient pu altérer sa santé. Il ne faut donc plus espérer de corriger le fanatisme qui est comme incrusté dans son âme. La femme Amblard, veuve Godefroy, est, après la mère de Dieu, la plus illuminée de la troupe; c’est elle qui fait les lectures mystiques, qui instruit les catéchumènes, qui les prépare à l’inoculation des sept dons; enfin, elle semble honorée du vicariat de la prophé-tesse; elle s’enorgueillit dans son interrogatoire d’avoir été detenue à la mairie, de compagnie avec la mère Catherine, à cause de leurs fanatiques prouesses; celle-ci lui rend mot à mot ses conversations avec Dieu, et cette confiance est si intime que, si la mère du Verbe pouvait être mortelle, la femme Amblard aurait le dévolu de la maternité. Quant à la femme Chastenois, incidemment enveloppée dans cette cause, il existe tant de pièces de conviction qu’il serait superflu de les analyser de nouveau. Voilà, citoyens, les 5 personnages qui servent de noyau à cette dangeureuse conspiration; il est impossible de méconnaître qu’ils jouent des rôles distribués, et qu’ils s’en acquittent au gré des ennemis de la liberté qui les font agir. La gloire et la puissance du peuple français sont à un si haut degré qu’il ne sera plus possible d’altérer son bonheur autrement que par des mouvements intestins; ceux-ci ne peuvent être durables que lorsque le fanatisme les alimente; c’est donc ce dernier monstre qu’il importe de terrasser, et il faut le poursuivre jusque dans ces derniers replis où il enveloppe sa tête hideuse. Nous ne connaîtrions pas l’infernal génie des Anglais si nous ne rapportions à leurs inventions et à leurs manœuvres à Paris l’établissement de ce commerce, de fanatisme et de spéculations de bigoterie, ouvert dans la rue Contrescarpe. Il me semble voir l’Anglais spéculant dans son comptoir politique sur les folies religieuses à Paris, comme sur les achats de noirs dans la Guinée; il a vu dans cette cité les deux écoles de Jansénius et de Molina, il y a dénombré les héritiers des imbéciles du cimetière Saint-Médard; c’est dans les esprits faibles, dans les âmes crédules, c’est dans les fanatiques pervers, qu’il a recruté un nouveau genre de contre-révolutionnaires plus dangereux, parce qu’ils sont plus imperceptibles à la police publique. C’est là que l’Anglais a cherché des auxiliaires, des perturbateurs, des chefs de mécontents, de recruteurs de Vendée et des assassins. C’est là qu’il a espéré d’altérer l’esprit public révolutionnaire, de détourner vers les idées supersticieuses les esprits portés aux opinions politiques, et de faire un jour à Paris une Vendée plus nombreuse et plus horrible que celle qui a fait tant de maux sur les bords de la Loire (1). (1) Mon., XX, 736, 737 et 742. C. Eg., n° 666; J. S.-Culottes, n° 486; J. Perlet, n° 631; J. Univ., n° 1665, 1667, 1668 et 1669; Ann. patr., DXXXI; Audit, nat., n° 630. A la suite de ce rapport, la Convention nationale a rendu le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de sûreté générale et de salut public, décrète ce qui suit : « Dom Gerle, ex-chartreux, ex-député à l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu; Etienne-Louis Quesvre-mont, surnommé Lamotte, médecin en titre du ci-devant duc d’Orléans; Marie-Magdeleine Amblard, veuve Godefroy, et la femme ci-devant marquise de Chatenois, seront traduits au tribunal révolutionnaire pour y être jugés sur les faits de conspiration dont ils sont prévenus : « Charge l’accusateur public près ledit tribunal de rechercher et poursuivre tous autres auteurs ou instigateurs de ladite conspiration. « L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication » (1) . Un membre demande que le rapport fait au nom des comités de sûreté générale et de salut public, soit disséminé avec profusion, pour éclairer tous les esprits sur les dangers du fanatisme, et leur faire concevoir une juste horreur de ce monstre qui ne cesse d’aiguiser des poignards. Cette proposition, amendée par un autre membre, est décrétée ainsi qu’il suit : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le rapport fait au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la conspiration dont sont prévenus dom Gerle, ex-chartreux, ex-député de l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu, et autres, sera imprimé et distribué à chaque membre de la Convention, au nombre de dix exemplaires; qu’il sera, en outre, envoyé aux armées, aux sociétés populaires, aux autorités constituées et à toutes les communes de la République » (2) . La séance est levée à trois heures et demie (3) . Signé, P.A. Laloi, ex-président; Francastel, Carrier, Lesage-Senault, Michaud, Cambacérès, Briez, secrétaires. (1) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Vadier. Décret n° 9520. Reproduit dans Bin, 27 prair. et 2 mess.; Débats, nos 633, p. 414 et 636, p. 445; M.U., XL, 423 et XLI, 112. Mention dans C. Univ., 28 prair.; Rép., n° 178; J. Sablier, n° 1380; Ann. R.F., nos 197 et 199; J. Lois, n° 625; J. Mont., n° 50; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n°“ 629 et 630; C. Eg., n° 666; J. Perlet, n° 631. (2) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Francastel. Décret n° 9523. B™, 2 mess. (1er et 2e suppl4) . (3) P.V., XXXIX, 319. SÉANCE DU 27 PRAIRIAL AN II (15 JUIN 1794) - N° 53 645 Quant à Catherine Théos, elle n’a point changé de principes; elle a passé la moitié de sa vie à la Bastille ou à la Salpêtrière. Rien n’a pu la désabuser de l’idée de la maternité divine; elle se croit immortelle et invulnérable; elle dit avoir pris du poison et de l’eau de chaux sans que ces corrosifs aient pu altérer sa santé. Il ne faut donc plus espérer de corriger le fanatisme qui est comme incrusté dans son âme. La femme Amblard, veuve Godefroy, est, après la mère de Dieu, la plus illuminée de la troupe; c’est elle qui fait les lectures mystiques, qui instruit les catéchumènes, qui les prépare à l’inoculation des sept dons; enfin, elle semble honorée du vicariat de la prophé-tesse; elle s’enorgueillit dans son interrogatoire d’avoir été detenue à la mairie, de compagnie avec la mère Catherine, à cause de leurs fanatiques prouesses; celle-ci lui rend mot à mot ses conversations avec Dieu, et cette confiance est si intime que, si la mère du Verbe pouvait être mortelle, la femme Amblard aurait le dévolu de la maternité. Quant à la femme Chastenois, incidemment enveloppée dans cette cause, il existe tant de pièces de conviction qu’il serait superflu de les analyser de nouveau. Voilà, citoyens, les 5 personnages qui servent de noyau à cette dangeureuse conspiration; il est impossible de méconnaître qu’ils jouent des rôles distribués, et qu’ils s’en acquittent au gré des ennemis de la liberté qui les font agir. La gloire et la puissance du peuple français sont à un si haut degré qu’il ne sera plus possible d’altérer son bonheur autrement que par des mouvements intestins; ceux-ci ne peuvent être durables que lorsque le fanatisme les alimente; c’est donc ce dernier monstre qu’il importe de terrasser, et il faut le poursuivre jusque dans ces derniers replis où il enveloppe sa tête hideuse. Nous ne connaîtrions pas l’infernal génie des Anglais si nous ne rapportions à leurs inventions et à leurs manœuvres à Paris l’établissement de ce commerce, de fanatisme et de spéculations de bigoterie, ouvert dans la rue Contrescarpe. Il me semble voir l’Anglais spéculant dans son comptoir politique sur les folies religieuses à Paris, comme sur les achats de noirs dans la Guinée; il a vu dans cette cité les deux écoles de Jansénius et de Molina, il y a dénombré les héritiers des imbéciles du cimetière Saint-Médard; c’est dans les esprits faibles, dans les âmes crédules, c’est dans les fanatiques pervers, qu’il a recruté un nouveau genre de contre-révolutionnaires plus dangereux, parce qu’ils sont plus imperceptibles à la police publique. C’est là que l’Anglais a cherché des auxiliaires, des perturbateurs, des chefs de mécontents, de recruteurs de Vendée et des assassins. C’est là qu’il a espéré d’altérer l’esprit public révolutionnaire, de détourner vers les idées supersticieuses les esprits portés aux opinions politiques, et de faire un jour à Paris une Vendée plus nombreuse et plus horrible que celle qui a fait tant de maux sur les bords de la Loire (1). (1) Mon., XX, 736, 737 et 742. C. Eg., n° 666; J. S.-Culottes, n° 486; J. Perlet, n° 631; J. Univ., n° 1665, 1667, 1668 et 1669; Ann. patr., DXXXI; Audit, nat., n° 630. A la suite de ce rapport, la Convention nationale a rendu le décret suivant : « La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses comités de sûreté générale et de salut public, décrète ce qui suit : « Dom Gerle, ex-chartreux, ex-député à l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu; Etienne-Louis Quesvre-mont, surnommé Lamotte, médecin en titre du ci-devant duc d’Orléans; Marie-Magdeleine Amblard, veuve Godefroy, et la femme ci-devant marquise de Chatenois, seront traduits au tribunal révolutionnaire pour y être jugés sur les faits de conspiration dont ils sont prévenus : « Charge l’accusateur public près ledit tribunal de rechercher et poursuivre tous autres auteurs ou instigateurs de ladite conspiration. « L’insertion du présent décret au bulletin tiendra lieu de publication » (1) . Un membre demande que le rapport fait au nom des comités de sûreté générale et de salut public, soit disséminé avec profusion, pour éclairer tous les esprits sur les dangers du fanatisme, et leur faire concevoir une juste horreur de ce monstre qui ne cesse d’aiguiser des poignards. Cette proposition, amendée par un autre membre, est décrétée ainsi qu’il suit : « La Convention nationale, sur la proposition d’un membre, décrète que le rapport fait au nom des comités de salut public et de sûreté générale, sur la conspiration dont sont prévenus dom Gerle, ex-chartreux, ex-député de l’assemblée constituante; Catherine Théos, se disant la Mère de Dieu, et autres, sera imprimé et distribué à chaque membre de la Convention, au nombre de dix exemplaires; qu’il sera, en outre, envoyé aux armées, aux sociétés populaires, aux autorités constituées et à toutes les communes de la République » (2) . La séance est levée à trois heures et demie (3) . Signé, P.A. Laloi, ex-président; Francastel, Carrier, Lesage-Senault, Michaud, Cambacérès, Briez, secrétaires. (1) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Vadier. Décret n° 9520. Reproduit dans Bin, 27 prair. et 2 mess.; Débats, nos 633, p. 414 et 636, p. 445; M.U., XL, 423 et XLI, 112. Mention dans C. Univ., 28 prair.; Rép., n° 178; J. Sablier, n° 1380; Ann. R.F., nos 197 et 199; J. Lois, n° 625; J. Mont., n° 50; Mess, soir, n° 666; J. Fr., n°“ 629 et 630; C. Eg., n° 666; J. Perlet, n° 631. (2) P.V., XXXIX, 318. Minute de la main de Francastel. Décret n° 9523. B™, 2 mess. (1er et 2e suppl4) . (3) P.V., XXXIX, 319.