440 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] bonheur, à son repos, au succès de vos travaux, de prolonger cette nullité du pouvoir exécutif; et serions-nous excusables de le faire, lorsque le chef suprême de ce pouvoir se plaît à montrer des dispositions aussi conformes aux principes que vous avez consacrés? Non, Messieurs, je vous en conjure au nom de la liberté même, ne nous permettons pas de plus longs délais pour rétablir l’action de la force publique. Et si l’ordre du travail du comité de constitution ne met point encore en délibération les divers articles constitutionnels du pouvoir exécutif, hâtons-nous de livrer au Roi, qui se livre à nous avec tant de candeur, tous les moyens de mettre en action l’autorité pour le rétablissement de l’ordre et le maintien des lois. Ici, je cherche les difficultés, j’appelle les objections, je demande ce que la prudence nous conseille, ce que la nécessité des circonstances commande; j'examine enfin le vœu de nos commettants, leurs instances répétées pour obtenir une autorité protectrice; partout je vois le nom du Roi chéri et invoqué à côté de la liberté dont il est aujourd’hui le garant, comme il en fut le premier promoteur; partout je vois le besoin de cette autorité, et la liberté compromise, si elle ne se manifeste. La troisième partie du discours du Roi, qui m’a paru solliciter toute votre attention, est ce que le Roi vous dit et vous conseille sur l’état des finances. Si nous ne mettons la recette de niveau avec la dépense, point de crédit, point de circulation, moins d’activité dans les échanges, dans toutes les spéculations du commerce ; et de là tous les maux, tous les désordres qui tiennent à la disparition du numéraire, à la diminution du travail et des consommations, aux alarmes des capitalistes et des créanciers de l’Etat. Or, qu’avons-nous fait de réel jusqu’à présent pour rétablir les finances, et pourquoi différer de poser les bases d’un meilleur régime? Nous sommes accablés de mémoires et de projets sur les finances, il en est peu, il n’en est point peut-être qui présente un système complètement admissible; mais on trouve, dans plu-ïieurs, les notions et les principes qui peuvent nous conduire à en adopter un. Je sais que le comité des finances, livré à un travail infatigable, s’est constamment occupé de remplir la mission qui lui est confiée ; mais je ne peux dissimuler mon étonnement, qu’il ne nous ait pas encore présenté un état exact et précis de notre situation et de nos ressources. Nous avons la certitude d’un nouveau déficit dans la recette des impositions indirectes, telles que la gabelle, les aides et les traites. A combien se monte-t-il ? Quels moyens sont préparés pour y suppléer, sur quels calculs se fonde la recette de cette année? La solution de ces questions est indispensable pour fonder le crédit et rétablir la circulation, mais l’ordre dans les finances et le retour du crédit dépendent essentiellement, comme le Roi vous l’a dit, d’un gouvernement bien ordonné, d’une perception exacte des revenus, de la protection des propriétés, de la sûreté des personnes et d’une autorité active pour la surveillance et la conservation de l’intérêt général. C’est d’après ces considérations, Messieurs, que Je crois rendre hommage à nos principes, à nos devoirs, au vœu de nos commettants, à la bienfaisance et à la sollicitude du monarque, en soumettant à votre examen le projet de décret suivant : I. L’Assemblée nationale, croyant devoir à la nation l’exemple de la plus entière confiance dans les sentiments patriotiques que Sa Majesté lui a manifestés dans sa séance du 4; partageant les justes sollicitudes du Roi sur les désordres qui affligent le royaume, et ne voulant point attendre, pour y pourvoir, la discussion et la délibération des divers articles constitutionnels qui régleront toutes les parties du pouvoir exécutif, supplie le Roi de donner tous les ordres et de prendre les mesures les plus efficaces pour la protection des propriétés et la sûreté des citoyens. II. L’Assemblée nationale ordonne, en conséquence, que tous les corps administratifs et militaires exécutent ponctuellement les ordres qui leur seront adressés par Sa Majesté, contre-signés par un secrétaire d’Etat. III. L’Assemblée nationale déclare que toute résistance aux ordres du Roi, ou leur inexécution non motivée sur la violation constatée des décrets constitutionnels, seront punies comme forfaiture et que toute insubordination dans l’armée de terre et de mer doit être jugée et punie conformément aux ordonnances militaires. IV. L’Assemblée nationale, indissolublement unie à la Constitution et au Roi, par le serment que tous ses membres ont renouvelé, n’ayant plus rien à craindre pour la liberté publique, qui est désormais sous la garde du monarque et du peuple français, révoque et abolit son comité des recherches, et tous ceux qui pourraient être établis dans différentes villes du royaume. Je propose, par un décret particulier, l’article suivant : « La paix et la prospérité du royaume dépendant essentiellement du rétablissement du crédit public et d’un ordre constant dans les finances, l’Assemblée nationale ordonne à son comité des finances de lui rendre compte incessamment du déficit constaté dans la recette des impositions pendant les six derniers mois de 1789, et des moyens préparés pougussurer la balance des recettes et des dépenses. » 5 février 1790. Signé : MâLOUET. ASSEMBLEE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du samedi 6 février 1790, au matin (1). M. le Président annonce que la lecture du (1) Getle séance est incomplète au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 février 1790.] 141 procès-verbal de la séance d’hier n’aura lieu qu’à la séance du soir. M. de Curt présente une troupe de jeunes élèves de la pension de M. de Prévert, à Picpus, qui offrent en don patriotique une somme de trois cents livres représentant le quart de leurs menus plaisirs. L’un des jeunes élèves dit : « Nous jurons de nous instruire de vos sages décrets, d’en faire notre principale étude, et nous graverons dans nos cœurs le décret que nous attendons de vous sur l’éducation nationale. Puissions-nous nous rendre dignes d’être un jour citoyens actifs chez une nation qui ne connaît plus d’autres privilèges que ceux du mérite et des vertus !. » M. le Président leur a fait la réponse suivante : « C’est au nom de la patrie que l’Assemblée nationale accepte votre offrande ; toujours sensible aux traits de patriotisme, elle voit avec une satisfaction plus particulière le germe des vertus civiques se développer dans le cœur des jeunes citoyens. » L’Assemblée permet à ces enfants d’assister à la séance et les couvre d’applaudissements. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur la division des départements du royaume. M. Gossin, organe du comité de constitution, propose un décret relatif à la division du département de Bordeaux. Plusieurs députés de la sénéchaussée sont entendus pour et contre les villes de Bourg et de Blaye. M. le Président met aux voix le projet de décret du comité, qui est adopté ainsi qu’il suit : I. « L’Assemblée nationale décrète, d’après l’avis du comité de constitution: « 1° Que les limites du département du Bordelais demeurent fixées conformément aux délibérations prises par les députés du département, et par les députés des départements limitrophes; « 2° Que la ville de Bordeaux est chef-lieu du département du Bordelais, lequel est divisé en sept districts, dont les chefs-lieux sont Bordeaux, Libourne, la Réole, Bazas , Cadillac , Bourg ou Blaye et Lespare ; « 3° Que la division de ces districts en cantons est seulement provisoire; que la première assemblée de département est autorisée à rectifier toutes erreurs, et à faire les changements que les convenances locales exigeront ; « 4° Que l’assemblée de département déterminera aussi l’établissement qu’elle jugera convenable de fixer dans la ville de Sainte-Foy, unie au district de Libourne : « 5° Que la ville de Castelmoron d’Albret, faisant partie du district de la Réole, étant en possession, depuis plusieurs siècles, de trois cours de justice, pourra être le siège de l’un des établissements que l'assemblée de département jugera convenable d’y fixer ; « 6° Que, sur les difficultés qui se sont élevées pour savoir laquelle des deux villes de Bourg ou de Blaye serait le chef-lieu du district établi dans cette contrée, la première assemblée des électeurs de ce district, qui se tiendra dans la ville de Bordeaux, décidera cette contestation à la pluralité des suffrages, à laquelle assemblée n’assisteront pas les électeurs des paroisses du Fronsadois, taisant actuellement partie de ce district ; « 7° Que ces paroisses ont dès à présent l’option de s’unir au district de Libourne, ou de rester à celui de Bourg ou de Blaye, si elles le jugent plus convenable ; « 8° Que les électeurs du district de Bourg ou de Blaye décideront si le tribunal de justice et l’administration seront divisés entre ces deux villes, ou si ces établissements seront réunis. II. M. Gossin fait un autre rapport sur le bourg de la Guillotière, près de Lyon. Ce bourg, dit-il, est depuis 300 ans en procès avec la ville de Lyon ; ses habitants ont vu le terme de cette espèce de guerre, dans votre constitution en Assemblée nationale, et ses députés la supplient de donner à leur cause l’attention que le sénat romain accordait aux cités de l’empire sur le sort desquelles il prononçait. Le bourg de la Guillotière est séparé de Lyon par le Rhône ; ce fleuve est la limite générale du Dauphiné avec le Bugey, le Lyonnais et le Viva-rais ; il invoque la décision portée pour le bourg de Saint-Laurent que le Maçonnais a en vain prétendu obtenir. Tout prouve que le bourg de la Guillotière n’est pas un faubourg de Lyon, comme le prétend celle-ci. Tout le prouve, les querelles anciennes et nouvelles, les barrières entre Lyon et le bourg, les derniers arrêts du conseil, tout se réunit pour l’établir. Mais le comité a pensé que le bourg devait rester uni à Lyon. C’est une exception à tout ce que le comité a proposé sur des contestations de ce genre ; mais elle est nécessaire par l’importance de la ville de Lyon et de son commerce. Il est évident aussi que les habitants de la Guillotière doivent être citoyens de Lyon, participant aux mêmes avantages municipaux et administration communale. Le juger autrement ce serait établir la guerre entre les deux villes, miner le commerce de Lyon et nuire même à celui du bourg. Il ne faut pas que ces malheureux habitants soient comme autrefois des ilotes. Le temps de ces séparations haineuses, de ces existences solitaires, est passé. Les malheurs de la Guillotière, ce qui lui manque en prospérité, vient de la séparation de Lyon. Ils étaient ennemis, il faut qu’ils soient amis ; et ils le deviendront parce qu’il existe une grande vérité morale, c’est que l’intérêt rapproche les hommes que l’intérêt a divisés. Mais à quelles conditions ou sous quelles réserves ce bourg serait-il uni à Lyon ? ce sera l’objet d’un court rapport qui vous sera fait bientôt. En attendant le comité vous propose un premier décret. M. Périsse Duluc s’élance à la tribune et propose un amendement pour les intérêts de la ville de Lyon. M. Delley-d’JLgier, répond par un autre amendement favorable au Dauphiné. Une foule de membres : Aux voix ! la question préalable sur les amendements ! M. le Président consulte l’Assemblée, qu