78 [Assemblée nationale.] pour l’informer que l’Assemblée s’occupera de cette affaire, et lui demander qu’il soit sursis à toute espèce de procédure. M. Achtard de Bonvouloir. M. Müscard est un de ces hommes qu’on employait à désorganiser notre armée. Sou sort est assuré, puisqu'il a été transféré à Montmédy. M. d’André. Quand il serait vrai que la conduite de M. Muscard eût mérité des reproches, il n’en serait pas moins certain que son procès devrait être fait dans les formes ; que M. de La Tour-du-Pin aurait dû ne pas manquer à sa parole, et que rien ne peut l’excuser d’avoir fait enlever clandestinement un citoyen, et d’avoir ainsi donné lieu à des inquiétudes et à des mouvements qui pouvaient avoir des suites fâcheuses. 11 faut déclarer que le ministre est personnellement responsable de tout ce qui peut arriver. M. Gourdan. Quels que soient les délits commis par M. Muscard, il doit être jugé ; pour qu’il le soit, il faut le réintégrer dans les prisons d’où il a été enlevé. Je demande que M. le président soit chargé de prier le roi de donner des ordres à son ministre. M. Voîdel. Il s’agit de la liberté d’un citoyen, le plus léger retard nous rendrait coupables. Je demande que, pour une plus prompte exécution, le ministre soit mandé à la barre. M. Goupil de Préfelu. L’affaire qui nous occupe doit être considérée sous trois rapports différents ; liberté civile, justice militaire, responsabilité des ministres. Vous ne pouvez prononcer sans être éclairés et je propose de charger M. le président d’écrire à M. le ministre de la guerre pour qu’il nous fournisse des explications. M. Martineau. Si vous adoptiez les mesures qu’on vous propose, ce serait suspendre lesjuge-ments militaires qui maintiennent seuls la discipline parmi les troupes. Voici le projet de décret que j’ai l’honneur de vous soumettre: « L’Assemblée nationale renvoie à son comité des rapports l’affaire relative au nomméMuscard, et cependant décrète que son président écrira au ministre de la guerre, à l’effet de lui demander tous les éclaircissements convenables sur cette affaire, et pour le prévenir que l’intention de l’Assemblée nationale est qu’il soit sursis à toute procédure contre l’accusé. » Ce projet de décret est adopté. M. le Président rend compte à l’Assemblée qu’il a porté, la veille, à la sanction du roi : Ie Le décret du 11 avril, portant que, dans toutes les églises paroissiales où il y a deux ou plusieurs titres de bénélices-cures, il sera, par provision, en cas de vacance par mort, démission, ou autrement, d’un des titres, sursis à toute nomination, collation et provision ; 2° Le décret du 15 avril, par lequel l’Assemblée déclare que sou décret du 6 mars, concernant les juridictions prévôtales, ne s'étend point aux prévôts de la marine, dont la juridiction et les fonctions sont continuées jusqu’à nouvel ordre. M. le Président prend ensuite le vœu de l’Assemblée, pour savoir s’il doit porter à la sanction et à l’acceptation dii roi les quatre articles dû rapport du Comité des dîmes décrétés dans la séance du 13 avril. que : « les quatre articles décrétés seront portés dans le jour à l’acceptation et à la sanction du roi. » M. le Président ayant la voix trop fatiguée, pour pouvoir se faire entendre, cède sa place à M. le baron de Menou, ex-président. U Assemblée passe à son ordre du jour qui est la discussion relative aux assignats . M. Bailly fait lecture d’une lettre qui lui a été adressée parle commerce de la ville de Paris, d’après le vœu des six premières places du royaume : cette lettre a pour objet de demander la prompte émission d’assignats-monnaie forcés, dont l’intérêt n’excéderait pas 2 à 3 0/0. M. Bailly. Je n’ai rien à ajouter à ce qui a été dit sur dette importante matière. La ville de Paris est très intéressée à votre décision. Tous ses approvisionnements, qui s’élèvent par an à plus de 300 millions, ne peuvent être soldés qu’en argent : ce numéraire rentre ordinairement par la voie des impôts ; mais à présent que la perception est suspendue, les rentrées sont extrêmement diminuées. Les assignats répandus dans tout le royaume pourront remédier à cet état de détresse. Le retard du paiement des rentes a produit une grande gêne dans les fortunes, et une grande diminution dans les consommations. Le peuple, qui vit du travail de ses mains, est réduit à la dernière extrémité. Les assignats, en rendant l’aisance, donneront du travail au peuple, et Paris aura enfin sa part dans la prospérité publique. — J’ai entre les mains la soumission de la somme de 70 millions, que vous avez voulu que la municipalité se procurât. Conformément à vos ordres, je la soumettrai au comité chargé de prescrire les conditions du traité. M. d© Follcville. Je demande l’impression de la lettre que M. Bailly vient de lire, afin que les provinces sachent qu’on a employé ce grand mobile pour déterminer l’Assemblée, incertaine dans une délibération de cette importance. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cette demande.) M. Aubry. Je n’ajouterai aux raisons qui ont été présentées parM. l’abbé Maury et M. Martineau qu’une seule considération. Vous voulez faciliter les ventes que vous avez ordonnées ; eh bien î les capitalistes garderont les assignats s’ils portent intérêt. M. Moulins de Boquefort. fin confondant les dettes du clergé avec celles de l’Btat, vous les faites changer de nature... Je propose deux amendements : le premier a pour objet d’assurer aux créanciers du clergé une hypothèque spéciale et privilégiée sur les biens ecclésiastiques ; le second, de donner aux créanciers la préférence dans les ventes sur tout autre acquéreur. M. l’abbé Gouttes. Après les discussions savantes que vous avez entendues, je ne m’en permettrai aucune ; j’examinerai seulement quelques objections. Le numéraire est caché; il faut le faire sortir : nous avons de grands besoins ; lés assignats sont notre seule ressource. Serdüt-ilS I établis avec intérêt ou sans intérêt ? Voilà la prin-I cipale question. Si nous donnons aux assignats ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1790.] L’Assemblée décrète [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [le ami 1790.] 79 un intérêt qui soit au-dessous de l’intérêt légal. onnous accuse de mesquinerie ; si nous le fixons au même taux, on nous dit que les capitalistes garderont les assignats ; mais, pour garder les assignats, il faudra .bien qu’ils fassent sortir leur argent comptant ; ainsi cet inconvénient prétendu devient tout à coup un avantage très réel L’Etat, dit-on, se trouvera chargé d’intérêts i pure, perte : il remboursera des créances dont l’intérêt était plus considérable : voilà donc encore un avantage au lieu d’un désavantage. Quel sera cet intérêt? Il doit être le plus rapproché de ce lui que nous payons à présent, sans qu’il soit au-dessous, sans qu’il soit au-dessus. Mais faut-il que la circulation soit forcée ? JVous établissons un papier-monnaie pour payer nos dettes : notre créancier pourra le refuser, s’il n’est pas en droit de le faire accepter à celui auquel il doit. — Je demande que, pour assurer la retraite des assignats, on ordonne qu’ils seront reçus par préférence dans les ventes, de même que les titres de créance sur le clergé et les effets publics : ainsi vous augmenterez le nombre des acquéreurs, et, par cette salutaire concurrence, vous accroîtrez le prix des ventes. M. de Cazalès. Le projet du comité n’est pas nouveau ; le comité des Dix, dont j’avais l'honneur d’être membre, l’a déjà rejeté unanimement comme on repousse une injustice et une déloyauté : le premier ministre en a démontré les inconvénients. On cherche à augmenter le discrédit de la Caisse d’escompte pour vous forcer à vous écarter des lois de l’honneur. Je tâcherai de faire céder mon indignation et de discuter à fond, s’il est possible, une question de cette nature. Le comité rassemble deux choses incompatibles, l’intérêt et la qualité de monnaie. L’intérêt est le prix du retard d’un paiement : quand un papier est papier-monnaie, il n’y a pas de retard ; intérêt et monnaie sont donc deux idées qui se repoussent, et qui, sans une absurdité palpable, ne peuvent être réunies. Si je considérais 400 millions de papier-monnaie comme une augmentation de numéraire, il me serait aisé de prouver que ce papier nécessitera une augmentation dans le prix des denrées, et, dans ce moment, toute augmentation de cette nature est un malheur certain. Si je l’envisageais dans ses rapports avec l’étranger, je démontrerais que c’est la plus désastreuse des opérations; dans ses rapports avec l’intérieur du royaume, que la création d’un papier-monnaie est une véritable banqueroute, qu’elle est de toutes les banqueroutes la plus odieuse ; qu’elle corrompra la masse entière de la nation, et y portera une immoralité qui rendra le . peuple français leplusvildespeuplesdumonde...Lecréan-cier de l’Etat, obligé de recevoir dupapier-monn aie à la place du titre de sa créance, ne pourra l’employer que pour la valeur que ce papier aura dans l’opinion ; il éprouvera une perte égale à la différence qui se trouvera entre ces deux valeurs. L’Etat fait banqueroute à celui qu’il paie avec du papier qui perd : de papier en papier, de banqueroute en banqueroute, le papier tombera sur celui qui ne s’est point enrichi avec l’Etat. Il résulte de là que la plus odieuse des manières de faire banqueroute est celle du papier-monnaie. Cette loi, qui forcerait les Français d’être tous banqueroutiers les uns envers les autres, qui ferait des Français le rebut de toutes les autres nations, ne serait rachetée par aucun avantage réel. Le gouvernement se verrait obligé de payer la même quantité de dettes. Ceux qui osent vous r donner ce conseil ont-ils prévu que bientôt tous les impôts seront payés en papier-monnaie ? Oseront-ils vous proposer de créer de petits billets, et d’associer ainsi au crédit public le petit peuple, toujours ou trop timide, ou trop hardi dans ses démarches? Veulent-ils donc vous exposer à des insurrections de tous les jours, commandées par le désespoir et par la faim ? Telles sont les suites nécessaires des billets d’Etat ou de tout papier-monnaie. Je défie qu’on prouve le contraire. Pour qu’un papier-monnaie reste à la hauteur du titre de la création, il faut un grand crédit dans le gouvernement; il faut une grande confiance. Examinons si nous sommes dans des circonstances qui puissent nous faire espérer ces grands effets du crédit et de la confiance publique. Le règne des charlatans est passé, et nulle jonglerie financière ne peut désormais en imposer. Le crédit repose sur les hases du gouvernement, sur la liquidation de la dette, sur la perception des impôts. Vous ne pourrez assurer l’impôt tant que le peuple sera armé d’un bout du royaume à l’autre ; tant que vous n’aurez pas rendu au pouvoir exécutif tout le ressort qu’il doit avoir. Si vous ne vous hâtez de rétablir l’autorité du roi, nulle autorité ne forcera les provinces à payer. Vous verrez la dette publique accrue sans espoir de liquidation ; la capitale restera seule écrasée sous le poids du papier que vous aurez créé. Je vais vous dire une grande vérité : le désordre continuera tant que le roi ne fera pas partie intégrante du Corps législatif; car, quelle confiance peut-on avoir dans une assemblée qui n’a pas de bornes hors d’elle-même, et dont par conséquent tous les décrets ne sont que de simples résolutions que peut changer aujourd’hui la puissance qui les a créés la veille ?.... Comment espérer quelque succès d’un papier qui ne sera pas protégé, comme celui de la Caisse d’escompte, par l’intérêt des banquiers ?.. On dit que les provinces demandent des assignats; mais l’autorité de l’Assemblée nationale sera impuissante, malgré ce vœu, pour y forcer la circulation du papier-monnaie. Quand on obéirait vous verriez commencer un discrédit subit. Alors s’élèveraient des fortunes odieuses, tous les désordres de l’agiotage ; vous verriez des hommes vils ramasser dans la boue ce papier discrédité.... On ne doit pas consacrer une loi infâme et pleine de déloyauté. 11 n’est pas de circonstance qui puisse engager l’homme à abandonner l’honneur. Je demande donc que l’Assemhléé décrète une émission d’assignats forcés en valeur de 400 millions. — Si, par impossible, l’Assemblée adoptait le projet du comité, je déclare à l’Assemblée, et à la face du public qui m’entend, que je proteste en mon nom, au nom de mes commettants, de toutes les provinces, du royaume entier, au nom de l’honneur et de la justice, contre le décret ci-dessus indiqué, qui entraîne la ruine du royaume et le déshonneur du nom français. M. Pétton de Villeneuve (1). Messieurs, d’après les discussions très étendues qui ont eu lieu sur la grande question des assignats, je me bornerai à faire de simples observations (2). J’es-(1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse du discours de M. Pétion. (2) C’est par pure déférence pour les ordres de l’Assemblée que je rends ces observations publiques ; elles sont faites à la hâte : elles sont incomplètes ; l’importante matière des assignats n’ÿ est qu’effleurée. Ptlis-sent-elles néanmoins n’ètre pas inutiles ! 80 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1790.) père rendre sensibles pour tous, les avantages et la nécessité des assignats. Partons de points certains et qui ne peuvent même pas être contestés. Nous devons et nous n’avons pas d’argent. — Nous avons des biens-fonds ; mais ne pouvant pas les partager entre nos créanciers, nous sommes obligés de les vendre. — Les moyens d’acquérir manquent, de sorte que pour payer d’une part, et pour acquérir de l’autre, il faut absolument du numéraire. — Il n’en est que de deux espèces, l’un réel, l’autre fictif; à défaut du premier, il devient indispensable de recourir au second. Que ce soit une quittance de finance, que ce soit un billet de caisse, que ce soit un assignat, toujours est-il que ce sera un numéraire fictif. Il est donc démontré et invinciblement démontré, que nous ne pouvons acquitter la dette exigible qu’avec un numéraire fictif . En est-il un meilleur que les assignats? En est-il un qui puisse leur être comparé? Voilà ce qu’il s’agit d’examiner. On demande que les assignats soient forcés, qu’ils ne portent point intérêts, qu’ils soient reçus exclusivement dans les acquisitions des biens nationaux, qu’ils se divisent en coupons jusqu’à la somme de 14 livres. Reprenons ces conditions par forme de question. PREMIÈRE QUESTION. Les assignats doivent-ils être forcés ? Tout ce qui porte la plus légère apparence de la contrainte, par cela seul rencontre des obstacles, sans examiner si cette contrainte est ou non salutaire, si elle est l’effet de l’homme ou de la loi. 11 s’agit ici d’une règle générale pour tous. Est-il un citoyen qui se trouve gêné dans sa confiance, parce que le gouvernement fixe le titre et la valeur des monnaies? Est-il un citoyen qui se trouve gêné dans sa confiance, parce qu’il est obligé de prendre un écu de trois livres pour soixante sols? Si les assignats ont toute la valeur de la monnaie réelle ; s’ils ont un gage certain, immuable ; s’ils représentent complètement des biens-fonds, seules et uniques sources de toute richesse ; si, en dernière analyse, ils viennent s’échanger contre ces biens, quel inconvénient peut-il y avoir à les rendre forcés? Par cette sage précaution, n’élude-t-on pas toutes les intrigues des malveillants qui réuniraient leurs efforts pour arrêter leur circulation? Leurs manœuvres, je le pense, n’auraient qu’un succès momentané ; mais ce n’est pas dans un temps de crise où le crédit est ébranlé, qu’on peut tenter une aussi périlleuse expérience. Ce n’est pas tout; il est une raison de justice pour rendre les assignats forcés, à laquelle jusqu'à présent ou n’a fait aucune réponse solide. Lorsque la nation déclare qu’elle veut acquitter sa dette, c’est qu’elle entend réellement l’acquitter. Si elle donne à ses créanciers des effets qu’ils ne puissent pas commercer, qui expirent entre leurs mains ou qui éprouvent une perte considérable, peut-on dire qu’elle paye véritablement ce qu’elle doit? Ce n’est plus qu’un jeu cruel dont les particuliers, qui ont eu l’aveugle confiance de lui prêter, sont les victimes; c'est une infraction à ses engagements ; c’est une violence qu’elle exerce envers ceux à qui elle doit. « A-t-on pesé (dit l’auteur des Observations sur les deux modes de ‘paiement) l’injustice qu’il y aurait à ce que la nation pût s’ordonner à elle-même de payer ses créanciers dans une monnaie avec laquelle elle leur défendrait de s’acquitter à leur tour, soit envers elle-même, soit envers les individus qui la composent; en sorte que la nation souffrirait que ses créanciers directs fussent poursuivis comme banqueroutiers, parce qu’ils auraient voulu payer à leur tour comme elle a cru pouvoir les payer? Gela ne répugne-t-il pas à toutes les idées d’humanité et de justice ? » En effet, un citoyen pourraitavoir 100, 000 livres de billets nationaux dans son portefeuille ; s’ils n’étaient pas forcés, ses créanciers dirigeraient des poursuites contre lui, saisiraient ses biens, sans qu’il pût, avec ce papier stérile, y mettre aucun obstacle, ni se libérer. S’il portait ses billets sur la place, il rencon-trerait une multitude d’effets royaux dont quelques-uns perdent jusqu’à 20, 30 0/0. L’abondance effrayante de ce papier-marchandise et la rareté des acheteurs ne ferait encore qu’en avilir le prix. Ainsi la nation, en échange de l’argent qu’elle a reçu, donnerait un papier dont on ne pourrait faire aucun usage, ou qui perdrait énormément ; ce serait le comble de l’injustice et de la mauvaise foi. DEUXIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils porter intérêt ? Il est facile de concevoir pourquoi l’assignat ne doit pas porter d’intérêt. C’est par la raison que les écus qui sont dans la circulation n’en portent pas : aussitôt que vous rendez l’assignat une monnaie, qu'il est reçu dans tous les échanges à ce titre, il doit en conserver tous les caractères. Si, lors de la première émission des assignats, vous avez consenti à leur attacher un intérêt, c’est que vous avez cru devoir donner un attrait puissant à un effet auquel les esprits n’étaient pas encore familiarisés, que les préjugés et l’ignorance pouvaient repousser ; mais en principe il est absurde qu’un assignat-monnaie porte intérêt. Il y aurait même, sous un rapport, une véritable injustice, car cet assignat ayant en lui-même la valeur de la monnaie, si vous y en ajoutez une autre, par cela même vous dépréciez la monnaie qui est en circulation, vous la faites perdre contre l’assignat. Aux principes de raison et d’équité se joint ici un grand motif d’utilité publique. Les assignats ne portant point intérêt, vous allégez le fardeau des impôts sous lequel le peuple est écrasé. Si vous remboursez 2 milliards, vous déchargez la nation de 100 millions de rente. Est-il une considération plus puissante, plus propre à toucher ceux qui s’occupent à soulager les malheurs d’une nation si longtemps opprimée ? Si les assignats portaient intérêt, on ne pourrait plus les regarder comme monnaie, et alors je ne verrais pas de raison pour que cet intérêt ne fût pas fixé sur le taux ordinaire et courant. Qu’arriverait-il alors ? C’est qu’une grande partie des biens nationaux ne serait pas vendue. Le porteur d'un assignat préférerait la jouissance tranquille d’un intérêt de 5 0/0 à la possession d’une terre [16 avril 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 81 dont le revenu ne lui produirait pas au delà de 3 1/2 ; revenu qui est même sujet à des vicissitudes, à des non-valeurs. • Ainsi, l’objet intéressant, l’objet essentiel que l’Assemblée se propose, pourrait échouer en attachant des intérêts aux assignats. Les biens nationaux, qu’il est si important de vendre et de vendre promptement, trouveraient un moins grand nombre d’acquéreurs. La gestion en serait très onéreuse à la nation et elle ferait un intérêt de 5 0/0, lorsqu’elle n’en retirerait peut-être pas 2 de ses fonds. TROISIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils être reçus exclusivement dans l'acquisition des biens nationaux ? Il est évident que cette mesure donnera une grande valeur aux assignats, les fera rechercher avec empressement, et rien sans doute n’est plus conforme aux vues de l’Assemblée. Mais cette prédilection est-elle juste, est-elle utile, est-elle conforme aux vrais principes? Ce point est délicat à résoudre. On peut dire, d’une part, que les fonds nationaux sont destinés spécialement à l’acquittement de la dette; qu’il en est d’un Etat pour ses engagements comme d’un particulier, lorsqu’il doit; que ses biens-fonds sont affectés à ses créanciers, appartiennent à ses créanciers; s’il ne peut pas les payer, ceux-ci ont le droit de faire saisir et vendre. Ainsi, dans le droit rigoureux, les créanciers de la nation auraient la faculté de s’emparer des biens qu’elle possède. S’il était possible que la nation divisât, subdivisât ses biens proportionnellement à ses créanciers, qu’elle en donnât à chaque créancier une portion égale à ce qui lui est dû, et que les créanciers f ussen t satisfaits de cet arrangemen t,fn ul citoyen ne pourrait raisonnablement se plaindre, parce que ces fonds seraient distribués exclusivement aux créanciers de l’Etat. Mais de ce que cette opération ne peut pas se faire d’une manière immédiate, de ce qu’elle serait même injuste, ainsi qu’on l’a démontré ; de ce qu’il faut employer un signe intermédiaire pour arriver, soit directement, soit après quelques circuits, aux ventes partielles, il n’en paraît pas moins naturel et raisonnable que ce signe ait cet emploi exclusif: c’est pour acquérir qu’il est particulièrement créé; on ne doit pas l’éloigner de sa destination ; c’est un véritable mandat sur la terre, qui peut bien servir à d’autres fonctions, mais qui doit remplir la plus essentielle de toutes, et s’éteindre, en finissant par se placer sur la terre. A cette raison, on peut en ajouter une autre. Si on admettait l’or et l’argent en concurrence, ne jetterait-on pas de la défiance sur le placement et le sort des assignats? Les porteurs ne pourraient-ils pas craindre qu’ils ne frappassent à faux, et qu’à la fin, il n’y eût plus de terres à vendre, lorsqu’il resterait encore des assignats dans la circulation? Avec l’or et l’argent provenant du prix des acquisitions, il est vrai qu’on pourrait retirer une quantité proportionnelle d’assignats qu’on anéantirait. Mais quelque assurance que l’on puisse donner sur l’exactitude et la fidélité de cette opération, rassurrerait-on pleinement les porteurs d’assignats? ne resterait-il pas toujours des doutes fâcheux? On craindrait peut-être que des circons-1” Série. T. XIII. tances impérieuses ne détournassent l’argent; qu’on ne mît de la négligence, pour ne rien dire de plus, à retirer les assignats de la circulation en substituant du numéraire à leur place. Ces inquiétudes nuiraient au succès de l’entreprise. L’exclusion donnée à l’or et à l’argent dans les acquisitions n’empêcheraient pas les biens na� tionaux d’être vendus à leur juste valeur, parce que les écus iraient alors à la rencontre des assignats ; ceux qui auraient envie d’acquérir les échangeraient contre des assignats, ce qui produirait le double effet de faire rechercher les assignats et de faire sortir l’argent que la crainte, et peut-être des manœuvres secrètes, resserrent aujourd’hui. On peut dire, d’une autre part, qu’il est contre les principes de gêner les citoyens sur la manière de payer les biens; de les mettre dans l’impossibilité d’acquérir avec la monnaie ordinaire, de les forcer à acheter des assignats ; qu’ils ne seront pas tous à portée de s’en procurer avec facilité, ce qui empêchera une partie des ventes, ce qui au moins apportera beaucoup d’entraves ; que si la caisse destinée au versement des fonds peut une fois être suspecte de négligence et d’infidélité pour retirer les assignats de la circulation avec l’or et l’argent qui y seraient déposés, on ne peut pas se fier davantage à elle pour l’extinction des assignats qui y entreraient ; qu’il faut bannir toute injuste défiance ; que l’essentiel est de bien organiser cette caisse et de la mettre hors la main du ministère. J’avoue que je suis très balancéentre cesraisons et plusieurs autres qu’on peut opposerde l’un et de l’autre côté; et ce n’est pas avec une volonté bien déterminée que j’incline pour admettre exclusivement les assignats dans l’acquisition des biens nationaux. QUATRIÈME QUESTION. Les assignats doivent-ils être divisés en petites sommes jusqu’à 24 livres ? S’il est un vice qui se soit fait vivement sentir dans les assignats, mis en émission jusqu’à cejour, c’est qu’ils représentent des sommes trop considérables, et qu’ils ne se prêtent pas dès lors à une facile et fréquente circulation. — Ils deviennent nuis pour les besoins journaliers delà vie et pour tousies objets de détail; ils deviennent nuis pour toutes les opérations partielles du commerce. — Ils deviennent tantôt une raison, tantôt un prétexte pour arrêter le cours des affaires. Le débiteur d’une petite somme renvoie sans cesse son créancier qui est dans le besoin, en lui offrant ces assignats dont la valeur est de beaucoup supérieure à la dette. Avec de forts assignats, les appoints deviennent très difficiles, et nous avons à cet égard une expérience suffisante pour nous éclairer. fies assignats de 50, de 36, de 24 livres, entreraient aisément dans toute les transactions, dans tous les échanges; ils donneraient une très grande activité à la circulation ; ils vivifieraient l’agriculture, le commerce, les arts. Je pense qu’on pourrait, sans inconvénient, créer pour deux cents millions de ces assignats Ou m’objectera, je le sais, que le numéraire disparaîtra aussitôt que les citoyens pourront traiter entre eux sans cet intermédiaire. Rien ne peut faire disparaître le numéraire que la crainte et les alarmes. Ce ne sont ni les petits, ni les gros assignats qui, dans les temps de calme 6 82 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1790.1 et de confiance, produiront cet effet; mais, toutes choses égales, les assignats à fortes sommes feraient plutôt cacher l’argent. Il ne faut pour s’en convaincre que considérer ce qui arrive aujourd’hui où il n’en existe pas encore une très grande uantité. Que serait-ce, si nous en avions pour eux milliards en émission ? Celui qui n’aurait entre les mains que des assignats de 1000 livres, de 300 livres, de 200 livres, voudrait nécessairement s’en servir, et ilintercep-terait le cours des opérations habituelles et de détail, qui sont les plus nombreuses et les plus pressantes. Si nous n’avions pour seule monnaie que des louis, quelles difficultés nombreuses, insurmontables, les citoyens n’éprouveraient-ils pas à chaque instant dans les achats minutieux de toutes les choses nécessaires à la vie, et en général pour régler entre eux leurs affaires. Il en doit être de la monnaie fictive comme de la monnaie réelle ; il faut la subdiviser, si on veut qu’elle soit commode et utile. L’argent sortira, quand l’ordre régnera, quand la confiance sera rétablie; ce ne seront point alors les petits assignats qui l’empêcheront de se montrer. Les citoyens se lassent d’enfouir dans leurs coffres des trésors stériles, et leur intérêt plus puissant que toutes les lois, les force invinciblement à s’en servir. On m’objectera encore que ce sera l’homme pauvre, l’ouvrier, qui éprouvera de l’embarras des assignats à petite somme, parce qu’on le payera avec cette monnaie. Je réponds que, sans ces assignats, le pauvre serait au comble du malheur, parce que la circulation étant arrêtée, il ne trouverait pas à s’occuper; le commerce, les manufactures, tous les arts étant dans un état de stagnation, il n’aurait aucun débouché pour gagner sa vie. Je réponds que la classe immense des hommes de peine, des journaliers et des petits artisans qu’on paieau jour le jour, et au plus tard à la fin d’une semaine, ne recevront pas d’assignats, parce qu’ils ne gagnent pas, en aussi peu de temps, une aussi forte somme. Je réponds que celui qui aura reçu un assignat de 24 livres en paiement, le donnera en retour avec la même facilité. Je termine enfin par un exemple qui réfute avec avantage tout ce qu’on peut dire sur les petits assignats; c’est que, dans plusieurs pays, il existe des billets de banque de sommes très faibles, et on ne s’aperçoit pas qu’ils nuisent, ni à la circulation, ni à la prospérité publique, niàla prospérité individuelle (1). 11 est vrai que les billets de banque peuvent se réaliser à l’instant en argent; mais c’est ce qui pourrait également se pratiquer pour les assignats de 24 livres. Dans le chef-lieu de chaque département et autres villes importantes, on établirait des caisses pour changer ces assignats contre des écus. L’homme qui a développé le système des assignats avec tant de sagacité, de profondeur et de persévérance, qu’il peut en être regardé comme le créateur, M. Glavière, a pris l’engagement de donner des moyens simples et faciles d’organiser ces caisses et nous atten-(1) En Ecosse, il-y a ou et il circule encore dos billets de 6 livres de notre monnaie. En Suède, il m existe de la même forme. A New-York, il y en a de 18 sols. dons avec impatience qu’il remplisse cette promesse (1). Il nous reste maintenant à répondre aux objections principales qui ont été faites, non pas sur les assignats en eux-mêmes, mais sur leur trop grande émission. On a dit, on imprime et on répète en tout lieu que cette opération renouvelle le système de Law; que la France va être inondée de billets qui feront la ruine des citoyens et renverseront une multitude de fortunes, Cette idée propre à remuer les imaginations faibles, à frapper les hommes irréfléchis, ' est véritablement absurde ; un mot suffit pour le prouver. Il n’y a aucun parallèle à établir entre les assignats et les billets de Law; tous les efforts qu’ou fait plusieurs écrivains à cet égard n’ont fait que déceler leur impuissance. Une seule circonstance détruit toutes les comparaisons qu’on pourrait être tenté de faire, c’est que les billets de Law étaient hypothéqués sur des chimères, sur des prestiges séduisants, ou, pour mieux dire, sur rien; c’était une monnaie de papier mise en circulation à l’aide d’actions de commerce ; au lieu que les assignats reposent sur des propriétés solides, immuables, que chacun connaît, a sous les yeux, et qu’il est le maître d’acquérir : c’est-à-dire que le système de Law n’avait point de base, et que le système des assignats a la base la plus sûre, la seule vraie, la seule invariable...., la terre. Je n’en dirai pas davantage, et je passe à d’autres difficultés. Le grand nombre des assignats effraie ; on craint une commotion trop subite et trop violente; le renchérissement des denrées, le renchérissement de la main-d’œuvre, par contre-coup la ruine des manufactures, du commerce, des propriétaires même : examinons si ces maux sont à craindre. J'observe d’abord, et c’est une vérité reconnue, que la France n’a pas assez de numéraire ; que c’est principalement à cette cause qu'on doit attribuer les faibles progrès de son agriculture, de son commerce et de son industrie; nous avons des ressources immenses, et il nous manque de quoi les développer. L’Angleterre, qui ne peut être comparée à ]a France ni pour l’étendue du sol, ni pour la population, a, outre son numéraire réel, pour cinq milliards à peu près de billets de diverses banques et de i’éebiquier ; et l’Augieterre est riche ; sa culture est excellente; son commerce s’étend dans toutes les parties du monde; son industrie surpasse celle de toutes les nations et le peuple vit dans l’aisance. Comment un numéraire fictif de deux milliards oceasionuerait-il tant de désordres dans la France, lorsqu’un numéraire fictif, beaucoup plus considérable, produit tant de prospérité en Angleterre ? Si, dans les temps ordinaires et calmes, le numéraire est rare en France, il l’est bien davantage encore dans ces moments de troubles et d’orages, et c’est à cette époque que l’on paraît redouter l’abondance des sigues circulants et des moyens d’échange! Je suis d’une opinion bien opposée, car je peuse querieu ne peut être plus salutaire qu’une grande émission d’assignats. Je pense que cette (ls Nous ignorions lors de la prononciation de ce dis-tours, qu’il eût publié ses moyens d’organisation. Lyon -et Bordeaux ont établi des caisses pratiques pour échanger les assignats contre des écus. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (16 avril 1790.] g3 émission seule peut rouvrir les sources de la prospérité publique qui se tansent de jour en jour, etdonuer une nouvelle vie au corps social. Plus les espèces sont abondantes, plus l’intérêt baisse, plus l’agriculture et le commerce fleurissent, plus le propriétaire et le négociant s’enrichissent, plus la classe indigente est occupée, plus la société entière prospère. — Par quelle fatalité cet ordre invariable varierait-il pour nous si nous mettions de nouveaux signes en circulation? La secousse serait trop brusque, dit-on. Remarquez d’abord, qu’il ne serait ni prudent, ni même possible de jeter au même instant pour deux milliards d’assignats dans la circulation. L’émission sera nécessairement successive, ne le fût-elle que par le temps même de la fabrication. Remarquez ensuite, et cette observation est digne de votre attention , que l’effet de cette secousse ést tempéré et rendu presque insensible par le débouché naturel des acquisitions des biens nationaux. Là est la destination, là est l’emploi des assignats, là, après des détours plus ou moins longs, ils disparaissent (1). Remarquez que, par la nature impérieuse des choses, émis successivement, ils ne s’anéantiront pas non plus tout à coup, car ce serait là une véritable calamité. De même, comme je l’espère, un nouveau signe monétaire les remplacera, et dans une proportion au moins aussi grande, Oui, Messieurs, car si la France s’élève au degré de prospérité et de grandeur où elle doit naturellement atteindre, il est impossible qu’elle reste dans une semblable pénurie de numéraire, et croyez qu’il importe peu que ce numéraire soit de métal pu de papier, lorsque la loi, la convention, la confiance et la solidité en auront déterminé l’usage et la valeur. Les lettres de change ne sont-elles pas un véritable signe qui fait fonction de monnaie dans le commerce? Elles se reçoivent sans peine, sans embarras, sans défiance, et cependant la lettre de change souscrite par Je négociant le plus honnête et même le pjus riche, n’est pas aussi assurée, ne présente pas la même certitude que les assignats; parce qu’enfin des circonstances malheureuses, des événements imprévus peuvent détruire la fortune de ce négociant, fortune presque toujours mobilière, fortune de portefeuille, tandis que la terre ne change pas, ne s’anéantit pas, et offre un gage sans cesse en évidence. Je suppose qu'une grande quantité d’assignats fit hausser les denrées et par suite la main-d’œuvre. Cette hausse, effet naturel de l’aisance n’aura pas lieu subitement, nous en avons donné la raison; elle ne sera pas non plus aussi considérable qu’on affecte de le craindre. — Mais enfin le numéraire augmentera dans la même proportion, et l’équilibre s’établira naturellement. Le manufacturier, le négociant, l’agriculteur trouveront de l’argent à plus bas prix; ils n’en gagneront pas moins : je dis même que leurs produits seront plus multipliés et plus avantageux. Qu’importe de payer double, lorsqu’on a le double de numéraire? C’est toujours la masse du numéraire qui règle le prix de toutes choses; si cette masse augmente, le prix hausse, et dans une juste progres-(1) J’espère qu’alors on sentira la nécessité et les avantages nombreux du beau projet de M. Ferrière sur l’établissement des caisses territoriales ; projet que j’ai développé dans cette Assemblée et qu’elle a renvoyé à l’examen de ses comités de finances et de commerce. sion. Aujourd’hui que l’argent est plus commua qu’il y a deux siècles, ne donnons-nous nas plus d’argent qu’on en donnait alors pour la même quantité de marchandise? En Hollande, en Angleterre, où le numéraire est proportionnellement beaucoup plus considérable qu’en France, où toutes les denrées se vendent plus cher, où la main-d’œuvre est plus chère, le manufacturier et le négociant y font-ils mal leurs affaires et le peuple y esl-il malheureux ? Qu’on cesse donc de nous inspirer de fausses terreurs, de nous épouvanter par des prédictions sinistres. Examinons de sang-froid, pesons avec sagesse les raisons pour et contre les assignats; et je ne doute pas qu’on se décide en leur faveur. Si M. le ministre des finances eût suivi cette marche; si en parlant des assignats, qu’il n’a fondés que sur des spéculations sombres et de fausses hypothèses, il en eût examiné en même temps les avantages; si surtout il n’eût jamais perdu de vue que les assignats étant dans un des plateaux de la balance, les biens-fonds sont dans l’autre, qu’il y a dès lors équilibre, ce qui éloigne toute idée de désordre, de renversement, de destruction; il se serait épargné des déclamations aussi inutiles que dangereuses et des contradictions manifestes. Quant à ce qu’il appelle l’immoralité de l’opération, nous ne trouvons rien de plus moral que de payer ses dettes, de les payer d'une manière réelle, effective. Au reste, nous attendons avec empressement qu’il nous indique un mode et meilleur et plus sûr et plus moral. Savez-vous pour qui les assignats sont à craindre ? Pour les banquiers, pour les agioteurs, parce que rien ne fait tomber l’agiotage comme l’abondance de l’argent; parce que n’y ayant plus qu’un seul signe dans la circulation, lorsque ce signe aura fait disparaître cette multitude de contrats divers qui servent d’aliments au jeu le plus scandaleux, que deviendront alors toutes ces spéculations coupables , tous ces moyens infâmes de s’enrichir des dépouilles d’un grand nombre de dupes et de victimes ? Savez-vous pour qui ces assignats sont à craindre ? Pour un ministre des finances. Eh pourquoi? C’est que si les dettes étaient acquittées, si le régime de l’impôt était bon, si la comptabilité était claire et simple , alors un ministre des finances n’est plus un bomme aussi important; il ne peut plus éblouir le vulgaire par l’appareil d’une fausse science et d’une prétendue habileté, ce n’est plus qu’un chef de bureau, et je l’espère, nous en viendrons à ce point-là où le ministre se croira enfin comptable, subordonné et le commis de la nation. Savez-vous pour qui les assignats sont à désirer? — Pour toutes les classes utiles et laborieuses de la société qui trouveront, dans un accroissement de numéraire, les ressources les plus précieuses à l’industrie et de nouveaux moyens de prospérité. Savez-vous pour qui les assignats sont à désirer? — Pour ceux qui veulent, qui aiment sincèrement la constitution non seulement parce que tous les acquéreurs des biens nationaux deviendront nécessairement les apôtres et les défenseurs de cette constitution, mais parce qu’ils sentent que le désordre affreux qui règne dans les finances ne peut disparaître que par une mesure grande, ferme et vigoureuse; que les petits moyens , les palliatifs dans la crise violente où nous sommes , ne feront que prolonger le mal, 84 lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 avril 1790.] fatiguer, épuiser la nation, et amener enfin la plus terrible catastrophe. Or, cette mesure grande, ferme et vigoureuse, est celle des assignats. Et remarquez en même temps combien elle est simple, combien elle est à portée de tous les esprits; peut-être même est-ce son extrême simplicité qui lui enlève un grand nombre de partisans. Je ne sais pourquoi, mais en tout, les idées simples sont celles que les hommes adoptent les dernières, et avec le plus de difficulté. On pourra trouver sans doute quelques inconvénients dans le système des assignats, parce qu’il n’est aucun système humain qui en soit exempt ; mais, certes, il n’en est point qui présente d’aussi immenses avantages, et je ne crains pas de le dire, il est le seul qui puisse sauver la chose publique. — J’adopte donc le projet de M. de Mirabeau , et je me réserve d’y faire quelques amendements. M. de Talleyrand, évêque d’Autun , monte à la tribune pour continuer la discussion. Un grand nombre de membres demandent que la discussion soit fermée et qu’on aille aux voix. M. Charles de Lameth. 11 y a quatre questions à résoudre : la première, s’il y aura des assignats; la deuxième, s’ils seront forcés dans la circulation ; la troisième , quelle sera la mesure des intérêts; la quatrième, à quelle somme on portera les assignats. Je demande que la discussion soit fermée sur l’ensemble seulement et qu’ensuite elle ne soit close que successivement sur chacune des questions. M. Boutteville-Dumetz. Je propose de fermer la discussion sur les deux questions suivantes qui ont été complètement débattues : les assignats auront-ils un cours libre ou forcé? les assignats porteront-ils intérêt ou non ? M. le baron d’Allarde. La discussion n’a commencé qu’hier, en réalité; la question est assez importante pour qu’elle dure trois jours. M. le comte de Croix. Avant de fermer la discussion, je prie le comité des finances de nous faire connaître l’opinion du premier ministre des finances. M. Démeunier. On peut fermer la discussion sur la totalité du plan, sans l’interdire sur chaque article en particulier. Quant à la question faite par M. de Croix, nous savons que le premier ministre des finances espère le salut de la chose publique de la création des assignats. Ceci me donne l’occasion de répondre à M. de Cazalès que les inconvénients du papier-monnaie ont été débattus, mais qu’il ne s’agit pas de papier-monnaie, mais seulement d’assignats, de délégations assurées et fixes sur des biens existants, désignés, très supérieurs en valeur aux assignats à émettre. L'Assemblée, consultée, décide que la discussion est fermée sur le fond. L’article lor est lu. M. le marquis de Lancosne. Je propose d’introduire dans cet article une disposition pour que les porteurs de contrats sur le clergé soient payés concurremment avec les porteurs d’assignats et que les intérêts des créanciers du clergé soient payés dans les provinces. M. l'abbé Breuvard. Je demandeque les dettes contractées parles curés delà province de Flandre pour reconstructions de presbytères soient à la charge de. la nation comme les autres dettes du clergé. M. Anson, rapporteur. Il n’existe plus que des domaines nationaux; il n’y a plus de domaines de la couronne, ou de domaines ecclésiastiques. Lorsque la nation réserve sur deux milliards quinze à seize cents millions pourservirles deux cents millions des dettes du clergé, on ne fait aucun tort à ses créanciers : les admettre à exercer un privilège sur les premières ventes, ce serait perdre l’eflet des assignats et susciter des moyens d’embarras, sans aucune utilité pour ceux qui les feraient naître. M. le marquis d’Estourmel. L’amendement dç M. Breuvard est de toute justice. Je l’appuie en demandant qu’il soit étendu au clergé des provinces belgiques. M. Merlin. L’amendement est sans objet, parce que les dispositions de l’article 1er comprend, sous le nom générique de clergé, non seulement le clergé de France, mais encore le clergé d’Alsace, des provinces belgiques et de toutes les provinces de l’Empire. M. Martineau. Il faut renoncer au salut de l’Etat ourejetertous les amendements. On propose de donner un privilège aux créanciers du clergé; mais a-t-on fait attention que si toutes les dettes générales ou particulières sont mises à un rang privilégié, il ne sera pas vendu un arpent de terre qu’il ne survienne une infinité d’oppositions. On propose de rembourser les contrats du clergé; mais la nation doit rembourser premièrement les dettes les plus onéreuses, celles qui coûtent 6 ou 7 0/0 et non celles qui n’en coûtent que quatre. Voici la grande différence entre les créanciers du clergé et ceux des particuliers. Je demande si le clergé, dans l’état ancien, eût vendu une propriété quelconque ; je demande, dis-je, si en ce cas le porteur du contrat eût pu demander son remboursement? On conviendra que non. Il en est de même aujourd’hui des ventes partielles que fera la nation et on doit décider de même, surtout parce qu’après les assignats il restera huit fois plus de biens qu’il n’en faut pour les dettes du clergé. M. Treilhard.L’amendementque je viensvous proposer ne doit entraver en aucune façon la circulation des assignats. Voici en quels termes il est conçu : « Il sera délivré à ceux qui justifieront avoir légalement con tracté avec le clergé, des biens ecclésiastiques jusqu’à concurrence de leurs capitaux si les créanciers le désirent. « En conséquence les quatre cents millions de biens ecclésiastiques qui doivent être aliénés en exécution des décrets des 2 novembre et 17 mars derniers seront affranchis et libérés de toutes hypothèques et privilèges envers lesdits créanciers au clergé. » M. Roederer. Cet amendement, s’il était adopté, ferait perdre tout le fruit de l’opération actuelle. M. Fréteau. Afin de rendre l’amendement de