[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] 8 à vos préjugés, ne pensez plas à ces biens qui vous avaient perdus; ils vont être vendus; car, malgré tous vos efforts, la nation sait la confiance qu’elle se doit à elle-même ; que la garantie d’un grand peuple est plus sûre que vos prédictions : elle n’oubliera pas que le premier acte de puissance que ses représentants ont fait en son nom, a été d’assurer la solidité de ses engagements. Il en est temps encore; désarmez par une prompte soumission le peuple irrité de votre résistance. Le décret que je vais présenter est moins pour vous une loi sévère, qu’une mesure d’indulgence. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait au nom de ses comités ecclésiastique, des rapports, d’aliénation et des recherches réunis, décrète ce qui suit: « Art. 1er. Les évêques, les ci-devant archevêques et les curés dont les sièges et cures ont été conservés, et qui en sont absents, pour quelque cause et sous quelque prétexte que ce puisse être, à l’exception toutefois de ceux qui sont membres de l’Assemblée nationale, se rendront dans leurs diocèses et cures respectifs dans le délai de quinze jours pour ceux qui sont en France, et de six semaines pour ceux qui sont chez l’étranger; le tout à dater de la publication du présent décret. « Art. 2. Dans la huitaine à dater de cette publication, tous les évêques et curés actuellement présents dans leurs diocèses et cures jureront solennellement, s’ils ne l’ont pas encore fait, de veiller avec soin sur les fidèles des diocèses et cures qui leur sont conliés, d’être fidèles à la nation, à la Joi et au roi, de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi ; et ceux des absents qui n’auraient pas fait le serment ci-dessus le prêteront de la même manière et en la même forme dans la quinzaine qui suivra leur arrivée dans leur diocèse ou cure. « Art. 3. Les évêques, les ci-devant archevêques et les curés prêteront le serment ci-devant prescrit un jour de dimanche, à la fin de la messe, savoir : les évêques, dans l’église épiscopale, et les curés, dans l’église paroissiale, en présence des municipalités, des conseils généraux, des communes et de tous les fidèles. A cet effet, lesdits évêques , ci-devant archevêques et les curés seront tenus de déclarer par écrit, et au moins vingt-quatre heures d’avance. au greffe de la municipalité, le jour auquel ils feront leur serment. « Art. 4. Il sera dressé procès-verbal de la prestation dudit serment par le maire, lequel procès-verbal sera écrit par le greffier, et signé de l’évêque ou du curé, du maire, des autres officiers municipaux, des notables qui seront présents, et du greffier. « Art. 5. Les évêques et curés, membres de l’Assemblée nationale, et tous ceux qui, pour cause de maladie ou autre légitime empêchement, ne pourront se rendre sur les lieux pour la prestation dudit serment, pourront satisfaire au décret en le faisant prêter par un procureur spécialement fondé à cet effet, et à charge de le réitérer en personne dès que les empêchements auront cessé. « Art. 6. A défaut de prêter le serment ci-dessus prescrit dans le délai déterminé, lesdits évêques, ci-devant archevêques et les curés seront réputés avoir renoncé à leurs offices, et il sera pourvu à leur remplacement, comme en cas de vacance , suivant les formes prescrites par le titre II du décret du 12 juillet dernier sur la constitution civile du clergé; à l’effet de quoi le maire sera tenu, dans la huitaine après l’expiration desdits délais, de dénoncer le défaut de prestation de serment, savoir : de la part de l’évêque, au procureur général syndic du département, et de celle du curé, au procureur syndic du district; l’Assemblée rendant en ce cas garants et responsables de leur négligence tant le maire que le procureur général syodic et le procureur syndic. « Art. 7. Dans le cas où les évêques, ci-devant archevêques et les curés manqueraient à leur serment, soit en refusant d’obéir aux décrets de l’Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi, soit en formant ou excitant des oppositions à l’exécution desdits décrets de l’Assemblée nationale, acceptés ou sanctionnés par le roi, ils seront non seulement privés de leurs traitements ou pensions, mais encore déclarés déchus des droits de citoyens français, incapables d’aucune fonction publique. Eu conséquence, il sera pourvu à leur remplacement suivant les formes prescrites par le titre XI du décret du 12 juillet concernant la constitution civile du clergé, sauf plus grandes peines, suivant l’exigence et la gravité des cas, s’il y échet, à l’effet de quoi leur procès leur sera fait, et la forfaiture jugée par le tribunal de district de leur résidence, à la forme de droit, à la requête de l’accusateur public, sur la dénonciation soit du procureur général syndic, soit du procureur syndic, ou du procureur de la commune, lesquels seront respectivement responsables de leur négligence à dénoncer les faits qui viendront à leur connaissance. « Art. 8. Les ci-devant titulaires d’offices, titres ou bénéfices supprimés, qui exerceraient quelques-unes des fonctions qui y étaient attachées seront poursuivis comme perturbateurs du repos public, et punis par la privation de leurs traitements, et autres peines s’il y échet. « Art. 9. Seront de même poursuivis et punis comme perturbateurs du repos public toutes personnes ecclésiastiques ou laïques qui se coaliseront pour former ou exciter des oppositions aux décrets de l’Assemblée nationale sanctionnés par le roi. « Art. 10. L’Assemblée nationale approuve la conduite des corps administratifs des départements de Maine-et-Loire, Rhône-et-Loire, Loire-Inférieure, Côtes-du-Nord, du Morbihan, du Finistère, de l’Aisne et de l’Oise, de la Gironde et de l’Hérault, des districts de Quimper, Vienne, Pontivv, Pont-Croix, Nantes, Savenay, Broons, la Tour-Ju-Pin, Guingamp, des municipalités de Châteauvieux, Soissons, Saint-Brieuc, Rouen, Lyon et Quimper, et le zèle patriotique qu’ils ont montré pour l’exécution de la loi. Elle leur recommande, ainsi qu’à tous les autres corps administratifs et municipalités du royaume, de veiller exactement à l’exécution du présent décret. « Art. 11. Elle charge sou président de se retirer dans le jour vers le roi, pour le prier de lui accorder sa sanction et de donner les ordres convenables pour sa plus prompte exécution. » (L’impression est demandée et décrétée à une grande majorité.) M. de Cazalès. Je pense qu’il faut ajourner [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] 9 à deux jours toute discussion sur la question qui vous est soumise par vos comités. Il est impossible de se dissimuler qu’il y a dans ce rapport des dispositions importanteset sur la discipline de l’Eglise et sur l’ordre public... (Il s’élève des mur-mures.) l\ est impossible de ne pas convenir... (Les murmures augmentent.) Ce rapport est tel qu’il y a dans le projet de décret des articles qui peuvent augmenter les divisions du royaume.il est nécessaire d’apporter dans cette matière une grande réflexion... (Nouveaux murmures.) Je ne m’opposerai jamais à ce que l’Assemblée repousse des atteintes qui seraient portées aux lois constitutionnelles du royaume; mais il n’est nullement juste, nullement sage de nous obliger à prononcer sur des dispositions qui nous sont inconnues. Je demande donc, pour l’honneur de l’Assemblée nationale et pour la tranquillité du royaume, qu’on ajourne à après-demain. M. Barnave. Dans le système de résistance que de sourdes intrigues dénoncent, et qui s’accroît chaque jour, je crois que l’humanité et la prudence doivent hâter des mesures par Je moyen desquelles nous éviterons des punitions plus sévères qui répugneraient à nos âmes. G’est pour le salut de ceux-rnêmes qui résistent, c’est pour éviter la nécessité douloureuse de sacrifier des victimes à la paix publique, qu’il ne faut pas perdre un moment. Je pense qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement, et que la discussion doit commencer immédiatement. (On applaudit.) M. de Cazalès. 11 est impossible... (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’ajournement.) M. de Bonnal, évêque de Clermont (1). Messieurs, ce n’est pas pour repousser les sarcasmes que le rapporteur du comité s’est permis contre les ecclésiastiques; ce n’est pas pour combattre les raisonnements qu’il a faits et que la saine logique désavoue; ce n’est pas pour défendre le traitement qu'il vous propose de nous enlever; ce n’est pas pour faire entendre des plaintes et des murmures sur la rigueur du décret dont on nous menace, que j’ai demandé la parole. Affermis par la grâce de Dieu contre les épreuves de tout genre, nous espérons que jamais l’on ne verra dans notre conduite que la patience et la résignation avec la fermeté. Ces vertus, dont nous devons l’exemple, sont les fruits de la foi que nous avons été appelés à prêcher, que nous sommes chargés de défendre et dont nous devons suivre toutes les impressions. Les grands intérêts, Messieurs, absorbent les moindres et les font oublier. Ici nous laissons tout ce qui est temporel; il n’est point dans notre caractère, ni dans nos sentiments de nous en occuper, lorsqu’il s’agit d’un apanage bien plus essentiel de l’Eglise, de la hiérarchie, de sa juridiction et de sa dici pline. Aussi éloignés de l’enthousiasme et du fanatisme que de l’esprit de faction et de trouble ; dominés par l’unique ambition de remplir nos devoirs et de satisfaire notre conscience, nous avons ouvert, de nouveau, d’un côté, les dépôts sacrés où sont contenus les grands principes qui doivent nous diriger ; de l’autre, la constitution du clergé. Dans cette constitution que vous appelez civile (1) Le dire de M. de Bonnal et très inoomplct au Moniteur. et qui, dès lors, ne devrait traiter que d’objets civils et politiques, nous n’avons pu méconnaître une législation sur des objets spirituels. Accorder la juridiction, l’ôter, T’étendre, ou la restreindre, en régler l’exercice, en déterminer les fonctions, voilà ce qu’elle fait; mais voilà aussi ce que les livres saints, et la tradition, aussi vénérable que constante, qui forme la chaîne dont le premier anneau tient à la pierre angulaire sur laquelle l’Eglise est bâtie, nous disent qu’elle ne peut pas faire ; voilà ce que nous ne pourrons jamais regarder comme compatible avec les principes de l’Eglise catholique. Vous la respectez, Messieurs, cette Eglise, et vous vous glorifiez d’être ses enfants; nous aimons à croire que c’est même par zèle pour elle que plusieurs d’entre vous ont adopté, en grande partie, les articles de Constitution qui nous ont été proposés, comme devant lui rendre l’éclat de sa beauté primitive. Mais nous devons le dire, parce que la vérité ne peut rester captive dans notre bouche, et que c’est vous rendre hommage que de l’énoncer devant vous avec liberté, le fils de Dieu n’a pas laissé son ouvrage imparfait, lorsqu’il a formé son Eglise, il l’a organisée lui-même et a laissé à ses apôtres le pouvoir qui devait être transmis à leurs successeurs, de la gouverner ; par conséquent, celui de faire des lois, de régler les fonctions des différentes classes des ministres, d’assigner à chacun la sphère au delà de laquelle il ne pourrait exercer sa juridiction, de se perpétuer par l’ordination, d’établir l’ordre canonique pour remplir les différentes places du sanctuaire. Toute autre organisation est étrangère à l’Eglise et ne peut avoir lieu que par son adoption. Qu’on daigne nous permettre de nous assembler en concile, et là toujours unis au successeur de Pierre, nous chercherons, dans toute la pureté des vues qui doivent nous animer, à concilier, autant qu’il sera en nous, les intérêts de la nation avec ceux de la religion sainte que nous devons tous regarder comme le bien national le plus précieux. Qu’on attende du moins, comme nous l’avons demandé plusieurs fois, que le chef de l’Eglise, consulté par le roi, se soit expliqué. Messieurs, rien ne peut mieux vous prouver, ainsi qu’à la nation et à l’univers entier, que nous sommes conduits par des motifs dignes de notre caractère que notre résolution qui doit être inébranlable, parce qu’elle tient aux devoirs les plus sacrés , de nous soumettre à toutes les privations et de nous dévouer à tous les sacrifices, plutôt que de manquer à nos principes et de trahir notre conscience. Par là, nous donnerons à nos détracteurs et à nos ennemis, aux insensés comme aux sages, aux faibles comme aux puissants, le beau spectacle que l’Eglise nous a commandé de donner à tous quand ils s’agit des intérêts de Dieu. Si nous avons à souffrir, nous nous glorifierons de souffrir pour sa cause; nous nous réjouirons de devenir plus semblables à son divin fils ; nous nous abandonnerons aux soins de sa providence; nos privations seront nos jouissances, et le monde saura que ce n’est point l’amour des biens terrestres qui domine nos cœurs. Au surplus, Messieurs, nous le répétons et nous aimons à le répéter ; dans tout ce qui est civil et politique, nulle soumission ne l’emportera sur la nôtre ; nous ne cesserons de montrer, par notre conduite, comme nous l’avons plusieurs fois ici solennellement exprimé, notre fidélité à la loi, à 10 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 novembre 1790.] la nation et au roi ; notre ministère sera toujours consacré, comme il doit l’être, à procurer et affermir la paix, l’ordre, l’obéissance à l’autorité légitime dont la religion catholique est le plus ferme appui, et nos cœurs seront toujours occupés à former des vœux pour le bonheur public. Je supplie l’Assemblée d’ordonner que ce que je viens de dire soit inséré dans son procès-verbal. (Les évêques et le plus grand nombre des ecclésiastiques se lèventen signe d’adhésion au moment où M. de Bonnal quitte la tribune). M. de Cazalès. M. l’évêque de Clermont demande que son dire soit inséré au procès-verbal. Voix à gauche : L’ordre du jour ! (L’ordre du jour est prononcé.) M. de Mllrnlseau l'aîné. Messieurs, tandis que de toutes parts lus ennemis de la liberté publique vous accusent d’avoir juré la perte de la religion, je me lève en ce moment pour vous conjurer, au nom de la patrie, de soutenir, de toute la force dont la nation vous a revêtus, cette religion menacée par ses propres ministres, et qui ne chancela jamais que sous les coups dont l’orgueil et le fanatisme des prêtres l'ont trop souvent outragée. Quelle est, en effet, cette Exposition qui vient à la suite de protestations et de déclarations turbulentes, susciter de nouvelles interruptions à vos travaux et de nouvelles inquiétudes aux bons citoyens? Ne balançons pas à le dire, Messieurs : c’est encore ici la ruse d’une hypocrisie qui cache, sous le masque de la piété et de la bonne foi, le punissable dessein de tromper la religion publique et d’égarer le jugement du peuple. C’est l’artifice d’une cabale formée dans votre propre sein, qui continue à méditer des mesures pour le renversement de la Constitution, en affectant le ton de la paix, et qui met en mouvement tous les ressorts du trouble et de la sédition , lorsqu’elle se donne pour ne vouloir plaider que la cause de Dieu, et revendiquer les droits de la puissance spirituelle. Non, Messieurs, ce qu’on veut, n’est pas que vous apportiez des tempéraments et des modifications à ce que vous avez statué sur la constitution civile du clergé; mais que vous cessiez d’être sages, que vous renonciez à toute justice; qu’a-près avoir réglé le dehors de la religion, vous en attaquiez le fond ; que vous fouliez aux pieds la foi de vos pères, que vous anéantissiez un cube dont vous avez lié ladestinée à celle de l’Empire, afin que votre chute dans l’impiété vous imprime un caractère odieux, et semble intéresser la piété des peuples à la dispersion des législateurs de qui la France attendait sa régénération. Mais s’il était vrai que le sacerdoce français dût à la religion et à sa propre conscience d’opposer des réclamations à vos décrets, ces réclamations devraient-elles être conçues, rédigées, publiées par les évêques députés à l’Assemblée nationale ? Si cette Exposition est un devoir indispensable pour le corps des pasteurs, pourquoi nos collègues dans la représentationluatio-nale, se rendent-ils les organes d’une résistance qui, fût-elle nécessaire, aurait toujours ses inconvénients et ses dangers? Pourquoi faut-il que ce soit du fond de ce sanctuaire même de la loi, qu’il s’élève des voix pour la ruine de la loi? N’était-ce pas là une commission délicate et terrible, dont la prudence voulait qu’on choisît les instruments au dehors du Corps législatif, et dans une classe d’hommes libres des ménagements et des bienséances que la nation impose aux dépositaires de sa confiance et de son autorité? Ch ténébreux phénomène ne s’explique, Messieurs, que par la détermination prise depuis longtemps de faire haïr des persécuteurs du christianisme dans les fondateurs de la liberté et de réveiller contre vous l’ancien et infernal génie desfureurs sacrées. Un tel dessein demande des agents suscités du milieu de vous. Leur caractère public donne du poids à leurs calomnies. On a voulu, pour imprimer au r-ssort contre-révolutionnaire une teinte constitutionnelle et nationale, que les moteurs en fussent pris parmi les spectateurs et les compagnons de vos travaux. Il résulte de là un signal solennel de scission qui ranime toutes les espérances,' et qui, sans les vertus personnelles du prince que vous avez appelé le restaurateur de la liberté française, promettait, au despotisme abattu, des forces pour briser son tombeau, et pour redresser son trône sur les cadavres des hommes échappés à ses fers. Pour démêler, Messieurs, ce caractère faux et perfide qu’on s’est vainement efforcé de couvrir de tous les voiles d’une raison modérée, et d’une religion sage et tranquille, il vous suffira de remarquer les paroles qui terminent cette étrange Exposition : « Nous pensons que notre premier « devoir est d’attendre avec confiance la réponse « du successeur de Saint-Pierre, qui, placé dans « le centre de l’unité catholique, et de la com-« munion, doit être l’interprète et l’organe du « vœu de l’Eglise universelle. » Concevez-vous, Messieurs, comment des pasteurs qui sont dans l’attente d’une décision suprême et très prochaine de la part d’un tribunal dont ils veulent, à tout prix, reconnaître la souveraineté, tombent dans l’inconséquence de pré* venir ce jugement, et de s’établir les précurseurs du conseil de Rome, qui doit apparemment armer la France catholique contre la France libre? N’est-ce pas là publier que l’on fait à l’avance, parce qu’on l’a dictée, une réponse à laquelle on veut attacher L s destins de cet E mpire? N’est-ce pas laisser transpirer la connivence établie entre le clergé français et le clergé romain, pour combiner des manœuvres de contre-révolution, et déconcerter, par la perspective sinistre d’un schisme, la force qui nous a soutenus jusqu’ici contre tant d’orages ? Ou plutôt, Messieurs, on vous prévient sans détour que vous êtes destinés à subir ce dernier joug, si vous ne vous hâtez de recommencer la constitution du clergé sur les principes exposés par les évêques députés à l'Assemblée nationale. « Nous voulons, disent-ils, « employer tous les moyens de sagesse et de « charité, pour prévenir les troubles dont une « déplorable scission peut devenir l’ouvrage. Nous « ne pouvons pas transporter le schisme dans « nos principes, quand nous cherchons dans « notre conduite tous les moyens d’en préserver « la nation. » Et ce sont des représentants des Français qui tiennent à leurs commettants ce langage menaçant et séditieux ! Et ce sont les ministres du Dieu de la paix, les pasteurs des hommes qui soufflent l’esprit de discorde et de révolte parmi leurs troupeaux ! Jamais l’incrédulité systématique n’ourdit de manœuvres, ni si dangereuses, ni si profondément destructives de tous les principes du christianisme. Aucun impie n’en a tenté la ruine, en lui incorporant les intérêts et les passions les plus incompatibles avec la durée de son règne, et en semant dans son sein tous les germes d’une [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembro 1790.] 11 inquiétude et d’une fermentation si incurable, que, pour le voir s’évanouir et se perdre dans les gouffres du temps, il n’y ait plus qu'à l’abandonner à sa propre destinée. Voilà, Messieurs, ce que sont les évêques députés à l’Assemblée nationale ; ils veulent charger la religion du soin de vous punir, et de les venger. Us savent à quels dangers ils l’exposent; mais ils en ont fait le sacrifice. Us sont résolus à lui faire courir tous les hasards de ce choc terrible, et à la voir s’écrouler sur ses antiques et augustes fondements, pourvu qu’en tombant, elle enveloppe dans ses ruines vos lois et la liberté ! Certes, Messieurs, quand on vous reproche (1) de rétrécir l'ancienne juridiction de l'Eglise, et de méconnaître la nécessité et l’étendue d’un pouvoir qu'elle exerçait sous les empereurs payens, et clans le temps des persécutions, n’est-ce pas vous inviter à soumettre à un révision sévère le système d’organisation sacerdotale que vous avez adopté? à ramener la religion à l’existence qu’elle avait sous le gouvernement des anciens Césars, et à la dépouiller de toute correspondance et de toute relation avec le régime de l’Empire? Quelle merveille que des empereurs payens pour qui la religion n’était rien, et dans un temps où l’institution chrétienne n’était ni reçue dans l’Etat ni reconnue par l’Etat, ni entretenue sur les fonds de l’Etat, aient laissé cette institution se régir dans son invisibilité, suivant des maximes qui ne pouvaient avoir d’effets publics, et qui ne touchaient, par aucun point, l’administration civile 1 Le sacerdoce entièrement détaché du régime social, et dans son état de nullité politique, pouvait, du sein des cavernes où il avait construit les sanctuaires, dilater et rétrécir au gré de ses opinions religieuses, le cercle de ses droits spirituels et de ses dépendances hiérarchiques. 11 pouvait régler, sans exciter nulle sensation, ces limites et ces démarcations diocésaines qui ne signifiaient alors que le partage des soins apostoliques, et qui n’obscurcissaient et n’embarrassaient en rien la distribution des provinces romaines. Alors, Messieurs, la religion n’était que soufferte. Alors les prêtres ne demandaient pour ebe, aux maîtres du monde, que de la laisser épancher dans le sein de l’homme ses bienfaits inestimables. Alors les pontifes bénissaient les puissances de laisser reposer le glaive qui avait immolé tant de pasteurs vénérables, et de regarder les modestes organes de l’Evangile avec bienveillance, ou même sans colère. Alors ces ouvriers austères et infatigables ne connaissaient d’autre source de leur frugale subsistance, que les aumônes de ceux qui recevaient l’Evangile et qui employaient leur ministère. Concevez-vous, Messieurs, quels eussent été les transports de ces hommes si dignes de la tendre et religieuse vénération qu’ils inspirent, si la puissance romaine eut ménagé, de leur temps, à la religion, le triomphe que lui assurent aujourd’hui les législateurs de la France? Et c’est à ce moment où vous rendez sa destinée inséparable de celle de la nation, où vous l’incorporez à l’existence de ce grand Empire, où vous consacrez à la perpétuité de son règne et de son culte, la plus solide portion de la substance de l’Etat ; c’est ce moment où vous la faites si glorieusement intervenir dans cette sublime division du plus beau royaume de l’Univers, et où, plantant le signe auguste du christianisme sur (1) Page 5 de l’Exposition des évêques. la cîme de tous les départements de la France, vous confessez, à la face de toutes les nations et de tous les siècles, que Dieu est aussi nécessaire que la liberté au peuple français ; c’est ce moment que nos évêques ont choisi pour vous dénoncer comme violateurs des droits de la religion, pour vous prêter le caractère des anciens persécuteurs du christianisme, pour vous imputer, par conséquent, le crime d’avoir voulu tarir la dernière ressource de l’ordre public et éteindre le dernier espoir de la vertu malheureuse 1 Et nous ne pouvons pas douter, Messieurs, que ce ne soit dans une intention aussi malveillante (1), qu’on cherche à insinuer que la religion est perdue, si c’est le choix du peuple qui décerne les places ecclésiastiques. Car nos évêques savent, comme toute la France, à quel odieux brigandage la plupart d’entre eux sont redevables du caractère qu’ils déploient maintenant, avec tant de hardiesse, contre la sagesse de vos lois ; certes, il en est plusieurs qui auraient trop à rougir de voir se dévoiler au grand jour les obscures et indécentes intrigues qui ont déterminé leur vocation à l’épiscopat ; et le cierge, daus sa conscience, ne peut pas se dissimuler ce que c’était que l’administration de la feuille des bénéfices. Je ne veux pas remuer ici cette source impure qui a si longtemps infecté l’Eglise de France de sa corruption profonde, ni retracer cette iniquité publique et scandaleuse qui repoussait, loin des dignités du sanctuaire, la portion saine et laborieuse de l’ordre ecclésiastique, qui faisait ruisseler, dans le sein de l’oisiveté et de l’ignorance, tous les trésors de la religion et des pauvres, et qui couronnait de la tiare sacrée, des fronts couverts du mépris public et flétris de l’empreinte de tous les vices. Mais je dirai que des prélats d’une création aussi anticanonique, des prélats entrés dans le bercail du troupeau du Seigneur, par une porte aussi profane, sont les véritables intrus que la religion réprouve, et qu’ils ne peuvent, sans blesser toute pudeur, condamner la loi qui leur assigne pour successeurs, ceux qui obtiendront l’estime toujours impartiale et pure de leurs concitoyens. « On sait, disent-ils, à quel point la forme « qu’on propose pour les élections est contraire « aux règles anciennes... II n’y a pas d’exemple « d’une forme d’élection sur laquelle le clergé « n’ait pas eu la principale influence ; cette in-» fluence est anéantie; il y a des départements « dans lesquels on ne compte pas un eeclésias-« tique parmi les électeurs (2). » Vous deviez bien frémir, ô vous qui brûlez de tant de zèle pour la restauration de l’ancienne discipline, lorsque, sous l’ancien régime, le clergé se mêlait si peu du choix des premiers pasteurs, et qu’un ministre, vendu aux volontés et aux caprices de ce qu’il y eut jamais de plus pervers et de plus dissolu autour du trône, distribuait, en mercenaire, les honneurs et les richesses de l’Eglise de France, au commandement des mêmes oppresseurs qui se jouaient des larmes du peuple, et qui trafiquaient impunément du bonheur et du malheur des hommes ! Pourquoi ne vit-on jamais sortir des assemblées du clergé, ni doléances, ni réclamations, ni remontrances contre un abus qui tuait si visiblement la religion dans ses plus intimes éléments, et qui corrompait si scandaleusement toutes les sources de la morale ? (1) Page 23 do Y Exposition des évêques. (2) Pages 23 et 24 de Y Exposition. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] Non, Messieurs, on ne veut pas sincèrement l’ordre et la justice ; on ne veut que brouiller et bouleverser. On n’est irrité que de la force de la digue que vous avez opposée au torrent des passions sacerdotales. On cherche à paralyser la Constitution de l’Etat, pour faire revivre l’ancienne constitution du clergé; on aspire à faire évanouir tous vos travaux dans les longueurs et la contuinité des interruptions qu’on y apporte, et à voir toutes nos scènes politiques se dénouer dans les horreurs d’une guerre religieuse. Ceux qui revendiquent la part qu’avait autre-trefoisle clergé à l’élection des ministres de l’Eglise, sont-ils de bonne foi? Il n’y a qu’un mot à leur répondre; le voici : Si le clergé actuel ne doit jamais devenir constitutionnel et citoyen, son intervention dans le choix des pasteurs serait un mal public, et le foyer du trouble résiderait à perpétuité dans le sein de l’Eglise de France. S’il prend enfin l’esprit de la Révolution et de la liberté, le peuple s'honorera d’invoquer sa sagesse et d’écouter ses conseils dans toutes les grandes déterminations qu’il aura à statuer pour le maintien des lois et pour la juste distribution des emplois religieux et politiques. L’influence de l’ancien clergé sur les élections ecclésiastiques n’a point d’autre origine que le respect et la confiance du peuple. Vous savez, prélats qui m’entendez, vous savez qu’il ne tient qu’à vous de vous faire adorer des hommes et de devenir les oracles de tous leurs conseils. Piessem-blcz à vos anciens prédécesseurs, et vous verrez bieutôt le peuple ressembler aux anciens fidèles et ne vouloir rien faire sans ses pasteurs. Quoique je n’aie pas eu dessein, Messieurs, de vous exposer l’analyse et la réfutation d’un écrit qui n’a pour hase que les traditions surannées d’une théologie arbitraire et inconséquente, je ne puis néanmoins me dispenser d’attirer un moment l’attention de l’Assemblée sur le fond de la question considérée en elle-même, parce qu’enün il entre peut-être de la vraie religion dans toutes ces réflexions et toutes ces inquiétudes théologiques; et qu’autant nous devons de sévérité à l’esprit de mécontentement et de murmure, autant nous devons de patience, de discussion et d’exhortation aux doutes des âmes timorées. Le prétexte politique de cette espèce d’insurrection sacerdotale, c’est, Messieurs, que la même puissance qui a changé l’ancienne distribution du royaume, ne pouvait rien changera l’ancienne démarcation des diocèses, sans le concert de la puissance spirituelle. Ils disent que le Corps législatif n’ayant nul caractère pour restreindre ou pour étendre la juridiction des évêques, ceux-ci ont besoin d’une nouvelle institution, pour se remettre au cours de leurs fonctions. J’avouerai volontiers que la théologie n’entra jamais dans le plan de mes études; mais sur le point dont il s’agit ici, j’ai eu quelques entretiens avec des ecclésiastiques instruits et d’une raison exacte et saiue. En fondant leurs réflexions dans les principes qui appartiennent aux seuls procédés d’un bon esprit et d’une logique inflexible, j’ai acquis le résultat que je vais mettre sous vos yeux. Le premier des quatre articles qui servent de base aux libertés de l'Eglise gallicane, énonce que les évêques tiennent immédiatement de Dieu la juridiction spirituelle qu'ils exercent dans l’Eglise : paroles qui ne signifient rien du tout, si elles ne signilient que les évêques reçoivent, dans leur inauguration, la puissance de régir les fidèles dans l’ordre spirituel, et que cette puissance est essentiellement illimitée : car elle est le fond et l’essence de l’épiscopat, et ne saurait par conséquent connaître d’autres bornes que celles de l’univers entier. Un caractère divin qui perdrait son exisienceau delà d’une circonférence donnée, serait un caractère chimérique et illusoire; un pouvoir fondé sur une mission divine et absolue, ne se peut ni restreindre, ni circonscrire ; en sorte que chaque évêque est solidairement, et par l’institution divine, le pasteur de l’Eglise universelle. Aussi le fondateur du christianisme n’a-t-il point partagé entre les apôtres la juridiction à exercer dans les différentes contrées du monde, et n’a-t-il assigné à aucun d’eux le cercle où il devait se renfermer. Mais chacun d’eux a reçu la puissance de tous ; tous ont été indivisi-blement établis les recteurs et les chefs de tout le troupeau de Dieu. Répandez-vous, leur dit-il, dans tout le monde, annoncez l'Evangile à toute créature. Je vous envoie comme mon père m'a envoyé . Voilà une décision évidente, où il faut dire que notre épiscopat est d’une autre nature que celui que Jésus-Christ a institué. La division de l’Eglise universelle, en diverses sections ou diocèses, est une économie d’ordre et de police ecclésiastique, établie à des époques fort postérieures à la détermination de la puissance épiscopale : un démembrement commandé par la nécessité des circonstances et par l’impossibilité que chaque évêque gouvernât toute l’Eglise, n’a pu rien changer à l’institution primitive des choses, ni faire qu’un pouvoir illimité par sa nature, devînt précaire et local. Sans doute, le bon ordre a voulu que la démarcation des diocèses une fois déterminée, chaque évêque se renfermât dans les limites de son église. Mais que les théologiens, à force de voir cette discipline s’observer, se soient avisés d’enseigner que la juridiction d’un évêque se mesure sur l’étendue de son territoire diocésain, et que hors de là il est dépouillé de toute puissance et de toute autorité spirituelle, c’est ,là une erreur absurde qui ma pu naître que de l’entier oubli des principes élémentaires de la constitution de l’Eglise. Sans rechercher en quoi consiste la supériorité du souverain pontifo, il est évident qu’il n’a pas une juridiction spécifiquement différente de celle d’un autre évêque : car la papauté n’est point un ordre hiérarchique ; on n’est pas ordonné ni sacré pape. Or, une plus grande juridiction spirituelle, possédée de droit divin, ne se peut conférer que par une ordination spéciale, parce qu’une plus grande juridiction suppose l’impression d’un caractère plus éminent, et la collation d’un plus haut et plus parfait sarcerdoce. La primauté du pape n’est donc qu’une supériorité extérieure, et dont l’institution n’a pour but que d’assigner, au corps des pasteurs, un point de ralliement et un centre d’unité. La primauté de saint Pierre ne lui attribuait pas une puissance d’une autre espèce que celle qui appartenait aux autres apôtres, et n’empêchait pas que chacun de ses collègues ne fût comme lui, l’instituteur de l’univers et le pasteur né du genre humain. Voilà une règle sûre pour déterminer le rapport à maintenir contre nos évêques et le souverain pontife (1). Il n’y a là, Messieurs, ni subtilités, ni sophismes, et tout esprit droit et non prévenu est juge compétent de l’évidence de cette théorie. (1) Tout ceci se résume eu un raisonnement qui est sans réplique et que j’énonce de cette manière: Une juridiction qu’on ne tient que de Dieu, et qui en dérive immédiatement, ne peut être limitée, et affectée [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] J 3 Mais je l’ai dit, l’intérêt de rappeler les droits de l’Eglise n’est ici que le prétexte de l’entreprise de nos évêques, et l’on ne peut méconnaître la véritable cause de leur résistance. Les vrais amis de la Constitution et de la liberté ne peuvent se dissimuler que nos pasteurs et nos prêtres persévèrent à compter une classe à part, et à mettre au nombre des devoirs de leur état, l’étude des mesures qui peuvent arrêter la Révolution. Ce sont des prêtres qui rédigent et qui font circuler les feuilles les plus fécondes en explosions frénétiques contre vos travaux; et ces prêtres sont soutenus de toute la prélature aristocratique: on exalte leur dévouement aux anciens abus, comme l’héroïsme du zèle apostolique; on les honore comme les réclamateurs imperturbables des droits de Dieu et des rois ; on les encense, on les canonise comme les Ambroises et les Alhanases de leur siècle; il ne leur manque que de mourir vicumes de leur fanatisme et„de leurs transports séditieux, pour recevoir les couronnes de l’apothéose, et pour obtenir la gloire d être inscrits sur le tableau des martyrs de la religion. Pontifes qui partagez avec nous l’honneur de représenter ici la nation française, à Dieu ne plaise que j’attire sur vous m sur vos collègues dispersés dans leurs églises, des reproches qui vous compromettraient aux yeux n’un peuple dont le respect et la confiance sont nécessaires au succès de vos augustes fonctions. Mais, après cette dernière éruption d’une inquiétude qui menace tout, pouvons-nous croire que vous ne prêtez à certains lieux , qu'en vertu d’une dispensation divine. Or, la partition de l'Eglise universelle en des sections ou diocèses séparés, n'est pas une institution divine. Donc cette partition n’apporte aucune restriction à l’universalité de la juridiction épiscopale. Si nous jetons un coup d’œil sur les temps apostoliques et sur les premières époques de la fondation des Eglises particulières, nous serons pleinement convaincus que l’idee d'une juridiction illimitée était inséparablement attachée à celle de l’épiscopat, et que ce n’était qu’accidentellement, et par des vues de position et de circonstances, qu’un évêque s’attachait à un territoire déterminé; Nous lisons dans les Actes des Apôtres, cliap. XX, que saint Paul, après avoir établi un nombre d’évêques dans l’Asie, leur dit, en leur faisant ses adieux: Veillez votre conduite et celle du troupeau sur lequel le Seigneur vous a établis évêques, en vous donnant la puissance de régir l’Eglise de Bien que Jésus-Christ a fondée par son sang. Voilà des paroles assurément bien concluantes et bien précises. Voulons-nous savoir dans quel sens Timothée était évêque 'à’Ephèse? Ecoutons comment saint Paul lui écrit peu de temps après qu’il lui eût remis la conduite de cette Eglise. Je vous ai prié (1 Timoth. 1, 3) de rester à Ephèse pendant que j’irais en Macédoine, afin que vous f ussiez à portée d’empêcher certains faux docteurs de répandre un enseignement différent de celui que j’y ai porté ...... Il écrit à peu près dans les mêmes termes à Cite, évêque de Crète : Mon dessein, dit-il, en vous laissant dans l’île de Crète, a été que vous vous appliquassiez à réf ormer quelques abus qui y régnent encore et à établir des prêtres dans les différentes villes, comme je vous l'ai recommandé. \Tit. 1, 5.) 11 faut convenir que ce langage serait fort étrange dans la bouche d’uii homme qui aurail cru que Timothée et file n’avaient de juridiction, l’un que sur les Ephésieus, l’autre que sur les Grétois. C’est doue comme si saint Paul eût dit à l’un et l’autre: « Par l’inteution divine et en « vertu de l’imposition des mains, vous êtes pasteurs « de l’univers . Mais, par la nécessité de soigner en « détail le troupeau du Seigoeur, vous vous renferme-« rez dans l’arrondissement où je vous ai laissés, et « vous exercerez auprès d’un peuple que j’ai spéciale-« ment confié à votre zcle, une puissance que Dieu vous « a donnée pour le salut de tous les peuples de la terre. » ni votre appui ni votre suffrage aux écrivains anticonstitutionnels qui décrient la liberté au nom de l’Evangile, et qui ne visent à rien moins, qu’à présenter la Révolution sous les couleurs d’une manœuvre impie et sacrilège? Et quand vous vous seriez bornés au silence de la neutralité et de l’insouciance, ce silence n’eut-il pas déjà été lui-même un scandale public? Des premiers pasteurs peuvent-ils se taire dans ces grandes crises où le peuple a un si pressant besoin d’entendre la voix de ses guides et de recevoir de leur bouche des conseils de paix et de sagesse? Oui, j’étais déjà profondément scandalisé de ne pas voir l’épiscopat français adresser à ses ouailles de fréquentes et fortes instructions pastorales sur les devoirs actuels des citoyens, sur la nécessité de la subordination, sur les avantages à venir de la liberté, sur l’horreur du crime que commettent tous ces esprits perturbateurs et malveillants qui méditent des contre-révolutions à exécuter dans le sang de leurs concitoyens. J’étais scandalisé de ne pas voir des mandements civiques se répandre dans toutes les parties de ce royaume, porter, jusqu’à ses extrémités les plus reculées, des maximes et des leçons conformes à l’esprit d’une Révolution qui trouve sa sanction dans les principes et dans les plus familiers éléments du christianisme. J’étais enfin scandalisé et indigné de voir des pasteurs inférieurs affecter la même indifférence, écarter de leurs instructions publiques tout ce qui pourrait affermir le peuple dans l’amour de son nouveau régime, laisser plutôt transpirer des principes favorables à la résurrection de l’ancien despotisme, ei se permettre souvent des réticences perfides... Je m’arrête pour éviter des inductions trop fâcheuses. Prélats et pasteurs, je ne possède pas plus qu’un autre mortel le don de prophétie; mais j’ai quelque connaissance du caractère des hommes et de la marche des choses. Or, savez-vous ce qui arrivera si les âmes ecclésiastiques persévérant à se fermer à l’esprit de la liberté, viennent enfin à faire désespérer de leur convention à la Constitution, et par conséquent de leur aptitude à être citoyens? L’indignation publique, montée à son comble, ne pourra plus souffrir que la conduite des hommes demeure confiée aux ennemis de leur prospérité ; et ce qui serait peut-être encore aujourd'hui une motion violente, ne tardera pas à acquérir le caractère d’une mesure raisonnable, sage et commandée par la nécessité d’achever le salut de l’Etat. On proposera à l’Assemblée nationale, comme l’unique moyen de nettoyer le sein de la nation de tout l’ancien levain qui voudrait se refiltrer dans ses organes, on proposera de décréter la vacance universelle des places ecclésiastiques conférées sous l’ancien régime, pour les soumettre toutes à l’élection des départements, pour mettre le peuple à portée de se donner des pasteurs dignes delà confiance, et de pouvoir chérir, dans les apôtres de la religion, les amis de sa délivrance et de sa liberté. Et ce projet, Messieurs, tout brusque qu’il pourrait paraître au premier coup d’œil, attirera d’autant plus l’attention des députés qui sont animés d’un véritable zèle pour répandre partout l’esprit de la Constitution, que son exécution ne pourra jamais entraîner que le déplacement de ceux qui ont donné lieu à la défiance publique, qui sont bien décidément reputés fauteurs ou approbateurs des menées de l’aristocratie, et par conséquent incapables de faire aucun bien réel dans les places qu’ils occupent; car le peuple est 14 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 novembre 1790.] juste, et son choix maintiendrait ceux de ses pasteurs qui auraient fait preuve de patriotisme, ou qui auraient réparé le scandale de leur résistance à la loi. Le ciel et mon âme me sont témoins que personne ne souhaite plus sincèrement que moi, de voir nos évêques et nos curés prévenir le recours de l’Assemblée à ce moyen pénible; et je les conjure de réfléchir à la nécessité que leur caractère leur impose, de coordonner l’Eglise à la Constitution, et d’aider la patrie, encore chancelante sur ses nouvelles bases, à s’étayer de la force de la religion. Mais je dois ajouter, pour ne rien laisser en arrière des vraies dispositions dont je suis affecté, que si jamais je perds l’espoir de voir les ministres du christianisme sortir du coupable silence dont ils s’enveloppent, au milieu des écarts dont quelques-uns d’eux déshonorent le sacerdoce, je serai aussi le plus ardent à solliciter l’application du remède sévère dont je viens de parier; et je suis fondé à penser que des suffrages imposants par leur poids et par leur nombre soutiendront victorieusement ma voix. En attendant, Messieurs, le moment où vous jugerez de votre sagesse d’examiner et de décider cette grande question, il me paraît nécessaire qu’après avoir statué sur l’étonnante démarche des prélats députés à l’Assemblée nationale, vous preniez en considération quelques articles relatifs à l’institution ecclésiastique, qui ont aussi une relation trop directe à nos principes constitutionnels, pour être étrangers à la sollicitude du Corps législatif. 1» Vous avez attribué, Messieurs, à tous les évêques et à tous les curés du royaume le choix de leurs coopérateurs dans le ministère ecclésiastique. Cette disposition, qui n’entraînerait aucun danger si tous les évêques et curés actuels étaient nationaux , c’est-à-dire de la création du peuple, ne me paraît bonne, en ce moment, qu’à procurer aux prélats et aux pasteurs aristocrates une facilité pour renforcer leur influence anticivique. Le moindre inconvénient qui puisse résulter de la liberté accordée aux ministres du culte, de composer à leur gré leur presbytère, c’est la possibilité, ou plutôt la certitude qu’incessamment le petit nombre d’ecclésiastiques voués à la Révolution, qui sont employés dans les diocèses et dans les paroisses, se trouvent sans fonctions et sans existence, et que les opinions et les consciences n’aient plus pour guides que des prêtres fanatiques et contre-révolutionnaires. C’eût donc été une mesure plus digne de votre sagesse, Messieurs, de régler la distribution des places de vicaires, d’après la nécessité d’établir auprès des évêques et des curés une sorte de réaction contre leur tendance incurable à ramener le règne des anciens abus; raison très suflisante pour modifier un de vos précédents décrets d’un bon et salutaire amendement. 2° Le ministère privé delà confession qui peut être si utile au progrès de l’esprit civique et constitutionnel, par la force et la continuité de son influence sur les habitudes humaines, et par son ascendant sur les opinions et sur les mœurs publiques, peut aussi devenir un foyer a’antipa-triotisme d’autant plus dangereux, que seul, il peut se dérober à la surveillance de l’autorité, et que la loi ne saurait imposer aucune comptabilité à ceux qui l’exercent. Le nombre des confesseurs est prodigieux; et celui des prêtres vraiment citoyens est si petit, que leur zèle pour la Révolution les a fait remarquer dans toute la France, et les met encore en butte aujourd’hui à la haine et aux injures de leurs implacables confrères. Dans cet état de notre sacerdoce actuel, il m’est impossible, Messieurs, de me taire sur la nécessité pressante de chercher des précautions contre les terribles et innombrables abus dont cette partie de l’administration ecclésiastique couve maintenant les germes. Tant que vous n’aurez pas trouvé dans votre sagesse un moyen do faire agir ce ressort de la religion selon une détermination concentrique au mouvement du patriotisme et de la liberté, je ne saurais voir autre chose, dans les tribunaux sacrés qu’une loi sans doute irréfragable et divine a érigés dans l’enceinte de nos temples, que les Irônes d’une puissance adverse et cachée, qui ne croira jamais remplir sa destinée, qu’autant qu’elle fera servir ses invisibles ressources à miner sourdement les fondements de la Constitution. C’est encore là un de ces grands maux qui exigent l’application d’un prompt et puissant remède. 3° Ce fut aussi, de tout temps, un grand mal, que cette multitude étonnante de prêtres, qui a été toujours croissante jusqu’à nos jours, et dont un tiers aurait suffi aux besoins réels du ministère ecclésiastique. Cette disposition si contraire à l’esprit et à la discipline des premiers siècles du christianisme, et qui a été une source intarissable de scandale et d’injustice, ne peut, à la vérité, se prolonger bien avant dans Je nouveau régime que vous avez établi, et où le sanctuaire n’offrira plus à ceux qui le serviront, que de grands travaux à soutenir, et que de sobres jouissances à recueillir. Cependant, Messieurs, cet équilibre ne s’effectuerait que par des gradations trop lentes; et la génération sacerdotale actuelle, si prodigieusement grossie par la restitution que vous avez faite de leur liberté aux membres des instituts religieux, excéderait encore trop longtemps, par son nombre, celui des places à remplir dans l’Eglise, si vous n’attendiez le retranchement d’un inconvénient si fécond en funestes conséquences, que de l’influence tardive du gouvernement. Quelque rare que devienne désormais la vocation de l’état ecclésiastique, on doit pourtant s’attendre que si l’on n’apporte aucune interruption au cours des ordinations, il s’y présentera toujours assez de candidats pour entretenir, durant des siècles, cette surabondance de ministres des autels, et perpétuer par là tous les maux qu’elle a causés à l’Eglise et à l’Etat. Personne ne peut disconvenir que les plus beaux jours de la religion n’aient été ceux où les évêques n’ordonnaient ni prêtres, ni diacres, qu’autant précisément qu’il en fallait pour le service de leurs églises, c’est-à-dire de leurs diocèses. Et certes, la quantité n’en était pas nombreuse, nuisque du temps du pape saint Corneille, l’an 250 de l’ère chrétienne, l’Eglise romaine n’avait que quarante-six prêtres (l), quoiqu’elle fût composée d’un peuple innombrable. Telles sont, Messieurs, les considérations que, depuis quelque temps, j’ai eu vivement à cœur d’exposer à l’Assemblée, et dont l’objet me paraît de nature à provoquer toute la vigilance et toute la sollicitude des représentants de la nation. Eu conséquence j’ai l’honneur de vous proposer le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérant que l'Exposition des principes de la constitution civile du (1 )Eusèl>e, yi, note chap. XLHL (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2G novembre 1790.] j 5 clergé, récemment publiée pur les évêques députes à l’Assemblée national'1, est directement contraire aux libertés de l’Eglise gallicane, et manifestement attentatoire à la puissance du Corps constituant, dont les lois, sur cette matière, ne peuvent être empêchées par quelque tribunal ou puissance ecclésiastique que ce soit; «Déclare déchudesonélection tout évêque convaincu d’avoir recours au saint-siège pour se faire investir de l’autorité épiscopale, entendant que chaque évêque élu s’en tiendra purement et simplement à des lettres de communion et d’unité, conformément à l’article 19 du titre 11 du décret du 12 juillet dernier; « Déclare vacant le siège de tout évêque qui recourrait à la demande de nouvelles institutions canoniques, sur ce que la nouvelle démarcation des diocèses lui attribuerait des ouailles qui n’étaient pas auparavant soumises à sa juridiction ; « Déclare pareillement vacant le siège de tout métropolitain ou évêque qui, sur une réquisition dans les formes prescrites par les articles IG et 35 du décret du 12 juillet, alléguerait d autres motifs que ceux prévus par les articles 9 et 36 dudit décret, pour refuser la confirmation canonique aux évêques ou curés nouvellement élus ; « Décrète, au surplus, qu’à compter de la publication du présent décret, tout ecclésiastique qui aura fait ou souscrit des déclarations ou protestations contre les décrets de l’Assemblée nationale, acceptés et sanctionnés par le roi, sera non recevable à demander te traitement qui lui est attribué, jusqu’à ce qu’il ait rétracté lesdites déclarations ou protestations ; «2° Que tout ecclésiastique qui, soit dans des mandements ou lettres pastorales, soit dans des discours, instructions ou prônes, se permettra de décrier les lois ou la Révolution, sera réputé coupable du crime de lèse-nation et poursuivi, comme tel, par-devant les tribunaux à qui il appartient d’en connaître ; « 3° Qu’en amendement des articles 22 et 23 du litre II du décret du 12 juillet, qui attribuent aux évêques et aux curés le choix de leurs vicaires, les évêques et curés ne pourront choisir leurs vicaires, que dans un nombre d’ecclésiastiques déterminé par l’élection antérieure des départements ou des districts; « 4° Que chaque archevêque ou évêque enverra aux greffes de toutes les municipalités de son diocèse, un état signé par lui et par le secrétaire diocésain, de ceux des ecclésiastiques domiciliés dans chaque municipalité, qui sont approuvés * pour Je ministère de la confession, et que nul ecclésiastique ne pourra exercer celte fonction, qu’il n’ait, au préalable, prêté le serment civique par-devant sa municipalité; « 5° Et attendu que le nombre des prêtres actuellement ordonnés, très augmenté par les religieux sortis des cloîtres et rendus à l’activité des fonctions sacerdotales, surpasse de beaucoup, et surpassera longtemps encore celui qui est nécessaire pour la desserte du culte, l’Assemblée nationale décrèteque le cours des ordinations est dès maintenant et demeurera suspendu, pour tous ceux qui ne sont pas engagés dans les ordres saciés, jusqu’à ce qu’il eu soit ordonné autrement, d’après les instructions et représentations adressées au Corps législatif par les directoires des départements; « 6° Que le présent décret sera présenté dans le jour à l’acceptation et à la sanction du roi. » (Après de longs applaudissements, i’impression du discours de M,. de Mirabeau est presque unanimement décrétée.) M. Faillie de ISÏontesquion. Il est donc de la destinée du clergé de ne voir jamais agiter dans cette Assemblée une question qui l’intéresse sans voir eu môme temps s’accumuler les reproches, les sarcasmes et le? injures. Si quelques corps se permettent des protestations, on crie aux violences et aux fureurs; si des évêques présentent des observations d’uu style modéré et oigne de leur sagesse, c’est de l’astuce et de la perfidie. Je suis trop loin de ces horreurs pour les soupçonner avec tant de facilité; car celui qui voit toujours le mal ne le trouve qu’au fond ne son cœur. Quant à moi, je blâme tout ecclésiastique qui oublie dans ses expressions la dignité de son caractère; j’approuve ceux qui disent la vérité, mais je voudrais ne voir applaudir dans cette Assemblée que ceux qui sont purs, éloquents, et simples comme elle. (On murmure.) Ou ne vous a parlé que de la paix; et moi aussi j’aime la paix; ils craignent la discorde; et moi aussi je la crains et je la bais; mais ce n’est pas dans des injures que je cherche l’une et que je m’occupe de prévenir l’autre; et c’est parce que je suppose à l’Assemblée les mêmes sentiments que je me permets de lui exposer mes idées. On nous reproche de défendre nos biens en nous aidant de la religion; on dit que nous pensons que le doigt de Dieu doit défendre les dons des hommes ; on vous oppose des principes; ce mot seul doit suspendre toutes les querelles et amener la méditation et le silence. Quand on parle de principes, il n’est jamais qu'une chose possible : c’est d’examiner leur vérité ; car, s’ils sont vrais, il faut que tout s’abaisse . devant eux: s'ils sont laux, il est utile de le démontrer et de rendre à la vérité tous ses droits ; mais ces principes sont écrits partout, et il n’eu est pas de plus faciles à connaître que ceux de la religion de nos pères. La religion catholique n’est pas une de ces religions mensongères qui cachent, dans une langue inconnue et dans une retraite sacrée, le livre de la loi. Il est donc facile desavoir si nous annonçons la vraie doctrine. Examinons si nous ne sortons pas des principes; si nous en sortons, faites-nous y rentrer; si vous vous en écartez, vous êtes hommes, et vous vous Condamnerez vous-mêmes. Le pouvoir des pasteurs est spirituel; ils ne peuvent rien sur la terre, et je déclare que nous ne demandons rien; mais Dieu nous a certainement donné la discipline particulière, les moyens d’observance, la cuaction môme. Jesus-Chnst ayant confié ce pouvoir à I Eglise, elle a pu le changer dans certains temps et s’eu servir üans d’autres; nous ne dirons pas qu’il appartient à l’Eglise, mais elle seule peut établir sa discipline et ses moyens d’observance : on ne peut être catholique et lui refuser ce pouvoir. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Maintenant vous demandez s’il est inhérent a l’Eglise qu’un diocèse soit circonscrit de telle ou telle manière? Non; des raisons temporelles ont décidé ces limites; mais cependant il est inhérent au pouvoir de l’Eglise de contribuer à l’établissement de telle ou telle chaire. Le Maître nous a dit ; Allez et enseignez... M. Massien, curé de Sergy. Ajoutez : toutes les nations. M. l’abbé de HBontesquiou. Je dis que Eau* 16 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. leur de la religion a chargé ses apôtres et leurs successeurs d’aller et d’enseigner ; il leur a laissé le soin d’établir des chaires de la loi dans tel ou tel lieu, par conséquent de contribuer à établir les chaires... {On murmure...) Lorsque l’histoire de tous les temps et de tous les lieux... (Les murmures redoublent.) On veut l’exécution des décrets de l’Assemblée... Je sais très bien qu’il doit vous paraître simple que l’Assemblée ait le droit d’envoyer des pasteurs dans tel ou tel lieu; mais si elle croit qu’elle a ce droit et que ses décrets s’exécutent, pourquoi répandre la discordre dans tout le royaume?... O11 me dit, dans mon voisinage, que si la sanction du pape, passez-moi ce mot, n’est pas arrivée, c’est la faute des évêques qui s’y sontoppo-sés. Si la discussion ne tient qu’à cela, la discussion est lime; l’Assemblée n’a qu’à prier le roi d’écrire au pape. {La très grande majorité de V Assemblée s'agite et murmure.) Je sais que vous avez tous les moyens de coaction ; mais, d’un côté, si l'Eglise vous montre le texte précis, de l’autre vous serez bien aise de répondre d’une manière terrible et déconcertante. Celui qui montre une difficulté qui tient à son devoir doit indiquer aussi le moyen de la lever; si l’on adopte ce qui vous est proposé, vous mortifierez des gens de bonne foi, et c’est un supplice d’appesantir son bras sur l’homme vertueux. {Une partie de la droite applaudit). Deux moyens se présentent pour lever la difficulté; l’un, sévère et quelquefois injuste, établit et interprète ce principe. {Nouveaux murmures.) Je ne puis répéter à tout moment, et je vous prie, M. le président, de m’ubtenir du silence. Le premier concile œcuménique, celui de Nicée, vous le dit en termes précis; et quel évêque peut aller contre le concile de Nicée, dent tous les jours nous répétons le symbole? Vous prétendez que tout prêtre, tout évêque reçoit, par sa seule consécration, une mission générale sur tous les chrétiens. Le concile de Trente a défini le contraire; au delà de l’ordre, il faut la mission pour tel endroit. Et quand les évêques disent qu’il faut cette mission, ils ne disent pas que le peuple ne peut pas élire. Si les évêques disent la vérité, il faut s’humilier et se taire devant elle; s’ils se trompent, il faut ouvrir les livres saints, et montrer aux évêques qu’ils réclament une autorité que le Maître ne leur a pas donnée. Pourquoi ue pas s’entendre, lorsqu’on devrait tous être d’accord? {On murmure.) Que veut l’Assemblée? discuter une question presque métaphysique, cela n'en vaut pas la peine. {Les murmures redoublent. — Plusieurs voix : La paix I la paix!) Je veux la paix, et, si mon opinion est un moyen de discorde, je descends de la tribune. L’autre, doux, légal, honnête et religieux. Choisirez-vous le premier? J’en doute. Vous avez vu réunir des diocèses, des abbayes; depuis cent ans aucune contestation ne s’est élevée àcetégard : il n’y a pas eu d’obstacles pour les rois, et vous voulez que ces obstacles ne s’abaissent pas devant l’Assemblée nationale, et vous voulez que le pape ne soit pas effrayé par la crainte du schisme!... On me dit que je suis maladroit d’avoir nommé le pape. {La partie gauche murmure.) Je serais bien plus maladroit à sa place; car je déclare que je ferais tout ce que vous me demanderiez. Je conclus à ce que M. le président se retire par-devers le roi pour le prier de prendre les formes légales pour faire exécuter les décrets relatifs à la constitution civile du clergé. Je ne sais si ma proposition sera adoptée; mais je dé-[26 novembre 1790.) sire, si vous la rejetez, que ce refus ne vous laisse aucuns regrets. M. Camus. Je demande la parole. M. Pétlon monte à la tribune. Divers membres , à gauche, demandent le renvoi à demain. Le renvoi à la séance de demain au soir est prononcé. La séance est levée à 10 heures. PREMIÈRE ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 26 NOVEMBRE 1790. Considérations sur les limites de la puissance spirituelle et de la puissance civile, par M. de Fontanges, archevêque de Toulouse , député à l’Assemblée nationale. Ce n’est point par l’autorité des siècles précédents, que j’enlreprends de fixer les limites qui doivent régir les hommes dans l’ordre delà religion. Nous vivons dans un temps, où ce qui s’est fait avant nous en impose peu a nos lumières vraies ou prétendues. C’est par la raison, et d’après les notions des droits des hommes en société, que nous voulons juger les questions du droit public, et non par les pensées et par les exemples des hommes qui nous ont précédés. Quoique éloigné de croire que cette route mène plus sûrement à la vérité, je ne crains pas d’examiner, par les seules lumières de la raison, l’influence que doit avoir le pouvoir legislatif sur la religion. Toute nation, réunie en société, doit avoir une religion; c’est le bien nécessaire de toute association politique. Il est, en effet, de toute évidence que les lois et la morale, sans lesquelles nulle société ne peut exister, trouvent dans la religion un appui et une force que rien ne peut suppléer; et qui s’unit parfaitement à tous les motifs qui attachent les hommes à l’observation de leurs devoirs. La religion, sous le point de vue de son utilité, ne peut donc échapper à l’intérêt du Corps législatif. Cette vérité est encore plus certaine, s’il s’agit de donner des lois à une nation, qui a déjà une religion qu’elle croit bonne, sainte, et la seule qui lui soit permis de suivre. Le législateur serait insensé s’il entreprenait de la changer dans des points importants, et au moins imprudent, si sa conduite, ou ses lois, prouvaient son indifférence pour elle. L’opinion des peuples, en matière de religion, mérite toujours le respect de ceux qu’ils chargent de leur donner des lois, ou de réformer celle qui les ont régis. La nation française suit et professe Ja religion catholique depuis quatoi ze siècles. Quelque effort qu’on ait fait, dans les derniers temps, pour affaiblir son attachement pour elle, et même pour la rendre indifférente à toute religion, c’est une vérité de fait, que la très grande partie des individus qui la composent, a, sinon le même zèle et la même piété que nos pères, du moins une égale opposition à tout changement en matière de religion, et un respect, non moins grand pour