[Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.J 653 occasionner le désordre; il est donc évident qu’elle affaiblit les moyens confiés à la municipalité au lieu de les fortifier. Le comité ne s’est point attaché, comme il l’aurait dû, à la responsabilité des officiers municipaux. Il prononce deux peines vagues et insuffisantes. Les officiers municipaux, qui n’arrêteront pas les troubles par les moyens qui leur sont confiés, en seront quittes pour la perte de leur emploi et l’interdiction de toute fonction d’administration publique. 11 est un seul cas où les notables et les citoyens peuvent requérir la force publique : c’est celui où es officiers municipaux seraient environnés dans ’hôtel-de-ville et privés de leur liberté; alors les officiers municipaux se trouvent dans l’impossibilité physique d’user des moyens qui sont à leur disposition, et cette impossibilité ne peut donner lieu à aucune peine. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire d’aller plus loin ; ces seules observa-vations me semblent prouver assez combien est insuffisante et dangereuse la loi proposée, et je conclus à ce que votre comité soit invité à s’occuper de nouveau de cet objet. M. l*e Chapelier, rapporteur. S’il s’agissait de répondre aux objections qui viennent d’être faites contre le projet de décret qui vous a été présenté par votre comité de constitution, j’attendrais, pour prendre la parole, que toutes les autres objections possibles eussent aussi été articulées. Mais, pénétré du désir de hâter votre délibération, et de ne pas vous faire perdre un temps précieux, je dois vous faire part des changements que j’ai faits au projet de décret qui vous est soumis : j’ai communiqué au comité cette nouvelle rédaction ; il a paru l’approuver. Voici les dispositions de cette rédaction nouvelle : « L’Assemblée nationale, instruite des excès commis dans plusieurs endroits contre les propriétés et les personnes, et des obstacles apportés à la perception des impôts, croit devoir, dans le moment où les municipalités, librement élues, viennent de se former, rappeler à ceux que le peuple a honorés de sa confiance les obligations qui leur sont imposées, et fixer, par une loi positive, les peines auxquelles ils doivent être soumis, si, trahissant cette confiance qu’ils ont reçue, ils négligaient de maintenir la tranquillité publique, de protéger les personnes et les propriétés et de veiller à ce que les impôts directs et indirects, qui sont un besoin public, et dont le paiement est, par conséquent, un devoir pour tout citoyen, puissent être perçus. « En conséquence elle a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er « Les officiers municipaux, obligés de veiller au maintien de la paix et de l’ordre public, à la sûreté des personnes et des propriétés et à la perception des impôts, seront tenus de proclamer la loi martiale, d’appeler le secours des gardes nationales, de la maréchaussée et des troupes réglées, dans tous les cas où un attroupement séditieux menacerait la vie ou la propriété de quelque citoyen, ou tendrait à apporter obstacle à la perception des impôts directs et indirects. Art. 2. « Si, par négligence ou par faiblesse, les officiers municipaux ne requéraient pas le secours de la force armée, et s’il arrivait quelque dommage, ils en seront responsables; ils seront privés de leurs offices, déclarés incapables d’exercer à l’avenir aucunes fonctions publiques, condamnés au tiers, et de la réparation qui sera adjugée à ceux qui auront souffert dans leur personne ou dans leurs biens, et de la restitution des sommes que le Trésor public aurait pu perdre par le pillage de ses caisses ou le défaut de perception des impôts. Art. 3. c S’il pouvait être prouvé que les officiers municipaux ont excité ou favorisé l’attroupement séditieux, ils seront poursuivis extraordinairement, condamnés comme prévaricateurs et punis comme tels. Art. 4. « Tous les citoyens devant concourir au rétablissement de l'ordre public troublé, et s’employer à calmer des mouvements séditieux; toute la commune sera responsable des deux tiers de la restitution des sommes enlevées au Trésor public et des dommages et intérêts qui seront adjugés aux personnes lésées ; et pour frayer à ce dédommagement ou à cette restitution, il sera fait un rôle d’imposition sur tous les citoyens actifs composant la commune, au marc la livre de leur contribution à l’impôt direct. Art. 5. « Tout citoyen pourra interpeller par écrit les officiers municipaux d’assurer la tranquillité publique menacée, et de publier la loi martiale; et s’il est par la suite prouvé et jugé que les officiers municipaux ont eu tort de ne pas déférer à cette interpellation, et qu’il soit résulté, pour le Trésor public ou pour quelque personne, du dommage de leur refus, toute leur fortune sera épuisée pour le réparer, avant que la commune en soit responsable, et que le rôle de contribution soit formé. Art. 6. « Dans ces derniers cas, celui ou ceux qui auront fait l’interpellation seront exempts de la responsabilité subsidiaire à laquelle les citoyens, formant la commuue, sont assujettis ; mais, si l’interpellation est jugée faite sans raison et sans motif, comme l’invocation de la force armée devient un délit quand l’emploi de cette force n’est pas commandé par la nécessité, celui ou ceux qui auront fait l’interpellation seront condamnés à une amende proportionnée à leurs facultés. Art. 7. « Si les officiers municipaux n’élaient plus sur les lieux, ou s’ils étaient contraints et arrêtés par les séditieux, les notables feront les fonctions des officiers municipaux; le premier des notables assemblera ses collègues, et ce conseil municipal aura tous les devoirs imposés aux officiers municipaux, et sera soumis aux mêmes obligations prononcées tant par la loi martiale que par le présent décret. Art. 8. « Les receveurs des deniers publics, et les citoyens qui auront été lésés, intenteront leur action devant le tribunal royal de la ville la plus voisine du lieu où l’attroupement séditieux aura eu lieu. Art. 9. « Le Roi sera supplié de faire passer des troupes dans les lieux où les désordres se sont manifestés, ou pourraient se manifester, afin que les municipalités puissent requérir au besoin ce secours auxiliaire ; et les troupes ne pourront jamais agir que sur la réquisitiou des officiers municipaux, et selon les dispositions de la loi martiale. » M. le comte de lilirabeau. Çe qui arrive en ce moment nous prouve combien la réflexion est une chose utile et précieuse. Le comité nous présente aujourd’hui un projet absolument différent dans sa tendance. C’est ainsique de bons et zélés citoyens doivent profiter des lumières et revenir sur leur travail. La meilleure, la seule manière d’applaudir à l’ingénieuse docilité du comité est 654 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [20 février 1790.] de prendre aussi quelques moments pour réfléchir à la nouvelle loi qu’il nous présente. Puisque ce projet est nouveau, il doit être de nouveau discuté avant d’être soumis à la délibération. M. Démeunier. Je demande à l’Assemblée la permission de lui faire trois remarques : d’abord, le comité n’a pas prétendu vous offrir une loi définitive sur les attroupements, mais seulement une loi provisoire; il faut donc examiner sous ce rapport les projets qu’il vous a présentés; l’Assemblée a établi quarante-huit mille municipalités dans ce royaume ; il est probable que les officiers d’un aussi grand nombre de muni cipalités seront quelquefois négligents, et je ne dis rien de plus : vous devez donc chercher les moyens d’arrêter les inconvénients qui peuvent résulter de ce nombre infini d’officiers municipaux. Par un autre de vos décrets, vous avez ordonné que les départements jugeraient la conduite des officiers municipaux, mais les assemblées de département ne sont point encore formées. Ces trois observations justifient ce que j’ai avancé, je veux dire que votre comité n’a dû vous offrir qu’une loi provisoire. L’Assemblée ue doit point oublier quel était le point où nous en étions lorsqu’elle a ordonné la rédaction de cette loi : les insurrections du moment nous ont seules déterminés à nous en occuper. Votre comité a dû chercher un remède à des maux instantanés, et rétablir l’ordre dans la perception des impôts. A-t-il ou n’a-t-il pas rempli cet objet? Avant de prononcer sur cette question, il faut réfléchir aux moyens qu’il a présentés. Je conclus, avec M. de Mirabeau, à ce qu’on ajourne la discussion à lundi. On demande que la discussion sur l’ajournement soit fermée. M. l’abbé llaury. Je demande qu’elle ne le soit ni sur l'ajournement, ni sur le fond de la question. On peut renvoyer à lundi pour prendre une détermination finale ; l’expérience vient de nous prouver que de longues réflexions peuvent amener un heureux résultat. Deux choses sont à observer dans le dernier projet qui nous est présenté : l’esprit du décret et les dispositions du décret. Je demande que la discussion soit continuée sur l’esprit du décret. On demande à aller aux voix. La discussion est fermée sur l’ajournement. L’Assemblée décide qu’elle va ouvrir la discussion sur le nouveau projet de loi. M. E-e Chapelier fait une seconde lecture du nouveau projet de loi. Les orateurs inscrits pour parler sur cet objet sont successivement appelés. M. le marquis de Cafayette. Les troubles qui ont existé et qui existent encore daus les provinces ont alarmé votre patriotisme, votre humanité, votre justice. Vous avez senti que rien n’était plus contraire à la liberté que la licence ; vous avez pensé qu’il fallait non seulement établir une nouvelle constitution, mais qu’il fallait encore la faire aimer et respecter de tous. D’après ce principe immuable, vous avez invité votre comité de constitution à vous présenter un projet de loi qui fût propre à ramener le calme et la tranquillité daus le royaume. Ce projet vous avait été présenté hier, ét je me disposais à y faire quelques observations : vous venez d’adopter un autre plan de travail ; j’avoue qu’après n’en avoir entendu qu’une lecture, je ne puis parler ni des principes, ni de la rédaction. J’observerai qu’il serait utile de décréter que sans délai votre comité féodal vous représentera ses vues relativement aux propriétés incendiées ; et comme la réflexion a apporté de grands changements au projet qui vous a été présenté hier, je me borne à demander que tous ceux qui ont fait des projets de décret à ce sujet les fassent parvenir à Messieurs du comité de constitution, qui seront invités à réfléchir sur tous les moyens qui leur seront indiqués, et à adopter ceux qui leur paraîtront les plus convenables, sauf à l’ Assemblée à les peser ensuite dans sa sagesse, M. l’abbé Maury. J’observe qu’on devra être très sèvère dans la discussion du projet de loi qui vient de vous être présenté ; car, si ce décret n’était pas réprimant, il serait encourageant ; la licence est à son comble, et les effets de la licence sont, pour les provinces, des incendies ; pour le royaume, la banqueroute. Le grand objet dont vous devez vous occuper est donc d’arrêter les effets de la licence. Je vous invite à ne pas oublier que la liberté est un très grand bien, sans doute, mais la sûreté des citoyens est un bien plus précieux encore. M. Briois de Beaumetz. Je trouve dans le second projet de décret un article contre lequel je m’élève autant qu’il est en moi : c’est celui par lequel vous prévoyez le cas où les officiers municipaux seraient atteints et convaincus d’avoir coopéré aux insurrections, d’avoir favorisé les émeutes. Je ne crains pas de le dire, et je crois pouvoir le dire avec vérité, cet article est d’une immoralité révoltante. Quoi 1 Messieurs, vous supposez que les officiers municipaux, que les pères du peuple armeront les mains du peuple 1 Vous supposez que le feu de la sédition partira des mains de ceux qui doivent l’éteindre ! De semblables suppositions dégradent les municipalités naissantes, elles étouffent dans l’âme de plusieurs citoyens le désir d’être appelés aux dignités municipales. Et c’est dans une loi constitutionnelle qu’on vous propose de faire entrer ces suppositions! Ah ! gardez-vous bien d’y consentir ! Que le décret que vous prononcerez à ce sujet soit mis à la tête de votre Gode pénal ; qu’il trouve place à la suite de la loi qui désignera la peine que vous réserverez au parricide. M. Pétlon de Villeneuve. Je n’ai point assez réfléchi sur le nouveau projet de décret pour le discuter à fond ; deux observations à faire se sont présentées à mon esprit, elles m’ont frappé, et j’en fais hommage à l’Assemblée. « Les officiers municipaux qui ne recourront pas à la force armée dans les cas d’émeute seront responsables, etc. ; » mais dans les campagnes il n’y a pas de force armée, il n’y a pas même de milice nationale ; la sédition aura fait ses ravages avant qu’on ait pu requérir les troupes, et je crois qu’il serait injuste de prononcer des peines contre des officiers municipaux qui n’auront pas eu la possibilité de faire ce qu’ils auraient voulu faire. J’observe encore que les châteaux sont éloignés des municipalités ; que ces châteaux sont ravagés par des bandes errantes et nombreuses : si la force armée est repoussée par les séditieux, parce qu’elle sera plus faible en nombre, les mu*