[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 juillet 1790.] 301 district peu attachés à leur place ; mais il faudra bien pour leur bonheur qu’ils y tiennent peu par façon de penser, puisque la loi ne les y appellera que pour six ans : ainsi leur ambition sera parfaitement d’accord avec la Constitution. Si vous pouviez, Messieurs, voir du danger dans cette supériorité de tribunaux, si vous vous décidiez à la rejeter , revenez avec empressement sur vos décrets, abjurez alors ce qui doit vous paraître une erreur ; détruisez ces cinq cent cinquante districts supérieurs de 48,000 municipalités ; anéantissez ces 83 départements supérieurs de 550 districts et des 48,000 municipalités ; mais ne vous arrêtez pas là, Messieurs, portez le courage à son dernier degré, et puisqu’il s’agit du salut de la patrie, ne craignez point d’être homicides, armez-vous de la foudre contre vous-mêmes, et disparaissez à votre propre voix, car enfin vous êtes un corps supérieur d’environ 50,000 autres corps. Mais reconnaissez plutôt, Messieurs, que la supériorité des corps quels qu’ils soient, et par conséquent celle des tribunaux, est parfaitement compatible avec l’égalité politique, et pour le succès de la régénération de l’empire français que vous avez entreprise , consolidez votre existence, celle de vos successeurs et des corps qui doivent être leurs coopérateurs après avoir été les vôtres. Voyons si la liberté se trouve plus exposée par l’établissement des tribunaux supérieurs ; on vous fait craindre que cette supériorité ne leur donne des forces pour attaquer avec succès la Constitution. Je ne viens point, Messieurs, encenser votre ouvrage : c’est à la nation, rendue au calme et à la réflexion, à le juger; le roi n’a rien négligé pour seconder la volonté que vous avez eue de faire jouir le peuple français de la liberté ; ce n’est qu’en abusant qu’il peut la perdre ; élever une digue capable d’arrêter le torrent de la licence est peut-être une entreprise aussi digne de vous que le fondement de la liberté même. Sur quoi peut donc être fondée cette crainte que l’on conçoit des tribunaux supérieurs dont les membres sont si peu nombreux et le ressort si circonscrit ? Je parie de ceux que le comité vous propose dans le titre 4 de son dernier projet. Si jamais ces tribunaux pouvaient se livrer à l’idée de projets sinistres, n’auraient-ils pas pour les arrêter, et toutes ces municipalités dont ils seront entourés, et toutes les assemblées de district et de département, et la haute cour nationale, et le Corps législatif qui doit être permanent, en ce sens qu’il tiendra annuellement une session et que ses membres seront toujours prêts à se réunir; n’auront-ils pas enfin devant eux et l’opinion publique et la liberté de la presse ? Ah 1 Messieurs, si tous ces remparts dont vous avez entouré la liberté publique sont insuffisants, elle n’est plus qu’une chimère qui n’a été imaginée que pour faire le tourment des hommes. On se plaît, pour nous intimider, à comparer aux anciennes cours les tribunaux d’appel que le comité propose, et à nous faire appréhender qu’ils parviennent au même degré de pouvoir : comment peut-on présenter cette idée de bonne foi? Qui ignore que la véritable cause de la puissance des cours c’était la part qu’elles prenaient à la législation et à l’administration ? Mais l’avaient-elies usurpée ? Ne l’avaient-eiles pas reçu plutôt de la nation même, des -États généraux? Et lorsque, loin de l’accorder aux nouveaux tribunaux d’appel, la nation, par votre organe, prononce qu’ils y seront totalement étrangers; lorsqu’elle les environne d’autant de surveillants, ce serait une crainte bien chimérique que celle que pourraient faire concevoir ces corps à l’égard de la liberté et vous ne pourriez vous y livrer sans trahir les intérêts de la patrie, puisque l’effet de cette crainte serait d’organiser le pouvoir judiciaire d’une manière qui le rendrait incapable de remplir son objet. Je ne crois pas m’abuser ; je pense, comme je l’ai dit, que si les tribunaux supérieurs pouvaient donner des inquiétudes, elles devraient être communes aux corps administratifs ; il me semble qu’alors il serait heureux de pouvoir leur présenter les tribunaux supérieurs comme un contre-poids. Les deux principaux motifs qu’on vous présente pour faire rejeter les tribunaux dont je viens de parler et pour y substituer cet étrange appel de district, à district me paraissent donc sans réalité. (Ici l’Assemblée est interrompue par un bruit de musique militaire, et par celui d’un commandement d’évolutions. Le bruit redouble; il s’y mêle des acclamations et des cris répétés de: Vive l'Assemblée nationale!) (On annonce que les députés des gardes nationales du département du Mont-Jura, prêts à partir de Paris, sont rassemblés sur la terrasse des Tuileries.) M. d’EIhhecq. Je demande qu’on envoie aux députés des gardes nationales du Mont-Jura une députation de deux membres pour leur témoigner la sensibilité de l’Assemblée nationale aux honneurs qu’ils lui rendent. M. le Président. Ces députés demandent à paraître un moment devant l’Assemblée. Un huissier est envoyé pour les prévenir. Il rentre au bout d’un instant et annonce qu’ils sont déjà partis. Après quelques moments de délibération, l’Assemblée arrête qu’ils seront reçus, s’ils se présentent. M. Irland de Basoges, continue son discours : Qu’il me soit permis d’ailleurs, de vous rappeler à vous-mêmes, je veux dire à vos propres décrets ; celui du premier mai porte : « il y aura deux degrés de juridiction en matière civile : » Or, si vous adoptiez les tribunaux de district, juges les uns à l’égard des autres, vous contrarieriez ce premier décret, car les plaideurs pourraient bien avoir deux jugements dans une même affaire, mais tous les deux devant des tribunaux de même nature, de même composition, de même pouvoir; on passerait par deux épreuves de jugements, mais non par deux degrés de juridiction ; car, dans notre langue, le mot degré emporte avec lui l’idée d’élévation comparative ; il n’y a point de degré où tout est de niveau, il n’y en a que quand il y a élévation ou supériorité d’un côté, et infériorité de l’autre; ainsi pour qu’il existe deux degrés de juridiction, il faut que l’on puisse appeler, non pas d’une juridiction à une autre seulement, mais d’une juridiction inférieure à une supérieure ; c’est donc une conséquence nécessaire du décret que j’ai cité qu’on établisse une classe de tribunaux supérieure aux autres. Et je crois avoir prouvé que leur existence est parfaitement compatible avec l’égalité et ia liberté politiques. Voyons si cet établissement n’est pas nécessaire