[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [28 janvier 1791.] 537 exagéré nos périls? car il est une ambition de servir son pays, capable de tromper les intentions du meilleur "citoyen, de lui faire réaliser des occasions d’être plus puissant pour être en même temps plus utile ; de lui faire exagérer ses craintes parce qu’il croit être propre à les calmer; enfin de le porter adonner la première impulsion vers un but auquel il est entraîné par son talent, qui par cela seul lui fait oublier sa prudence. Peut-être aussi fatigués de leur impuissance à troubler le royaume, les ennemis de la Révolution ont-ils pris leurs vœux pour leurs espérances, leurs espérances pour des réalités, leurs menaces pour une attaque; et se consolant à rêver des vengeances, ont-ils inspiré des inquiétudes au peuple, plus capable de juger leur audace que leurs moyens. ( Applaudissements .) Peut-être encore des factieux auxquels il manque quelques chances pour exécuter, sous les beaux noms de liberté, des projets qui nous sont cachés, ont-ils espéré de les trouver dans une grande agitation populaire ; et ce combat de l’intrigue et de Pambition contre le patriotisme généreux et crédule, est sans doute aussi une guerre. Enfin ne doit-on pas regarder comme une des causes des alarmes populaires, cette défiance exagérée qui depuis longtemps agite tous les esprits, qui retarde le moment de la paix, aigrit les maux et devient une source d’anarchie, quand elle cesse d’être utile à la liberté? Nous craignons des ennemis au dehors, et nous oublions celui qui ravage l’intérieur du royaume. Presque partout les fonctionnaires publics, choisis par le peuple, sont à leur poste; ses droits sont donc exercés : il lui reste à remplir ses devoirs. Qu’en surveillant ses mandataires il les honore de sa confiance, et que la force turbulente de la multitude cède à la puissance plus calme de la loi. ( Applaudissements '.) Alors, jusqu’au signal du danger, donné par le fonctionnaire public, le citoyen dira : Von veille pour moi ; car ce n’est point la véritable liberté qui a de vaines terreurs, elle se respecte assez pour ne rien trouver de redoutable. Cependant, Messieurs, si les craintes publiques ont été exagérées, elles n’ont pas été pour cela sans prétexte. 11 est trop vrai qu’il y a eu des préparatifs d’une entrée de quelques conspirateurs armés, par les frontières de la Savoie; que quelques hommes ont été enrôlés dans la Suisse par les mécontents français; qu’on a tenté d’introduire furtivement des armes dans le royaume; qu’on a cherché, qu’on cherche encore à faire entrer quelques princes d’Allemagne dans une querelle étrangère, et à les tromper sur leurs véritables intérêts; enfin, que les réfugiés français ont des agents dans plusieurs cours du Nord poury décrier notre Constitution, que ses bienfaits vengent assez de leurs outrages. Toutes ces circonstances réunies, comparées avec la force d’un grand peuple, ne mériteraient peut-être pas notre attention. Mais nous devons aussi, compter pour quelque chose l’incertitude même de la prudence, la marche tortueuse d’une fausse politique, et l’obscurité qui couvre toujours une partie de l’avenir; enfin la sagesse ne nous prescrit-elle pas de rassurer ceux-là mêmes qui s’alarment sans raison ? C’est après avoir pesé toutes ces considérations, Messieurs, que vos comités vous proposent : D’organiser, pour l’état de guerre, les gardes nationales et l’armée auxiliaire; votre comité militaire vous en indiquera les moyens; De déterminer les pensions de retraite de tous les agents du pouvoir exécutif dans les cours étrangères, en cas de remplacement. Enfin, de porter au pied de guerre la portion de votre armée qui sera distribuée dansles points du royaume pour lesquels on a conçu quelques craintes. Tout le monde reconnaît depuis longtemps, et le ministre des affaires étrangères a rappelé plus d’une fois au comité diplomatique, la nécessité d’employer désormais, pour nos relations extérieures, des hommes qui ne compromettent pas la puissance française par des doutes sur nos succès, qui ne soient pas en quelque sorte étrangers au nouveau langage dont ils doivent être les organes, et qui, soit qu’ils ne connaissent pas la régénération de leur patrie, soit que les anciens préjugés combattent leur devoir, soit qu’une longue habitude de servir le despotisme ne leur permette pas de s’élever à la hauteur d’un système de liberté, ne seraient plus que des agents du ministère ou les confidents de l’aristocratie, et non les représentants d’un peuple magnanime. [Applaudissements .) Mais il faut ici, il faut toujours concilier l’intérêt et la justice, la prudence et l’humanité. Un long exercice des fonctions publiques, dans une carrière où l’on compromet souvent sa fortune, donne des droits à une retraite, et votre dignité ne vous permettrait pas de refuser les récompenses, quand même vous ne les devriez pas, à des services. Quant au développement d’une partie de votre puissance militaire, vous le devez à l’opinion qui l’invoque. C’est pour éviter qu’au moindre péril la nation entière, devenant tout à coup une armée, n’abandonne le travail qui seul constitue une nation, qu’il faut développer une portion de la force publique, et rassurer le citoyen par la prévoyance de la loi. (. Applaudissements .) Ne craignez point que nos voisins regardent un rassemblement de troupes, nicommeune menace, ni comme un événement capable de leur inspirer de la défiance. Notre politique est franche, et nous nous en faisons gloire; mais tant que la conduite des autres gouvernements sera environnée de nuages qui pourra nous blâmer de prendre des précautions capables de maintenir la paix ? Non, une guerre injusœ ne peut pas être le crime d’un peuple qui, le premier, a gravé, dans le code de ses lois, sa renonciation à toute conquête. Une attaque n’est point à craindre de la part de ceux qui désireraient plutôt d’effacer les limites de tous les Empires, pour ne former du genre humain qu’une seule famille, qui voudraient élever un autel à la paix, sur le monceau de tous les instru-ments de destruction qui couvrent et souillent l’Europe, et ne garder que contre les tyrans des armes consacrées par la noble conquête de la liberté. ( Applaudissements .) Votre comité diplomatique, de l’avis des comités réunis, a l’honneur de vous proposer : L’Assemblée nationale décrète : Art. 1er. Que les comités des pensions et diplomatique réunis seront chargés de faire, dans 3 jours, un rapport sur les pensions de retraite qu’il convient d’accorder aux agents du pouvoir exécutif dans les pays étrangers, en cas de remplacement. Art. 2. Que le roi sera prié de donner des ordres pour porter au complet de 750 hommes par bataillon 30 régiments d’infanterie, et au complet de 170 hommes par escadron, 20 régiments de troupes à cheval, dont 8 de 4 escadrons et 12 de 3 escadrons, pour, lesdites troupes, être ré- 538 [Assemblée nationale.] parties dans les départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, des Ardennes, du Nord, de la Haute-Saône, du Doubs, du Jura, du Yar, de l’Isère, des Hautes et Basses-Alpes. Art. 3. Que le ministre de la guerre présentera incessamment l’état delà dépense extraordinaire qu’exigera cette augmentation de troupes, avec le train d’artillerie et l’attirail des campements proportionnés, et tou3 les autres préparatifs nécessaires à un système de pure défense. ( Applaudissements . ) M. Populus. Je demande l’impression de ce rapport. (Cette motion est décrétée.) M. Gonpil de Préfeîn. Je demande qu’on aille sur-le-champ aux voix sur les deux projets de décret. (Murmures.) Je sais que l’intérêt de l’agiotage y répugne, mais dans les conjonctures présentes, il est urgent, et souverainement intéressant pour la patrie, la patrie si chère à mon cœur, la patrie si chère à tous les Français; il est vraiment intéressant, dis-je, pour la* patrie à laquelle il ne doit être aucun de nous qui ne désire avoir l’honneur et la gloire de sacrifier la dernière goutte de son sang; il est, dis-je, souverainement intéressant pour la patrie de ne pas perdre un seul instant pour inspirer aux malintentionnés une terreur salutaire pour eux-mêmes et pour la tranquillité publique. M. de Montlosler. Je demande la parole sur l'ajournement ; je ne veux pas traiter le fond, mais j’ai à représenter à l’Assemblée que sur les projets de décret qui emportent des conséquences aussi essentielles et aussi importantes, il faut se méfier de son zèle et de son patriotisme. Je dis, Messieurs, que nous ne sommes pas ici pour jouer le rôle de soldats seulement; mais que nous sommes législateurs et que nous devons nous mélier d’une impulsion trop véhémente de ce sentiment de patriotisme qui nous fait courir aux mesures qui peuvent tendre à la défense de nos foyers. Je dis, Messieurs, que nous sommes tous d’accord sur un point; nous sommes tous résolus de sacrifier notre sang pour la défense du royaume, s’il était attaqué par nos ennemis; mais je dis que ce serait sacrifier le sens commun... (Rires.) que de vouloir... (Rires.); oui, Messieurs, je le répète, c’est sacrifier le sens commun que de vouloir aller aux voix sur une question qu’on ne connaît pas. Je déclare que je n’ai été dans aucun de ces clubs où les délibérations de cette Assemblée se discutent d’avance et que mon devoir est ici de m’opposer tant aux hommes irréfléchis qu’aux hommes qui connaissent les décrets d'avance; et je dois nécessairement m’opposer à ce que la délibération sur une matière aussi importante soit prise en ce moment. Au surplus, vous êtes maîtres de faire tout ce qu’il vous plaira; mais moi, j’ai dû vous faire part de mes réflexions. M. de üoailles. Je ne me permettrai qu’une seule reflexion. Lorsqu’il s’est agi dans celte Assemblée de porter des secours à l’Espagne, notre alliée, il n’y a eu qu’une seule et unique opinion ; on a demandé d’aller sur-le-champ aux voix et, dans la séance même, le décret a été porté. Aujourd’hui, il s’agit de défendre notre liberté ou de l’assurer ; je demande que la majorité as-(28 janvier 1791.1 sure cette disposition, et que l’on veuille bien aller sur-le-champ aux voix. Un grand nombre de membres : Aux voix! M. de Toulongeon. Je demande la division des deux décrets. (La division est rejetée par la question préalable.) M. de Toulongeon. Je demande alors que le président mette aux voix si le projet de décret sera discuté aujourd’hui. (La discussion immédiate est ordonnée.) M. Charles de Cameth, rapporteur , donne lecture de l’arlicle 1er, qui est ainsi conçu : * L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport des comités diplomatique, militaire et des recherches, sur les moyens de pourvoir à la sûreté, tant extérieure qu’intérieure du royaume, décrète ce qui suit : Art. 1er. Le roi sera prié de donner des ordres pour l’organisation de l’armée, et pour que les différents corps de troupes soient incessamment portés au complet. M. Malouet. Je demande la parole sur une application du rapport de M. de Mirabeau au décret proposé par M. de Lameth. Je trouve très raisonnable que des mesures défensives qui n’annoncent aucune agression, soient décrétées dans le mument où elles sont proposées; mais j’observe, Messieurs, que plusieurs vues très intéressantes des rapports faits par les rapporteurs ne se trouvent pas résumées et appliquées aux différents articles du décret. Nous avons tous remarqué que M. de Mirabeau a classé parmi les causes principales des désordres intérieurs et parmi les moyens qui pourraient le plus rétablir la tranquillité intérieure, la cessation de l’influence tumultuaire de la multitude sur les fonctions publiques, sur les délibérations des corps administratifs ou des mandataires du peuple. M. de Mirabeau a dit très sagement que le peuple ayant enfin choisi ses mandataires, les ayant placés dans tous les postes des pouvoirs publics, il était temps qu’il s’en rapportât à ses mandataires. Une voix à gauche : En les surveillant! M. Malouet. Messieurs, j’appelle comme vous la surveillance et, certes, je ne la crains pas; mais je vous supplie de considérer que si la surveillance du peuple est autre part que dans la Constitution et dans les moyens constitutionnels, il résulte de cette prétendue surveillance, exercée individuellement et tumultuairement, l’anarchie que nous voyons. (Murmures.) Eh 1 Messieurs, il s’agit de la tranquillité intérieure; le projet de vos comités a pour titre: Des moyens de pourvoir à la sûreté tant intérieure qu'extérieure du royaume , et l’ordre que vous avez donné à vos comités a pour objet de vous présenter des mesures relatives à la tranquillité extérieure et intérieure ; car, Messieurs, les mesures les plus directement relatives à la sûreté intérieure et extérieure résultent, ressortent toutes de la réflexion très lumineuse de M. de Mirabeau. Il est certain, Messieurs, qu’il n’y a plus lieu ARCHIVES PARLEMENTAIRES.