[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1791.] 407 aliénées à titre onérpux ou gratuit (1) ; d’où vient ce contraste étonnant entre nos usages et nos principes? Pourquoi des hommes instruits des droits de la société ont-ils si longtemps agi comme s’ils les avaient ignorés? C’est qu’il y a toujours loin de la théorie à la pratique; c’est que les préjugés, enfants de l’habitude, commandent encore longtemps après qu’ils sont détruits. Le contrat d’échange de la souveraineté de Dombes, considéré sous ce rapport, était donc radicalement nul ;mais le consentement des peuples a rectifié cette origine vicieuse. Ce consentement n’a d’abord été que tacite, parce que les peuples acquis ont souffert, sans réclamer, que le contrat s’exécutât; mais, depuis que les représentants de la nation se sont réunis en corps constituant, depuis que les parties de l’empire, auparavant isolées, se sont fondues en un seul tout, ce contrat implicite est devenu exprès et formel. Il est intervenu entre le peuple Français et le peuple de Dombes un pacte social proprement dit; les deux nations n’en forment plus qu’une. La Dombes n’a pas perdu son indépendance, elle s’est associée à notre liberté. Le romprons-nous aujourd’hui ce pacte solennel, formé sous de si heureux hospices? Rejetterons-nous du corps social un peuple généreux qui a désiré d’en faire partie dans le temps que nous portions encore les fers que nous avons brisés; qui s'est toujours distingué par son attachement pour la nation, à laquelle il s’est uni, par son amour pour la liberté, notre commune conquête, par ce courage et cette énergie sans lesquels on ne peut prétendre à la conserver (2)? Non, Messieurs, celte scission est impossible, la Dombes est française, la Dombes est libre ; elle est fidèle à ses engagements, nous le serons aux nôtres; et les deux questions que nous venons de proposer sont résolues. La France ne peut ni ne veut attaquer le contrat qui l’unit à la Dombes (3). Il serait à désirer, Messieurs, que nous puissions vous fournir des lumières précises sur la justesse des observations déjà faites en exécution de ce contrat d’échange ; mais nous sommes forcés u’avouer que notre travail, borné aux formes extrinsèques, ne nous a pas procuré les connaissances qui seraient nécessaires pour en garantir l’exactitude : on ne pourrait en obtenir de certaines que par de nouvelles évaluations, et ebes entraîneraient de grands frais. Si cependant des circonstances ou des probabilités les faisaient juger nécessaires, elles pourraient être ordonnées, et la dépense qu’elles nécessiteraient (1) Le prince ou magistrat trafiquant de sa commission et croyant céder avec elle le droit de faire des lois, de lever des impôts, présente une idée si absurde, qu’on ne conçoit pas comment elle a pu entrer dans la tête d’hommes capables de réfléchir. (2) On ne parle ici que d’après le témoignage glorieux qu’ont rendu aux habitants de la Dombes les commissaires sortis du sein de l’Assemblée pour recevoir le serment des troupes. (3) La Dombes est située entre les villes de Lyon, de Bourg et de Mâcon. Elle est bornée au Nord et à l’Est par la Bresse, au Sud et à l’Ouest par le Lyonnais, le Beaujolais et une partie du Méconnais, la Saône entre deux. Cette position seule prouve l’avantage de l'union. Les villes de la Dombes sont, Trévoux, Thoissey, Lent, Saint-Trivier, etc. Il y a, en outre, plusieurs bourgs et villages ; mais ces villes et ces bourgs ne sont pas d’une grande étendue, et, en général, on n’y trouve qu’une faible population et un grand patriotisme. serait, comme en matière ordinaire, la peine de la téméraire contestation (1). En attendant, nous pouvons établir comme certain que le contrat d’échange a reçu, par le consentement des deux nations, une sanction qui le rend irrévocable. Nous n’avons besoin que de cette assurance pour soumettre à l’examen le contrat par leq elle roi régnant a acquis Lorient et Recouvrance en 1786. Pour apprécier le mérite de cette seconde opération et en connaître les motifs, il est nécessaire de reprendre les choses de plus haut. On fait remonter le dérangement survenu, en 1762, dans les affaires domestiques de M. de Rohan-Guémené. Au nombre des biens immenses qui se sont échappés de ses mains, il possédait en Bretagne, la terre de Lorient et celle du Ghâtel; avec ses annexes, dont les mouvances s’étendaient sur le faubourg de Recouvrance, faisant partie de la ville de Brest. Ces deux possessions semblaient englober deux des principaux ports du royaume. On persuada aisément au roi qu’il devait les acquérir. L’affaire s’entama en 1783. La négociation fut longue. Le ministre de Louis XVI voulut la traiter avec une certaine réserve : il croyait devoir payer les convenances; mais il voulait qu’il y eût une certaine proportion entre la chose et le prix. L’acquisition de Lorient présentait deux difficultés. M. de Montbazon, en donnant ses terres de Bretagne à M. de Guéméné en avancement d’hoirie, les avait grevées de substitution. Heureusement le donateur s’était réservé la faculté de vendre ou échanger la ville de Lorient, à là charge que le prix passerait à la substitution. 11 pouvait user de cette faculté pendant sa vie; et comme elle lui était personnelle, elle devait finir avec lui. 11 fut d’abord convenu qu’il le vendrait à Mmo de Marsan, qui elle-même revendrait au roi. En adoptant cette mesure, M. d’Ormesson, lors contrôleur général, pensa qu’une rente de 500,000 livres payable pendant 25 ans, suffirait pour payer tout à la fois Lorient et Recouvrance, et pour éteindre une indemnité que prétendait la maison de Rohan, et dont elle portait le capital à 1,100,000 livres; ce plan est consigné dans un mémoire approuvé du roi le 28 août 1783. Cette mesure de prudence fut abandonnée par la suite, et il fut convenu que MM. de Rohan vendraient directement au roi. Un autre mémoire, également approuvé le 12 septembre suivant, nous apprend que M. d’Ormesson avait écrit au cardinal de Rohan pour lui offrir le prix déterminé parle premier projet. Le cardinal demanda de plus le domaine de Trévoux. M. d’Ormesson évalua ce domaine de 30 à 40,000 livres de rente, et il en conclut qu’avec cette addition, larente devait être réduite de 460,000 livres. Cette évaluation du domaine de Trévoux ne s’écartait guère de la réalité. Avant vos sages réformes, qui en ont diminué le produit, il était affermé 37,000 livres ; nous en avons le bail sous les yeux. Cependant, en estimant la terre au denier 30, ce second prix excédait le premier d’environ 240,000 livres (2). (1) Un édit du mois de décembre 1781 a réuni la Dombes à la Bresse. L’article 5 ordonne que les impositions de la Bresse seront augmentées du sixième, et qu’il sera supporté par la Dombes seule. Ce sixième s’élève à 152,469 liv. 15 sols 7 den. ; il ne s’agit ici que des impôts directs. (2) D’après les calculs faits sur les rentes viagères, une rente qui doit s’éteindre au bout de 25 ans, s’évalue entre le denier 10 et le denier 11, l’intérêt étant à 5 0/0. 408 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1791.] L’autre difficulté qui suspendit la conclusion de cet important marché, c’est qu’un ancien employé dans l’administration des domaines, fort versé dans cette partie, éclairé d’ailleurs par de puissants intérêts persoum 1s, prétendit que Lorient était du domaine public, ou, comme on s’exprimait alors, du domaine de la couronne, et que les prétentions de la maison de Rohan sur cette propriété, devenue si préct use, n’étaient pas fondées. M. de Guémené invoqua une foule d’anciens titres et deux arrêts récents, qu’il disait l’avoir pleinement maintenu; il n’en essuya pa-moins une nouvelle contestation, et un troisième arrêt du conseil fut également favorable. Nous ne sommes pas en état de vous donner notre avis sur le fond de cette grande question. Il faudrait, pour l’approfondir, bien des travaux, de longues recherches. Le temps et notre mission ne nous permettent pas de nous livrer exclusivement à une étude de ce geure. Nous observerons seulement que l’article 13 du décret du 22 novembre, sanctionné le premier décembre 1790, met la chose jugée sous la sauvegarde de la loi (1). C<-tte disposition n’exclut pas sans doute les remèdes de droit que la loi elle-même indique aux plaideurs injustement condamnés : elle n’a interdit ni l’appel lorsqu’il est recevable, ni la demande en cassation contre les jugemenis en dernier ressort; et ici les formes qu’on a suivies, et la nature du tribunal qui a prononcé, pourraient donner quelque faveur à cette dernière ressource. Vers la fin de l’année 1783, M. d’Ormesson (1) Avant la loi du l«r septembre 1790, l’exception résultant de l’autorité de la chose jugée n’était pas admise en matière domaniale ; ce principe était rigoureux, mais il était conforme aux règles ordinaires de la jurisprudence, à celle de la simple équité ; un jugement quel qu’il soit est sans force, s’il n’a pas été rendu avec un contradicteur légitime ; il ne peut être opposé à celui qui y a le principal intérêt, s’il n’y a pas été partie ou dûment appelé ; or, tous les arrêts rendus jusqu’à cette époque, en matière domaniale, sont constamment infectés de ce vice. La nation qui ne s’assemblait pas, qui n’était pas représentée, ne pouvait y défendre. Elle était toujours condamnée sans être entendue. Ceux qui paraissaient veiller à ses intérêts n’étaient nullement ses délégués. C’était par le roi qu’ils étaient choisis, c’était le roi seul qu’ils représentaient. Le vrai propriétaire était donc évincé sans avoir été entendu et sans avoir été à portée de se défendre; conséquemment les jugements qui les condamnaient étaient, à son égard, irréguliers et nuis, et ne pouvaient lui être opposés. Ces principes, qui ne sont point arbitraires , ont bien plus de force encore, lorsqu’il s’agit d’un arrêté du conseil : 1° parce que ce tribunal, si même c’en était un, était incompétent en matière domaniale, lorsque la question qui était agitée avait trait à la pro-riété ; les lois en attribuaient la connaissance, d’a-ord aux baillis et sénéchaux, et ensuite au bureau des finances, et par appel à la grande Chambre du Parlement ; 2“ parce qu’au conseil il n’y avait point de ministère public chargé par les lois de veiller aux intérêts de la nation : l’inspecteur des domaines n’était qu’un agent administratif sans caractère aux yeux de la loi ; 3° parce que le roi, qui était censé juger en personne ou même juger seul au conseil, ne pouvait pas prononcer sur la validité d’aliénations qui étaient communément son propre ouvrage. C’est par ces raisons, sans doute, que le conseil lui-même ne regardait ses propres arrêts que comme des actes d’administration, qu’il se donnait souvent la liberté de rétracter sans formalités, ainsi que l’a parfaitement établi le rapporteur du comité des domaines dans l’affaire des fiefs d’Alsace. On ne pense donc pas que l’article 13 du décret cité puisse s’appliquer aux arrêts du conseil. quitta le ministère. Le choix de son successeur glaça d’effroi tous les bons citoyens ; ils ne prévoyaient pas alors qu’en mettant le comble à nos maux, il en hâterait lui-même le terme. Ce changement dans la personne d’un des principaux auteurs fit subitement changer la scène. Le nouveau ministre des finances revit le plan que son prédécesseur avait conçu, et il l’adopta en partie ; mais il en trouva les bases trop étroites. M. de Galonné aimait à travailler en grand : au lien de se borner aux domaines de Lorient et au fief deReeouvrance, comme avait fait M. d’Or-messon, il proposa d'y joindre toutes les terres que M. de Guémené possédait aux environs de Brest, et dont l’acquisition présentait en effet d’assez grands avantages, et il en porta tout d’un coup le prix à 12,500,000 livres, sans en distraire les domaines de Trévoux, qui devaient entrer dans le premier marché : nous nous sommes procuré une copie par ampliation du mémoire, où ce projet est consigné, et du bon du roi, qui l’approuve; il est sous la date du 26 février 1786. Après un préambule que nous mettrons bientôt sous vos yeux, parce qu’il est propre à jeter un grand jour sur cette opération, le ministre propose les conditions suivantes, dont nous ne nous sommes pas même permis de changer les expressions : » 1° Comprendre au co trat à passer au profit de Votre Majesté pour le même prix de 12,500,000 livres les deux terres du Châtel et de Carment, par réunion à la seigneurie de Lorient et de Recouvrance et au rachat du contrat de 18,000 livres de rente ; « Jouissance du 1er janvier 1786 ; « 2° Prélever 4 millions en faveur des créanciers privilégiés ; « 3° En acquitter Votre Majesté en réservant en ses mains, en constitutions viagères : « Le fonds des rentes de même nature montant à 2,700,000 livres, 150,000 livres qui seraient à payer à M. le duc de Lauzon, pour le remboursement qu’il demande d’une portion de 150,000 livres, sur sa rente viagère de 65,000 livres; « Les fonds du douaire de 300,000 livres de Mmo la duchesse de Lauzun, dont les intérêts seront payés à 5 0/0 ; « La moitié des arrérages de toute nature dus s affermés. Ou a pris 10 années des revenus casuels pour en former une année commune, e(, en joignant les revenus fixes, on a trouvé un produit moyen d’environ 20,000 livres par a n Ce produit s’est élevé en 1788 à près de 25,000 livres; nous observerons que, depuis un siècle, ce revenu, presque nul dans son principe, s’est accru graduellement avec une rapidité prodigieuse. Il a suivi les accroissements qu’a pris la ville de Lorient elle-mêm et il y a lieu de croire que cette progression se soutiendra longtemps encore. On ne peut donc évaluer ce produit annuel au-dessous du denier 40, et comme les droits purement honorifiques, ne sont point entré dans ce calcul borné aux produits effectifs, et que, lors du contrat, ces droits stériles n’en n’avaient pas moins une valeur très réelle, nous avons cru devoir porter à 1 million, le prix de ces domaines, ci ..... 1,000,000 liv. Le revenu des terres de Châ-lel, Garment et Recouvrance peut, d’après un mémoire fourni par l’administration des domaines, être porté à 110,000 livres au moyen de quelques bonifications. La ville de Brest est susceptible des mêmes accroissements que celle de Lorient; res domaines l’entourent, leur féodalité embrasse le faubourg de Recouvrance; leur produit actuel peut donc faire espérer les mêmes augmentations progressives , et le prix capital calculé au denier quarante, s’élève à 4,400,000 livres (1), ci .................... 4,400,000 M. de Guémené a porté à 1 ,100 ,000 livres le capital de la rente de 18,750 livres constituée sur les domaines de Bretagne. Vous connaîtrez bientôt, Messieurs, quelles ont été les bases de cette évaluation, et vous serez à portée de les apprécier ; nous les A reporter ........ 5,400,000 liv. (1) Ces terres acquises de M. de Biron, en 1778, ont coûté à M. de Guémené 3,500,000 livres et non pas 4 millions delivres, comme on l’a dit par erreur, et M. de Guémené en a retiré plus de 600,000 livres par des afféagements. On n’a pas manqué de dire que M. do Guémené avait fait un excellent marché, dont il pouvait profiter sans blesser la délicatesse ; on ne conteste ni le fait, ni le principe ; mais il n’en est pas moins vrai que dans l’état actuel elles ne produisent pas plus de 100,000 livres, et qu’en admettant même l'estimation très gratuite de M. de Galonné, qui en porte le revenu à 150,000 livres, il y aurait encore une forte lésion. On a donc eu raison de supposer dans le contrat et dans les arrangements faits avec les créanciers, qu’une très forte partie de la somme convenue pouvait être considérée comme prix de convenance et ae pure libération. 410 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 septembre 1791.] Report ......... 5, 400,000 liv. adopterons pour un instant, sauf à réduire quand vous aurez prononcé, ci .......... 1,100,000 Prix total des objels acquis par le roi, de M. deGuémené, ar le contrat du 3 ocio-re 1786, six millions cinq cent mille livres, ci ........ 6,500,000 liv. Voilà la chose acquise ; voyons àprésent quelenaété le prix. La terre de Trévoux, donnée en échange, a été affermée par bail du 18 août 1775, 37,000 livres; le comité convient que cette terre ne présentait aucun motif de con venance à la maison de Rohan ; elle était éloignée de ses autres possessions, du centre de sa fortune, et il est reconnu qu’en 1775, elle avait été affermée fort cher. Il n’est cependant pas possible de l’estimer au-dessous du denier 20, ce qui donne, sur le pied du bail, un capital de sept cent quarante mille livres (1) .................... 740,000 liv. Le prix donné ou promis en argent, est de douze millions cinq cent mille livres, ci ................. . ....... 12,500,000 Total de ce que les objels acquis de M. Guémené ont coûté à la nation treize millions deux cent quarante mille livres, ci ............. 13,240,000 Et sur ce prix déduisant leur valeur effective telle qu’on vient de la présenter, c’est-à-dire six millions cinq cent mille livres, ci ......... 6,500,000 L’excédent du prix sur cette valeur est de six millions sept cent quarante mille livres, ci .................. 6,740,000 Somme égale ............. 13,240,000 liv. Existe-t-il quelque part une transaction tant soit peu importante, où la convenance ait été payée si cher? La nation doit-elle, peut-elle même entretenir un traité si onéreux à ses finances ? Pour envisager cette question sur tous rapports, il faut considéier séparément l’intérêt de la maison de Rohan et celui de ses créanciers. S’il ne s’agissait que des vendeurs, le comité n’y trouverait aucune difficulté. G’est moins ici commutatif qu’une donation simulée (2). Puisque (1) C’est à peu près au prix qu’elle a été évaluée en 1772. (2) On a promis de mettre sous les yeux de l’Assemblée le préambule du mémoire du 26 février 1786. Le voici mot à mot : « Lorsque votre Majesté a bien voulu arrêter, dans un comité de finance, qu’elle acquerrait de la maison de Rohan-Guémené, moyennant 12,500,000 livres, la seigneurie de Lorient, sans la domaine qui doit être échangé contre celui de Trévoux, cette acquisition procurait des avantages à l’Etat, il était juste de les payer avec une sorte de générosité; il n’aurait pas été honnête de profiter du désordre des affaires de M. de Guémené, pour se les procurer à bon compte. Il fallait acheter même la convenance, quoique la nécessité de vendre eût pu la faire négliger, et le prix de convenance a une latitude en quelque sorte arbitraire; mais cet arbitraire n’est pas illimité. Tout ce qui est susceptible de calcul a des bornes. Lorsque l’Etat a acquis des souverainetés, telle que celle de Dombes elle-même, celle d’Henrichemont et plus anciennement celle de Sedan, il a été convenu que ces souverainetés seraient évaluées au denier 60 de leur produit, tandis que les domaines donnés en contre-échange ne le seraient qu’au denier 30 ; mais le mode d’évaluation peut être considéré comme le maximum, des sacrifices qu’il était possible de faire à l’opinion, et vous venez de voir tout à l’heure qu’on a franchi de bien loin ce terme extrême qu’aucun prétexte ne pouvait permettre d'outrepasser. Eh ! dans quel temps encore s’est-on livré à cette étonnante prodigalité? Lorsque les finances de l’Etat, épuisées par des fautes et par des crimes, faisaient déjà présager tous les maux dont il n’appartenait qu’à vous, Messieurs, d’entreprendre la cure (1). Il est nécessaire de répondre ici aux objections que pourraient faire, qu’ont même déjà faites les défenseurs de la maison de Rohan. A les entendre, la créance qu’elle avait à exercer sur l’Etat était immense. Il lui était dù: 1° les rentes au huitième de 6,700,000 livres, à quoi ils fixent la valeur proportionnelle des immeubles que le roi avait acquis de la compagnie des Indes en 1770 ; 2° l’indemnité à laquelle cette acquisition donnait lieu, et que selon eux la coutume de Bretagne règle au tiers du prix principal; 3° une autre indemnité pour la perte de la justice qu’ils évaluent au vingt-quatrième du prix; 4° i’intérêt de toutes ces sommes depuis sa seigneurie et domaine de Recouvrance, et l’extinction de 18,000 livres de rente dues à cette maison, elle n’a entendu sans doute proportionner le prix de cette acquisition à la modique valeur qui la compose; mais, entraînée par les mouvements de sa bienfaisance naturelle, et de sa compassion pour les malheureux créanciers de M. de Guémené, elle a daigné souscrire à un arrangement destiné principalement à répartir sur eux une somme infiniment plus considérable que celle qu’ils auraient retirée de la vente de ces biens ; et pour que l’excès de leur évaluation pût avoir une apparence de motif pris dans l’intérêt de l’Etat, on a cru pouvoir attacher une très grande valeur aux avantages que l’acquisition de Lorient et de Recouvrance procurerait à la marine de Votre Majesté, et aux facilités qu’on y trouverait pour les établissements utiles à son service, tant à Lorient qu’à Brest. » (1) M. de Calonne a toujours été confiant dans ses principes. Il disait en 1787, à l’Assemblée des notables, ue le titre d’administrateur économe n’est pas toujours û à celui qui ne s’attache qu’à des épargnes souvent illusoires... Que l'utile splendeur de l’Etat est incompatible avec une stérile parcimonie. « J’aurais tout perdu, ajoute-t-il, si j’avais pris l’atti-« tude de la pénurie au moment que je devais en dis-« simuler la réalité. Toutes mes ressources étant dans « le crédit, tous mes efforts ont dû tendre à le rétact blir. L’argent manquait parce qu’il ne circulait pas ; « il en fallut répan dre pour l’attirer , en faire venir du dehors « pour faire sortir celui que la crainte tenait caché au « dedans, se donner l’extérieur de l’abondance pour « ne pas laisser apercevoir l’étendue des besoins. » On peut mettre ici en problème si M. de Galonné s’entendait mieux en morale qu’en économie politique. 411 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’année 1770. Or, toutes ces créances s’élevaient à près de 5 millions. En donnant quittance de cette somme, la maison de Rohan cédait 2 terres dont ils porient l’une à 150,000 livres et l’autre à 50,000 livres de rente, ce qui nous donne au denier 40 environ 8 millions, d’où ils concluent que le prix de convenance n’est entré que pour une portion bien modique dans celui auquel toutes ces cessions ont été portées. Il ne faut que quelques observations pour faire connaître combien ce détail est exaséré. Ce qui concerne le produit des terres a déjà été réfuté d’avance. On n’examinera point ici si la cession que l’ancienne compagnie des Indes a faite au roi, de ses domaines en 1770, a opéré une véritable mutation, donnant ouverture aux lods. Des personnes très instruites ont prétendu, non sans apparence, que cette mutation n’était pas réelle, et que dans la vérité la nation était seule propriétaire des terres et des domaines que possédait la compagnie, qui n’était au fond qu’un agent national pour le commerce de l’Inde; mais cette question délicate paraît avoir été décidée en faveur de la maison de Rohan; on se bornera donc à observer qu’il n’existe point de ventilation régulière, qui ait déterminé la valeur proportionnelle des immeubles situés à Lorient, quoique l’arrêt du conseil, du 27 octobre 1777, l’eût expressément ordonné. Pour y suppléer, votre comité s’est procuré un extrait de L’état des effets dont le roi a bien voulu recevoir la cession , et payer la valeur aux actionnaires en un contrat au denier 25. A la marge de l’article 8, on trouve cette apostille. « Sa Majesté se mettra incessamment en possession du port de Lorient, conformément aux dispositions de l’article 2 de l’édit du mois d’août 1764. La compagnie remettra au roi tous les édifices, terrains, matériaux, droits et propriétés de tout genre qui peuvent lui appartenir dans le port et la ville de Lorient, et dans les environs dont Sa Majesté a bien voulu fixer la valeur à 4 millions , à la charge par la compagnie de continuer jusqu’au 1er avril prochain, les dépenses nécessaires pour l’entretien du port de Lorient. » Le prix de 6 millions se trouve déjà réduit à 4 millions par cette apostille; et sur celte somme il y a encore bien des déductions à faire : 1° les effets mobiliers que possédait Lorient sont compris dans la vente; ces effets étaient considérables et certainement ils ne devaient pas de droits seigneuriaux; 2° le port de Lorient, ses accessoires et plusieurs bâtiments qui en dépendent, tels que les magasins neufs, l’hôtel des ventes, les anciens magasins, la forge, la matière, la goudronnerie, la tonnellerie, ont été bâtissur des terrains que les eaux couvraient. La compagnie en a fait la conquête sur la mer, suivant l’expression de l’inspecteur des domaines ; ils n’étaient donc pas sous la mouvance de M. de Guémené d'après les dispositions de l’ordonnance de 1681. La valeur relative de tous ces obje s et de plusieurs autres encore dont il est inutile de donner le détail doit donc être retranchée des 4 millions. CVst faire grâce de les évaluer par aperçu, au quart du prix total, ce qui réduit à 3 millions la somme sur laquelle M. de Guémene a pu, dans l’hypothèse la plus favorable, étendre ses prétentions. Dans le détail des sommes dont M. de Guémené était créancier de l’Etat avant le contrat du 3 octobre 1786, se trouve l’indemnité à laquelle donnait lieu l’acquisition faite par le roi en 1770, des possessions de la compagnie des Indes à Lo-[27 septembre 1791.] rient. M. de Guémené, dans son mémoire imprimé, page 4, porte cette indemnité à 2,233,846 1. 6 s. 8 d., c’est-à-dire au tiers du prix qu’il suppose que les possessions ont été vendus, et quelques lignes plus bas il dit que le gouvernement lui a donné une rente , sur la Bretag?ie, de 18,000 livres, au capital de 1,100,000 livres. Nous avons promis d’indiquer les bases sur lesquelles a été faite cette évaluation ; et comme l’arrêt du conseil ne les a pas déterminées, nous somm s réduits à de simples conjectures. Nous allons rendre compte des faits qui nous les ont fournies. Un arrêt rendu eu la grande direction des finances le 27 octobre 1777, ordonna : 1° que M. de Rohan-Guémené serait payé de la somme de 200 livres pour le droit de lods et ventes dû par la compagnie des Indes, à raison des terraius par elle acquis en 1666 et 1669 ; 2° Qu’il serait aussi payé des droits de lods et ventes pour raison des cessions faites au roi en 1770; et sur le pied porté par la commune des lieux et du droit d’indemnité suivant la fixation faite par les ordonnances, édits et arrêts; 3° Qu’à cet effet il serait procédéàla ventilation et fixation de la somme pour laquelle les objets cédés sont entrés dans le total de la somme de 17,500,000 livres portée par l’édit de février 1770; et sur le surplus des demandes, fins et conclusions de M. de Guémené, il a été mis hors de cour. Le 26 mai 1780, M. de Guémené présenta requête pour demander le payement : 1° des lods et ventes des objets dans sa mouvance, qu’il évalue à 6,701 ;539 livres ; 2° de l’indemnité sur le pied du tiers du prix de l’acquisition et de l’indemnité pour la justice, à raison du 24e. Un arrêt du conseil, du 23 juin 1781, retira cetie instance de la grande direction, etordonna qu’elle serait remise entre les mains d’un rapporteur, pourêtre statué par le roi, en son conseil des finances, ainsi qu’il appartiendrait. Dix jours seulement après ce jugement, c’est-à-dire le 3 juillet 1781, il e t intervenu un nouvel arrêt qui liquide les lods dus à M. de Guémené, et lui accorde une rente de 18,750 livres, tant pour la perte de sa mouvance que pour celle de la justice. Get arrêt, nous l’avons déjà dit, n’indique point les buses sur lesquelles est établie cette liquidation. Il paraît que c’est une espèce de forfaii, une sorte de transaction à laquelle M. de Guémené a acquiescé en i’exécutant, puisqu’après avoir touché les lods, il s’est fait payer la rente jusqu’à l’extinction qui en a été faite par le contrat du 3 octobre 1786: mais, encore un coup, sur quoi s’est-on londé pour liquider la rente d’indemnité à 18,750 livres, et son capital à 1,100,000? Pour l’indiquer, nous n’avons que des probabilités ; on a vraisemblablement supposé que le prix de l’acquisition était de 3 millions ; on en a pris le tiers dont on a liquidé la rente an 60e, ce qui donne un revenu de 16,666 1. 13 s. 2 d. ; ensuite, pour raison de la justice, on a pris le 24e de ce prix présumé, c’est-à-dire 125,000 livres, dont la rente au denier 60 est 2,083 1. 6 s. 8 d. Cette manière d’opérer que l’un a cru conforme à i’édit de 1667 (1), a (1) Cet édit n’a pas toute la clarté désirable, relativement du moins aux biens nobles acquis par Je roi. Par une première disposition, il veut que, pour indemniser tes seigneurs des acquisitions faites en leur censive, il leur soit constitué une rente, telle que les arrérages d’icelle puissent, en 60 années, égaler la 412 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. donné en dernier résultat une rente de 18,750 livres; et un capital de 1,125,000 livres. Il serait bien facile, à vo're comité de démontrer que ce mode de liquidation a été extrême-ment avantageux à M. de Guémené, et qu’en le soumettant à un nouvel examen, la rente qu’on lui a accordée serait susceptible d’une assez forte réduction. Cependant on a dit, on a écrit en son nom, que cet arrangement était illégal, que, de son côté, il ne l’avait accep'é que par la crainte de ne pouvoir obtenir justice ; qu’heureusement il était nul, parce que Mmede Guémené ne l’avait jamais approuvé, et que sou concours eût été nécessaire pour en assurer la validité. (Mémoire imnrimé, 4 et 5.) Pour établir la nécessité du concours de Mme de Guémené, on dit que M. de Rohan, pour qui ces droits étaient ouverts, en avait fait don à M. et à Mmsde Guémené conjointement ; que chacun des donataire# avait un droit égalau bienfait, et que l’un ne pouvait transiger sans l’autre. Si la question présentait ici quelque intérêt, nous ferions voir que, dans ce cas-là même, un accommodement fait avec le mari seul serait valable, non seulement pour sa portion, mais encore pour celle de sa femme; nous ferions voir encore que c’est gratuitement qu’on suppose que Mmede Guémené est donataire avec son mari, et que son droit est égal au sien ; l’acte de donation ne lui accorde qu'un usufruit éventuel en cas de survie, et un droit de cette nature n’ôte point au propriélaire qui en est grevé celui de disposer. Mais il est juste de vous épargner des discussions arides que le parti que nous allons vous proposer rend absolument inutiles. Ce que nous venons de dire suffit pour prouver ce que nous avons avancé, que les prétentions deM. de Guémené étaient extrêmement exagérées, et que tons ses droits se bornaient en 1786 à une rente somme à laquelle les lods et ventes se trouveraient monter à raison du prix porté au contrat, et à l’égard des héritages en fief; il veut que ladite rente soit réglée à raison du 5e denier du prix de l’acquisition, ou autre tel qu’il est dit par la coutume en cas de vente. Quant à l’indemnité due pour la justice, il la fixe au 24e du prix, en sorte qu’en soixante ans les seigneurs reçoivent ce 24* ; mais il ne l’accorde que dans le cas où les bâtiments seraient démolis ou enfermés dans l’enclos de quelque maison royale. A s’en tenir au premier sens qui se présente, il semblerait en résulter que l’indemnité due pour les biens nobles ne différerait de celle due pour les cen-sives qu’autant qu’ils seraient assujettis par les coutumes à un droit différent en cas de vente ; et comme dans un grand nombre de coutumes, et notamment à Paris, le droit de mutation pour les fiefs est du 5® du prix porté au contrat, le rédacteur de l’édit semble avoir pris cette quotité pour exemple; mais ce mode de liquidation serait injuste en ce que le seigneur féodal ne serait indemnisé que des droits dus par vente, et qu’il ne le serait pas des droits de rachat; et, par une interprétation équitable, on a pensé qu’il fallait prendre une certaine quotité du prix, telle que le tiers ou le cinquième, selon les usages des lieux, et en former un capital pour en constituer une rente au denier 60. Ici, par exemple, on a pris le tiers du prix, qui est un million, quoique suivant Duparc-Poulain, et un arrêt qu’il cite, on eût pu se borner au 5* ; et ce million a donné au denier 60 une rente de 16,660 1. 13 s. 4 d. On a ensuite accordé une indemnité pour la justice, ainsi qu’on l’a expliqué au texte. M. de Guémené a accepté cette liquidation; il en a exécuté les conditions : il en est résulté entre le fisc et lui un contrat réciproquement obligatoire, d’autant plus inviolable qu’il avait tous les caractères d’une transaction. Nous verrons cependant bientôt qu’il a cherché à s’y soustraire contre son véritable intérêt. [27 septembre 1791. J de 18,750 livres, au capital de 1,125,000 livres ; il faut néanmoins avouer que l’arrêt du 27 octobre 1777 semble lui avoir fait un préjudice, en ne lui accordant pas les intérêts qu’il réclamait ; ces intérêts légitimement dus s’élevaient à cette époque à plus de 200,000 livres, il serait juste d’ajouter cette somme à celle de 6,500,000 livres, à laquelle nous avons porté par aperçu le prix total des objets acquis de M. de Guémené par le contrat du 4 octobre 1786, ce qui diminuerait d’autant la lésion que la nation a soufferte. Les défenseurs de M. de Guémené, qui ne peuvent se la dissimuler, se retranchent à dire qu’en droit l’acheteur n’est jamais restituable pour cause de lésion : nous leur accordons le principe, mais il ne peut s’appliquer à un simple administrateur; et si un tuteur avait porté au nom de son pupille un objet de convenance deux fois au delà de son juste prix, les tribunaux auraient peine à lui refuser le bénéfice de la restitution, surtout si le patrimoine du mineur se trouvait grevé par là d’une rente onéreuse. Après avoir examiné les droits des vendeurs, jetons un coup d’œil sur ceux des créanciers délégués par le contrat. Ils se divisent d’abord en deux classes, l’une des créanciers privilégiés sur les domaines vendus par M. de Biron, l’autre des créanciers particuliers de M. de Guémené. Les droits des créanciers de lapremière classe sont parfaitement à couvert, quel que soit le sort du contrat dont nous nous occupons; aussi leur privilège leur inspire-t-il la plus grande sécurité, et ils attendent l’événement dans le silence. La classe des créanciers particuliers de M. de Guémené se subdivise en deux branches, dont le soit peut être bien différent. Les uns ont été payés en exécution du contrat d’échange, et ceux-ci peusent avec raison que la révocation du contrat ne peut jamais les obliger à rendre ce qu’ils ont reçu : chacun sera toujours fondé à dire, ce que j’ai reçu était à moi : meum recepi. Les autres, moins bien traités, n’ont pour eux qu’une simple délégation faite à leur profit, par le contrat rie 1786; délégation qu’ils ont accep tée par l’organe de leur# syndics, qui y ont été partie; mais ils soutiennent que l’effet de cette délégation a été de substituer irrévocablement la nation à la place de leur premier débiteur. Leur créance, à les entendre, est sous la sauvegarde. de la loyauté française. Tous les jurisconsultes conviennent en effet que, qumd la délégation est parfaite, et qu’elle a été acceptée par le créancier, le débiteur qui l a faite est déchargé de plein droit. A son égard, la dette est éteinte, de sorœ que, quand le débiteur qui a été délégué deviendrait insolvable, le créancier qui l’a acceptée n’aurait plus de recours contre le débiteur originaire que la délégation acceptée a pleinement libéré. De ces principes du droit civil, les créanciers se croient fondés à conclure que, dès l’instant qu’ils ont accepté la délégation, M. de Guémené a cessé d’êlre leur débiteur, et qu’ils sent, devenus créanciers de l’Etat. Il serait, ajoutent-ils, d’.iutant plus injuste de nous priver de cette délégation , que nous n’avons plu; nos titres ; comptant sur elle, nous les avons anéantis, et la nullité de la délégation anéantirait notre créance elle-même. A c s motifs tirés de la loi, ils joignent des considérations d’humanité qui leur prêtent une grande force ; les 5 millions que le roi s’es* soumis à payer aux créanciers délégués ont formé 1,700 contrats, dont l’inexécu- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [27 septembre 1791.] 413 tion plongerait dans la misère 1,700 familles, qui n’ont pas d’autres moyens de subsistance. Votre comité, Messieurs, a pesé ces moyens, et il ne les a pas jugés sans réplique. En général, nulle obligation ne peut subsister sms cause; et dès que la nation se détermine à révoquer un acte qui la blesse, elle peut se croire libérée, de toutes les obligations qui en dérivent, sous quelque forme qu’elles se présentent; autrement les principes, que le droit public a établis pour la conservation des intérêts nationaux, seraient perpétuellement éludés. La nation semble donc avoir le ■ roit de révoquer le contrat du 3 octobre 1786, et d’annuler avec lui toutes les obligations non acquittées, dont ce contrat est la base; mais a-t-elle intérêt de le faire? C’est à quoi se réduit la difficulté. Pour la résoudre, ce n’est pas la transaction en elle-même qu’il faut considérer. Le contrat présente une lésion si énorme, si évidente, que, si les choses étaient encore eniières, ou si la nation pouvait recouvrer les sommes qu’elle a payées, elle trouverait un avantage bien décidé à annuler le contrat; mais le recouvrement n’en est plus possible, les sommes payées sont perdues sans retour. La maison de Rohan ne possède que des biens grevés de substitution (on donnera son état de situalion à la fin du rapport), elle n’a point de biens libres sur lesquels une telle répétition puisse être exercée ; d’un autre côté, les créanciers qui ont été payés ne peuvent être contraints de rendre ce qu’ils ont reçu, ils opposeraient toujours avec succès cette exception triviale, mais sans réplique : meum recepi; ainsi nul espoir, nulle ressource (l).Il faudrait donc, e;i annulant le contrat, faire ie sacrifice pur et désintéressé de tout ce qu’il en a coûté jusqu’ici, et on verra, par un tableau qui sera mis à la suite du projet de décret, que ce sacrifice purement gratuit s’élèverait à près de 8 millions. Il est peu de pères de famille, qui, dans le rapport de leurs facultés privées, eussent le courage de se résoudre à ce parti extrême. Et, s’il arrivait qu’en exécutai, t le contrat, les sommes qui restent à payer excédassent encore le prix des domaines et des droits acquis, ce que votre comité est bien éloigné de penser, ces droits et ces domaines ont une valeur de convenance dont cet excédent serait le prix. Nous ajouterons qu’il n’est plus en voire pouvoir de remettre les créanciers de la maison d : Rohau au même état qu’ils étaient avant l’acte du mois d’octobre 1786. Vous pouvez bien leur rendre les terres qui leur servaient alors de gage ; mais la valeur n’en est plus la même. La féodalité éteinte, les droits honorifiques abolis, plusieurs droits utiles supprimés sans indemnité , les ont rendues bien moins précieuses qu’elles ne l’étaient à cette époque. Tous ces motifs réunis ont fait penser à votre comité que vous vous détermineriez à confirmer le contrat du 3 octobre 1786. En adoptant ce plan digne de votre sagesse et de votre sensibilité, vous rendrez à la vie, vous sauverez des (1) Si l’on prenait le parti de révoquer le contrat, la maison de Rohan rentrerait dans la propriété des terres de Châtel, Carmen t et Recouvrance; mais il reste encore environ 3 millions de dettes privilégiées sur les terres, et les créanciers particuliers de M. de Guémené ont des hypotheques anterieures à celle de la nation; ainsi, ce quelle pourrait en espérer par les subrogations serait à peu près absorbé par l’immensité des frais. horreurs de l’indigence et du désespoir une foule de citoyens précieux, tirés la plupart de ces classes productives et industrielles, qui forment la principale richesse de l’Etat; et votre comité des domaines, dont les fonctions ont été jusqu'ici rigoureuses, et par cela même si pénibles, éprouve dans ce moment un sentiment bien doux de pouvoir vous proposer cet acte de bienfaisance, que l’équité conseille, et que l’intérêt national bien entendu ne saurait désavouer. N. B. — Ce rapport était à l’impres-ioo lorsque votre comiié a été instruit que, dans des lettres patentes données au mois de mars 1765, pour la translation de la substitution de la principauté de Dombes, se trouvait insérée mot à mot la clause suivante : sous la réserve néanmoins « des anciens droits de nous et de notre cou-« roime, lesquels voulons ne pouvoir être exercés « par nous et par nos successeurs rois, que « dans le cas d’extinction de la postérité mascu-« culine de notre cousin le comte d’Eu, et de « notre cousin le duc de Penthiévre; les droits « des filles demeurent cependant réservés pour » les faire valoir, ainsi qu’il appartiendra. » Votre comité a voulu connaître la nature de ces droits que les anciens documents que nous avions parcourus ne nous avaient pas indiqués ; et nous avons reconnu qu’ils étaient fondés sur l’arrêt de confiscation des biens du connétable de Bourbon, et sur l’édit de 1531, qui les appliquait à la Dombes. Les auteurs de cette réserve ont pensé qu’il en était résulté sur ce petit pays une impression de domanialité, que la transaction du 25 novembre 1560 n’avait pas parfaitement effacée. Ils ont été plus loinr encore; ils ont cru pouvoir faire revivre les prétentions de la mère de François Ier, qui, comme cousine germaine de Suzanne de Bourbon, avait voulu exclure de sa succession le connétable plus éloigné qu’elle d’un degré. Les faits et les principes que le comité a déjà établis suffisent pour faire évanouir ces deux difficultés. Nous croyons avoir prouvé, d’nne manière satisfaisante, qu’avant l’union commencée en 1762, et consommée en 1789, la Dombes était une souveraineté indépendante, étrangère à la France. Elle pouvait être conquise par la voie des armes ; mais elle ne pouvait être réunie par des édits et des jugements, ni par aucun acte de la puissance civile, dont l’effet est toujours borné au territoire du souverain dont ils émanent. La prétention de la duchesse d’Angoulême était d’ailleurs insoutenable, quoiqu’elle fut plus proche en degré, parce que la Dombes est régie par le droit écrit, qui n’admet pas les réserves coutumières, et que le connétable était tout à la fois donataire entre vifs, et héritier institué. Ainsi la transaction de 1560, qui a restitué la Dombes au prince de la Roche-sur-Yon, n’a été qu’un acte de justice qui a fait cesser l’abus de la force (1). Votre comité ajoutera que, quand même cette transaction ne serait pas considérée comme un traité de puissance à puissance, mais comme une simple donation, elle est antérieure à l’ordonnance de 1566, époque à laquelle l’Assemblée nationale a jugé à propos d’arrêter ses recherches. Ainsi, sur tous les rapports, ces réserves doivent demeurer sans effet; mais le (1) Il avait été expressément stipulé par les traités de Madrid et de Cambrai que le connétable ou ses héritiers rentreraient dans les biens dont ils avaient été dépouillés, et en parlant de la Dombes, il est dit qu’elle est hors payset juridiction de France. 414 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. comité a jugé qu’il n’en était pas moins de son devoir de vous en instruire. Lors du procès-verbal d’évaluation fait dans le courant de décembre 1772, il s’est encore élevé une difficulté dont il doit également vous rendre compte. Vous vous rappelez, Messieurs, que, par une clause expresse du contrat d’échange de l'année 1762, il fut convenu qu’eu égard au titre et à la dignité de ladite principauté, elle serait évaluée sur le pied du denier 60, et que les domaines cédés par le roi le seraient au denier 30. M. le comte d’Ëu requit l’exécution de cette stipulation ; la Chambre des comptes ordonna, par un premier jugement, qu’il serait procédé aux évaluations dans la forme ordinaire, et sans avoir égard à la üxation du denier stipulé par le contrat, sauf néanmoins à M. le comte d’Eu, après les jugements d’évaluation, à former pour l’exécution dudit contrat, et eu égard au titre et à la dignité de ladite principauté de Dombes, telle demande qu’il aviserait bon être. M. le comte d’Eu insista sur sa demande; le roi manifesta de nouveau ses intentions, et, le 5 août 1772, intervint un nouveau jugement qui ordonna qu’en procédant aux jugements d’évaluation des domaines respectivement échangés, il serait formé, dans le prucès-verbal, deux colonnes, dont la première contiendrait l’évaluation du domaine sur le pied du denier dont il serait jugé susceptible, et la seconde, l’évaluation du même domaine au denier 30, pour les objets cédés par le roi, et au denier 60 pour ceux cédés par M. le comte d’Eu, suivant qu’il est énoncé. audit contrat d’échange et lettres de ratification. Votre comité, en examinant en détail les différents procès-verbaux, a observé que ces deux modes d’évaluation n’avaient pas produit, dans les résultats, une aussi grande différence qu’ils sembleraient l’annoncer ; pour le faire sentir, on citera par exemple le neuvième chapitre de recette du procès-verbal d’évaluation de la Dom-bes, à cause des impositions et des droits de péage qui se percevaient dans l’étendue de cette principauté; la seconde colonne s'élève à 19,189,847 I. 10 s. et la première à 18,031,620 I. 12 s. 6 d. On est étonné au premier coup d’œil de trouver aussi peu de différence entre ces deux résultats; mais à l’examen la surprise cesse. On voit bientôt que la Chambre a considéré les impôts comme une émanation directe du droit de souveraineté, et par cette raison elle 1< s a évalués, dans l’une et dans 1 autre colonne, au denier 60. Ede n’a regardé, au contraire, les péages que comme de simples droits féodaux; et, sous ce point de vue, elle ne les a estimés qu’au denier 30 dans la première colonne, suivant sa jui imprudence ordinaire; au lieu que, dans la seconde, elle les a portés au denier 60, aux termes du contrat. C’est sur les péages que porte toute la différence. Il y a d’ailleurs, au nombre des domaines cédés à M. de Penthièvre, des objets évalués au denier 30, suivant la convention, et qu’il était d’usage d’évaluer seulement au denier 20 ou 25. Ce que l’échangiste a gagné d’un côté, il l’a souvent perdu de l’autre. Par toutes ces considérations, le comité des domaines vous propose, Messieurs, les deux projets de décret suivants : PREMIER PROJET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des domaines, a déclaré que le pays [27 septembre 1791.] de Dombes, avec ses dépendances, est uni à l’Empire français, et, en conséquence, décrète ce qui suit : « Art.ler.Lesévaluations commencées en exécution du contrat du 19 mars 1762 seront reprises, continuées et parachevées d’après les règles et les formes qui seront déterminées par un décret particulier. « Art. 2. 11 sera remis aux juges ou commissaires qui seront chargés de faire parachever iesdites évaluations, des expéditions en forme des procès-verbaux faits ou commencés à la chambre des comptes; ils en suivront les derniers errements, et ils se conformeront aux modes d’évaluation adoptés par la chambre en tout ce qui ne sera point contraire au décret qui sera incessamment rendu pour déterminer les règles et les formes de ces opérations. « Art. 3. Aussi' ôt que les évaluations seront achevées, les procès-verbaux qui en auront été rédigés, tous les actes d’instructions, pièces et litres y relatifs seront apportés au secrétariat de de l’Assemblée nationale, qui, sur le compte qui lui en sera rendu, ratifiera les opérations, si elles sont jugées régulières, sinon en ordonnera la réforme aux frais de qui il appartiendra, déterminera les distractions et les réduelions dont les évaluations seront susceptibles, et réglera définitivement la soulte en cas d’inégalité dans les valeurs respectives des objets cédés de pari et d’autres. « Art. 4. La soulte ainsi réglée sera payée avec les intérêts à partir du 1er avril 1762, jour de l’entrée en jouissance, et les partit s se feront raison des sommes respectivement reçues. » SECOND PROJET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des domaines, décrète ce qui suit : « Le contrat du 3 octobre 1786, par lequel le roi a acquis les terres et domaini s de Lorient, Châ-lel, Carment , Becuuvrance et leurs annexes ; et racheté la rente de 18,750 livres, ci-devant due sur les domaines de Bretagne, sera exécuté selon sa forme et teneur, et les rentes perpétuelles et viagères déléguées par ce contrat seront payées et servies jusqu’à l’amortissement, ou l’extinction d’icelles. » Observation. Nous vous avons rendu compte, Messieurs, de la contestation qui s’était élevée relativement à la propriété du domaine de Lorient, et des différents arrêts du conseil qui l’avaient terminée; des mémoires imprimés répandus dans l’Assemblée vous ont instruits de tous les détails de celte prétention dont nous n’entreprenons point d’apprécier la validité; si elle vous semble mériter quelque considération, il sera prudent d’insérer au décret une réserve qui mette les droits de la nation à couvert. Dans la réalité et dans l’intention des parties contractantes, les domaines de Trévoux ont été destinés à remplacer ceux de Lorient; et ils les remulacent en effet puisqu’ils sont grevés de la même substitution. S’il se trouvait donc que Lorient fût une ancienne dépendance du domaine public, la nation serait en droit de rentier dans l’objet qu’eüe a donné en contre-échange. On pourrait en tout évéuement faire de cette réserve un article particulier ainsi conçu : « L’Assemblée nationale déclare qu’elle n’en-