294 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 avril 1790. M. Carat, l’aîné. Il est naturel de se soustraire à des droits onéreux : la loi doit prévoir et prévenir la fraude. Telle a toujours été la marche des législateurs, parce que telle est la marche du genre humain. Votre comité féodal a parfaitement rempli cette vue ; la vente se fait-elle deux ans après le rachat? voilà le caractère certain d’une fraude. Si vous rejetez cet article, soyez justes et augmentez les fixations portées par l’article 25. Un délai de deux ans n’est pas très gênant pour le redevable ; il sait s’il sera obligé dans deux ans d’aliéner son fonds. M. le comte de Sérent. Les opinants Ont toujours parlé de fraude; il n’est pas ici question si la loi ne défend pas de vendre dans le délai de deux ans. Je considère seulement la question comme relative à une indemnité, et je demande que vous fixiez cette indemnité dans la proportion décroissante du temps qui s’écoulera entre l’époque du rachat et celle de la vente : par exemple, si la vente avait lieu un an après le rachat, le censitaire paierait le droit entier; deux ans après, les trois quarts du droit; trois ans après, le demi-droit ; quatre ans après, le quart du droit. M. de La Rochefoucauld En abolissant le régime féodal, vous avez voulu affranchir les terres des charges auxquelles elles étaient assujetties; votre intention est sans doute que cette libération soit prompte ; elle ne se fera qu’avec lenteur, si vous ne donnez pas aux redevables un grand intérêt à se racheter des droits auxquels ils sont soumis. Vous avez encore un autre but : c’est de léser le moins possible celui que vous forcez à changer la nature d’une propriété légitime. Pour concilier ces deux vues, il faut soumettre à un taux plus* fort ceux qui ne se seraient pas rachetés à des droits casuels dans les cinq premières années. M. Rewhell adopte l’article proposé par le comité, en demandant que le délai soit restreint à une année. M. Lanjuinais. Dites donc que, ce délai révolu, l’action en fraude sera prescrite. M. Tronchet examine les nouvelles propositions, et préfère celle de M. de La Rochefoucauld ; mais il représente qu’il est nécessaire, d’après cette vue, de calculer l’échelle du taux du rachat des années prises dans chaque classe. Il demande, en conséquence, le renvoi de cet objet au comité. M. Frétean. L’article du comité ne doit pas être changé; il est extrêmement juste; nous trouvons un exemple frappant des dispositions qu’il contient dans un très grand nombre de coutumes, au sujet du retrait lignager, et vous avez ici à respecter des propriétés aussi sacrées que toutes les autres. Je demande donc qu’on accepte l’article comme la seule règle qui soit juste. M. Charles de Laineth. Si l’article n’était pas admis, l’Assemblée nationale aurait décrété un moyen de priver très légèrement les propriétaires d’un droit très légitime; l’Assemblée, après avoir décrété que les droits casuels sont rache-tables, ne peut autoriser les redevables à se soustraire à ce rachat et à se refuser au payement d’une partie de ces droits : je pense donc que l’article doit être adopté. On pourrait y ajouter en amendement ces mots : « en exceptant néanmoins ceux qui se rachèteraient dans les deux premières années, à dater de la publication du présent décret. M. de Croix. Vous avez jugé que les droits féodaux déclarés rachetables étaient de véritables propriétés ; vous avez établi, par la déclaration des droits, que nul ne pourrait être dépouillé de sa propriété sans une indemnité juste et préalable : pour assurer cette indemnité aux propriétaires de droits casuels, il faut porter jusqu’à cinq ans le délai contenu dans l’article du comité. M. Barnave. L’article proposé est essentiellement contraire à toute espèce de principe, de morale et de législation. Soit que vous étendiez, soit que vous restreigniez le délai, il sera inutile au propriétaire et nuisible au redevable en particulier, et à la société en général. La loi ne peut avoir deux langages : lorsqu’elle donne la faculté de racheter, elle ne doit pas retirer cette faculté. Quand il n’y a pas de fraude dans le contrat, le contrat est inattaquable, et la loi serait inconséquente si elle laissait un effet à un droit qui, d’après le contrat, n’existe plus. L’utilité principale du rachat est de multiplier les mutations et de rendre la circulation plus active : l’article proposé détruirait cette circulation. Le censitaire rachètera quand il voudra vendre; l’acquéreur n’acquerra du censitaire que lorsque le droit sera racheté. En adoptant votre article, le propriétaire recevrait non seulement le droit de rachat, mais encore celui de mutation, qu’il n’aurait pas eu sans ce rachat. D’ailleurs, la loi serait facilement éludée, et, autant qu’il est possible, les législateurs ne doivent pas faire des lois qu’on puisse éluder aisément. Je demande que le comité féodal vous présente de nouveaux moyens, s’il pense qu’il puisse en trouver. (La discussion est fermée. — Tous les amendements proposés sont écartés par la discussion préalable, excepté celui de M. Charles de La-meth, qui est adopté.) Un membre propose ce nouvel amendement : « en déduisant la somme qui aura été payée pour le prix du rachat. » La question préalable est invoquée, la première épreuve paraît douteuse. M. le comte de Fumel demande que le rapporteur donne son avis sur cet amendement. M. Tronchet, rapporteur . Cet amendement est contraire au principe. Tant qu’on rie s’est pas racheté, on doit payer le droit de mutation, sauf à se racheter ensuite. Celui qui se trouvera dans ce cas prévu par l’article sera placé dans la même position que s’il ne s’était pas libéré du droit de mutation. L’Assemblée, de nouveau consultée, décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer. L’article mis aux voix est adopté ainsi qu’il suit : Art. 41 (ancien art. 40). Si le même propriétaire qui aura racheté les droits seigneuriaux, casuels et autres, dont son fonds était chargé, vend le même fonds ou l’aliène dans les deux années postérieures au rachat, par un acte volontaire quelconque, sujet au droit de mutation, le droit sera dû nonobstant le rachat, en excep- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, (27 avril 1790.] �95 tant néanmoins ceux qui se rachèteront pendant les deux premières années à dater du jour de la publication du présent décret. M. lè Président lit la liste des membres qui remplacent ceux sortant du comité des recherches et ceux du comité des rapports. Comité des recherches. MM. Poulain de Corbion. L’abbé Joubert. De Pardieu. Ledéan. Voidel. Cochon de L’Apparent. Payen-Boisneuf. Verchère de Reffye. Rousselet. De Macaye. De Sillery. Babey. Comité des rapports. MM. Delacour-d’Ambezieux. Varia. Anlhoine. L’abbé Royer, curé de Chavannes. Regnauld (de Nancy), Chabroud. Armand (de Saint-Flour). Garnier, de Paris. Salle (de Nancy), médecin. Vieillard, de Coutance Giraud Duplessis (de Nantes.) Huot de Goncourt. Trébot de Clermont (de Bretagne.) Boullé. L’abbé Latyl. M. le Président lit une lettre de M. le garde dessceaux, qui annonceque le roi a sauctionné: 1° Le décret de l’Assemblée nationale du 22 de ce mois, interprétatif de celui des 8 et 9 octobre dernier, concernant la réformation provisoire de la procédure criminelle ; 2° Le décret du même jour qui liquide les dépenses arriérées du garde-meuble de la couronne des années 1788 et 1789, non compris la somme de 64,428 livres qui, ayant été employée aux dépenses de l’Assembléé nationale, sera distraite des créances suspendues; 3° Et Sa Majesté a donné des ordres pour qu’en exécution du décret du 24, M. le président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux, se rende à la barre de l’Assemblée, le jour et à l’heure qu’elle jugera à propos d’indiquer. Signé : l’Arch. de Bordeaux. A Paris, le 26 avril 1790. L’Assemblée fixe la séance du soir de mardi 27, pour recevoir à la barre M. le président de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux . La séance est levée à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE DE VIRIEU. Séance du mardi 27 avril 1790 (1). M. le comte de Crilion, secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, et des deux adresses suivantes : Adresse de la commune de la Rochefoucault, qui fait don de l’imposition des privilégiés pour les six derniers mois 1789, et exprime les sentiments de dévouement et de reconnaissance dont elle est pénétrée pour l’Assemblée nationale. Adresse d’adhésion de la commune de Gompome en Roussillon, qui rend compte des raisons locales qui l’ontdéterminée à se créer une municipalité particulière, et à se séparer de la commune de Notilly, à laquelle elle avait toujours été réunie. M. le Président se dispose à annoncer le résultat du troisième scrutin pour la nomination d’un nouveau président. M . Bouche. Je demande la parole avant cette annonce. M. le Président. (2) Plus la circonstance est délicate, plus l’Assemblée doit mettre d’ordre et de calme dans ses délibérations. En ce moment, j’ai rempli ma présidence, je mj puis accorder la parole : je crois que mon devoir, celui qu’on ne peut m’empêcher de remplir, est de rendre compte du résultat du scrutin... Puisque l’Assemblée est d’une opinion contraire, je vais la consulter. (L’Assemblée décide que M. Bouche sera entendu avant la proclamation du président nommé.) M. Bouche. J’abrégerai mes réflexions : je me bornerai à dire que l’histoire d’aucun peuple civilisé ne nous présente l’exemple d’aucune société présidée par un chi f, sans que ce chef eût prêté le serment d’observer les lois de cette même société ; que depuis le trône jusqu’aux moindres associations, tout homme élevé à une fonction publique renouvelle le serment qu’il a prêté comme simple individu de cette association .. Je propose, en conséquence, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que tout membre entrant en exercice des fonctions qui lui auront été confiées par elle, renouvellera le serment prêté le 4 février, et jurera qu’il n’a jamais pris et ne prendra jamais parta aucun acte, protestation ou déclaration contre les décrets de l’Assemblée nationale, acceptés, ousanctionnéspar le roi, ou tendant à affaiblir le respect et la confiance qui leur sont dus. » (On applaudit, et l’on demande à aller aux voix.) M. le marquis de Saint-Simon demande la discussion pendant trois jours. M. de Lafare, évêque de Nancy. Je ne suis pas, comme le préopinant, versé dans l’histoire des peuples policés; mais sans doute je n’y trouverais pas ce qpe doit faire en ce moment l’Assemblée; je le chercherai dans le règlement. Le règlement dit : qu’après quinze jours d’exer-(1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) M. le marquis de Bounay, président sortant.