200 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 juin 1790. (Cette adresse et les pièces qui y sont jointes sont renvoyées au comité des rapports.) Adresse de la municipalité de Vierzon, ainsi conçue : « Nosseigneurs, les officiers municipaux de la ville de Vierzon, pénétrés d’un saint respect pour les décrets de l’Assemblée nationale, n’ont pu voir qu’avec la plus vive douleur, des protestations faites contre celui qu’elle a rendu le 13 avril dernier. « Leurs concitoyens animés du même zèle, et remplis du plus pur patriotisme, en dénonçant ces protestations à leur municipalité, ont remarqué, avec le plus grand étonnement, qu’elles sont signées de presque tous les députés du département du Cher. « Pour que ces protestations ne fassent pas sur l’esprit de quelques personnes faibles l’impression que les ennemis de la chose publique attendent, les officiers municipaux de Vierzon auront soin de faire connaître le motif qui les a dictées, et d’expliquer que ce ne sont pas les richesses immenses du clergé, mais ses vertus, qui seraient le soutien de notre sainte religion, qui n’est certainement pas en péril, comme osent l’annoncer faussement et témérairement ceux qui ont fait ces protestations. « La garde nationale et tous les citoyens de Vierzon, joints à la municipalité, déclarent hautement traîtres à la nation ceux qui ont souscrit ou souscriront ces protestations, ainsi que ceux qui y ont donné ou donneront leur adhésiop, et les déclare, comme tels, incapables à jamais de posséder aucunes places dans les assemblées de judicature et administration. « Tandis que ces ennemis cherchent sous un faux prétexte à soulever le peuple, toute la commune de Vierzon fait de nouveau le serment de maintenir de tout son pouvoir la nouvelle Constitution, et de verser jusqu’à la dernière goutte de son sang, pour faire exécuter les décrets de l’Assemblée nationale, dont elle éprouve déjà les salutaires effets. « Continuez, Nosseigneurs, vos glorieux travaux : nous vous en conjurons, parce que vous avez de pîus cher, pour le bien de l’Empire ; ne désemparez pas, nous vous en supplions, jusqu’à ce que vous avez achevé la Constitution, cet édifice superbe et majestueux qui fera la gloire et le bonheur des Français. « Nous sommes avec un profond respect, Nosseigneurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. Les officiers municipaux. Signé: Eustache, maire; Normand de Marli-nan ; Mourut, curé de Vierzon ; Godemusse ; alienne ; Grillon-Danvault ; Brumot; Godin, procureur de la commune ; Guillot, secrétaire. V Académie des sciences se présente à la barre et M. de Condorcet , secrétaire perpétuel , prononce le discours suivant : « Messieurs, vous avez daigné nous associer en quelque sorte à vos nobles travaux; et, en nous ermettant de concourir au succès de vos vues ienfaisantes, vous avez montré que les sages représentants d’une nation éclairée ne pouvaient méconnaître ni le prix des sciences, ni l’utilité des compagnies occupées d’en accélérer les progrès et d’en multiplier l’application. « Depuis son institution, l’ Académie a toujours saisi et même recherché les occasions d’employer pour le bien des hommes les connaissances acquises par la méditation, ou par l’étude de la nature : c’est dans son sein qu’un étranger illustre (l),àqui une théorie profonde avait révélé le moyen d’obtenir une unité de longueur naturelle et invariable, forma le premier le plan d’y rapporter toutes les mesures pour les rendre par là uniformes et inaltérables. L’Académie s’est toujours plus honorée dans ses annales d’un préjugé détruit, d’un établissement public perfectionné, d’un procédé économique ou salutaire introduit dans les arts, que d'une découverte difficile ou brillante ; et son zèle, encouragé par votre confiance, va doubler d’activité et de force. Et comment pourrions-nous oublier jamais que les premiers honneurs publics décernée par vous l’ont été à la mémoire d’un de nos confrères? Ne nous est-il pas permis de croire que les sciences ont eu aussi quelque part à ces marques glorieuses de votre estime pour un sage qui, célèbre dans les deux mondes par de grandes découvertes, n’a jamais chéri dans l’éclat de sa renommée que le moyen qu’elle lui donnait, d’appeler ses concitoyens à l’indépendance d’une voix plus imposante, et de rallier en Europe, à une si noble cause, tout ce que son génie lui avait mérité de disciples et d’admirateurs ? « Chacun de nous, comme homme, comme citoyen, vous doit une éternelle reconnaissance pour le bienfait d’une Constitution égale et libre; bienfait dont aucune grande nation de l’Europe n’avait encore joui; et pour celui de cette déclaration des droits qui, enchaînant les législateurs eux-mêmes par les principes de la justice universelle, rend l’homme indépendant de l’homme, et ne soumet sa volonté qu’à l’empire de la raison. « Mais des citoyens voués par état à la recherche delà vérité, instruits par l’expérience, et de tout ce que peuvent les lumières pour la félicité générale, et de tout ce que les préjugés y opposent d’obstacles en égarant ou en dégradant les esprits, doivent porter plus loin leurs regards, et, sans doute, ont le droit de vous remercier au nom de l’humanité, comme au nom de la patrie. « Ils sentent combien, en ordonnant que les hommes ne seraient plus rien par des qualités étrangères, et tout par leurs qualités personnelles, vous avez assuré les progrès de l’espèce humaine, puisque vous avez forcé l’ambition et la vanité même à ne plus attendre les distinctions ou le pouvoir, que du talent ou des lumières; puisque le soin de fortifier sa raison, de cultiver son esprit, d’étendre ses connaissances, est devenu le seul moyen d’obtenir une considération indépendante et une supériorité réelle. « Ils savent que vous n’avez pas moins fait pour le bonheur des générations futures en rétablissant l’esprit humain dans son indépendance naturelle, que pour celui de la génération présente, en mettant les propriétés et la vie des hommes à l’abri des attentats du despotisme. « Ils voient, dans les commissions dont vous les avez chargés, avec quelle profondeur de vues vous avez voulu simplifier toutes les opérations nécessaires dans les conventions, dans les échanges, dans les actions de la vie commune, de peur que l’ignorance ne rendît esclave celui que vous avez déclaré libre, et ne réduisit l’égalité prononcée par vos lois à n’être jamais qu’un vain nom. « Pourraient-ils enfin ne pas apercevoir qu’en établissant , pour la première fois, le système (1) Huygheus. [Assemblé# nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 juin 1790.] 20 1 entier de la société sur les bases immuables de la vérité et delà justice, en attachant ainsi, par une chaîne éternelle, les progrès de l’art social au progrès de la raison, vous avez étendu vos bienfaits à tous les pays, à tous les siècles, et dévoué toutes les erreurs comme toutes les tyranies à une destruction rapide ? « Ainsi, grâce à la générosité, à la pureté de vos principes, la force, l’avarice ou la séduction cesseront bientôt de contrarier, par des institutions arbitraires, la loi de la nature, qui a voulu que l’homme fût éclairé pour qu’il pût être juste, et libre pour qu'il pût être heureux. « Ainsi, vous jouirez à la fois, et du bien que vous faites, et du bien que vous préparez, et vous achèverez votre ouvrage au milieu des bénédictions de la foule des opprimés dont vous avez brisé les fers, et des acclamations des hommes éclairés dont vous avez surpassé les espérances. » M. le Président répond : « Au milieu des applaudissements que [votre présence inspire dans cette Assemblée, et dans le sentiment qui les accompagne, il vous est aisé sans doute, Messieurs, de démêler que nous savons reconnaître et que nous aimons le lien de confraternité qui, pour le bonheur de l’espèce humaine, doit toujours unir les législateurs aux philosophes et aux savants. Lorsque l’Assemblée nationale a voulu procurer à la France, et, s’il est possible, à toutes les nations, le grand bienfait de l’uniformité des poids et mesures, elle a senti que c’était avnc les deux compagnies les plus savantes de l’Europe qu’elle devait en partager l’honneur, et elle vous a invités à vouloir bien vous occuper de cet important travail. Le zèle dont vous venez de lui faire hommage montre qu’elle ne s’est point trompée dans ses espérances, comme le langage patriotique et éclairé que vous lui avez fait entendre en cette occasion prouve qu’elle aurait pu vous consulter utilement sur des travaux plus essentiels encore. L’Assemblée nationale voit avec plaisir que l’Académie des sciences ait choisi pour porter la parole en son nom des hommes accoutumés depuis longtemps à la porter avec succès au monde entier, au nom de la philosophie et des sciences, et que nous regrettons de ne point voir assis parmi nous, lorsqu’il est certain que son esprit n’est point étranger à nos délibérations. L’Assemblée vous offre d’assister à sa séance. » Une députation des gens de maison vient déposer sur l'autel de la Patrie un don de trois mille livres d'argent et d'autres effets. L’orateur delà députation prononce le discours suivant : « Nosseigneurs, « Si des motifs que nous respectons, vous ont déterminés à séparer les gens de maison de la chose publique, nos cœurs sauront toujours franchir la barrière que votre sagesse a cru devoir poser entre nous et les citoyens. Nous le sentons, et notre patriotisme en est moins humilié : il est difficile de concilier l’exercice de la liberté avec le régime de la domesticité. La nécessité a établi une dépendance qu’une certaine classe d’hommes ne peut éviter; mais, nés dans le sein delà patrie, libres dans le choix de nos occupations, nous regarderons comme un moment heureux celui où nous pourrons voler à son secours. Ce serait du moins nous faire injure que de présumer que l’avilissement et la dégradation des sentiments fussent toujours le partage des gens de maison. N’avons-nous pas nos parents, une patrie? Ne sommes-nous pas Français? Et quand vous préparez si glorieusement la régénération de l’Empire, pourrions-nous ne pas respecter une Constitution qui peut un jour nous protéger ? Hélas! sous un régime moins désastreux pour les habitants des campagnes, la moitié d’entre nous habiterait encore ses humbles foyers, cultiverait encore l’héritage de ses pères. Les riches, ayant moins de ressources, auraient eu moins de fantaisies. Les habitants des campagnes, moins pressés par l’impôt, ne seraient pas venus dans la capitale échanger leur misère contre un genre de service qui humilie l’homme beaucoup plus qu’il ne l’enrichit. Votre sagesse, Nosseigneurs, fera cesser ce genre de désordre, en rétablissant l’abondance dans les provinces, en rendant au cultivateur toute son énergie, en lui assurant l’heureux fruit de ses travaux. Puisse le ciel bénir à jamais vos courageux efforts, et procurer à la France tout le bonheur dont ce grand royaume est susceptible! Le produit de notre contribution patriotique est si fort au-dessous de nos vœux, qu’à peine nous osons vous l’offrir; mais les pères de la patrie ne savent pas mépriser les dons de ses enfants. Ah ! sans doute, c’est à ce titre que vous avez daigné nous admettre au sein de la plus auguste Assemblée : ce titre si cher à des cœurs français , nous avertira sans cesse de nos devoirs envers la nation ; il nous consolera même de cette foule de désagréments qui environnent toute notre existence. » M. le Président répond : « L’Assemblée nationale reçoit avec intérêt, avec attendrissement, votre offrande patriotique, et vos civiques regrets sur la suspension momentanée de vos droits politiques. Si PAssemblé a cru devoir prononcer cette suspension, ce n'est pas que ce Corps, essentiellement composé d’amis de l'égalité, ait pu avoir l’intention de la méconnaître, cette égalité, à votre égard; mais elle a dû penser que votre sensibilité même, ou cette affection si estimable qui vous attache aux personnes à qui vous engagez vos services, pourrait exercer une influence souvent trop puissante sur vos opinions. Ne voyez donc dans les décrets de l’Assemblée qu’une sage précaution qui doit vous être avantageuse, puisqu’elle tourne à l’utilité publique : l’hommage que vous venez de rendre à la Constitution prouve tout à la fois que vous êtes dignes de sentir les motifs qui ont déterminé le législateur, et que votre patriotisme ne le cède à aucune autre classe de vos concitoyens. L’Assemblée vous permet d’assister à sa séance. » (On demande et l’Assemblée ordonne l’impression des adresses de l’Académie des sciences et des gens de maison.) Une députation des assemblées primaires des districts de Mortain, Isigny, département de la Manche, a fait don de l’imposition des ci-devant privilégiés pour les six derniers mois de 1789, et a annoncé que l’adresse qu’elle déposait sur le bureau, était signée par tous les citoyens actifs, notamment par les ecclésiastiques et les nobles, qui protestent d’être les plus fermes soutiens de la Constitution. Les jeunes élèves de l’institution du Mont-Saint-Paul et une députation du district des Mathurins ont été admis à la barre, et ont assuré l’Assemblée nationale de leur soumission et de