[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 avril 1791.] 171 bientôt ce précieux numéraire avili et sans valeur. Je ne m’arrête pas aux difficultés invincibles pour le commerce et la banque, qui exigent ordinairement dans la circulation des fonds une expédition prompte et rapide, d’user du moyen proposé, et de faire, au moment du départ du courrier, timbrer de suspension, enresistrer et endosser des parties considérables d’assignats; je ne m’arrête pas à l’inconvénient plus grave encore pour celui à qui ils sont expédiés et qui doit payer à réception, d’être forcé de perdre un temps précieux à son crédit et à ses engagements, pour faire timbrer de circulation; et c’est en faveur des négociants qui se sont tant récriés sur l’emharras du timbre des lettres de change venant de l'étranger, qu’on propose un pareil moyen. Je ne serais pas entré, Messieurs, dans de si grands détails, pour vous faire rejeter un plan que vous avez jugé vous-mêmes au premier aperçu, s’il n’était pas enfin nécessaire d’éclairer nos concitoyens par la publicité, sur tous ces projets chimériques dont on berce leurs inquiétudes, en excitant, en exagérant de vaines et dangereuses appréhensions, pour altérer la forme unique, simple, mais inimitable des assignats, qualité si nécessaire à leur usage comme monnaie. Que serait en effet, dans une grande opération nationale, cette faculté, cette action sur la monnaie de l’Etat, qui serait imprudemment accordée à un privilégié et à ses 2 ou 3,000 agents inconnus, répandus dans les villes, bourgs et villages, de suspendre et de rétablir la valeur des assignats ; de les anéantir un moment, et de les recréer ensuite, pour leur donner, selon l’inventeur, une nouvelle existence? Non, Messieurs, vous vous opposerez à tout projet, à toute innovation qui attenterait ainsi aux bases sacrées, aux principes qui ont été établis par la loi sur cette monnaie précieuse; vous vous opposerez surtout constamment à tout moyen qui diminuerait, changerait, ajouterait la moindre chose au corps et aux formes de l’assignat. Il doit rester invariablement tel qu’il a été décrété, sans addition d’aucune empreinte, endossement, prolongement, timbre, et aussi sans retranchement d’aucune de ses parties. L’assignat a son titre de fin, son vrai poids, qui est connu de tous les citoyens, qui ne souffre aucun remède, aucun alliage, aucun poinçon de vérification. Les assignats ont, comme les espèces, leur valeur courante, réelle, légale, nationale, que rien ne doit suspendre ou changer, accréditer ou faire suspecter. Que le commerce prenne donc toutes les mesures, étrangères à la forme et à la nature intrinsèque de l’assignat, qui pourront, comme pour les espèces d’or et d’argent, en assurer le transport. Est-il donc si difficile, aux négociants et banquiers des principales villes, de diminuer considérablement les envois effectifs et en nature, par des virements de place en place, et en facilitant, sous un léger bénéfice et par des mandats sur leurs correspondants, les remises d’assignats? Alors les envois en nature seraient plus rares, et n’auraient lieu que lorsqu’il faudrait rétablir entre les villes la balance du numéraire; alors on ne verrait pas si souvent les assignats se croiser sur les routes entre deux villes qui se payent à la fois; on ne verrait pas les assignats envoyés en nature dans une place où l’abondance de ce numéraire fait rechercher les occasions de retour. J’aurais pu, Messieurs, relever bien d’autres inconvénients dans le projet dont je viens de vous faire le rapport; mais j’ai pensé que ce que je vous en ai dit suffirait pour le faire rejeter ; cependant il me reste à vous faire observer que plusieurs bons esprits, même dans l’Assemblée nationale, qui n’ont pu s’occuper assez des principes sur la nature et la circulation des assignats, se laissent prévenir par l’utilité apparente de tous ces moyens prétendus de sûreté qui leur sont offerts; il me paraît nécessaire de détruire ces erreurs, de prévenir même celles que de nouveaux projets pourraient produire; et le moyen d’y parvenir, c’est de publier les principes qui vous ont dirigés. Je demande donc que vous arrêtiez aujourd’hui que le rapport sur les endossements, que je vous ai fait le 13 décembre passé et celui que je viens de vous lire, où j’ai renfermé une partie des lumières que vous m’avez communiquées, seront remis à l’imprimeur de l’Assemblée nationale, pour être incessamment imprimés et distribués à tous ses membres (1) ; cette publicité devenue nécessaire, vous garantira de ces assauts multipliés des prétendus inventeurs, elle vous dispensera d’employer un temps précieux pour la Constitution, à porter ces discussions à la tribune, et peut-être elle instruira davantage, sur cette matière, ceux à qui elle n’est pas assez connue. Si vous approuvez, Messieurs, ce rapport, je vous prie d’en ordonner la transcription sur vos registres, et d’arrêter que copie en sera remise au comité des finances, qui vous a fait déférer le projet des timbres par M. de La Blache. (. Approuvé et arrêté par les commissaires de l’Assemblée nationale , pour les assignats. A Paris, le 17 avril 1791.) DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU DIMANCHE 17 AVRIL 1791. Rapport fait le 13 décembre 1790 à la commission des assignats par M. Périsse-Duluc sur cette question ; « L’ Assemblée nationale doit-elle ordonner, par un décret, que les assignats circuleront par la voie des endossements'! Messieurs, si vous voulez vous prononcer sur ce sujet bien plus important qu’il ne le paraît au premier coup d’œil, il est nécessaire de le considérer sous toutes ses faces, relativement à la nature des assignats et aux droits respectifs des citoyens. Il faut considérer l’usage de cette monnaie nationale dans le commerce, la correspondance et les besoins de la vie, sa circulation générale et locale dans toutes les classes et sur toute la surface du royaume, et ne pas trop s’arrêter aux inconvénients qu'on veut prévenir, si les moyens qui sont présentés pour y remédier doivent exposer aux plus grands dangers cette opération salutaire, et si leur effet certain doit être d’intercepter, de suspendre cette circulation de la vie politique actuelle de la France. Pour juger avec précision ce projet de loi, il faut connaître les motifs qui l’on fait concevoir, et chercher si le but qu’on se propose pourrait être rempli, sans manquer à la justice envers le (1) Voyez ci-après, deuxième annexe, ce rapport. 172 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 avril 1791.] plu» grand nombre, pour favoriser quelques individus et sans porter l'inquiétude dans toutes les classes de citoyens qui sont obligés de faire usage des assignats-monnaie. On veut préserver les négociants des suites du vol des assignats et leur conserver en ce cas leur droit de propriété, en leur attribuant tacitement la faculté d’opposition à la caisse de l’extraordinaire, et celle de saisie et interception dans la circulation des assignats volés. On veut bien leur ménager des garanties et un recours en cas de réception d’assignats contrefaits. Mais ces deux dangers, dont on voudrait les garantir, ne sont-ils pas inhérents à tout papier faisant les fonctions île monnaie? Ne le sont-ils pas à la monnaie elle-même, aux espèces d’or et d’argent? Car, selon le proverbe populaire : Les ôcus n'ont point de maître; c’est par cela même, qu’ils ont la propriété de monnaie et de circulation libre. Les décrets de l’Assemblée nationale ayant établi si sagement une parfaite identité entre les assignats et la monnaie, est-il possible, est-il convenable, pour écarter des craintes et des dangers particuliers, qui sont communs à toute espece de monnaie, d’admettre aujourd’hui une disposition qui en détruirait la principale propriété? Et doit-on décréter, pour les assignats, une forme incompatible avec leur qualité essentielle de monnaie courante, pour les convertir en simples billets à ordre? Car les dénominations ne changent pas la nature des choses; et il est certain que la loi qui prescrirait la nécessité de l’endossement des assignais rétablirait réellement pour eux toutes les suites et tous les droits qui appartiennent aux effets à ordre; c’est même dans cette unique vue qu’elle est sollicitée. C’est assurément un très grand mal, qu’à cause de leur peu de volume, on puisse voler de fortes sommes en assignats, soit dans les portefeuilles, soit dans les malles des postes, soit sur les messageries. Ce serait un bien plus grand mal encore, que l’on pùt facilement les contrefaire, et mettre de faux assignats en circulation; malgré cela nous ne voyons pas qu’on puisse adopter, contre ces deux inconvénients, d’autres précautions qu’une extrême vigilance. Cour la première émission de 400 millions d’assignats, l’Assemblée nationale n’ordonna pas l’endossement : elle n’en lit pas une loi. Le décret du 1er juin 1790, après avoir prononcé qu’il y aura un tireur et un endosseur d’office, nomme par le roi, se borne à laisser à tout autre, la faculté libre d’endosser ou non, en cas d’envoi par la poste. Et cependant le rapporteur qui proposa cette mesure, à la sollicitation de quelques négociants, ladésapprouvait bamemeut lui-même, comme inutile; et nousprouverons bientôt qu’elle l’était, parce qu’elle ne pouvait produire aucun droit: nous prouverons que, par cela même, elle n’était pas digue des législateurs, parce qu’elle fait illusion aux cessionnaires, en dirigeant leur confiance sur une fausse base. Nous dirons qu’il ne fallait point de loi pour donner aux contractants la faculté de certifier au dos des assignats dont ils étaient propriétaires, le iransport qu’ils s’en faisaient les uns aux autres, puisque cette faculté, n’étant pas prohibée pour les assignats, appartient aux porteurs comme à tous autres propriétaires de litres de créance. Nous dirons que, si le décret du 1er juin eût prononcé la loi expresse de lu transmission des assignats par endossements successifs, ceite loi les eût frappés de mort en les créant; qu’elle les aurait dépouillés de leur qualité de monnaie, dont cependant elle leur attribuait les fonctions; et que cette graudeopération de la régénération de nosflnances eût été complètement manquée. Nous avons donc à démontrer : 1° que si la loi des endossements, qu'on sollicite avec tant d’instances, devait produire des droits de suites contre les endosseurs et les porteurs, elle anéantirait rapidement ia circulation des assignats comme monnaie ; qu’alors cette salutaire opération serait perdue sans ressource et entraînerait avec elle les finances et la Constitution ; 2° que si cela ne devait produire aucun droit, ainsi que la loi du 1er juin, non seulement elle serait inutile et on ne ia solliciterait pas, mais qu'elle compromettrait, par une forme illusoire et par son inutilité même, la justice et la dignité de l’Assemblée nationale. Les fonctions ordinaires des monnaies sont de terminer les achats et les ventes, de payer les créanciers, d’acquitter et libérer les débiteurs, soit par la simple transmission des espèces d’une main dans l’autre, soit que cette transmission doive être appuyée de conventions ou contrats quittancés ; mais jamais le débiteur, qui s’est une fois acquitté, ne peut être recherché à raison de la monnaie qu’il a remise eu payement lorsqu’une fois elle a été délivrée et reçue; alors l’affaire est terminée, le débiteur est franc et quitte. Tel le est la propriété essentiel le des monnaies, et personne, je pense, ne pourra le contester. Voyons à présent, si par la loi des endossements successifs qui donneraient un droit quelconque de garantie coutre les endosseurs, ou de saisie dans les mains des porteurs, cette propriété essentielle ne serait pas absolument détruite dans les assignats-monnaie, et s’ils pourraient eu conserver les effets dans la circulation générale. Nous disons circulation générale; car lorsqu’on discute ce qui intéresse celte grande circulation des assignats qui doit couvrir la force entière du royaume et pénétrer même dans les campagnes les plus reculées, il faut sortir un peu du cercle des banquiers et drs négociants, qui, par la connaissance qu’ils ont de leurs signatures respectives et par leur correspondance mutuelle, peuvent être informés à temps des vols d’assignats et de leurs numéros et trouver, dans certains endossements qui leur sout bien connus, de quoi appuyer leur confiance, lorsque leur cédant leur est etranger ou suspect. Mais est-ce seulement pour circuler parmi les banquiers et les riches négociants que les assignats-monnaie ont été décrétés? Ne l’ont-ils pas été pour les citoyens de toutes les classes, riches ou pauvres, qui ont à payer et à recevoir, à vendre et à acheter? Ne l’ont-ils pas été pour avoir cours, comme la monnaie, dans les foires et les marchés publics, dans les boutiques eu détail, dans les manufactures et parmi les ouvriers, enfin dans les conventions fortuites, même entre inconnus et gens illettrés, qui ne savent ni lire ui signer ? Sans cela ils ne seraient point une monnaie, ils rentreraient dans la classe des effets de portefeuille, et nous pouvons dire qu’alors une somme de moins de 100 millions de ces assignats serait déjà trop considérable pour qu’ils puissent se soutenir en crédit. Si cette forme, si contraire aux fonctions ordinaires de la monnaie, pouvait être décrétée, que feraient ceux qui ne sout pas favorisés de la fortune et qui, forcés de recevoir des assignats en payement de leurs salaires ou de la main-d’œuvre, ne pourraient, voulant acheter ou payer, les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 avril 1791.] 173 faire recevoir sous leur endossement, par le peu d’importance de leur signature et deleur garantie? Vous direz que, dans ce cas, on aura égard aux endossements précédents; c’est-à-dire que vous y aurez égard, si les signatures vous en sont connues et non autrement. Et celte circonstance môme sera si fréquente, que toute circulation des assignats, comme monnaie, dans le commerce inférieur, dans les foires et les marchés, sera bientôt repoussée et anéantie; car les assignats ne pourront plus être une monnaie, si tout citoyen, quelle que soit sa fortune, inconnu, étranger, insolvable même, ne peut pas, sans formalité préalable ou sans caution, donner des assignats en payement, sous prétexte que sa signature est insuffisante pour garantir la légimité des signatures précédentes. Tous ces citoyens, assujettis par la loi, à recevoir des assignats en payement, quels moyens auront-ils pour reconnaître si ces assignats ont été volés, et s’ils ne leur sont pas transmis à la suite d’un faux endossement? Et dans ce cas, que feront-ils pour se garantir du recours? Mettront-ils leur confiance aux signa1 ures des endosseurs qui les ont précédés? Ils n’en connaissent aucun. La placeront-ils sur leur cédant? Mais, pour l’ordinaire, il leur est inconnu, il est étranger, ou il leur serait un mauvais garant; et cependant chacun veut que le payement qui lui est fait soit définitif et sans retour; chacun veut aussi pouvoir s’acquitter definitivement et sans craindre aucun recours, avec la même monnaie nationale qu’il a reçue. Et qui pourra calmer leurs inquiétudes, si, avec la possibilité ou la crainte d’un faux endossement, ils ne trouvent, dans les endossements les plus rapprochés, aucun recours valide ou à leur portée, et s’ils peuvent être exposés à voir saisir ces assignats dans leurs mains, ou a soutenir des procès pour en conserver la propriété? Dira-t-on qu’on ne doit pas recevoir des assignats de personnes inconnues ou trop peu fortunées pour les garantir? Dans ce cas, les assignais avec endossement légal ne sont plus une monnaie, puisque les inconnus et les pauvres ne peuvent pas s’en servir pour acheter ou payer. Ils ne sont plus une monnaie; car lorsqu’on me paye avec des espèces, je n’ai qu’une seule chose à voir : sont-elles fausses ou non? Et si je les trouve bonnes, peu m’importe quel est celui qui me les a données, ou celui de qui il les tient : Elles étaient bonnes et recevables par elles-mêmes ; je les ai reçues : nous sommes quittes ; et comme lui, je pense, sans craindre aucune recherche, les employer pour acheter ou m’acquitter. Si, pour recevoir des assignats de personnes inconnues ou incapables de garantie et ne pas courir les risques d’en perdre la valeur, les citoyens de toutes les classes doivent non seulement s’assurer, comme ils le font, îles espèces monnayées, que les assignats ne sont pas contrefaits, mais encore que dans la suite des endossements il ne s’en trouve aucun de faux; si tous ceux qui auront donné ou reçu des assignats doivent, pendant toute la durée et jusqu’à l’extinction de ce papier, tester exposés à des recours en remboursement, sans pouvoir, jusque-là, se regarder comme libérés des affaires qu’ils auront terminées avec des assignats, ne s’écrieront-ils pas tous ensemble : « Nous voulons de l’argent et point d’assignats? « Due deviendrait alors cette unique ressource de la nation? Ceux-mêmes qui regrettent tant cette formule à ordre, si contraire à la nature et aux propriétés de i’assignat-monnaie, et qui, pour conserver tous leurs droits de suite, en cas de vol, demandent un décret pour établir les endossements suc cessifs, comment s’y prendront-ils, lorqu’un inconnu, un étranger, un homme dont la fortune est douteuse leur présentera des assignats avec son endossement à la suite de plusieurs autres endossements également inconnus ou insuffisants pour la garantie? Ils feront ce que tout homme prudent devra faire; ils se diront : « Ces assignats peuvent avoir été volés ; un ou plusieurs des endossements peuvent être faux », et ils les refuseront, ou exigeront du porteur un endossement bien connu. Et vous voudriez, avec ces endossements illégaux, avec ces défiances, avec ces refus, avec ces signatures plus ou moins accréditées, qui mettraient une si grande différence entre des assignats et des assignats, vous voudriez qu’ils pussent faire les fonctions de monnaie; vous voudriez qu’ils en conservassent les propriétés ; vous voudriez qu’ils pussent soutenir le crédit natiomd et vivifier la circulation et le commerce. Non ; dites plutôt que les assignats cesseraient bientôt d’avoir cours, non pas seulement parmi les simples citoyens, non pas dans les marchés publics, les manufactures et chez les commerçants en détail, mais aussi parmi les banquiers et les négociants eux-mêmes; car plus les assignats seraient couverts d’endossements inconnus, moins iis obtiendraient leur confiance, puisqu’une seule signature équivoque, venant à la suite des endossements les plus accrédités, pourraient eu invalider le transport, les rendre suspects et les faire refuser. Et qu’on ne nous dise pas que, en demandant une loi précise pour les endossements, on n’a pas Tuitention d’en déduire strictement un droit de recours pour les assignats volés et mis en circulation par de faux endossements. Il faut s’expliquer avec franchise et sans réticence; il faut être franc. La loi des endossements pleins et nominatifs, c’est-à-dire à tel ou tel, entraînerait évidemment ce droit, et on le sait bien ; et c’est aussi parce qu’on le sait, qu’on la sollicite, car si cela ne devait avoir aucun effet, on ne la demanderait pas. On sait bien que, en cas de vol, les assignats ne pourraient être transmis que par une fausse signature et qu’un honnête homme, une fois trompé par un faussaire, tous les endossements subséquents au sien seraient invalidés par la loi même, et les porteurs sujets à restitution. A quoi servirait de ne pas avouer qu’on a pour but ces conséquences, puisque, malgré que le décret du 1er juin n’eût' pas prononcé la nécessité des endossements, on a vu tant d’opposition à payement, faites par des négociants à banquiers, à la caisse de T extraordinaire, pour came de vol ou d’assignats égarés? Oppositions nulles, sans doute, mais qui ne le seraient pas si le décret du 1er juin eût prononcé la loi expresse des endossements successifs (1). Or, il est certain que si cette erreur capitale eût été commise pour les premiers assignais, l’opération eût été complètement manquée, puisque la nouvelle de ces oppositions, quoique nulies par elles-mêmes et non fondées contre les porteurs de bonne foi, étant parvenue dans quelques villes decommerce, produisit d’abord cet effet qu’on ne (1) Depuis ce rapport, l’Assemblée nationale a déclaré nulles ces oppositions, nonobstant le decret du 29 juin 1790. 174 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [18 avril 1791.] voulait y recevoir en payement que les assignats endossés par les maisons de commerce tes plus connues, ce qui ne contribua pas peu à retarder la conliance aux assignats, et à les maintenir trop au-dessous du pair, en faisant de plus en plus resserrer le numéraire avec la confiance. Nous ne pouvons nous empêcher de frémir au simple aperçu des effets malheureux qu’aurait une pareille loi. Loi injuste, Je cours des assignats étant forcé; loi imprudente et impolitique, le salut de la nation reposant sur la libre circulation des assignats et sur la confiance pleine et entière qui leur est due, laquelle ne peut subsister un instant, si celui qui reçoit un assignat est tenu à autre chose, pour sa sûreté, que d’examiner s’il est véritable et non contrefait. Ainsi le décret, qui serait une loi des endossements, serait un décret funeste. Il entraînerait rapidement avec lui la chute des assignats considérés comme monnaie; et nous ne cesserons de nous y opposer, parce que le salut du royaume dépend aujourd’hui des assignats-monnaie. On se réduira peut-être à demander un décret semblable à celui du 1er juin, c’est-à-dire qui permette les endossements sans les exiger; mais je dis que, bien loin que l’Assemblée doive permettre les endossements libres par une loi, elle devrait les prohiber comme instruments de monopole; mais je dis qu’une pareille loi n’en serait pas une, puisqu’elle permettrait ce qui est bien loisible à tout propriétaire d’assignats, lorsqu’il n’y a point de loi contraire; mais en le permettant, elle induirait en erreur ceux qui, en vertu de la loi, attai heraient quelque effet à ces endossements; elleleur persuaderait à tort que lasigna-ture de leur cédant est pour eux une garantie utile; et dans le cas où ils ne le jugeraient pas suffisamment responsable, elle leur fournirait un prétexte de refuser ses assignats, et peut-être d’exiger de lui, pour obtenir leur confiance, des sacrifices d’autant plus considérables, qu’il serait moins fortuné. Il serait donc contre la dignité, la justice et la prudence de l’Assemblée nationale, de donner lieu, par un décret insignifiant et inutile, à de pareilles méprises des hommes simples et de bonne foi, à de semblables exactions contre le pauvre dont la signature ne peut rien garantir, et à de tels obstaclesà la circulation des assignats. Après avoir démontré combien serait injuste et impolitique un décret pour prescrire l’endossement des assignats ; après avoir prouvé combien cette loi serait funeste à la circulation, en les frappant d’un motif de détiance et de crainte tout à fait étranger à la véritable base de leur crédit, et qui ne porterait que sur une prévoyance de vols ou de portefeuilles égarés, je crois devoir déclarer que je suis bien éloigné de croire tout à fait inutile, et dans toutes les circonstances, non pas l’endossement ou transport que je condamne, mais la simple signature du cédant au dos des assignats, dans les cas d’envois par la poste, de place en place, ou par les messageries, parce que, pour les assignats égarés et retrouvés, ou saisis dans les mains mêmes des voleurs ou de leurs complices convaincus, cetteprécaution pourrait servir à démontrer le propriétaire; mais pour cela une loi n’est pas nécessaire; la faculté de prendre cette précaution est inhérente au droit du propriétaire üe l’assignat, lorsque la loi ne le défend pas; et rien n’empêche, sans que l’Assemblée natiuuale s’en mêle, que messieurs les né-gociauts continuent à leur gré d’en faire usage, parce qu’alors elle n’a que l’effet qu’elle peut produire, sans pouvoir porter atteinte à la nature de l’assignat, qui est toujours censé appartenir au porteur, s’il n’est lui-même convaincu de vol ou de complicité; cependant je désire que ce moyen ne soit pas employé sur les nouveaux assignats ; il ne serait pas sans danger. En détaillant les motifs qui justifient le décret du 18 novembre passé, et qui s’opposent au projet de loi pour les endossements, nous n’avons pas mis en considération les inconvénients majeurs qui en résulteraient pour le Trésor public et pour la conliance nationale, par la quantité énorme d’assignats qu’il faudrait fabriquer et délivrer à la caisse de l’extraordinaire, au-dessus du nombre qui en a été décrété, surtout de ceux de petites sommes, afin de pouvoir remplacer à présentation ceux qui se trouveraient surchargés d’endossements ; car il est bien certain que, pour parer aux inconvéoieuts qui font désirer cette loi, les endossements en blanc ne produiraient aucun effet ; puisqu’il n’en serait pas des assignats-monnaie, qu’on est forcé de recevoir, comme des lettres de change et billets à ordre qu’on reçoit librement, et pour lesquels le cessionnaire ne peut acquérir que les droits de son cédant, parce que c’est à lui à bien placer sa confiance lorsqu’il accepte un transport. Mais dans la supposition de la loi des endossements sur les assignats, il serait nécessaire que ces assignats fussent remplis du nom du cessionnaire avec la date, ce qui mettrait bientôt et souvent tous les assignats daus Je cas d’être échangés. Nous concluons unanimement contre la demande formée d’une telle loi, et pour l’exécution du décret du 18 novembre passé. (. Approuvé et arrêté par les commissaires de l'Assemblée nationale , pour les assignats. A Paris, le 13 décembre 1790.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHABROUD. Séance du lundi 18 avril 1791 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin. Un de MM. les secrétaires fait lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté. M. d’Estourmel. Le comité militaire a été chargé par l’Assemblée de faire une enquête sur la révolte des régiments de Languedoc et de Beauvoisis ; je propose de fixer le jour où il devra nous faire son rapport. Un membre du comité militaire. Le comité attend des renseignements plus étendus qui puissent lui permettre de porter une appréciation plus complète et plus juste sur ces deux affaires; il faut donc attendre jusque-là pour lui demander son rapport. (L’Assemblée décrète l’ordre du jour sur la motion de M. d’Estourmel.) Un de MM. les secrétaires instruit l’Assemblée du retour de M. de Bournazel, député du département de l’Aveyron, et de M. Paultre desEpinet-(1) Cette séance ost incomplète au Moniteur .