§96 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [U février 1790.] d’attendre le travail du comité. Mais puisque j’ai tant fait que dire mon avis, on me permettra bien d’en indiquer au moins la suite. Je désirerais que l’entretien des vicaires fût pris sur une somme qu’on laisserait aux municipalités, pour cet objet et beaucoup d’autres, afin que si plusieurs paroisses de campagne veulent se réunir pour n’avoir qu’un vicaire, ce soit tant mieux pour les autres dépenses d’utilité qu’elles auront à faire. Je désirerais que les curés fussent payés de même des deniers particuliers du district, et enfin que les évêques le fussent sur cette partie de la recette que les départements pourront garder peur leur défense propre. Rien ne nous garantira mieux la réduction du nombre des ecclésiastiques à ses justes bornes, qu’un semblable règlement. Il aura encore un bon effet, qui est de proportionner le traitement des ecclésiastiques à la convenance locale, sans néanmoins passer la mesure en plus ou en moins, qui a été prescrite par le décret ci-dessus. Je n’imagine pas qu’il soit besoin d’avoir plus de dix-huit évêques en France, y compris les archevêques, car ce n’est qu’une différence de noms. On doit faire une observation générale; la division de la France en départements ou en districts a été combinée surtout pour la représentation ou pour l’administration proprement dite. Le pouvoir judiciaire, l’établissement ecclésiastique peuvent facilement se prêter à un autre cadre; il n’est pas nécessaire qu’il y ait ni un tribunal dans tous les districts, ni un évêché dans tous les départements. Après les évêques viennent les curés; il en faut un par district, comme il faut sous son inspection, un vicaire par municipalité, en permettant, comme nous l’avons dit, à plusieurs villages de se réunir pour n’avoir à payer qu’un vicaire commun. On peut croire qu’une pareille considération réduira tôt ou tard le nombre des vicaires à 12,000 ou environ. llyaura alorsenFrance.pour l’établissemeut ecclésiastique, 18 évêques, qui, à 25,000 livres, taux moyen, coûteront ..... 450,000 livres. Environ 700 curés à 1,500 livres, taux moyen, coûteront ........... 1,050,000 12,000 vicaires à 700 livres, taux moyen , recevront la somme de ......... 8,400,000 Total pour les honoraires des personnes ....... 9,900,000 Àjoutez-y pour les frais d’administration du service et l’entretien des églises , environ .......... 2,100,000 Total général. . . . 12,000,000 ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Procès-verbal de la cérémonie de Notre-Dame , le dimanche 14 février 1790 (1). En exécution de son décret de la veille, l’As-(1) Ce procès-verbal n’a pas été inséré au Moniteur. semblée nationale s’est réunie, le dimanche matin, dans le lieu ordinaire de ses séances. L’Assemblée s’est mise en marche à onze heures, pour se rendre en corps à l’église de Notre-Dame. La garde nationale formait la haie depuis les Feuillant jusqu’à la métropole; un peuple immense remplissait les rues. M. le Président, précédé des huissiers de l’Assemblée, et d’un détachement de la cavalerie nationale, ouvrait la marche ; les membres le suivaient deux à deux ; ils étaient escortés par la garde nationale et la prévôté réunies ; les gardes delà prévôté et les grenadiers de la garde nationale marchaient alternativement. L’Assemblée étant arrivée à l’église de Notre-Dame, une députation de la commune, M. le maire Bailly à la tête, est venue la recevoir. M. le maire a prononcé un discours analogue à la circonstance, auquel M. le Président a répondu. Le doyen du chapitre, à la tête du clergé, a pareillement harangué l’Assemblée, qui a répondu par l’organe de M. le Président. L’Assemblée est entrée dans l’église au son des cloches, au bruit du canon, des tambours et d’une musique militaire. MM. les députés ont été placés à droite sur des gradins. La commune de Paris était à la gauche, ayant auprès d’elle les ministres du roi. Al. l’abbé Mulot, chanoine régulier de Saint-Victor ■, docteur en théologie , président de l’Assemblée des représentants de la commune, a prononcé le discours suivant (1) : Facto in se spiritu Dei , dixit Régi et Populo : Audite me ..... Transibunt dies , absque lege ..... Non erit in tempore illo pax egredienti et ingre-dienti , sed terrores undique ..... Vos ergo conforta-miniet non dissolu antur manus vestræ; erit enim merces operi vestro ..... Et intravit Rex ad corro-borandum fœdus ..... Et juraverunt domino voce magna in jubilo , in clangore tuba omnes ..... cum execratione ..... in omni enim corde suo juraverunt et in omni voluntate.... et præstitit eis Dominus requiem per circuitum. Plein de l’esprit divin, il dit au Roi et au Peuple : Ecoutez-moi : il y aura des jours où l’on méprisera la loi ..... Alors la paix sera bannie du sein des coupables : soit qu’ils s’éloignent de leurs villes, soit qu’ils y rentrent; partout la terreur agitera leurs âmes ..... Pour vous, armez-vous de force; redoublez d’efforts; ne vous séparez pas, et vos travaux auront leur récompense. Et le Roi vint aussitôt faire un pacte d’alliance solennelle, et le peuple a juré cette alliance; il en a fait le serment à son Dieu : il a prononcé l’anathème contre les ennemis de la loi : son cœur dictait ; sa volonté consommait son serment ..... Et le Seigneur a répandu sur le souverain et sur Je peuple les dons bienfaisants du repos et de la paix. (Au livre II des paralipomènes, chap. XV.) Messieurs, Quel est cet homme inspiré, qui parle avec tant de sagesse et de franchise à son roi, et qui donne à tout le peuple des conseils aussi précieux? Queis sont ces coupables que la frayeur poursuit jusque dans leurs retraites? Quel est ce monarque vertueux, si docile à la voix qui l’ins-(1) Le discours de M. l’abbé Mulot n'a pas été inséré au Moniteur. [14 février 1790.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 59" [Assemblée nationale.] trait, qui accourt avec tant d’empressement pour former un pacte d’alliance avec ses sujets, et jurer à son Dieu de maintenir la loi, source unique et féconde de leur félicité commune? Quel est ce serment mutuel et du souverain et du peuple, que, du haut de son trône sublime, ratifie le suprême arbitre de la destinée des rois et des empires? Ce tableau n’offrirait-il que l’image de quelques faits empruntés ù l’histoire immense des nations, ou serait-ce la peinture prophétique de ce qui se passe sous nos yeux? Ah 1 Messieurs, c’est l’un et l’autre. Le temps, en parcourant le vaste cercle des siècles, ramène les mêmes évènements. Dans tous les âges, les rois justes et bons sont l’objet des complaisances de la divinité qui retrouve en eux son image. Dans tous les âges, la dent impartiale et cuisante des remords, déchire et tourmente les cœurs perfides. Dans tous les âges, les alliances sincères des princes et de leurs sujets sont consacrées par la sanction du Roi des rois; et le bonheur général en est la suite. En traçant donc les actions du vertueux Aza, docile à la voix d’Azarias, le pacte mutuel de ce prince avec les tribus fidèles de Benjamin et de Juda, pour le maintien de la loi, et le sort infortuné des déserteurs de cette même loi, que la terreur accompagne dans leur fuite, l’auteur sacré de l’histoire des Juifs traçait aussi la nôtre. et sa plume, guidée par l’esprit divin, qui atteint d’une extrémité des siècles à l’autre, consacrait l’un des plus beaux faits de nos annales, et l’époque brillante où nous nous trouvons. Reconnaissons dans cette histoire d’un des plus justes et des plus grands rois qui aient honoré la Judée, reconnaissons nos grandes destinées : applaudissons au bonheur que va répandre sur nous la main bienfaisante de la divinité : bénissons la providence qui, disposant tout avec douceur, presque sans effusion de sang, a rendu victorieuse la liberté; qui, du sein des désordres inséparables des révolutions, va faire naître l’ordre et la paix; qui, en subversant entièrement notre empire, le maintient dans son rang de premier des empires de l’univers, par la sagesse des lois qu’elle lui donne, par l’union qu’elle inspire à tous les Français pour le maintien de ces lois. C’est pour jurer cette indivisible union, guerriers citoyens, que vous avez rassemblé vos légions. C’est pour en entendre Je serment que l’auguste Assemblée de la nation, et celle de la commune se rendent dans ce temple antique, mille fois témoin des vœux et des actions de grâces de nos rois, mais qui ne l’a été qu’une fois encore du serment d’un peuple libre. C’est pour le rendre plus saint; c’est pour vous engager plus spécialement avec le Dieu vengeur des parjures que vous voulez le faire autour de scs autels, plutôt qu’au champ des guerriers. Votre cœur ne peut plus le contenir ; votre bouche s’entr’ouvre pour le prononcer : ah ; modérez l’ardeur qui vous anime : je veux la doubler, s’il est possible, en vous développant l’étendue et la justice de ce serment. Cette honorable fonction m’a été confiée par des mains trop chères pour que je m’abstienne de la remplir. Mes vénérables collègues, en me l’imposant, savaient que mes talents étaient bornés; que ma voix était faible; mais ils connaissaient et le sujet qu’ils me donnaient à traiter, et votre sensibilité. Ils ont ordonné et je n’ai pu qu’obéir. Esprit divin, témoin que l’ambition et l’orgueil ne m’ont pas conduit près de cet autel (l), couronnez ma soumission par l’abondance de vos faveurs; guidez ma langue; donnez-moi l’expression simple et sublime du sentiment, et j’aurai la seule éloquence que je désire, l’éloquence du cœur. C’est à la nation que vous allez jurer d’abord d’être fidèle. A la nation! ah! qu’il doit être doux pour vous ce serment! C’est le cri de l’amour pour une mère chérie : c’est l’expression de la plus noble des passions, de ces passions louables, nécessaires à l’homme dont elles créent l’énergie, qui agrandissent son âme, et, quoique puisées dans la nature, l'exhaussent au-dessus de la nature même. C’est ce sentiment consolant et flatteur qui rend si légers les travaux pénibles qu’il fait entreprendre et ajoute aux peines cuisantes de l’exil, et au vide même de l’absence. Amour vivifiant de la patrie ! tu es répandu dans l’âme de tous ces guerriers ! ton feu sacré les consume ! c’est toi qui leur fis sentir toute la honte de l’esclavage sous lequel en vieillissant languissait la France : c’est toi qui leur conseillas et leur fis obtenir la conquête de la liberté. C’est pour mieux servir cette patrie, la nation, qu’ils ont brisé leurs chaînes : c’est pour la protéger et la défendre qu’ils ont pris ces armes qui ennoblissent leurs mains. Semblables aux Machabées, que l’amour de la patrie a rendus si célèbres, ils ne veulent que vivre et combattre pour elle, et la victime la plus belle qu’ils n’hésiteraient pas de lui offrir, est leur vie même ; le plus grand honneur à leurs yeux est de mourir pour elle. Ah ! si l’histoire a recueilli avec complaisance les grandes actions que l’amour de la patrie a fuit éclore dans les plus beaux siècles du monde, sa main s’arrêtera d’admiration à la fois et de fatigue, lorsqu’elle voudra retracer tous les prodiges que le même amour a produits, et opère encore chez les Français. Qu’on vante ces Républiques fameuses où cet amour a enfanté de si grands orateurs et tant d’intrépides soldats ! La France l’emporte sur Athènes et devient la rivale de Rome. Nous avons vu, de nos jours, un corps entier de doctes sceptiques proposer gravement un prix à celui qui résoudrait ce problème : si l’amour de la patrie peut être aussi vif sous un monarque qu'au sein aune société républicaine; quelques années de plus et l’expérience leur eût épargné cette demande. Témoins de notre révolution, la vue seule de ces troupes citoyennes les eût fait rougir d’une question semblable. Oui, sous un monarque, on peut respirer l’air de la liberté : on ne craint point la tyrannie d’un prince qui a tout le pouvoir d’exécuter la loi, mais qui en est le premier sujet lui-même : et où commandent les lois protectrices de la liberté, la patrie a tous ses droits, et l’amour de la patrie est la vertu de tous. Jurer d’être fidèle â la nation, c’est donc jurer de suivre le plus doux penchant de la nature ; c’est donc jurer d’abandonner son cœur à l’impulsion du plus pur amour ; c’est jurer d’obéir, sans inquiétude et sans résistance, à la voix de la nation; c’est confondre sa volonté avec la sienne ; et, se reposant paisiblement sur sa sagesse, s’épargner jusqu’à la peine môme de vouloir. (1) L’orateur était, non dans une chaire, niais debout devant un autel. [14 février 1790.] 598 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Saints interprètes de la volonté générale, augustes représentants de la nation qui, par votre présence, ajoutez à la solennité ne cette fête civique, jurer d’être fidèle à la nation, c’est déposer entre vos mains une volonté sujette à l’erreur et vouer une entière obéissance à vos décrets. Sans doute il est permis à l’homme libre d’en mesurer l’étendue, d’en calculer les effets : il est permis de vous en présenter, avec franchise, les imperfections, suites de l’imperfection de l’humanité ; mais ce n’est qu’après avoir obéi ; et tant que vos décisions ne sont pas réformées par vous-mêmes, vos décisions doivent toujours être respectées. Elles le seront, je vous le jure, au nom des amis de l’ordre et de la paix, des amis de la patrie, au nom de tous les bons Français. Elles le seront ; vous en lisez l’assurance sur le front de ces guerriers ; vous allez entendre leur bouche vous la donner ; et, si quelque audacieux et téméraire ennemi de la France osait concevoir l’espérance contraire qu’il contemple leurs armes. Oui, guerriers citoyens, fidèles à la nation, et pleins d’amour pour "elle, vous jurerez encore d’être fidèles aux décisions de ses sages dont le recueil offre le code de la loi ; vous jurerez d’être fidèles à la loi, qui est l'âme de la nation, et sans laquelle elle ne serait qu’un corps immense, composé de membres sans harmonie, comme sans nombre, et qui, mus par des impulsions contraires, l’entraîneraient sans cesse vers une inévitable destruction. La loi est un phare toujours lumineux, toujours nécessaire, qui montre les écueils, et les fait éviter. C’est le mur le plus invincible, le rempart le plus impénétrable que des citoyens puissent offrir aux ennemis de la patrie. C’est l’aliment de la vie des empires, comme le froment est l’aliment du corps; et, lorsque ce sceptique fameux du siècle dernier, dont les écrits ont, tout à la fois, fait éclore et obscurci tant de vérités, formait, dans son imagination chimérique, sa république d’athées, c’était par la loi qu’il remplissait leur Dieu. Eh! qui donc pourrait se refuser à se soumettre à la loi? Tout ne lui obéit-il pas dans la nature? Les saisons reparaissent et se terminent à des époques fixées par des lois. La naissance des êtres est soumise aux lois de la reproduction : cette fleur si simple, qui porte avec elle tant d’odeur, s’est régénérée dans la corruption; sa tige s’est graduellement élevée; son bouton s’est ouvert; ses feuilles se sont développées et il n’est qu’un seul moment propre à la cueillir. Les astres sont réglés dans leur cours, et jamais ils ne s’écartent des cercles qu’ils parcourent. L’astre du jour habite successivement ses douze demeures, et, par respect pour les lois, il permet que la reine des nuits intercepte ses rayons, et prive quelques instants les mortels de sa bienfaisante lumière. Les comètes errantes sont elles-mêmes sujettes à des lois, et ne viennent se montrer qu’au moment calculable de leur apparition. Enfin, Dieu lui-même, le législateur suprême, en qui est la loi, dont la toute puissance est infime, ne peut rien sur l’essence des choses, éternelle comme lui. O hommes, refuseriez-vous donc de suivre l’exemple de toute nature, l’exemple de toute la nature, l’exemple de votre Dieu? non, sans doute, la loi vient au-devant de vous, et vous courez au-devant d’elle ; non, vous ne sauriez méconnaître sa voix. Compagne de la sagesse, appuyée sur elle, elle vous tient le même langage : « Enfants des hommes, vous dit-elle, écoutez-moi; je vous apprendrai de grandes choses; mes lèvres annonceront la justice; ma bouche publiera la vérité... tous mes discours sont justes et pleins de droiture... c’est de moi que vient le conseil et l’équité : c’est de moi que vient la force... les rois régnent par moi... par moi les princes commandent, et c’est par moi que ceux qui sont puissants, rendront Ja justice : j’aime ceux qui m’aiment... les richesses et la gloire, la magnificence et la justice sont avec moi ; car les fruits que je porte sont plus estimables que les pierres les plus précieuses et l’or le plus pur. Heureux ceux qui gardent mes voies! # Vous les garderez, les voies de la loi, braves guerriers, et le serment que vous en allez faire en est le garant : vous les garderez comme citoyens et comme soldats; vous ne souffrirez pas que d’autres s'en écartent. Toujours prêts à obéir à la loi, toujours prêts à la défendre, vous n’agirez que par elle et pour elle. Par vous la licence sera réprimée et la liberté soutenue : vos bras et vos armes seront toujours au service de la loi et au service de la patrie, qui n’existe que par la loi. Et si bientôt jouissant tous du calme qu’elle donne, après avoir appesanti vos mains sur les ennemis de la nation, après avoir ravi à la tyrannie sa proie, vous prenez quelque repos, que les ennemis de la nation ne s’en prévalent pas ! Ce repos sera celui de Juda ; ce sera le repos du lion : qui pourrait jamais oser exciter son réveil? Manus tua in cervicibus inimicorum..., ad prœdam ascendisti... Requiescens accubuisti ut leo... quis suscitabit eum ? Mais peut-on être fidèle à la loi, sans être fidèle à celui qui en est le dépositaire, à qui le souverain pouvoir de la faire exécuter appartient, à celui qui la reçoit de la main de tous, pour exiger ensuite, de chacun, la soumission la plus entière à ses préceptes? Non, certes! Aussi venez-vous joindre à vos premiers serments, celui d’être fidèles au roi. - Ce serment n’a jamais coûté à des Français. L’amour du souverain est la vertu de la nation : c’est, si j’ose le dire, une propriété du sol ; l’enfant en est investi dans le sein de sa mère, qui le lui transmet avec la vie ; son cœur s’en nourrit en grandissant, et le plaisir le plus doux est de le manifester par ses cris, comme la dernière censure de ses rois est de leur en refuser le témoignage par son silence. Mais ce serment dut-il jamais être fait avec plus d’ardeur que dans les circonstances où nous nous trouvons ? jamais souverain mérita-t-il davantage et notre fidélité et notre amour ? Ah ! nous parcourerions en vain nos Annales : en vain nous rapprocherions notre monarque de ceux qui ont le plus glorieusement porté sa couronne ; après avoir épuisé nos fastes, nous serions forcés de lui dire ce que Dieu lui-même disait de Salomon : « Parmi ceux qui l’ont précédé, « parmi ceux qui le suivront, il n’est pas de roi « qui puisse lui être comparé. Nullus, in regibus « ante te, nec post te, similis tuî. » Tous les titres, que la France esclave a donnés à ses maîtres, peuvent en effet se réunir sur sa tête; et ces surnoms, que trop souvent a prodigués la flatterie lâTie et servile, le Français libre peut les lui offrir. Le nom de Pieux appartient, sans doute, à un prince qui fait respecter, par ses exemples, la religion dont il chérit les principes ; qui nourrit dans son cœur la vénération la plus grande pour [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 février 1790.] les vertus d’un père qui lui en a transmis le goût, la tendresse la plus pure pour une épouse qui embellit ses destinées; et l’amour le plus ardent pour un lils qu’il destine à faire, après lui, le bonheur de ses sujets. Ah ! si j’osais mettre en parallèle avec lui, non ce conquérant sanguinaire, dont la grandeur si fausse, quoique tant vantée, n’a consisté que dans les succès de l’ambition et de l’orgueil, dans le nombre immense de ses conquêtes qui toutes faisaient à l’Etat, dont elles préparaient la ruine, des plaies, sensibles encore de nos jours et qui toutes étaient achetées au prix du sang de ses sujets; dontla grandeur colossale, en apparence, s’est évanouie sans lui survivre ; mais ce roi chéri, père de son peuple, dont on l’avait forcé de devenir le vainqueur, ce roi qui ne porta pas vainement le nom de Grand: combien sur cette idole adorée des Français, notre monarque aurait-il d’avantages! Henri, dans son enfance, ignore sa destinée : des montagnes agrestes lui tiennent lieu de pares ; une chaumière est son Louvre : il ne s’accoutumera point au langage de la flatterie chez de simples agricoles qui ne parlent que celui de la nature: il apprend à être franc comme eux. Les fruits de cette éducation patriarcale, il les porte sur le trône; et, comme la grandeur véritable ne consiste que dans l’exercice solennel des plus simples vertus, il n’a besoin que de son cœur pour être grand. Mais Louis, ce bon roi qui nous gouverne, est né dans le sein de la corruption des cours. Bercé par la mollesse, il n’a jamais pu s’endormir ou se réveiller qu’au milieu de l’encens des flatteurs. Ces préjugés anti-populaires, anti-patriotiques, qui peignent les hommes comme trop petits et trop méprisables pour arrêter les regards des rois, qui ne leur représentent la loi que comme un frein bon pour ses peuples, et qui ne saurait contrarier les volontés arbitraires de ceux qui gouvernent, il les a tous reçus dès le premier jour de son existence; et, pour parvenir au degré de grandeur qu’il possède, il lui a fallu les vaincre, et sa grandeur est son ouvrage. Il est donc vraiment grand et grand par lui-même, le monarque objet de notre amour; il est vraiment grand! Mais il est un autre titre plus cher à son cœur : c’est le titre de Père du peuple. Celui de nos souverains qui l’obtint autrefois, l’avait mérité, sans doute; mais l’avait-il acquis à tant de titres ? Quel prince fît tant d’efforts pour maintenir ou ramener l’harmonie et l’ordre dans son empire, partagea plus sincèrement les alarmes, les inquiétudes, les peines, les malheurs de son peuple et se dépouilla plus volontiers pour lui ? Qui, de tous nos rois, donna surtout plus de marques de confiance à ses sujets ? Rappelez-vous, chers concitoyens, ces moments de trouble, de confusion et d’horreurs où, contre le penchant naturel de votre caractère, vous ne sembliez respirer que le carnage; où l’air retentissait du cri des victimes si cruellement immolées ; où l’on ne voyait, de tous côtés, que des canons, des épées, des piques et des armes de toute espèce aussi extraordinaires et aussi redoutables que ceux qui les portaient. Votre roi, sans ses gardes, sans sa cour, le front serein, l ame paisible, sûr de ses vertus et des vôtres, ne tra-versa-t-il pas cette foule armée, et, sous la voûte d’acier que vos épées formaient au-dessus de sa tête, ne monta-t-il pas à la maison commune, au temple dé la liberté, pour jurer sur son autel 399 qu’il voulait et ferait tout pour votre bonheur ? Pour notre bonheur! ôbon roi, recevez, par la bouche du ministre du Dieu de vérité, le titre le plus doux pour votre âme, le titre de Père de votre peuple. La philosophie vous a donné ceux de roi d’un peuple libre, de restaurateur de la liberté; mais c’est celui de père qui vous plaît davantage, c’est celui de père que préfèrent de vous donner vos sujets : oui, vous êtes notre père, nous sommes vos enfants et vos enfants vous jurent, de concert, et la fidélité et l’amour. Vous l’avez dit, auguste souverain, que la peinture de cet amour était votre plus douce consolation : notre plus grand bonheur est de vous l’exprimer. Une des preuves les plus sensibles de l'amour, c’est la réunion, la confusion des volontés, des vœux, des désirs ; prouvons donc à notre roi combien nous l’aimons, en jurant de maintenir, de toutes nos forces, la Constitution que lui a présentée l’auguste Assemblée de la nation, et qu’il a si solennellement acceptée. Jurons de maintenir une Constitution qui enchaîne la tyrannie, bannit l’esclavage pour ne faire régner que les lois et obéir la liberté; qui rend à l’homme les droits imprescriptibles que lui a donnés la nature, et que les sociélés méconnaissaient et outrageaient depuis longtemps ; qui ramène cette égalité précieuse par laquelle un grand peuple n’est qu’une famille de frères qui ne peuvent être distingués les uns des autres que par les nuances dominantes des Vertus ou des talents; qui assure au mérite les honneurs et les dignités que dispensait la faveur et qu’achetait la bassesse : qui brise les fers donnés à la pensée et met fin tout à la fois à la captivité des esprits et à celle des corps ; qui fait concourir tous les citoyens à la cause commune, et les rend ou dépositaires ou censeurs de l’administration ; qui fait disparaître jusqu’aux vestiges de la barbare féodalité ; qui, inflexible pour les crimes, les punit également dans tous les coupables, mais équitable, proportionne les peines aux délits, et juste, n’en rend responsable que le criminel seul, en qui elle respecte encore le titre auguste d’homme ; qui déjà nous laisse entrevoir les bases d’une justice prompte, gratuite et impartiale; qui soumet au pouvoir de la loi les forces militaires dont on ne pourra plus se servir que pour assurer le repos du citoyen, le règne de l’ordre, le bonheur de tous. Oui, vous allez jurer, guerriers reconnaissants, de maintenir cette Constitution sage. Eh ! qui pourrait ne pas applaudir au serment que vous allez faire de l’appuyer de vos forces? Serait-ce quelqu’un de ceux que des décisions nécessaires dépouillent de leur état et de leur bien? Non, frères, non, il n’est personne qui n’applaudisse à votre auguste serment ; nous apportons, pour la plupart, ces mêmes biens sur cet autel sacré, pour en offrir l’holocauste à la patrie ; et si, de même qu’autrefois, au pied du mont Sinaï, où Dieu lui-même dictait la loi, les Hébreux ont adoré les fausses divinités de l’Egypte, on a vu des Français, au pied du temple de la nation, honorer leurs antiques idoles, à l’aspect du volume de la loi; fisse sont prosternés et tous ils ont dit d’un commun accord : « Nous ferons ce qu’il contient; nous jurons l’obéissance: omnia quæ locutus est . . .faciémus et erimus obediemes » Il est, à la vérité, quelques-uns de nos frères éloignés de notre patrie commune, par la crainte ou par l’erreur, qui ne peuvent faire avec nous 600 [Assemblée nationale.] ce serment civique. Ah ! ne prononçons pas contre eux d’anathèmes ; ils sont assez punis de ne pas assisterà cette solennité, de ne pas partager notre bonheur. Que dis-je? si j’en crois mon cœur, et si c’est l’esprit divin qui m’anime, ils le partageront bientôt ; ils reviendront tous soumis à la loi, et jureront de lui être fidèles. Réunis à nous sons l'empire d’un roi qui régnera par la loi, iis ne formeront plus qu’un seul troupeau sous un même pasteur, unum ovile , unus pastor ; et notre royaume, régénéré par la loi, vivifié par l’amour de la patrie, conduit par la sagesse de notre monarque, n’offrira plus aux autres uations que l’image de la cité sainte où Dieu règne au milieu de ses élus. Ainsi-soit-il. M. l’abbé Mulot, à la fin de ce discours, a invité les représentants de la commune, les gardes nationales, et tous les citoyens, à jurer, en présence de l’Etre Suprême et des représentants de la nation : « D’être fidèles à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout leur pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale, et acceptée par le roi. » M. Bailly, maire , s'est avancé auprès de l’autel, s’est tourné vers l’ Assemblée nationale, et, après l’avoir saluée, il a prononcé à haute voix la formule de ce serment civique. Dans le même instant, toutes les mains ont été levées, les drapeaux ont été inclinés, les épées balancées en l’air, tous les spectateurs ont juré de maintenir la Constitution; le roulement des tambours, le son des cloches, le bruit du canon, ajoutaient encore au spectacle imposant et majestueux de ce serment solennel. La cérémonie a été terminée par un Te Deum, et par le Domine , salvum fac regem; ensuite l’Assemblée nationale s’est retirée, et a reçu les mêmes honneurs qu’à son arrivée. Signé : Bureaux de PüSY, président ; le baron de Marguerittes, le vicomte DE jNoailles, l’abbé EXPILLY, Laborde Du Meréville, le marquis de la Coste, CuiLLOTiN, secrétaires. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du lundi 15 février 1790 (1). M. de Marguerittes, l'un de MM. les secrétaires, donne lecture du procès-verbal de la séance du 13 février. M. Martineau dit que l’article 2 du décret concernant les ordres religieux porte : « 11 sera pareillement indiqué des maisons où pourront se retirer ceux ou celles qui ne voudront pas profiter de la disposition du présent décret. » M. Martineau fait remarquer que le mot celles ne doit pas se trouver dans l’article. M. le vicomte de IVoailles propose de (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. [15 février 1790.] rédiger le paragraphe en ces termes : € Il sera indiqué des maisons où pourront se retirer les religieux qui ne voudront pas proliter de la disposition du présent décret. » M. Renaud député d'Agen , reconnaît que le mot celles qui se trouve dans l’article 2 est en contradiction avec l’article 3. 11 ajoute, en même temps, que l’Assemblée nationale, en laissant aux religieuses la faculté de rester dans leurs cloîtres, n’a pas entendu leur ôter la liberté de changer de retraite, si elles le jugent à propos. M. Bouche. Ce n’est pas l’article 2, mais bien l’article 3 qui doit être changé. M. Démeunier. J’adopte la rédaction proposée par M. le vicomte de Noailles, mais je crois qu’il faudrait ajouter un nouveau paragraphe pour décréter que, lorsque les religieuses se trouveront en trop petit nombre pour former une communauté, elles se retireront dans les communautés qui leur seront indiquées à leur réquisition. M. Le Chapelier. Quand nous avons porté notre décret, nous avons voulu témoigner des égards pour les religieuses et nous sommes aujourd’hui encore tout disposés à les leur accorder ; nous sommes donc réellement d’accord, il ne s’agit que de nous entendre pour faire finir tout ce débat; je propose de mettre après les mots : et celles, cette clause : pourront néanmoins les religieuses rester dans les maisons où elles restent aujourd'hui. M.le comte de Choiseul-Praslin. Je pense qu’il suffit de supprimer du décret le mot: celles, qui y a été introduit par suite d’une erreur. M. Leleu de La-VilIe-aux-Bois. Le parti le plus sage c’est d’adopter le procès-verbal sans changement. M. Fréteau. Je me rallie à l’opinion du préopinant, par ce motif, que le décret rendu samedi est déjà connu dans beaucoup de maisons religieuses et qu’il l’est dans les termes qui figurent au procès-verbal. M. le marquis d’Fstourmel. Le décret est positif pour les religieux; il est facultatif pour les religieuses; on peut donc laisser la rédaction telle qu’elle est. M. Target. Vos décrets ne peuvent laisser de place au doute; ils doivent être positifs et je pense que l'article 2 doit être modifié dans sa rédaction. M. le vicomte de IVoailles fait quelques changements à son projet primitif. M. le Président consulte l’Assemblée. Elle décide d’abord que l’article 2 sera rectifié. Elle adopte ensuite la dernière rédaction proposée par M. de Noailles et qui est ainsi conçue : « Il sera indiqué des maisons où seront tenus de se retirer les religieux qui ne voudront pas profiter de la disposition du présent décret. » M. Duport. L’Assemblée s’est fait une loi qu’elle n’a jamais méconnue , elle a décidé qu’aucune protestation ou réclamation ne serait mentionnée ARCHIVES PARLEMENTAIRES.