j Assemblé'1 nationale.] ARCHIVES PA RLEMENTA1RES. [20 août 1789.] 461 ment intempestive; elle a produit un autre mal. Nous avions mis la dette publique sous la sauvegarde de l’honneur et de la loyauté nationale, et en fixant l’intérêt de notre emprunt à quatre et demi pour cent, sans égard au prix actuel des effets royaux, lequel rapporte un intérêt beaucoup plus considérable, il a paru que nous voulions établir une différence entre la dette contractée et celle que nous résolvions de contracter. Nous avons semblé dire que l’une nous sera plus sacrée que l’autre : contradiction malheureuse ! Elle était loin de notre intention. Mais la défiance raisonne peu, et les formes de cet emprunt ont ainsi donné des alarmes sur la dette publique, tandis qu’il devait être considéré comme un moyen d’en assurer le remboursement. Peusé-je donc que nous devions décréter un emprunt à un iutérêt égal à celui que rend le prix actuel des fonds publics? Non, Messieurs; mais, en autorisant l’emprunt, nous devions laisser au ministre, dont les intentions ne sont pas suspectes, le soin d’en régler les conditions selon l’exigence des conjonctures. Tout ce que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer est très-simple, et vous y auriez pourvu si nous avions en général plus de temps pour nous consulter sur les questions importantes, si nos délibérations étaient plus tranquilles, si, ne pouvant rien sans la réflexion, on nous laissait plus de moyens pour réfléchir. Je ne saurais trop le répéter, Messieurs : le respect pour la foi publique est notre sauvegarde, et le crédit national est dans ce moment l’unique moyen de remplir les devoirs qu’elle nous impose. Quand, par impossible, nous voudrions suivre la détestable maxime qu’il n’est point de morale en politique, avons-nous dans les mains une force publique qui se chargeât de contenir la juste indignation des citoyens? Nous ne pouvons compter ni sur le crédit du Roi, ni sur celui du ministre des finances. Quand tout est remis par le roi, par ses serviteurs, par la force des événements, dans la main de l’Assemblée nationale, est-il possible de pourvoir à la chose publique par un autre crédit que celui de la nation? Et si les volontés ne se réunissent pas dans l’Assemblée nationale, où se formera le crédit public? A quel état de confusion ne marcherons-nous pas? Je propose donc d’arrêter que l’Assemblée nationale, persévérant invariablement dans l’intention la plus entière de maintenir la foi publique, et considérant la nécessité urgente des fonds de l’emprunt décrété le 9- août, à l’intérêt de quatre et demi pour cent, autorise Sa Majesté à employer les moyens que la situation des affaires et les besoins impérieux du moment lui paraîtront exiger, pour assurer à l’emprunt un succès plus prompt, lors même que ces moyens apporteraient quelques modifications à l’article 4 de l’arrêté du 9 août. La publicité de cet arrêté suffira pour dissiper les fausses craintes que des fatalités imprévues ont fait naître , et les personnes qui dépendent du maintien de la foi publique sentiront de plus en plus qu’il est de leur intérêt de seconder les intérêts de l’Assemblée nationale, puisqu’elles tendent au rétablissement de l’ordre public, sans lequel les mesures les plus sages ne peuvent avoir aucun succès . La motion de M. le comte de Mirabeau est mise sur le bureau. — Quelques membres représentent qu’il n’y a pas encore assez de temps écoulé pour que les ordres aient pu parvenir chez l’étranger, et même dans nos provinces éloignées ; que si les capitalistes de Paris veulent pressurer l’Etat, il faut s’adresser aux provinces, y créer des caisses d’escompte. L’Assemblée, après avoir ordonné l’impression de la motion et le renvoi aux bureaux, se sépare de dix à onze heures, avec indication au lendemain matin. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du jeudi 20 août 1789 (1). M. le Président, à l’ouverture de la séance, a rendu compte de la lettre qu’il avait reçue de M. le marquis de Montesson, député du bailliage du Mans, qui lui envoyait sa démission, et a proposé qu’il fût remplacé par M. le comte de Praslin, son suppléant, dontles pouvoirs avaient été remis au comité de vérification : ce qui a été agréé. Un de MM. les secrétaires a fait lecture de la liste des membres qui composent les comités des affaires du clergé et de judicature. Le résultat du scrutin a donné pour membres du Comité des affaires ecclésiastiques : MM. Lanjuinais. D’Ormesson. Grandit). Martineau. Delalande. Le prince de Robecq. Sallé de Choux. Treillhard. et pour membres du MM. Gossin. Dinocheau. Dufraisse-Duchey. Jouye des Roches. Lofficial. Meunier-du-Breuil. De Mortemart. Henri de Longuève. M. le Président, conformément à l’arrêté de la veille, a soumis à la discussion de l’Assemblée je projet de déclaration du sixième bureau. M. Anson, député de Paris. Si ce bureau existait encore, je serais bien surpris de voir la préférence que l’on a donnée à cette déclaration. Ce n’était qu’un simple canevas que chacun des membres de ce bureau se proposait de remplir ; l’on avait cru d’abord devoir en exclure tous les détails, en faire ensuite un corps plus méthodique et plus complet ; enfin il faut le rendre capable de recevoir un tissu plus fort et d’une ordonnance plus digne de l’Assemblée. M. Target. Cette déclaration ne contient pas des principes contestés ; elle est courte, simple MM. Legrand. Vaneau. Durand de Maillane. L’évêque de Clermont. Despatys de Courteilles. L’évêque de Luçon. De Ëouthillier. Comité de Judicature : MM. Milscent. Piffon. L’évêque de Saintes. Target. Tellier. De Sillery. Girauld Duplessis. (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. m [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLE M ENTA 1RES. [“20 août 1789.J et exacte, mais elle manque d’énergie et d’expression ; je la regarde comme le type, comme l’occasion d’une véritable déclaration ; avec des changements, des corrections et des modifications, on pourrait en faire une bonne. M. Desuieuniers. On l’a dit avec raison, jamais la déclaration n’aura qu’une perfection relative. Dans les circonstances où nous sommes, vctre position est très-embarrassante. Vous avez promis à la France une déclaration des droits ; vous sentez les difficultés d’un travail aussi pénible. Les difficultés viennent de ce que la matière est nouvelle pour nous ; le temps nous presse ; il faut marcher en avant et placer au dehors les remparts que nous voulions placer au dedans. 11 me semble que, pour abréger, on doit passer les douze premiers articles : ils ne contiennent que des vérités connues, ou pas assez importantes. Je proposerai de commencer notre travail par le treizième article. M. de Laborde. Le premier principe d’une déclaration doit être de faire servir la force et les moyens de tous à maintenir le bonheur de tous ; celui de la réunion des hommes en société n’a pu avoir d’autre motif. Faites respecter les droits de tous et de chacun : voilà tout ce que vous avez à faire. Je propose ce préambule : « Les représentants de la nation française, réunis en Assemblée nationale, chargés de rédiger la Constitution de l’Etat, après avoir invoqué l’Etre suprême ; c Considérant que le but de toute société est de manifester, d’étendre et d’assurer les droits de l’homme et du citoyen ; « Qu’aucun corps politique constitué ne peut excéder les bornes du pouvoir ; « Qu’il est surtout indispensable d’ôter au corps législatif tous les moyens d’en abuser, en le renfermant dans la défense des droits de l’homme, et qu’il importe de constituer tous les autres pour que les droits que des citoyens tiennent de la nature soient à l'abri de toute atteinte ; « En conséquence, elle déclare les articles suivants, où les pouvoirs constitués trouveront les limites dans lesquelles ils doivent être renfermés. » M. Buquesnoy. J’appuie le préambule de M. de Laborde, et je réponds à M. Desmeuniers, qui a avancé que la déclaration ne pouvait avoir qu’une perfection relative. Une déclaration doit être de tous les temps et de tous les peuples ; les circonstances changent, mais elle doit être invariable au milieu des révolutions. Il faut distinguer les lois et les droits : les lois sont analogues aux mœurs, prennent la teinte du caractère national ; les droits sont toujours les mêmes. Quant au préambule de M. de Laborde, je proposerais d’ajouter deux principes incontestables: « 1° L’homme n’entre en société que pour acquérir, et non pour perdre ; a 2° Toute société est le résultat d’une convention. » Ce sont là les deux principes que je voudrais insérer dans le projet. M. le comte de Vlrieu. Des idées simples et sublimes, des réflexions touchantes ont entraîné toutes les opinions vers le préambule de la déclaration du sixième bureau. Ce préambule n’annonce que des vérités déjà bien connues ; mais l’art avec lequel elles sont dites semble les Rajeunir. Gomment peut-on dire avec plus de noblesse, avec plus de dignité, que l’homme pour être libre se met sous la protection de la force commune ? Ce qui me touche davantage encore, c’est l’invocation à l’Etre suprême ; l’on n’y dit pas que nous tenons nos droits de la nature ; c’est un pacte que la nation fait sous les auspices de la Divinité. Eh ! qu'est-ce que la nature ? quelle idée présente-t-elle ? C’est un mot vide de sens, qui nous dérobe l’image du créateur pour ne considérer que la matière. Voici le préambule que je proposerai : « Les représentants du peuple français, réunis en Assemblée nationale, « Considérant que l’ordre social et toute bonne Constitution doivent avoir pour base des principes immuables ; que l’homme, créé avec des facultés et des besoins, et, par conséquent, avec le droit inaliénable d’exercer les unes et de satisfaire les autres, ne s’est soumis au régime d’une société politique que pour mettre ses droits sous la protection d’une force commune ; * Considérant que les gouvernements n’existent que pour l’intérêt des gouvernés, et non pour l’intérêt de ceux qui gouvernent ; et qu’il est essentiel d’annoncer à tous les membres du corps social leurs droits inaliénables et imprescriptibles, afin que les réclamations des citoyens, fondées sur des principes incontestables, puissent en même temps tourner et servir au maintien des lois et au bonheur de tous ; « Voulant enfin consacrer, au nom du peuple français et en présence de l’Etre suprême, les droits imprescriptibles de tout citoyen, déclarent qu’ils reposent sur les vérités suivantes, etc. » M. le vicomte de Mirabeau, après avoir proposé de mettre à la tête de la Constitution l’ouvrage du plus grand des législateurs, le décalo - gue, lit un préambule qui, comme il le dit lui-même, avait le mérite d’être court. Il soutient que ces mots, sûreté, propriété, liberté, renfermaient tous les droits ; et que si l’on se livre aux subtilités métaphysiques, on risque de n’être entendu que de très-peu de personnes, et admiré de celles qui ne comprendraient pas. M. de Wolney propose une tout autre forme de préambule ; celle de faire part des circonstances qui ont rendu nécessaire une déclaration des droits : « L’an 1789, la 16e année du règne de Louis XVI, les représentants réunis en Corps législatif ; « Considérant que, depuLs longtemps et particulièrement depuis quelques années, les contributions des peuples ont été dissipées, les trésors publics épuisés, la sûreté, la liberté et la propriété violées d’une manière indigne ; « Considérant que les causes de ces désordres tiennent à l’ignorance du peuple, à l’oubli des devoirs de la part du pouvoir exécutif, ont arrêté les articles suivants ..... » Plusieurs membres insistent pour qu’on mette dans le préambule ces mots : en présence de l’Etre suprême ; d’autres observent que la présence de l’Etre suprême étant partout, il est inutile de l’énoncer. M. Cortols «le Balore, évêgua de Nîmes , soutient avec force la première opinion. C’est une idée triviale, a-t-on dit, que l’homme tient son existence de Dieu. Plût à Dieu qu’elle le fût encore davantage, et qu’elle ne fût jamais contestée ! [Assemblée nationale.] A H ('.HiYES PAH LF, M ENTA IH ES. Mais quand on fait des lois, il est beau de les placer sous l’égide de la Divinité. MM. Mougins et Pellcrin, ramenant celte discussion aux faits historiques, disent que les législateurs de Rome, de la Russie et de l’Amérique ont invoqué l’Etre suprême dans les premières pages de leur code. Après avoir relu les divers préambules proposés, on s’arrête à celui du projet rédigé par le comité des cinq, sur lequel M. Desmeuniers fait quelques corrections d’après les observations faites dans la discussion. Il est adopté en ces termes: « Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale , considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, alin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs; alin que les actes du pouyoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous. « En conséquence, l’Assemblée nationale reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l'Etre suprême, les droits suivants de l’homme et du citoyen.. .. » On fait lecture des dix premiers articles. M. D’André. Le premier article du projet qui vous est soumis parle de désirs et de besoin; ce n’est pas une déclaration de désirs que nous avons à faire. Le second, je ne l’entends pas, et je doute que mes commettants puissent l’entendre. Le troisième, le quatrième et le cinquième peuvent se réunir ensemble, et c’est ainsique je le propose, d’aprèfi l’avis de M. de Lafayelle: « Les droits inaliénables et imprescriptibles de l’homme sont la liberté, la propriété, la sûreté, l’égalité des droits, la conservation de son honneur et de sa vie, la communication de ses pensées et la résistance à l’oppression. » Quant à cette dernière partie, j’observerai qu’elle est sans danger; elle est dans notre constitution de Provence que nous abandonnons, parce que nous espérons que vous nous en donnerez une meilleure. M. Target propose de supprimer les dix premiers articles, etd y substituer ceux-ci: « Art. 1er. Chaque homme tient de la nature le droit d’user de ses facultés, sous l’obligation de ne pas nuire à l’exercice des facultés d’autrui ; l’un est son droit, l’autre est son devoir. « Art. 2. La sûreté, la liberté et la propriété ; l’un, qui est le droit de jouir; l’autre, qui est le pouvoir exclusif de posséder certaines choses; c’est là ce qui constitue le droit des hommes. « Art. 3. Les moyens et les facultés des hommes ne sont pas les mêmes: et le but de toute société est de maintenir l’égalité au milieu de l’inégalité des moyens. « Art. 4. Lorsque les hommes perdent de leurs droits en se réunissant dans la société civile, ils 1*21 août 1789.) 4(53 acquièrent une plus grande assurance de les confirmer. « Art. 5. Hors delà société, il n’v a aucune garantie. Dans la société, au contraire, la loi garantit tous les droits. » M. de la Luzerne, évêque de Langres , propose de substituer l’article suivant aux deux premiers articles : « L’auteur de la nature a placé dans tous les hommes le besoin et le désir du bonheur, et les facultés d’v parvenir; et c’est dans le plein et entier exercice de ces facultés que consiste la liberté. » M. de Doîsgelin, archevêque d’Aix, et un autre orateur terminent la discussion. Le premier a parlé avec éloquence ; le second avec une prolixité qui a enuuyé les galeries, surtout lorsqu’il a dit que la société commençait avec la mère et le fils. Les tribunes elles galeries se vident; alors M. de Mortemart observe que la séance est irrégulière ; le règlement porte qu’elle doit être publique, et les galeries sont désertes. L’heure était très-avancée, et cependant l’Assemblée n’avait encore rien adopté. M. Mouiller présente les articles suivants: « Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité com--mune. « Art. 2. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont: la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. «Art. 3. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. » Ges articles sont adoptés. M. le Président dit que, depuis un mois, il est arrivé à Paris et dans les environs plusieurs convois de froment escortés par des volontaires présents à cette Assemblée. Elle leur en a témoigné sa satisfaction par de vifs applaudissements. La séance est levée, et les bureaux sont invités à s’assembler à six heures du soir pour s’occuper de l’emprunt. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE STANISLAS DE CLERMONT-TONNERRE . Séance du vendredi 21 août 1789, au matin (l). Un de MM. les secrétaires a fait lecture d’un acte souscrit le 8 août en la ville de Quimper en Bretagne, par cinquante gentilshommes qui s’y sont trouvés réunis ledit jour. Par cet acte, ces gentilshommes s’empressent de déposer entre les mains des communes de ladite ville l’expression de leurs sentiments patriotiques et leur adhésion aux arrêtés de l’Assemblée nationale, relative-(1) Cette séance est incomplète an Moniteur.