[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES# [10 novembre 1790.1 849 formerai moins encore des plaintes sur cet objet. » M. Calvet me promit de rendre ma conversation à messieurs de la municipalité. Le lendemain, M. de Bouillé me prescrivit de suivre le régiment dans sa marche à Bitsch, où je me rendis, et d’y garder les arrêts. Le 3 novembre au soir j’appris, par une lettre de Paris, le décret que l’Assemblée nationale avait rendu pour me faire conduire, sous bonne escorte à la prison de l’abbaye Saint-Germain, à Paris. Me rappelant nombre d’exemples de ce que peut la fureur du peuple vis-à-vis d'un homme arrêté, je ne voulus pas m’exposer à être la victime et me décidai, d’abord, à me rendre sur le territoire étranger. Je partis de Bitsch à cinq heures du soir et fus à Brisscastel d’où j’ai prié M. de Maffre, officier au régiment de partir pour Metz, afin d’y porter une lettre que je lui remis pour M. de Bouillé, par laquelle je sollicitais ce général de supplier en mon nom le roi de m’accorder un conseil de guerre pour me juger. J’ai été informé que M. de Maffre a été arrêté à Sarreguemines, et qu’aujourd’hui même, il est détenu dans les prisons de Bitsch. J’ignore parfaitement le motif de cet acte de violence, de même si ma lettre est parvenue à M. de Bouillé : le mal-heur de cet excellent officier m’affligerait d’autant plus que je dois l’attribuer à son attachement pour moi. Le comte de La Tour. Gentilhomme savoyard, chambellan de S. A. E. G. palatine et colonel au service de S. M. Très-Chrétienne. Ce 10 novembre 1790. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du mercredi 10 novembre 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Lanjuinais, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au matin. M. d’EIbecq, secrétaire , lit le procès-verbal de la séance d’hier au soir. Ges procès-verbaux sont adoptés. M. le Président fait donner lecture d’une lettre à lui adressée par-M. Reynier, député des trois Etats des villes et communes du pays Liégeois, et particulièrement de la ville de Liège, à laquelle est jointe une délibération de la municipalité de cette ville, en date du 3 de ce mois, improbative de la conduite du régiment Royal-Liégeois à Belfort. Lettre de M. Reynier . « M. le Président, député du pays de Liège vers l’Assemblée nationale de la France, je me suis hâté d’instruire mes commettants de la conduite coupable de quelques officiers du régiment (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. qui porte le nom de Royal-Liégeois. J’étais persuadé qu’ils apprendraient avec autant de douleur que d’indignation un attentat aussi criminel ; attentat qui d’ailleurs pourrait compromettre auprès de la nation française un peuple estimable, un peuple ami, qui toujours s’esfmontré jaloux de son estime et toujours se fera gloire de la mériter. « Je viens de recevoir, M. le Président, de la municipalité de Liège, un arrêté relatif à cette affaire; j’ai l’honneur de vous l’envoyer en original et vous supplie de le communiquer à l’Assemblée auguste des représentants des Français. Ils ne seront pas, sans doute, insensibles à ce nouvel hommage du peuple liégeois; et l’exemple d’un peuple étranger qui se glorifie de manifester, dans toutes les occasions, son respect pour la Constitution d’où dépend le bonheur de la France, fera rougir peut-être les aveugles, les insensés détracteurs de cette Constitution, qui ne devrait inspirer que des sentiments d’amour, d'admiration et de reconnaissance. « Mon retour récent à Paris, où je suis chargé de poursuivre l’objet de ma première mission auprès de l’Assemblée nationale, m’impose le devoir, M. le Président, de vous communiquer les nouveaux pouvoirs dont je suis muni, indépendamment des premiers qui subsistent toujours et qui sont connus. J’ai l’honneur d’en joindre des copies; et, dès qu’il sera jugé nécessaire, j’aurai celui de vous présenter les originaux. « Permettez, M. le Président , que je saississe cette occasion de rappeler au souvenir de l’Assemblée nationale la demande des Liégois, relative à leur créance sur la France. L’accueil éclatant dont l’Assemblée a honoré leurs députés; sa promesse solennelle de prendre en considération cette demande, qu’elle a renvoyée au comité de liquidation, tout doit faire espérer qu’elle daignera bientôt s’occuper du rapport de cette affaire. C'est dans la situation critique où se trouvent maintenant les Liégois, c’est dans l’état d’épuisement où les ont réduits les frais énormes d’une campagne qu’ils ont soutenue avec tant d’énergie et de courage, que le payement d’une somme qu’ils réclament pourrait avoir une grande influence sur leur sort ; oui, le calcul des ressources, des moyens qui leur resteront pour défendre encore (s’il s’y voient forcés) cette liberté qu’on cherche toujours à leur arracher, entrera pour beaucoup dans les arrangements qu'on pourrait leur proposer. Leur créance dans tout autre temps ne serait que légitime ; elle est sacrée aujourd’hui, car ils sont malheureux.» Délibération de la munipalité de Liège. Justement indigné de la conduite et des attentats criminels commis à Belfort par M. La Tour et autres officiers du régiment Royal-Liégeois au service de la France, le conseil requiert M. le conseiller Reynier, député des Etats et de la cité près de l’Assemblée nationale, de témoigner aux augustes représentants des Français combien il est affecté que des membres d’un corps qui porte le nom liégeois s’en soient montrés aussi indignes. « M. Reynier ne manquera point d’observer : 1° que ce régiment a été levé arbitrairement par l’évêque -prince seul, sans concurrence de la nation, gui aurait dû au moins partager l’honneur de présenter un corps à la nation française, et aurait su faire choix de chefs patriotes qui n’auraient point compromis son nom ; 850 [Assemblée nationale.] « 2e Que M. La Tour et les autres nommés ne sont pas Liégeois. « Le conseil requiert de plus M. le conseiller Reynier de s’informer si, parmi les coupables, il ne s’en trouve point qui soient effectivement Liégeois, étant déterminé à les bannir à perpétuité de la cité et de son territoire, ordonnant au greffier d’expédier le présent récès sous le scel de la cité. Par ordonnance dudit conseil , « Signé : Rouveroi, greffier autorisé. » M. le Président est chargé d’écrire à la municipalité de Liège pour lui témoigner la satisfaction de l’Assemblée nationale. M. Gossin, rapporteur du comité de Constitution, propose un projet de décret qui est adopté en ces termes: « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Constitution, décrète qu’il sera nommé deux juges de paix dans la ville d’Alençon ; trois dans celle de Dijon, non compris celui d*e la section de la campagne; un à Beaune, quatre à Nîmes, outre celui du midi de la banlieue; un à Alais, un àBeaucaire, deux à Auxerre; deux à Sens; et deux à Beauvais.» M. lé Président. J’ai reçu de M. de la Tour-du-Pin, ancien ministre de la guerre, une lettre dont je donne lecture : « Paris, ce 8 novembre 1790. « Monsieur le Président, « L’Assemblée nationale a rendu deux décrets, l’un du 28 juillet et l'autre du 31 octobre dernier, pour qu’il lui soit rendu compte de la fabrication des armes de l’artillerie et des obstacles qui ont pu la retarder. Pour m’y conformer, j’ai l'honneur de vous adresser, ainsi que je vous l’ai annoncé par une lettre du 3 de ce mois, un mémoire très détaillé sur les établissements et approvisionnements de ce service. Je vous prie instamment de vouloir bien exercer votre influence pour qu’il soit lu à l’Assemblée. J’ose croire que la connaissance qu’elle acquerrait des ressources dont l’artillerie est pourvue pour la sûreté de l’Etat, soit offensivement, soit défensivement, ne pourra qu’être satisfaisante pour elle. « Je suis avec respect, etc.» « La Tour-du-Pin. » Le mémoire rend compte : 1° Des principaux établissements où l’artillerie fait fabriquer les armes et des obstacles que leur fabrication a pu éprouver ; 2° de l’état actuel de ces approvisionnements et des ressources dont le service est pourvu, tant pour les armées que pour la défense intérieure du royaume ; 3° des moyens que l’on peut employer pour augmenter la fabrication de toutes les espèces d’armes nécessaires à l’effet de remplir le plus tôt . possible le déficit qui s’y trouve. « Si l’on se propose, porte le mémoire, d’armer au compte de l’Etat les gardes nationales, il faudra que cette fabrication soit portée à 60,000 armes au moins par année, et alors il deviendrait indispensable défaire établir deux manufactures de plus, il résulterait de là aussi, qu’on serait dans l’obligation d’affecter annuellement deux millions à l’artillerie, pour subvenir à une telle dépense. » (L’Assemblée renvoie ce mémoire au comité militaire.) (10 novembre 1790.] M. le Président. L'ordre du jour est la continuation de la discussion sur le tribunal de cassation. L’Assemblée a décidé hier que la délibération s’établirait d’abord sur la question suivante : Quelles seront les fonctions du tribunal de cassation ? M. Goupil. Les maximes anciennes étaient, dans la théorie, assez exactes ; le mal était dans la pratique. On vous a présenté hier deux nouvelles vues : restreindre la cassation à la violation des lois constitutionnelles et à l’inobservation des formes et des règles judiciaires. C’est contre ces propositions que je m’élève. La législation est inutile si l’exécution des lois n’est pas assurée. Vous avez dit dans votre célèbre déclaration des droits : « Partout où la garantie des lois n’est pas assurée et où la distinction des pouvoirs n’est pas marquée, il n’y a pas de Constitution. » Au milieu de cette distinction des pouvoirs il faut qu’il y ait une suprématie, et, cela étant nécessaire, il s’agit de savoir où elle sera placée ; si on l’accordait au pouvoir exécutif, alors il n’aurait plus ni frein ni limite, et nous aurions le despotisme. Si elle était confiée au pouvoir judiciaire, il pourrait rendre la législation impuissante. Selon M. Chabroud, la demande en cassation ne peut avoir lieu si la loi à laquelle le jugement est contraire n’est pas constitutionnelle. Ce système paralyse l’autorité législative : cette suprématie ne réside ni dans le pouvoir exécutif, ni dans le pouvoir judiciaire ; il faut la placer là, pour ainsi dire, où elle peut efficacer la loi : je veux dire dans le Corps législatif. Quand je parle de l’intervention du Corps législatif pour la cassation, je ne l’applique pas aux cas ordinaires ; ce serait l’exposer à être assiégé par l’intrigue ; mais je demande que, dans les cas extraordinaires où l’intérêt public l’exige, le Corps législatif puisse admettre la demande en cassation. M. Prieur. Si quelqu’un voulait parler contre M. Goupil, je le prie de monter à la tribune et je me réserve de parier après lui. M. Lanjuinais. Je regrette que l’Assemblée ait décide qu’il y aura un tribunal de cassation, avant de dire ce que c’est qu’un moyen de cassation. Peut-être alors auriez-vous reconnu que ce tribunal n’est pas nécessaire comme tribunal de cassation ; mais puisqu’il doit avoir lieu, quelles seront ses fonctions? Le comité lui en donne de bien différentes ; la première est de juger, selon lui, les demandes en cassation. Ici je demande : 1° si la cassation aura lieu en matière criminelle après l’établissement des jurés? et sur cette question je conclus à l’ajournement au temps où vous vous occuperez des jurés ; 2° si elle aura lieu à l’égard des jugements des tribunaux de paix? et je dis que, pour empêcher la ruine certaine des plaideurs et arrêter l’esprit de chicane, il ne doit point y avoir de cassation des jugements de paix ; 3° quand y a-t-il ouverture à la cassation ? Qu’est-ce qu’un moyen de cassation? G’est, dit-on, une violation directe et évidente de la loi. Dites-moi encore en quoi diffère une telle violation d’un moyen d’appel ? en rien, si ce n’est qu’elle serait proposée en troisième instance et devant un tribunal qui dirait : il y a violation, allez devant tels juges, peut-être ils la réformeront. Cette ressource n’est pas plus sûre qu’un appel en seconde ins-AJtCHlVES PARLEMENTAIRES.