738 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 4790.} 1° Ne laisser subsister aucunes places inutiles qui, en rendant les grades supérieurs trop communs, avilissent les places subalternes ; 2°. Attacher nos régiments français plus spécialement à des départements désignes, dans lesquels les officiers et soldats, destinés à les composer, seront choisis à l’avenir ; et ce moyen est le seul pour parer aux qnciens inconvénients du recrutement, de la désertion et ne faire des soldats et des citoyens qu’nn corps et qu’une âme ; 3° N’accorder les places qu’au mérite, depuis l’état de caporal jusqu’à celui de maréchal de France, et déterminer ce mérite par le choix libre des subordonnés a chaque grade ; 4° Rendre les compagnies aux capitaines, non individuellement, mais en corps, avec tous les détails d’administration qui en dépendent, de manièreque les officiers supérieurs, cessant d’être juges et parties, puissent réellement faire exécuter les ordonnances; 5° N’éloigner jamais un régiment de plus de cinquante lieues du chef-lieu de département dont il portera le nom, et cette condition, suffisante pour meubler nos places de guerre, épargnerait des frais de route énormes ; 6° Accorder tous les deux ans en temps de paix, neuf mois de congé aux officiers et soldats, avec demi-paye, ce qui est avantageux, agréable pour eux et économique pour l’Etat; 7° Plus de plaque militaire, mais la croix de Saint-Louis à tout officier au bout de vingt-cinq ans de service, y compris celui de soldat. Voilà, Messieurs, les bases simples et immuables d’organisation que je crois devoir remettre sous vos yeux; en y ajoutant la solde de chaque grade, le nombre des troupes, une ordonnance de retraite pour les officiers et soldats, le code des peines et délits militaires, le service des places : vous aurez fait tout ce que le roi vous indique et tout ce que la nation et l’armée vous demandent. M. Dubois de Crancé termine en proposant le décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que l’état et le sort de tous les citoyens de l’empire français doivent reposer désormais sous la protection de lois constitutionnelles, qui ne puissent, sans aueun prétexte, être éludées ; et voulant concilier les droits de cette classe généreuse qui se dévoue à la défense de la patrie, avec l’autorité népessaire et légitime du pouvoir exécutif; « Déclare que le roi est le chef suprême de l’armée ; que tous les ordres nécessaires pour le maintien de la tranquillité publique et la sûreté du royaume, ne peuvent émaner que de lui, conformément aux lois constitutionnelles de l’empire français : mais qu’il appartient au Corps législatif de fixer, dans tous les temps, le nombre et l’espèce de troupes qui doivent être employées à la défense de la patrie ; de régler leur composition, leur solde et les divers traitements des officiers ; les bases d’introduction au service, celles d’avancement et de retraites pour tous les grades, depuis l’état de soldat, jusqu’à celui de maréchal de France inclusivement ; les lois de police, de discipline militaire, ainsi que les bases d’administration générale des corps ; enfin, les rapports de l’armée avec le pouvoir administratif et les milices nationales. « En conséquence, l’Assemblée nationale ordonne que son comité militaire se concertera avec le ministre de la guerre et avec le comité de constitution pour établir ces principes, ainsi que J tous les détails qui en dérivent d’une manière précise, à l’abri de toute fausse interprétation, et qui assure à la nation son repos, et aux militaires-citoyens des récompenses graduelles exemptes de tout arbitraire, prix assuré des vertus, sans distinction de naissance et de fortune. « Et par provision, l’Assemblée nationale décrète : « 1° Que tout militaire, après vingt ans de service révolus., jouira de tous les droits de citoyen actif, et sera éligible même à l’Assemblée nationale, considérant les services qu’il aura rendus à sa patrie comme équivalent au moins à la contribution du marc d’argent exigée de tout citoyen pour être éligihle ; « 2° A dater du premier avril prochain, la paye de tous les lieutenants, sous-lieutenants, bas-officiers, grenadiers, chasseurs, soldats, cavaliers, dragons et hussards, sera augmentée dans la proportion indiquée au plan du comité militaire ; mais les six deniers accordés pour supplément de pain, seront réunis au prêt. Ainsi, la masse de boulangerie restera fixée à 30 deniers par ration, et l’administration en sera confiée aux régiments; « 3° La masse de linge et de chaussure sera augmentée de 6 deniers, et la masse générale restera comme elle était ci-devant; « 4° La nation fera entre les mains du ministre de la guerre, un fonds d’extraordinaire de 18 livres par homme au complet, chaque année, uniquement destiné à donner 3 sols par lieue aux sémestriers lorsqu’ils partiront du régiment pour se rendre dans leurs foyers, et le surplus sera employé à donner des retraites graduelles à tous les soldats et bas-officiers ou cavaliers qui auront fait au moins deux engagements de suite. En conséquence, toute pension de demi-solde sera sup� primée pour l’avenir. « L’Assemblée nationale se réserve de statuer sur le sort des capitaines, officiers supérieurs des corps et officiers-généraux, lorsqu’elle décrétera les bases constitutionnelles de l’organisation de l’armée, pour lesquelles elle charge, par le présent décret, son comité militaire de se réunir à son comité de constitution, et de se concerter avec le ministre de la guerre; et lorsque ce travail lui aura été présenté, elle arrêtera définitivement l’état des fonds destinés au département de la guerre pour l’année 1790. » M. le baron de Menou, d’accord avec M. Alexandre de Lameth, M. de Noailles et quelques autres, présente un nouveau projet de décret qui est très applaudi et qui obtient la priorité sur tous les autres. La discussion est ouverte sur les articles de ce projet. « Art. 1er. Le roi des Français est le chef suprême de l’armée. » M. l’abbé Maury. Je vous prie d’observer deux choses sur cet article : 1° Tout peuple qui parle de son souverain ne l’appelle que le roi ; c’est ainsi que par le traité de Westphalie, il a été décidé que le roi de France serait appelé par toutes les puissances; 2° On ne doit pas se borner à dire que le roi est le chef suprême de l’armée ; vous ne feriez de votre souverain qu’un général d’armée. Je propose de rédiger ainsi l’article : « L’armée de France est entièrement et uniquement aux ordres du roi. » M. Alexandre de Lameth. J’adopte la pre- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 février 1790.] 739 mière observation dn préopinant, mais j’observe que la nation française a un roi et non un souverain ; la souveraineté réside essentiellement dans le peuple. Quant à la seconde observation, elle ne peut être accueillie ; elle n’a pas même besoin d’être réfutée. Si cependant l’expression si naturelle de l’article pouvait déplaire, je proposerais de dire : « le chef suprême des forces nationales. » M. Dubois de Oancé. Je vous prie de vous rappeler le serment que vous avez fait. Vous avez juré d’être fidèles à la nation, parce que c’est dans la nation que réside la souveraineté ; à la loi, parce que la loi est vraiment le souverain d’un peuple libre ; au roi, parce que le roi, soumis à la loi et chargé de la faire exécuter, est le chef suprême de la nation. On demande la priorité pour la rédaction de M. de Menou sur celle de M. l’abbé Maury. La priorité est accordée à l’article de M. de Menou, et il est décrété en ces termes : « Le Roi est le chef suprême de l’armée. » L’article suivant est adopté sans discussion ; il est ainsi conçu : « Art. 2. L’armée est essentiellement destinée à combattre les ennemis extérieurs de la patrie. » On lit l’article 3 ; en voici la teneur : « Il ne peut être introduit de troupes étrangères dans le royaume et dans l’armée qu’en vertu d’un actedu Corps législatif, sanctionné par leroi.» M. l’abbé Maury. Je m’arrête au mot introduit ; il est absolument vague. Si l’on veut parler de l’usage ancien de la monarchie, d’admettre des étrangers dans les troupes, il faut dire : nul étranger ne sera admis au service du roi ; mais les conséquences de ce décret seraient trop importantes pour que je ne vous présente pas une réflexion intéressante. 11 n’est aucun militaire instruit qui n’ait remarqué que la discipline s’établissait bien mieux dans les régiments étrangers que dans les nôtres ; sous ce point de vue, ces corps méritent de servir de modèle à tous les régiments du royaume. Cette remarque n’est pas de moi ; elle est de M. de Puységur, du maréchal de Saxe, du chevalier Folard; elle appartient à tous les auteurs qui ont écrit sur l’armée. M. le comte de Sérent. 11 ne s’agit pas ici de savoir si les troupes étrangères ont été utiles à l’armée française ; leurs services sont connus. Il s’agit encore moins de les comparer à nos troupes pour déprécier nos troupes ; il faut uniquement décider si le roi a le droit d’appeler en France des troupes étrangères sans le consentement du pouvoir législatif ; et pour peu qu’on reconnaisse les principes, il est difficile de ne pas adopter l’article présenté. M. Destutt de Tracy. Je commence par dire que les troupes françaises n’ont pas besoin des régiments étrangers pour leur donner l’exemple de la discipline ; les chefs des régiments étrangers font parade d’une rigidité extrême dans des bagatelles de tenue, qui ne font rien à la discipline militaire, qui rendent le service gênant, mais qui frappent le vulgaire ; je ne conteste pas, du reste, que les régiments étrangers n’aient bien mérité de la patrie, dans diverses circonstances. M. le comte de 'Virieu. Je suis d’avis de conserver à la fois introduit et admis . De légers changements sont proposés, et l’article se trouve rédigé comme il suit : « Art. 3. 11 ne peut être admis ni introduit aucune troupe étrangère au service de l’Etat, qu’eh vertu d’un acte du Corps législatif, sanctionné par le roi. » Les articles 4 et 5 sont adoptés sans discussion. « Art. 4. Les sommes nécessaires à l’entretien de l’armée seront fixées par chaque législature. « Art. 5. Les législatures suivantes, ni le pouvoir législatif, ne pourront porter atteinte aux droits qu’a chaque citoyen d’être admis à tous les emplois et grades militaires. » L’article suivant est mis à la discussion. En voici la teneur: « Art. 6. Aucun militaire ne peut être destitué de son emploi que par un jugement légal. » M. Le Chapelier. Il y a dans le projet de décret de M. de Menou un article qui renvoie au comité militaire et au comité de constitution le travail sur l’organisation des tribunaux militaires : je demande que celui-ci soit renvoyé à ces comités, afin qu’il reparaisse suivi de tous les principes qui doivent l’accompagner. M. Alexandre de Lameth. Il faut bien distinguer les commissions des emplois: le roi pourra, sans doute, retirer une commission qu’il aura donnée ; mais le sens de l'article est assurément que tout militaire qui aura obtenu un rang quelconque, ou par l’ancienneté de ses services, ou par leur éclat, ne puisse perdre ce rang sans un jugement légal. M. le comte Mathieu de Montmorency. C’est ici la véritable place du principe constitutionnel ; l’application de ce principe peut seule être renvoyée au comité. M. de Montlosier. J’insiste sur ce renvoi, parce qu’il serait trop dangereux de mettre dans la constitution le mot emploi avant de l’avoir exactement défini. M. le comte de IVoailles. Il me semble que le mot destitué ne laisserait aucun doute; on peut craindre que l’article ne soit contraire à lai discipline militaire; mais j’observe qu’avant d’être destitué, il faut être suspendu de ses fonctions, et c’est à cette suspension que se borne l’effet de la discipline. M. de l