[Assemblée nationale. j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791. j olo M. l’abbé Maury. On m’objecte qu’il y en a déjà de partis. Je dis dans ce cas que le décret qu’on vous propose est bien peu raisonnable, car il ne pourra pas les faire revenir. Je demande donc l’ajournement et surtout la discussion de la loi relative à la régence, avant que nous discutions les devoirs de la famille royale. M. Duval d’Epréuiesiiil. Je demande la parole parce que mon opinion ne ressemble en principes à aucune de celles que je viens d’entendre. M. le Président donne lecture d’une lettre des députés de la commune de Moret, qui, se trouvant à Paris pour solliciter la liquidation des offices appartenant à celte communauté, instruisent l’Assemblée de l’erreur qu’a commise leur commune, en inculpant, dans son procès-verbal, les chasseurs de Lorraine, qu’elle a confondus avec ceux de Hainault; que ce sont ces derniers qui ont commis les excès exprimés dans son procès-verbal. M. le Président. J’ai également reçu des administrateurs composant le directoire de la Côte-d’Or de nouvelles pièces relatives à l’arrestation de Mesdames, tantes du roi. (L’Assemblée décrète qu’il sera fait mention au procès-verbal de la lettre des députés de la commune de Moret et en ordonne le renvoi, ainsi que des pièces du directoire de la Côte-d’Or, aux comités des rapports, militaire et des recherches réunis, pour en rendre compte à l’Assemblée.) La discussion du projet de décret sur la résidence des fonctionnaires publics est reprise. M. de Beauharnais. Un des objets les plus importants qui vous aient jamais occupés, est, sans contredit, ce qui concerne les membres de la dynastie régnante. Vous avez déjà reconnu leurs droits , mais vous n’avez encore rien dit sur leurs devoirs. Les rapports de leurs droits et de leurs obligations nécessiteront une discussion longue et approfondie. L’Assemblée, en ie-connaissant une famille royale, a recounu une famille privilégiée ; mais il fallait encore examiner comment de tels individus devaient se conduire dans des moments dangereux pour la liberté publique ; il fallait rechercher quelles obligations leur imposaient les besoins de l’Etat et 1 intérêt général; il fallait encore s’occuper de leur mariage, de leur minorité. L’Assemblée ne l’a pu jusqu’ici ; elle désire le faire; mais Je grand nombre des questions qui s’élèvent appartiennent à un travail général, à un grand ensemble. 11 m’est donc permis de vous représenter que le p ojet de décret qui vous est offert est extrêmement partiel et qu’il doit être ajourné jusqu’à ce qu’on vous présente un plan général établi sur les bases constitutionnelles. Quant à l’opinion de M. Barnave, je crois qu’elle peut s'appuyer d’un fait et d’un raisonnement très simple. 11 est de fait qu’hier vous avez décrété qu’il n’y avait pas à délibérer sur le procès-verbal d’Arnay et déclaré qu’aucune loi existante du royaume ne s’oppose au libre voyage de Mesdames. Il est de fait que l’Assemblée a été sur le point d’improuver une commune qui avait cru devoir mettre un obstacle momentané à ce voyage. La réflexion à l’appui de ce fait est que, si le résultat d’une intrigue de cour mettait l'héritier présomptif dans le cas de quitter le royaume, je ne crois pas que cela soit possible, mais il m’est permis de le supposer; eh bien ! ce serait le signal de la guerre civile, et cependant, d’après votre discussion et votre décret d’hier, aucune municipalité n’oserait l’arrêter et le peuple vous attribuerait avec quelque justice les malheurs que cet événement ferait fondre sur lui. ( Applaudissements réitérés à gauche et dans les tribunes.) D’après ces diverses considérations qui sont d’accord avec les principes de l’Assemblée nationale et avec la nécessité des mesures provisoires que doit prescrire le salut du peuple, je demande l'ajournement du projet de décret du comité, la présentation d’une loi générale sur les émigrations, au plus court délai, et j’adopte l’amendement de M. Barnave. M. Itegnaud [de Sain t-Jean-d' Angèly) . L’Assemblée me paraît généralement d’accord sur la demande d’ajournement ; d’aussi grandes questions méritent une longue méditation et une discussion étendue. Mais à la proposition de l’ajournement a succédé la demande d’une loi provisoire faite par M. Barnave, fondée sur le vœu du peuple qui s’est manifesté d’une manière évidente. ( Interruptions .) Je n’appelle pas le vœu du peuple quelques clameurs tumultueuses de quelques individus attroupés ; j’appelle le vœu de la nation, le vœu de la capitale réuni à celui des provinces. ( Applaudissements .) Or, ce vœu manifesté solennellement a déjà appris à l’Assemblée nationale que la France entière souhaitait que les princes résidassent auprès du roi. Je suis parfaitement d’accord sur ce point avec M. Barnave ; mais la proposition qu’il vous a faite ensuite est-elle la conséquence nécessaire de ce principe? C’est ce que je ne crois pas. Il vous a proposé une loi provisoire uniquement appliquuble aux membres de la dynastie régnante, qui ne me paraît pas sans danger même pour la liberlé publique, sous ce rapport qu’elle vous fait préjuger en avance que vous établirez une distinction entre tous les membres de la dynastie et les autres citoyens. Certes, il peut être dangereux que les citoyens français s’éloignent de ta patrie dan3 un moment de trouble et d’agitation ; mais s’il est, dans la dynastie, des individus qui, appelés de plus près à la succession au trône, semblent appartenir à la nation d’une manière plus particulière, il serait, selon moi, extrêmement dangereux de prétendre que tous les membres de celte dynastie forment une caste particulière, privilégiée, qui se détacherait pour ainsi dire du centre de la nation. Certes, vous avez des gê séraux dont l’éloignement, dont l’abandoD, dont l’action de tra sfuge serait infiniment plus dangereuse pour nous que celle de quelques membres de la dyuaslie. Je dis donc à M. Barrave : Ne faites pas une loi provisoire qui, n’embrassant pas tous les individus dans ses dispositions , préjugerait d’une manière fâcheuse une différence, une distinction, que la liberté politique et individuelle proscrit et défend. ( Applaudissements .) Je dis que le vœu du peuple s’est fait entendre ; vous eu s les organes de ce vœu, et vous êtes en droit de manifester le vôtre. Chargez votre Président d’aller le déposer au pied du trône. (Murmures.) ..... ARCHIVES PARLEMEISTA1RES 125 février 1791.] pqg [Assemblée nationale.] d’aller présenter au roi le vœu du peuple et de l’Assemblée nationale. Vous avez le droit d’aller lui dire : Une loi ancienne qui n’est pas supprimée vous donnait la faculté de permettre ou de défendre aux membres de votre famille de s’éloigner de vous, de sortir du royaume; l’Assemblée nationale vous prie d’en suspendre l’effet. Je conclus à ce qu’on n’adopte pas la motion de M. Barnave, mais à ce que le Président de l’Assemblée nationale se retire par devers le roi pour lui demander de n’accorder aucune permission de s’éloigner de lui, à aucun membre de sa famille, jusquvà ce que l’Assemblée ait rendu des lois à ce sujet. Un membre : Cette mesure a été rejetée hier. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’ Angêly). C’est la seule qui puisse, sans blesser aucun droit et sans porter atteinte à la société, produire l’effet que l’on désire. M. d’AiguIHon. Tout le monde trouve le projet du comité incomplet et il doit être ajourné ; je ne parlerai donc que de la motion de M. Barnave que j’appuie. Cette motion n’a aucun des inconvénients que lui trouve M. Regnaud. En effet, dire qu'une loi provisoire préjuge une question ne me paraît pas exact. Je me permettrai de dire qo’il est peut-êti e extraordinaire qu’aujourd’hui on vienne nous proposer un projet qui hier, sous la forme d’un amendement proposé par M. Alexandre de Lametb, a été rejeté par l’Assemblée, et contre lequel beaucoup de personnes se sont élevées. L’Assemblée nationale exerce en ce moment-ci une grande responsabilité. Si l’Assemblée se refusait à la mesure qui lui est proposée et si, dans l’intervalle de l’ajournement qu’on vous propose sur le décret du comité de Constitution, un des trois membres de la dynastie royale s’éloignait encore, l’Assemblée nationale serait coupable de n’avoir pas empêché les maux inévitables, les troubles qui seraient la suite de cette démarche. J’appuie, par conséquent, la motion de M. Barnave. Plusieurs membres demandent à aller aux voix sur l’ajournement. M. Duval d’Eprémegnil. Personne n’a été entendu contre l’ajournement ; je demande la parole. (La parole est accordée à M. Duval d’Epré-mesnil.) M. Duval d’Eprémesnil. Messieurs, je parais rarement à la tribune; il fallait un intérêt aussi majeur que celui qui vous occupe pour m’y ramener. (Rires et murmures .) Oui, Messieurs, il fallait un intérêt aussi pressant que celui qui vous occupe pour m’y ramener; et ce qui rend ma situation plus difficile, c’est que j’y viens combattre mon illustre et courageux ami, M. l’abbé Maury. ( Rires et applaudissements.) Mais je me sens soutenu dans cette pénible tâche par les applaudissements que je viens d’entendre. ( Rires à gauche.) Je ne suis pas veDu demander à l’Assemblée sa faveur... M. le Président. Vous y avez droit. M. Duval d’Eprémegnil... mais du silence. J’admire les talents de M. l’abbé Maury... (Rires.) Un membre : Nous n’avons pas besoin de son éloge. M. Duval d’Eprémesnil. J’ai besoin de le faire. ... Vous savez si j’aime son courage; je ne saurais douter de la pureté de ses principes ; mais je le prie de ne pas familiariser son éloquence et son génie, ni l’attention de l’Assemblée, ni celle des Français, avec des discussions directement contraires à la fidélité que nous devons au roi. Vous avez interrompu mon respectable collègue, quand U allait vous démontrer que l’inviolabilité du roi ne dépend pas de vous, qu’elle est consacrée parla volonté nationaledepuis 1500 ans. Il allait démontrer que la personne sacrée du roi est, selon une expression vraiment française, exempte de toute juridiction. Vous l’avez interrompu, je vais continuer pour lui. Et d’abord, de quel droit, Messieurs, votre comité ose-t-il vous proposer de réduire le roi à la simple qualité de premier fonctionnaire public? (Rires.) Nous savons les idées que la plupart de ceux qui m’écoutent attachent à cette expression. De quel droit ose-t-il vous proposer de confondre dans une même dénomination le suppléant d’un député et l’héritier d’un trône? (Murmures.) Est-ce ainsi qu’on prétend nous apprendre à re-pecter nos rois? Je ne suis pas surpris que des personnes qui se permettent des expressions aussi peu respectueuses, aussi étrangèies au cœur de tous les bons Français, aussi éloignées des idées que nous avons eues jusqu’à ce jour, aient proposé d’assujettir le roi à une peine qui n’e.-t autre chose que la déchéance du trône. C’est méconnaître tous les principes. La personne du roi est-elle inviolable, est-elle sacrée, est-elle exempte de toute juridiction, de toute peine? J’interpelle tous les Français, tous les fidèles serviteurs du roi. (Murmures à gauche, applaudissements à droite.) Je leur déclare qu’aucun d’eux ne peut rester dans l’Assemblée, si le projet du comité est accueilli, si la question même en est traitée, autrement que pour en approuver la proposition. Quant à moi, j’annonce hautement que si le projet du comité passe en décret, rien au monde ne m’empêchera de protester et de me retirer ; et j’espère bien n’être pas seul. Voix nombreuses à droite : Non ! non! Un membre à gauche : Vous en êtes le maître. (Applaudissements ironiques.) M. Duval d’Eprémesnil. Oh ! malgré les applaudissements que je viens de subir, je suis sûr et je n’en serai pas démenti, quand toute la France apprendra le motif de ma retraite, je suis sûr que la majorité elle-même y fera quelque attention. Nous avons prêté au roi un premier serment, un serment que nul autre ne peut effacer ni contrebalancer. M. le Président. Vous ne devez point oublier vous-même, Monsieur, le serment que vous avez prononcé d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi. Ce serait y manquer que de dire que ce serment n’a pas pu exister après celui dont vous parlez. (Bruit. — Applaudissements répétés à gauche.) [Assemblé© nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES-[23 février 1791.] Plusieurs membres à droite : Ce n’est pas cela. M. de Cazalès. J’ai l’honneur... M. de Montlosier. Vive le roi ! M. de Cazalès. J’ai l’honneur de déclarer... M. l’abbé Maury. Vivi le roi ! vive le roi ! (Le côté droit se lève et répond à ce cri par des acclamations et des applaudissements.) M. de Cazalès. J’ai l’honneur de déclarer que nous avons tous prêté le serment d’être fidèles à la Constitution. Est-il possible que le Président de l’Assemblée nationale suppose que ce serment soit contraire à la fidélité que nous avons jurée au roi ? (Bruit.) Plusieurs membres à gauche : Le Président n’a pas dit cela. M. de Cazalès. Je déclare cependant que nous n’aurions jamais prêté ce serment si nous avions pensé que la Constitution dût produire un décret par lequel le serment primitif qui nous lie au roi fût affaibli; notre langue ise fût attachée à notre palais ( Rires à gauche) ..... nos mains se fussent desséchées plutôt que de proférer ce serment criminel. ( Applaudissements à droite.) Nous avons juré d’être fidèles au roi ( Applaudissements à droite) ; ce serment ne sera pas vain. C’est ce serment même que nous invoquerons pour repousser toutes le; atteintes qui seraient poriées à la monarchie; c’est au nom de ce serment que nous combattrons. Plusieurs membres à droite : Que nous mourrons ! M. l’abbé Maury. Nous le renouvelons tous I M. de Montlosier et plusieurs membres à droite : Oui ! oui I M. de Cazalès. C’est au nom de ce serment ue nous empêcherons que, dans cette même onstitution que nous avons juré de maintenir, on introduis*; quelque chose qui puisse porter atteinte à l’autorité royale. (Applaudissements .) Pusieurs membres : Tout le monde est de cet avis. M. de Cazalès. Car l’autorité royale est la pierre angulaire de la Constitution, c’êst sur elle que notre gouvernement repose, et si jamais on parvenait à égaler l’Assemblée, à égarer le peuple jusqu’à lui faire méconnaître une pareille vérité (Murmures) ...... Plusieurs membres à gauche : Qui est-ce qui cherche à l’égarer? N’est-ce pas vous? Plusieurs membres: On n’a pas parlé de cela. M. Bouttevillc-Diimetz. A quoi servent ces clameurs quand tout le monde vous approuve? M. d’André. C’est une discussion contraire à la décence et à la majesté de l’Assemblée. (Tumulte prolongé, j M. de Muriuais. Il n’est pas juste qu’une Assemblée délibérante s’empare de l’autorité royale. 517 M. d’André. Je demande queM. de Cazalès soit rappelé à l’ordre. M. de Custine. Laissez-le parler. M. de Cazalès. Ne m’interrompez pas. M. d’André. Je vous rappelle à l’ordre. M. de Cazalès. A l’ordre vous-même ! (Un grand nombre de membres de la droite quittent l« ur p'ace et se répandent dans la salle; quelques-uns entourent le fauteuil du président.) M. de Mirabeau. Je demande la parole. Un grand nombre de membres à droite : A l’ordre M. de Mirabeau. M. de Cazalès. Je rappelle à l’Assemblée que la Constitution repose sur l’autorité royale. (Mur-mures à gauche.) M. Tnasit de Ca Bouverie. Dites que l’autorité royale repose sur la Constitution. M. de Cazalès. Je renouvelle en ce moment le serment qui m’attache au roi. Voix nombreuse à droite : Et nous aussi ! M. de Montlosier. Vive le roi 1 (Applaudissements à droite.) Plusieurs membres à gauche : Nous sommes aussi attachés que vous au roi. M. Foneault-liardianalie. Pourquoi alors avez-vous h :é dernièrement M. de Marguerittes pour avoir p ononcé ces mots : fidèles sujets du roi ? M. de Mirabeau. J’insisle pour avoir la parole. M. de Montlosier. Vous ne l’aurez pas. M. de Cazalès. Le moment est venu où l’Assemblée doit s’expliquer. Je dis que la Constitution repose sur l’autorité royale: si, au milieu des erreurs politiques dont nous sommes condamnés peut-être à parcourir le cercle, si, dis-je, la nation était égarée au point de méconnaître cette vérité, je rappellerais à l’Assemblée le décret par lequel elle a déclaré que la France est une monarchie. Ci; fanal ne nous égarera jamais dans les routes obscures où on veut nous précipiter. Si tel est le flambeau qui doit nous conduire, M. le Président a eu tort de dire que le serment de fidélité au roi est contraire au serment prêté à la Constitution. (Bruit.) Un grand nombre de voix à gauche : Il n’a pas dit cela. Un grand nombre de voix à droite : Il l’a dit. M. de Cazalès. Je conclus, Monsieur le Président, que vous avez fait chose extrêmement inconvenable en opposant le serment qui nous lie à la Constitution à celui que nous avons prêté au roi. Un grand nombre de voix à qauche : Il n’a pas dit cela. [ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |25 février 1791.] 518 [Assemblée nationale.] Un grand nombre de voix à droite : Il l’a dit. M. de Cazalès. Si M. le président ne l’a pas dit ..... Voix à gauche : Non ! non 1 il ne l’a pas dit. M. de Cabales. Je puis m’être trompé; il suffit qu’il ait pu y avoir quelque ambiguité dans les paroles de M. le Président pour que l’Assemblée nationale exprime à cet égard ses sentiments et fasse sur cela sa profession de foi à la face de la nation. Un membre : Elle n’en a pas besoin. M. de Cazalès. Je termine là mon opinion, puisqu’il parait que nous sommes tous d’accord sur les principes. Un grand nombre de membres à gauche: Personne n’en doute que vous. M. de Mirabeau. M. de Cazalès a parlé tant qu’tl a voulu, je demande la parole. Voix à droite : Non ! non I ( Murmures à gauche.) M. Foucault-Fardimalie. Qui devons-nous rappeler à l’ordre? M. l’abbé Maury, s’adressant au président. Faites dégarnir votre bureau. Un membre à droite : Eloignez ces conseillers. M. Madier de Montjau. A bas les souffleurs I M. Foucault-Fardimalîe. Ce n’est pas nous qui avons élevé cette querelle au moins. M. le Président. Avant que personne parle, je me crois obligé ..... (Murmures.) M. de Mirabeau . Je demande à parler, Monsieur le Président, avant que vous vous disculpiez du tort qui vous a été imputé. (IL monte à la tribune.) Plusieurs membres à droite : M. d’Eprémesnil a la parole. M. de Montlosier. Sur quoi M. de Mirabeau veut-il parl.-r? M. de Mirabeau. Je veux avoir la paro’e sur une motion d’ordre comme M. de Cazalès l’a eue. M. l’abbé Maury. La parole est à M. d’Eprémesnil; il faut consulter l’Assemblée. M. de Mirabeau. Comme il serait tout à fait indigne de la majesté de l’Assemblée de répondre à ce q don n’a pas dit, pour se donner le droit d’insinuer des intentions que personne n’a manifestées, je demande que l’on constate avant tout le tort imputé à M. le Président. Quant à moi, je déclare que M. d’Eprémesnil à qui j’ai dit tout à l’heure, me b ouvant à côté de lui : « Monsieur, j’interpelle votre probité ; M. le Président a-t-il dit ce que M. de Cazalès lui fait dire? » M. d’Epremesnil, dis-je, m’a répondu : « Non, je n’ai fias entendu ce propos dans la bouche de M. Duport; je crois qneM.de Cazalès s’est irompé à cet égard. » (Applaudissements.) M. de Cazalès. Ce fait est donc au moins incertain. Un grand nombre de membres : A l’ordre 1 M. de Mirabeau. Mais, Messieurs, ce qui n’est pas incertain, c’est qu’il serait profondément injurieux pour l’Assemblée nationale, c’est qu’il serait profondément coupable de vouloir scinder, pour ainsi dire, le serment que nous avons prêté, et de séparer aucune des parties qui le composent, la nation, le roi et la loi. Notre serment de fidélité au roi est dans la Constitution, il est cons\\ï\itïùnne\. (Applaudissements unanimes à gauche.) le dis qu’il est profondément injurieux de mettre en doute notre respect pour ce serment : celui oui l1 met en doute mérite le premier blâme. ( Nouveaux applaudissements unanimes à gauche.) Après cette déclaration non équivoque, et pour laquelle je lutterai avec tout le monde en énergie, bien décidé que je suis à combattre toute espèce de factieux qui voudraient porter atteinte aux principes de la monarchie, dans quelque système que ce soit, dans quelque partie du royaume qu’ils puissent se montrer et même à quelque poste qu’ils soient. (Applaudissements unanimes à gauche.) Plusieurs membres à droite (en montrant la gauche) : Ils sont là-bas! M. de Mirabeau . Après cette déclaration qui renferme toutes les classes, tous les lieux, tous les temps, tous les systèmes, toutes les personnes, toutes les sectes... Un membre à droite : Tous les clubs. M. Foucault-Fardimalie. Détruisez donc les jacobins et nous aurons la paix. M. de Mirabeau. Sans employer plus de temps en vaines irascibilités, passons à la question du jour qui devrait déjà au moins être posée et qui ne l’est pas ; car on n’a encore parlé que sur l'ajournement. Je termine en priant l’Assemblée d’accepter l’augure d’une réconciliation universelle, puisque M. d’Eprémesnil est aujourd’hui l’ami de l’illustre et courageux ami de M. de Lamoignon. (Rires et vifs applaudissements.) M. le Président. Avant de mettre aux voix les différentes propositions, je dois répondre à l’inculpation qui m’a été faite. Plusieurs membres : Non! non! M. le Président. Je vais, non pour répondre à une interpellation isolée, mais pour exprimer le sentiment de toute l’Assemblée, expliquer clairement et positivement ce que j’ai dit. J'ai dit à M. d’Eprémesnil que le serment dont il parlait ne pouvait être opposé au serment que l’Assemblée nationale a décrété et que nous avons tous prêté, d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Je l’ai dit et je le soutiendrai toute ma vie. (Vifs applaudissements.) [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] Plusieurs membres demandent que la discussion sur l'ajournement soit fermée. M. ©uval d’Eprémesnfl. J’ai commencé mon opinion ; on ne peut pas m’empêcher de conclura. Voici ce qui me reste à prouver (Murmures.) . . . Si l’on peut, sous un prétexte ou sous un autre, “empêcher un opinant de conclure son opinion, il n’y a plus de liberté. M. le Président. Je vais consulter l’Assemblée. M. ©«val tTEpréinesnil. Mais personne ne s’oppose. Plusieurs membres : Concluez votre opinion. M. ©uval d’Esprémesnil. Je ne reviendrai pas sur l’incident qui vient de s’élever; M. le Président ne m’a pas bien compris; cela est indifférent. Nous avons donc présentement juré d’être fidèles à la nation, à la loi et au roi. Je sais très bien que le serment qui nous lie au roi est dans la Constitution, mais je dis que les deux autres ne peuvent pas plus le balancer et le contrebalancer qu’il ne les balance et contrebalance lui-même. Voilà un principe qui nous réunit tous. Je n’en (tirai pas de même de beaucoup d’autres principes. Nous avons juré constitutionnellement la Constitution. Mais qu’av< z-vous néclaré par la Consii-tutution? Une vérité qui existait avant elle. C’est que la personne du roi est sacrée et inviolable. ■Or, un décret qui établit un cas où le roi peut subir une peine, laquelle peine est la déchéance du trône, est un décret absolument contraire à cette vérité... (Murmures.) Il est évident que ce décret serait contraire au serment qui nous liait même avant la Constitution, comme à celui qui nous lie après elle et par elle; il s’agit maintenant de prouver qu’il n’y a pas lieu même à ajournement. Voici mon raisonnement : Ajourner, c’est fixer un terme pour délibérer: or, l’Assemblée n’a pas même la puissance de délibérer sur le projet de décret que son comité lui a présenté; l’Assemblée n’a d’autre puissance, dans ce cas, que de dire que ce projet n’aurait pas dû lui être présenté, et de témoigner son étonnement au moins au comité qui n’a pas craint lui au moins de le présenter. Tel est le principe. Voici la preuve: Qu’est-ce que dit le comité dans son décret? « Le roi, premier fonedonnaire public ..... » — (expressions peu respectueuses), — « doit avoir sa résidence à poriée de l'Assemblée nationale, quand elle est réunie ». Voilà le devoir du roi. Que dit maintenant le comité dans son article 9 ? « Tout fonctionnaire public qui contreviendra aux dispositions du présent décret sera censé avoir renoncé sans retour à ses fonctions. » Je m’arrête là. Le roi est fonctionnaire public; ses fonctions sont d’occuper le trône. S’il ne se tient fias à la portée de l’Assemblée nationale, il contreviendra au décret; et dans ce cas, aux termes même du décret, il sera censé avoir renoncé à ses fonctions et sera puni par conséquent de la perte du droit de régner. Je voudrais qu’il se trouvât un génie assez sublime pour me nier ces ■conséquences. Or, il est un principe indépendant de la Gons-1 titution, antérieur à elle, qu’el ea déclaré et non créé, c’est que le roi, dans aucun cas, même par l’effet de sa volonté, ne peut être soumis à un tribunal, à une peine. Or, je dis que l’Assemblée n’a pas le droit d’examiner cette question, de l’ajourner pour l’examiner: que si on délibère, tous les vrais serviteurs du roi, tons ceux qui sont véritablement a’ tachés aux droits essentiels et inhérents au trône doivent se retirer et je déclare quant à moi que je me retire. (Applaudissements à gauche.) J’observe qu’un des moyens familièrement employés dans cette Assemblée pour égarer nos idées c’est de toujours faire usage d’expressions nouvelles : On dit premier fonctionnaire public au lieu de roi, dynastie au lieu de maison régnante; vous avez emprunté le langage des Chinois. (Rires.) Puisque vous empruntez leur langage imitez aussi leur profond respect pour leur empereur qu’ils regardent, qu’ils aiment, qu’ils traitent comme leur père et convenez que, dans aucun cas possible, vous n’avez le droit de punir le roi, ni par une loi ni par un jugement, même avec l’adhésion de sa propre volonté. Je n’ai nulle envie de rien dissimuler; il n’est pas dans mes principes de proposer des décrets à cette tribune; mais si je me permettais d’en proposer un, je vous demanderais de témoigner votre improbation à votre comité qui a supposé que l’Assemblée nationale pouvait mettre en questioa un cas où le roi serait puni. (Applaudissements à droite.) Je m’oppose donc à l’ajournement et je déclare quant à rnoi, sans proposer de décret, que, si cetie question est agitée dans le sein de l’Assemblée, je proteste publiquement contre l’infidélité commise envers le roi, et je me retire. (Mouvement .) Un membre : Tant mieux! (Applaudissements.) M. Ee Chapelier, rapporteur. L’ordre de la discussion ne me permet de répondre ni aux inculpations, ni aux objections, à notre avis, plU3 futiles les unes que les autres, qui ont été présentées contre le projet du comité de Constitution. Je me contenterai de dire que le projet que nous avons offert est très constitutionnel, et que la puissance et les devoirs du roi y so it parfaitement démontrés suivant les règles déjà établies. Je ne m’arrêterai que sur la proposition d’ajour-ne nent et d’une loi provisoire. Quant à l’ajournement, je n’en vois pas l’avantage. Les observations, d’après lesquelles on a voulu mêler la régence à ce projet de loi, me paraissent n’être point conformes à la série des idées sur cette matière. On ne voudrait pas que le roi fût assujetti à une loi sur les fonctionnaires publics. Les principes les plus monarchiques portent cependant à considérer le roi comme fonctionnaire publie, chargé à la vérité d’une fonction très auguste, mais toujours d’une fonction. Et c’est bien à tort que des publicistes ignorants ou ennemis de la liberté ont déclaré que la royauté était une propriété. Si, au lieu de la loi que nuus vous présentons, nous vous avions apporté la loi sur la régence, vous nous auriez dit : Ce n’est pas celle-là qu’il faut apporter d’auord; car avant de savoir qui doit être rég nt, on doit savoir quel sera l’état de la famille du roi. Si nous avions présenté préliminairement une loi sur l’éducation de l’héritier ou du roi mineur, vous nous auriez fait égale- 520 (AsEemLlée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 128 février 1791.] ment la même objection et nous en aurions senti toute la justesse. Quelle était donc la loi première que nous devions vous apporter? La loi sur l’éiat de la famille du roi, sur la résidence des fonctionnaires publics : c’est celle-là que nous vous avons soumise; et sans entendre vous faire rien préjuger sur la régence, sur l’éducation de l’héritier, nous vous, avons mis en état de délibérer avec tous les principes de la Constitution. Pourquoi donc ajourner cette discussion? Que sommes-nous appelés à faire? Une Constitution. Pourquoi retarder chaque jour une loi constitutionnelle et mettre une loi provisoire à sa place ? Ne serait-ce pas tendre à ne jamais terminer nos opérations? Messieurs, je vois un extrême danger dans toutes les lois provisoires; je sais cependant qu’il est quelquefois nécessaire d’en faire, que les circonstances peuvent les exiger; mais quand on peut faire une loi générale, une loi constitutionnelle, qui s’applique aux circonstances dans lesquelles on se trouve, certes, il me semble qu’il n’v a pas à délibérer; c’est la loi constitutionnelle qui doit l’emporter. Une Assemblée constituante n’est pas établie pour faire des lois provisoires; ces sortes de lois portent toujours avec elles une sorte de contrainte, de gêne, de despotisme et d’arbitraire que n’ont jamais les lois générales. ( Applaudissements .) C’est peut-être assez de ces quelques observations pour motiver l’avis que je propose. Cependant si vous tenez à l’ajournement, renvoyez à demain la discussion du projet de votre comité. D’ici là les réflexions se mult pliei ont et on sera plus en étal de décider si une loi provisoire est préférable à une loi constitutionnelle; s’il n’est pas beaucoup plus de notre devoir de prendre des mesures stables et indépendantes que d’en adopter de passagères et de soumises aux circonstances. On a déjà fait remarquer qu’une loi particulière aux membres de la dynastie préjugeait la question de savoir s’il y aurait dans l’Etat une famille privilégiée, qu’elle en serait une caste particulière; et que si au contraire la loi est étendue à tous les citoyens, ce sera une mesure nécessaire sur les émigrations. De tout cela il résulte la nécessité de l’ajournement à demain, et je ne crains pas de nier les conséquences qu’on suppose résulter de notre projet. M. de Rochebrune. M. le rapporteur a répondu à tout, excepté à ce qu’a dit M. d’Epré-mesnil. M. Le Chapelier, rapporteur. J’ai annoncé que si je ne craignais d’ouvrir la discussion la plus étendue sur les principes et sur les conséquences de M. d’Eprémesnil, je démontrerais que c’est nous qui défendons l’autorité du roi. ( Rires ironiques à droite; applaudissements à gauche.) M. de ilontlosier. C’est une mauvaise plaisanterie. Monsieur Le Chapelier, pas de persiflage. M. de llirabeau. Je demande aussi l’ajournement; mais pas à demain. Je ne me livrerai à aucun développement à moins que ma propositionne soit rejetée. La loi de la résidence est complète; mais le comité de Constitution convient lui-même que la loi de la régence, que la loi sur l’éligibilité, qui complètent l’état des individus composant la famille royale ne sont pas encore prêles. Cependant, pour me décider sur le plan du comité, j’ai besoin de l’examiner dans son ensemble; je demande donc l’ajournement à la date où le comité de Constitution pourra présenter les trois parties de son travail. Le comité lui-même consentira à être jugé sur son ensemble; car c’est là le seul moyen de se décider dans une question si vaste qui tient à l’organisation entière du pouvoir exécutif, question profonde que tout le monde ignore, si ce n’est peut-être ceux qui n’y ont jamais pensé. M. Barnave. Je suis loin de m’opposer à l’ajournement, mais je persiste à croire qu’il est important de prendre une résolution jusqu’au moment où cet ensemble sera décrété, pour empêcher soit l’émigration possible de la famille royale, soit même les inquiétudes que la crainte de'ces mêmes émigrations pourrait causer et perpétuer dans le royaume ; je persiste donc dans la proposition que j’ai faite, qui consiste, en ajournant le projet de décret du comité, à décréter provisoirement et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur tout ce qui concerne les membres de la famille royale, qu’aucun des membres de cette famille ne pourra sortir du royaume sans l’autorisation du Corps législatif. ( Applaudissements à gauche.) Plusieurs membres : Aux voix ! M. de Cazalès. Une mesure de ce genre appartient au gouvernement et non au Corps législatif; sous ce rapport j’adopterais plutôt la proposition de M. Regnaud pour que M. le Président se retirât par devers le roi et lui demandât de ne pas donner de permissions à sa famille pour sortir du royaume. Mais avant de faire une loi... M. Barnave. Ce n’est pas une loi que je demande, mais une mesuré de prudence. M. de Cazalès. Le Corps legislatif doit faire des lois et non proposer des mesures. Je demande qu’on consulte l’Assemblée pour savoir si elle veut ou non une loi provisoire. On a démontré les inconvénient de ces sortes de loi; c’est pour cela que je me range à l’avis de M. Regnaud, et je déclare que j’aimerais mieux, comme M. Le Chapelier, qu’on décrétât une loi constitutionnelle, en laissant cependant le temps pour la discussion. Si l’Assemblée se déterminait à préférer une mesure provisoire, je n’en demanderais pas moins qu’elle fût ajournée. M. d’André. On n’espère pas nous faire rendre à la volée, à 3 heures après midi, une loi aussi importante. M. Charles de Cameth. Elle a été proposée à 10 heures; il est malhonnête de supposer de mauvaises intentions aux meilleurs citoyens. (. Applaudissements .) M. d’André. On ne peut pas rendre un décret provisoire sur les mêmes principes sur lesquels reposerait une loi constitutionnelle. J’insiste sur l’ajournement à lundi. Plusieurs membres demandent l’ajournement de la discu sion, les uns à dimanche, les autres à huitaine. M. de llirabeau. La loi générale sur les 521 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 février 1791.] émigrants pourrait être fixée à la séance de lundi prochain; on pourrait d’autre part renvoyer la suite de la discussion sur la résidence des fonctionnaires publics jusqu’à ce que le comité de Constitution ait présenté à l’Assemblée l’ensemble d’une loi sur la régence et sur l’éducation de l’héritier du trône. Plusieurs membres demandent que la discussion soit f-Tmée. (L’Assemblée ferme la discussion et accorde la priorité à la motion de M. de Mirabeau.) Cette motion est mise aux voix et décrétée comme suit : « L’Assemblée nationale décrète qu'elle discutera la loi générale sur les émigrants dans la séance de lundi prochain, et renvoie la discussion de la loi sur la résidence des fonctionnaires publics jusqu’à ce que son comité de Constitution puisse lui présenter l’ensemble d’une loi sur la régence et sur l’éducation des héritiers du trône. » M. le Président lève la séance à quatre heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 25 FÉVRIER 1791. Opinion de M. Stanislas de Clermont-Tonnerre, sur le projet de décret relatif à la résidence des fonctionnaires publics. Avis. — Le projet de décret rendu me paraissant porter atteinte à la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale , et acceptée par le roi , je crois devoir publier, sans y changer un seul mot, l'opinion que j'avais écrite pour le combattre, et que f aurais prononcée si la discussion n'avait pas été fermée avant que la parole me vint. (Note de l’auteur.) Dans le conseil d’un roi absolu, lorsque l’on veut faire passer une décision appuyée sur des principes faux, ou environnée de motifs faibles, on ne manque pas de se fortifier de celte raison dont le succès est souvent certain. On dit : L'autorité du roi , la grandeur du trône commandent impérieusement cette mesure ; il faut être ennemi du roi pour en proposer une contraire. C’est par ce perfide moyen que l’on intimide les contradicteurs, que l’on appelle à son secours la passion dominante du despote et qu’on l’égare sans danger sur son véritable intérêt. Dans le conseil d’un peuple libre, lorsque l’on veut faire passer une loi sur ces principes faux, ou environnée de raisons faibles, on ne manque pas de se faire fortifier de cette raison dont le succès paraît certain. On dit : « La souveraineié de « la nation, la liberté du peuple exigent impérieu-« sement cette loi, il faut être ennemi du peuple « pour en proposer une autre. » C’est par ce perfide moyen que l’on veut intimider les contradicteurs, que l’on appelle à son secours la passion dominante du peuple, et qu’on prétend l’égarer sans danger pour soi sur ses véritables intérêts. Heureusement toutefois ce calcul est souvent déjoué; chez un peuple libre, les contradicteurs ne s’intimident pas facilement. Les passions du peuple ne se développent pas toujours quand on les appelle, et l’on se détache difficilement des succès quelconques des conseils que l’on a donnés. Ce n’est point à votre comité de Constitution que ces réflexions s’adressent; il n’a environné la loi que de ce qu’il a cru des raisons (1) ; il n’a appelé les soupçons sur personne. Je ne l'ai jamais confondu, je ne le confondrai jamais dans mes opinions avec ceux dont les moyens oratoires sont trop souvent des personnalités ou même des dénonciations. Votre comité vous a proposé une loi que je crois mauvaise, il est de mon devoir de la combattre. Une bonne loi est celle qui s’attache naturellement aux bases constitutionnelles décrétées ; celle qui est véritablement utile, celle qui ne présente pas l’idée d’un danger supérieur à ses avantages, Je soutiens que votre loi n’a aucun de ces caractères, je soutiens qu’elle a tous les caractères opposés. Elle est inconstitutionnelle; Elle est inutile ; Elle est dangereuse. J’en conclus qu’elle est mauvaise. Cette loi est inconstitutionnelle, elle délruit évidemment l’effet de décrets auxquels vous ne pouvez porter la plus légère atteinte, sans altérer, sans dénaturer, sans renverser la Constitution que vous avez faite. Vous avez décrété, Messieurs, l’hérédité à la couronne et l’inviolabilité du monarque ; je ne vous présenterai pas les grandes raisons politiques qui ont motivé cette décision; elles vous étaient commandées par ce peuple souverain dont vous pouvez exprimer, mais dont vous ne pouvez pas contrarier la volonté. C’est pour lui qu’existe cette loi, vous ne pouvez ni ne devez lui porter jamais aucune atteinte. Tout décret qui présente l’idée d’une peine, blesse l’inviolabilité du roi; lorsque cette peine est la déchéance, elle intervertit l’ordre éternel de l’hérédité à la c uronne. Si l’hérédité était un droit du monarque, il pourrait peut-être se priver de ses avantages par sa faute ; mais l’ordre héréditaire appartient au peuple, et la volonté d’aucun individu ne doit jamais l’in! ervertir. Je crois qu’il faut environner ce prince d’une telle superstition, si je puis parler ainsi, que dans aucune hypothèse il ne subisse la moindre déviation. La démence même incurable ne doit produire qu’une régence ; l’abdication et toutes les hypothèses qui détacheraient le roi de toutes les fonctions du pouvoir qui lui est confié, me paraissent tout au plus devoir produire le même effet. Il est de l’essence de l’ordre héréditaire que la mort seule du roi puisse appeler au trône son héritier. Une nation chez laquelle 2 hommes vivants pourraient dire : je suis le roi, serait une nation condamnée à la plus affreuse guerre civile, serait une nation qui n’aurait pas suffisamment établi la véritable hérédité. Si vous sentez fortement les avantages de ce principe, vous devez sentir les dangers de l’atteinte que lui donnerait la loi nouvelle. Elle renverse également le principe de l’inviolabilité du monarque, et sous ce point de vue elle blesse toutes les notions de la morale et de la politique. (1) On voit bien que je n’avais pas entendu alors l’opinion de M. Thouret.