346 | Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (26 avril 1791.] Plusieurs membres (s’adressant à M. Rabaud-Saint-Etieune) : Parlez! parlez! Un membre ; Il faut consulter l’Assemblée. M. le Président. On demande que M. Rabaud soit entendu-, je mets cette motion aux voix. (L’Assemblée décide que M. Rabaud-Saint-Etienne sera entendu.) M. Raband-Salnt-Etienne. Je vous entretenais, Messieurs, des difficultés que vous eûtes vous-mêmes à surmonter pour faire admettre les assignats. On se récriait alors sur la quantité du numéraire qui allait être mise en circulation. On disait qu’ellV excédait la proportion de nos besoins et l’on vous annonçait que le papier n’était propre qu’à faire disparaître les écus. Ce sont ces deux préjugés qui sont la cause de notre stagnation, de cette immobilité des législateurs qui laissent au corps politique tout le temps qu’il faut pour parvenir au marasme. J’ai besoin, pour appuyer la proposition que j’ai à vous faire, d’établir trois vérités : La première, que la multiplicité des affaires ne peut exister que par la multiplicité du numéraire; la seconde, que la France était alors, et qu’elle est encore bien loin d’avoir le numéraire dont elle a besoin ; la troisième, que ce ne sont ni les gros ni les petits assignats qui peuvent faire disparaître les écus. La première proposition est incontestable. Dans un pays industrieux, où l’échange est établi par l’intermédiaire des métaux et des papiers négociables, on ne peut faire beaucoup d’affaires lorsque l’on a très peu de numéraire; et, au contraire, quand le numéraire abonde, quand toutes les mains en sont garnies, quand chacun est sur d’en avoir ou de s’en procurer quand il voudra, il s'établit une rapidité de circulation qui multiplie les ressources et satisfait à lous les besoins; cette rapidité est toujours en raison de la quantité, comme un grand fleuve est plus rapide qu’nn ruisseau. Dans les lieux où il y a peud’écus, ils s’arrêtent partout; ils séjournent dans les coffres; les pauvres soupirent après ce métal et se prosternent devant lui quand ils peuvent le voir. Mais dans les cantons où le numéraire abonde, l’industrie est réveillée, chacun se livre à des entreprises; les écus passent de main en main avec rapidité, la même monnaie revient entretenir l’activité de chacun; et toujous agitée et toujours circulante, elle ne repose jamais, elle produit l’aisance et, si elle crée des besoins, elle fournit de quoi les satisfaire; en sorte que tout le problème proposé aux législateurs pour vivifier l’industrie dans les pays industrieux de l’Europe, se résoudrait par cette réponse : Apportez-y de l'argent; et au rebours, si on nous proposait le problème destructeur de les ruiner, nous répondrions : Otez-leur leur argent. Dans les campagnes, l’abondance du numéra're fournit au cultivateur plus de facilité pour acquitter l’impôt, parce que, maniant plus d’argent, il cultive mieux ses terres, il nourrit du bétail, il engraisse s�s champs, il négocie sur les denrées, et que le numéraire dont il abonde ne lui permet pas de s’effrayer du moment où il faudra qu’il en donne une partie à l’Etat; ainsi, voulez-vous vivifier les campagnes"? Apportez-y de l’argent. Dans un pays industrieux et où l’argent abonde, il s’établit, outre l’activité dont j’ai parle, un crédit des particuliers qui anime et vivifie tout. Les citoyens prêtent aux citoyens, la terre étonnée fournit de nouvelles et de plus abondantes productions, l’industrie s’en empare; elle les ouvre et les façonne eu cent manières, et bientôt elle crée ce superflu qui attire l’argent des peuples étrangers et vient fournir les moyens de leur en soutirer encore davantage; enfin le prix de l’argent baisse, et c’est une nouvelle source d’industrie, un nouveau moyen de lever des impôts sur les besoins des autres Etats. Ai-je prétendu vous annoncer une vérité nouvelle en établissant cette proposition ? Non, Messieurs; mais j’avais besoin, non de la prouver, car c’eA une vérité de fait, mais de l’établir pour la faire servir de preuve à cette autre vérité: Que la France est bien loin d’avoir le numéraire dont elle a besoin dans le cours habi-luel des choses, et surtout pour le rétablir. C’est une objection que l’on nous a faite lors de la création des assignats. On vous disait que vous alliez lancer dans le public une quantité exagérée de numéraire; que, la France en ayant assez, ce que vous lui donniez était de trop; et que l’équilibre entre la quantité des denrées et colle du numéraire étant détruit, les denrées monteraient à un prix excessif : l’expérience a dauontré la fausseté de cette assertion. Ce n’est pas ici le lieu de combattre le préjugé très faux: Que la quantité de l’argent fait augmenter proportionnellement le prix des denrées. Je ne veux q n’établir que la France n’en est pas à ce point de terreur et qu’avec la masse imposante de numéraire qu’on lui < omptait, elle était loin d’avoir le nécessaire. Je la compare avec l’Angleterre. On évalue le numéraire effectif des trois royaumes à 1,200 millions de nos livres ; ou a lieu de croire qu’il y a pour euviron 1,840 millions de billets de banque en circulation. En sorte qu’on peut porter à 3 milliards le numéraire circulant de l’Angleterre. Eu comparant son numéraire avec celui que nous avons aujourd’hui, et sa population avec la nôtre (1), il en résulte que, si on répartissait à chaque Anglais et à chaque Français une portion égale du numéraire de son pays, chaque Français aurait 141 livres pour sa part et chaque Anglais aurait 337 livres ; il suit de là qu’un Anglais peut faire deux fois et demie autant d’affaires qu’un Français; qu’il peut prêter deux fois et demie autant aux campagnes et aux vaisseaux ; et que cet immense numéraire, bien loin d’être pour l’Angleterre un sujet de terreur, est la vraie cause de sa prospérité. Voilà le secret de sa puissance ; voilà ce qui la met en état de faire de gros emprunts et de payer des tributs qui nous paraissent excessifs. Où l’argent abonde, il ne coûte rien à donner, ainsi, ne nous effrayons pas de l'excès de notre numéraire, soit en argent, soit en papier; nous sommes bien loin d’être trop riches. Mais entin, quand ce que je viens de dire ne paraîtrait pas convaincant, on ne pourrait s’effrayer d’une émission de petits assignats en échange des énormes assignats qui nous sont inutiles, s’ils ne nous sont pas à charge, et je ne propose pas d’en créer de nouveaux, d’accroi-:re l’émission, mais de donner la monnaie de ces lingots en papier, de ces masses de 2,000, 1) Je suppose en France 2 milliards 200 millions de numéraire reel et 1,200 millions de numéraire lictif : ils n’y sont pas. Je suppose 24 millions d’habitants eu France et 10 millions en Angleterre. [26 avril 1791.] 347 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. de 1,000, de 500 livres, dont les citoyens ne savent que faire. Ici se présente la difficulté que l’on nous a faite dès les commencements :Que les petits assignats feraient disparaître les écus; sur quoi s’est fondée la théorie, timide à mon gré, de l’Assemblée nationale. Chacun peut se rappeler la stupeur que procuraient ces paroles magiques. Les écus s'enfuyaient; on nous menaçait de leur disparition totale si nous venions à créer de petits assignats; et les bons citoyens alarmés gardaient le silence; ils n’osaient croire à leurs lumières et à cet instinct de douleur et de besoin qui les pressait de courir au véritable remède. On ne nous donnait cependant qu’une raison : C’est que, les écus étant nécessaires pour les appoints, ils seraient obligés de rester; comme si les écus étaient des personnes que l’on peut enchaîner et forcer à rester dans le pays ! C’était une vraie pétition de principe; car si les écus disparaissaient avant que les assignats existassent, les assignats n’étaient point la cause de leur disparition; il y avait des causes antécédentes, majeures, et malheureusement progressives, qui les faisaient fuir du commerce. En leur associant des concurrents et des substituts, on ne les obligeait point à fuir; au contraire, on employait un moyen de les rappeler, ainsi que je le prouverai. En décrétant qu’ils resteraient en France pour faire les appoints, on ne créait pas le pouvoir de les y contraindre; et de ce qu’on jugeait qu’ils étaient nécessaires, il ne s’ensuivait pas du tout qu’ils ne sortiraient plus, qu’ils ne disparaîtraient plus. Mais enfin, il était écrit que nous devions passer par les dures épreuves de l’expérience. Nous n’avons pas osé créer de petits assignats; nous avons cédé à la terreur panique ; et les écus ont fui, et ils ne sont pas restés pour faire les appoints, comme on l’espérait, et ils s’écoulent, et ils doivent s’écouler, si nous gardons notre système, avec une pente si nécessaire, que dans peu de temps nous n’en aurons plus, si nous ne créons de petits assignats ; seul moyen, actuellement en notre pouvoir, de rappeler notre numéraire et de le suppléer en attendant. Il y avait donc, Messieurs, il y a donc encore des causes vraies de la disparition du numéraire . Elles sont assez connues, mais elles sont peu observées. Je me borne cependant à les exposer. Première cause-Les faux bruits de banqueroute, répandus avec affectation par les malveillants chez nous et chez les étrangers, engagèrent plusieurs de ceux-ci à réaliser. Nos écus passèrent en Allemagne, en Hollande, en Angleterre, à Genève; ils y passent tous les jours, ou en nature, ou en barres : rien ne les rappelle chez nous; ils restent chez les étrangers. Seconde cause. On avait fait, en 1788 et en 1789, d’immenses achats de grains pour suppléer à notre disette ; ils ont été payés en écus. Troisième cause. Les intérêts accumulés de notre dette ont été payés, et les étrangers, à qui nous devons beaucoup, qui avaient à prétendre de gros remboursements sur les effets suspendus, ont échangé notre papier, dont ils n’avaient pas l’usage, contre nos écus qui circulent chez eux; et, par parenthèses, la perte qu’ils font dans cet échange compense la sortie des écus, puisqu’elle est une espèce d’intérêt qu’ils nous payent. Quatrième cause. La balance du commerce a été longtemps à notre désavantage. Donc nous avons été obligés de solder nos comptes avec les étrangers, et nous ne pouvions le faire qu’avec des écus ; mal terrible, et qui, s’il allait en croissant, Finirait par nous ruiner et par nous livrer à tous les chocs que les ennemis du bien public trouveraient bon de hasarder. Cinquième cause. On fond les écus pour les mettre en barres, parce qu’il y a un gros profit à le faire ; je vais, Messieurs, vous en présenter le tableau tel qu’il m’a été donné par un orfèvre. Tableau de la valeur actuelle des écus et du profit qu'on trouve en les fondant. 9 écus de 6 livres valent ..... 54 1. » s. » d. Pour s’en procurer en échange des assignats, on perd 6 0/0 ; ce qui en fait monter la valeur de. 3 4 9 Ces neufs écus, pesant 1 marc 4 gros 1/2, coûtent donc ....... 57 4 9 L’argent en barres se vend, à Lyon, au titre de 10 d. 20 g., 55 1. 3 s. le marc, payables en payements courants. Si l’on fond des écus, ils doivent se trouver à 10 d. 22 g. de fin; ils ont donc par marc 2 grains de fin de plus que l’argent en barres, lesquels valent, à raison de 4 s. I d. 3/4 le grain de fin, 8 s. 3 d. par marc. Donc les écus mis en barres se vendront 55 I. 13 s. 9 d. le marc, payables en assignats et au payement. 9 écus de 6 livres du poids ci-dessus désigné produiront à Lyon 59 I. 9 s. 6 d. Ils auraient coùié ...... 57 1. 4 s. 9 d. Il restera de bénéfice ..... 2 1. 5 s. 3 d. Gela donne donc environ 4 0/0 de bénéfice; il faut en déduire 1 1/2 0/0 au plus, pour le port et commissions de compte. Il reste un profit net de 2 1 /2 0/0, et ce bénéfice peut être réitéré tous les 15 jours. Calculez, d’après ce tableau, si dans quelque temps il nous restera beaucoup d’é-cus [1). Pourquoi donc s’arrêter à de fausses craintes sur une prétendue cause de la disparition îles écus, quand on en connaît de véritables, et de si terribles? Examinons la théorie des assignats. C’est un papier, le plus solide qui existe, destiné à remplacer le numéraire, ou à concourir avec iui. Il n’y a nulle raison pour que la création du numéraire fictif fasse disparaître le numéraire réel, à moins que la confiance ne soit inégale. Mais ici, la méfiance n’existe pas ; les assignats ont du crédit; ceux de 50 livres sont recherchés et on les achète. On recherche avec plus de passion encore les coupons ; ils circulent rapidement, et l’on se plaint de la nécessité qui force à les brûler. Le peuple, témoin de cette cérémonie, gémit réellement sur leurs cendres. Donc le papier (U Ce tableau a été fait il y a plus de lo jours : depuis lors, le prix de l’argent en piastres est augmente à Lyon. 348 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 avril 1791.] u du crédit; donc, si les gros assignats perdent, ce n’est point parce qu’ils sont assignats, mais parce qu’ils sont gros, parce qu’ils sont trop forts et n’entrent pas dans l’usage de la vie. Donc il y a un concours réel entre le coupon et le petit écu ; donc les petits assignats résolvent le problème dont vous vous êtes occupés et qui n’est pas encore résolu. Gréer du papier qui supplée et qui aille le plus de pair qu’il est possible avec l’argent. Ce que je dis est si vrai que les gros assignats perdent les uns avec les autres en raison de la masse qu’ils représentent : celui de 2,000 livres perd le plus, ensuite celui de 1,000, puis celui de 500, et ainsi successivement jusqu’à celui de 50, qui perd le moins de tous. C’est que cet assignat est presque de la monnaie, c’est qu’il se prête le plus de tous au commerce; c’est que le public s’atiache à l’assignat le plus commode et qui passe dans plus de mains. Et si vous aviez créé des assignats de 25 livres, on laisserait ceux de 50 livres pour courir après ceux-ci. Cette voix générale du public est une démonstration invincible ; il n’est aucun de vous qui n’en ait la preuve avec lui -même, et qui, comme la foule, ne se débarrasse de ses gros assignats, pour courir après les petits. Tout cela est démontré; et cependant je crains tellement encore les restes de la frayeur qui nous paralysa au moment de créer des petits assignat*, que je me crois encore obligé d’employer une supposition. Je suppose donc qu’au lieu de ces assignats-monnaie nous eussions des lingots ou des plaques d’argent de la même valeur et couverts de l’empreinte nationale; que nous fussions obligés d’empluyer, pour nos affaires.de grosses plaques d’argent de la valeur de2,0U0 livres, de 1,000 livres et au-dessous, jusques à 50 livres. Embarrassés, non pas seulement du poids, mais surtout de la valeur excessive de cette grosse monnaie, nous serions obligés du la changer. Je suppose ensuite qu’il n’y eût, pour petite monnaie, que du papier, de petits assignats, d’un écu, de 4 livres, en un mot, vos coupons. Forcés par nos besoins journaliers, obligés d’acheter les choses de vil prix et sans lesquelles on ne peut vivre, nous nous débarrasserions de nos lingots et de nos plaques d’argent pour les échanger contre du papier; et si le papier était rare, il deviendrait précieux; et s’il y avait des marchands de papier, nous l’achèterions; et si le peuple avait la sottise de battre ces marchands, le papier deviendrait plus rare, on le vendrait plus cher, mais nous l’achèterions encore. C’est qu’il faut vivre et que tout homme sacrifie le dîner en espérance de demain au dîner réel d’aujourd’hui. C’est qu’il faut commercer et que, pour une affaire de 2,000 livres, il s’en fait mille d’un écu. C’est qu’il faut payer les ouvriers et leur donner de la petite monnaie. C’est qu’il faut que la société soit abondamment fournie decetie monnaie circulante, de cet organe courant des échangés journaliers, qui alimente tout le monde, et sans lequel on mourrait de faim au milieu d’une provision immense d’aliments. Mais il résulte de ma supposition que l’argent ne perd contre les assignats que parce qu’il est monnaie et qu’on ne peut s’en passer. Et si on les faisait changer de rôle et que l’argent fût indivisible, et le papier très subdivisé, ce serait l’argent qui perdrait contre le papier. C’est ainsi que, dans le commerce, un lingot de 2 marcs se vend plus avantageusement qu’un lingot de 5, quoique tous les deux soient de l’argent. C’est que la grosse masse, dont on a peu affaire, perd nécessairement contre la petite, dont on a plus souvent besoin. Voici donc, Messieurs, le vice des gros assignats ou le malheur de n’en pas avoir de petits. 1° Le gros assignat est indivisible; il ne peut servir aux usages de la vie, il n’entre pas dans la circulation habituelle, ni dans les trois quarts des affaires commerciales; elles restent en stagnation et l’acheteur qui a des besoins et le vendeur qui a besoin de lui n’ont absolument rien à se dire; il leur est impossible de s’arranger. 2° Les gros assignats sont la véritable cause du renchérissement de l’argent, puisque leur avan-tnge diminue en raison de leur grosseur et que l’assignat de 50 livres perd infiniment moins que celai de 2,000. El si vous aviez des assignats de petite valeur, la disparité diminuerait en proportion. Cela a paru, comme je l’ai dit, dans le crédit qu’ont eu les coupons. 3° Cependant, à ce jeu dangereux et terrible, le commerce se perd et l’agriculture se ruinera : car comment pourra-t-on exécuter les travaux indispensables de la campagne et ceux des ateliers, si l’on n’a pas de la monnaie ou s’il faut l’acheter 7 ou 8 0/0, et si l’on consomme en intérêt (car c’est un terrible intérêt) le profit de la manufactureet l’espérance incertainede la récolte? Il faut que, tôt ou tard, que bientôt on cesse de fabriquer; il faut céder aux étrangers les avantages de la concurrence en haussant le prix des denrées et des marchandises qui ont coûté tant d’avances; il faut leur abandonner la balance du commerce qui, haussant toujours à leur avantage, emportera le reste de notre argent et nous laissera pauvres et incapables de nous relever, car nos ouvriers passeront chez eux. 4° C’est une perte réelle pour le gouvernement qui s’est engagé à recevoir les subsides en papier, et qui est obligé de payer l’armée en argent. Avec de petits assignats, Messieurs, vous pourvoirez à tout, au moins quant à présent. Votre théorie des assignats sera complète; car elle avait pour objet de les donner pour supplément au numéraire; et, de leur nature, ils ne le remplacent pas. Il n’y a point, en effet, de pièces d’argent de 50, delOO, de 200 francs, de l,000etiie2, 000 francs. Et, au contraire, il n’y a pas de papier de 24, de 12, de 6 et de 3 livres; le peu qui existe de ces derniers vient à l’appui de ma proposition. Pour que la rivalité soit réelle, il faut qu’ils marchent de pair et sur des lignes parallèles. Il sera même politique de donner l’avantage au papier, qui se recommande par sa solidité, qui reste parmi nous, que les étrangers ne nous enlèveront pas, au moins encore, grâce aux erreurs dont on les nourrit, et qui fournira à tous les besoins de la vie journalière. Cet avantage politique donné au papier consistera dans la' création d’un papier d’une valeur inférieure à celle de l’écu de 6 livres. Alors les écus seront moins recherchés, parce qu’ils seront moins nécessaires; et je suis obligé de le redire, parce que c’est notre préjugé habituel, un préjugé formé dès l’enfance : L’écu de 6 livres n’est pas recherché parce qu’il est de l’argent, mais parce qu’il est monnaie. La monnaie de cuivre se vend aussi maintenant, et cependant elle n’est pas de l’argent; mais ceux-là l’achètent, qui ne peuvent pas s’e i passer; et c’est encore la faute des gros assignats; car s’ils étaient monnaie eux-mêmes, c’est eux que l’on rechercherait. lAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 126 avril 1791.J 340 Avec de petits assignats les écus baisseront de prix; car on pourra se passer d’eux, dans la proportion juste et précise des petits assignats que vous mettrez dans la concurrence. Si les écus baissent de prix, on ne les vendra plus, ou on les vendra moins; leur concurrence ou leur concordance avec les gros assignats sert:. plus homogène. Alors ils rentreront dans la circulation. Alors et les petits assignats et les écus porteront la vie et l’activité dans les ateliers et dans les campagnes. Vousavez desexemples, Messieurs, de l’utilité des petits assignats. Dans plusieurs villes de manufactures, le besoin public les y a décrétés, et la sagesse publique leur a donné sa sanction. C’est avec des petits assignats, d’un crédit assurément bien inférieur à celui qu’auraient les vôtres, que l’on y paye les ouvriers et que le commerce s’entretient encore. Et cependant ces assignats sont bornés à l’enceinte des murs; ils ne sont pas forcés, ils n’ont qu’un cours conventionnel, et le paysan ne peut y mettre sa confiance. Mais, tels qu’ils sont, ils ont sauvé le commerce dans les villes qui en ont fait usage. Je n’ose plus appeler timidité le sentiment qui nous ferait reculer devant ces exemples. Je sens bien comment les agioteurs de gros assignats chercheront encore à vous effrayer sur une fabrication qui doit leur ôier leurs profits; mais je ne comprends pas comment des législateurs s’y laisseraient encore surprendre. Enfin, Messieurs, et surtout, les petits assignats, en redonnant la vieà l’agriculture et au commerce, nous redonneront notre avantage naturel, sur les étrangers, accru de tout ce que doit y joindre la liberté, mère féconde et libérale de "l’industrie. C’est ainsi que la pente de notre numéraire le ramènera chez nous. Il avait coulé chez l’étranger par le canal de nos besoins; il rentrera chez nous par le canal des leurs. Il s’épuisait par le dessèchement de notre commerce; il rentrera par son activité; et, comme le disait un célèbre administrateur, qui le premier nous a dévoilé les vrais secrets de l’administration (1 ; : « Il est temps de reconnaître que le gouvernement ne peut influer sur la conservation et l’accroissement du numéraire qu’en contribuant, dans toute l’étendue de son pou voir, à l’avantage du commerce national, qui consiste à vendre aux étrangers plus qu’on n’achète d’eux. » J'avoue, Messieurs, que plusieurs sources d’écoulement subsisteront encore pour notre numéraire. 11 faudra continuer de payer notre dette à l’étranger, et nous la payerons en écus. On continuera île les fondre, ta! a qu’il y aura du profit ; enfin, tant que la balance du commerce nous sera défavorable, nous continuerons d’être tributaires des autres nations. Aussi je ne pense pas que les petits assignats que je propose soient le remède universel. Et en particulier, pour détruire la fonte des écus, il faut remonter aux principes du système moué-taire que vous vous êtes engagés� le 11 janvier dernier, à prendre en grande considération. Vos comités des finances et des monnaies s’occupent sans doute de cet objet. M. de Mirabeau avait un travail prêt là-dessus, et vous le jugerez digne de votre attention. Mais enfin cet écoulement de notre numéraire tient à des causes absolument étrangères aux assignats; et le solde de notre balance et le payement de notre dette sont des (1) M. Neeker, de l'administ. des finances, t. III, chap. vu. pertes inévitables. Que nous ayons ou n’ayons pas des assignats, il faudra toujours solder en écus. Et c’est ici que le bon sens vient nous dire que ces écus qui s’enfuient sont des agents qu’il faut remplacer; qu’il faut leur donner un supplément qui nous empêche de nous apercevoir de leur absence et que, ne pouvant les retenir aujourd’hui, il faut savoir nous en passer. Je répète d’ailleurs que le moyeu de les faire revenir, c’est de créer de petits assignats qui ranimeront le commerce et l’agriculture, en portant des secours à tant d’ouvriers qui languissent, à tant de manufacturiers qui se ruinent. Et comme tout nous assure qu’avec ces précautions, nous reprendrons bientôt l’avantage de la balance du commerce; et comme le payement de notre dette doit aller en diminuant, le remède que je vous propose est un remède à temps, qui nous guérit et qui nous sauve. Eh! que de temps encore va s’écouler avant que cette eau salutaire puisse désaltérer le pauvre! Vous aviez décrété, il y a trois mois, 15 millions de petite monnaie, et elle n’existe pas encore. Il faut beaucoup de temps pour la fabrication des petits assignats. C’est un malheur de circonstances, et il faut bien s’y soumettre. Mais je trouve, dans ces considéraiions, un puissant motif pour accélérer votre décision à cet égard. Il me reste à vous proposer le mode qui me paraît le plus propre à remplir enfin le but que v >us vous êtes proposé en créant les assignats, celui de les faire concourir avec les écus, et même les remplacer. Les assignats de 2,000 livres ne sont d’aucun usage dans le cours de la vie. Ils ne peuvent servir qu’à de gros achats. Encore le vendeur ne les acceptera-t-il qu’avec répugnance, ou bien il haussera le prix de sa marchandise. Ainsi leur unique avantage se borne à coûter moins de frais de poste. Mais cet avantage est détruit par la perte qu’ils éprouvent. Ils doivent donc être supprimés et échangés contre les petits que je vous propose. J’en dis autant des assignats de 1,000 livres. Je conserve tous les autres assignats et je propose enfin de créer uniquement de petits assignais de 5 livres. Je m’attends, Messieurs, à une répugnance soudaine à cette proposition des assignats de 5 livres, et c’est encore le préjugé qui se reproduit. On croira voir disparaître les écus ; mais, je le demande, quelle est donc la qualité occulte des petits assignats, qui peut faire qu’à leur aspect les écus s’anéantissent ou s’enfuient? Ai-je besoin de rappeler les services que rendaient au public les coupons de 4 1. 10 s. et de 3 livres? At-je besoin de répéter que les écus disparaissent parce qu’on les met en lingots, parce que ces lingots passent chez les étrangers, parce qu’ils y restent, parce que d’autres leur succèdent, parce nue nous soldons en écus la perte de la balance commerciale, et que les assignats n’en sont la cause ni de loin ni de près ? Penserez-vous que, si vous brûliez vos assignats demain, les écus n’oseraient plus s’enfuir et qu’ils entrent ou sortent du royaume, selon qu’il y a ou qu’il n’y a pas du papier? Qu’importe à la destinée des écus que les assignats soient de 5 livres ou de 100 livres, puisque grands et petits ne sont pourtant que du papier? Et comment le petit papier a-t-il une magie particulière que n’a pas le gros assignat ? Je répète donc que c’est tout le contraire; que les petits assignats feront travailler les manufactures, que les marchandises se ven- 350 | Assemblée nationale*) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 avril 1791.) dront aux étrangers, que ceux-ci nous payeront en écus et que, par conséquent, la magie des petits assignats consiste, non pas à faire fuir les écus, mais à les faire revenir. Je propose donc des assignats de 5 livres. L’on m’a fait l’objection que l’on ne voudrait pas rendre au citoyen pauvre la monnaie de 5 livres. Je réponds qu’on lui rendra bien moins celle de 50. Je réponds qu’on lui rendait bien la monnaie des coupons. Je réponds que bientôt il va paraître pour 15 millions de menue monnaie, ce qui l'ait tomber l’objection ; et surtout que j’espère que vous en décréterez davantage, si mes principes vous paraissent vrais; car il faut suppléer, par une quantité de monnaie fixe et prisonnière dans le royaume, à toute celle qui s’enfuit ; et cetie monnaie, en redonnant l’activité au commerce, rendra bientôt les étrangers nos tributaires. Je propose donc des assignats de 5 livres. Ces assignats, un peu inférieurs en valeur à ceux de 6 livres, rétabliront jusqu’à un certain point l’inégalité qui existe entre l’argent et le papier; ils se mettront assez naturellement au pair. La raison en est qu’on échange plus facilement une pièce de 100 sols qu’une pièce de 6 livres, parce que le vendeur a moius de monnaie à rendre. On me dira peut-être que je propose une trop forte émission de petits assignats. Je réponds que je voudrais qu’elle fut trop forte, car elle donnerait tout à coup une activité salutaire. Quand elle le serait, elle ne sera que successive, ses effets ne seront pas brusques, ils ne déplaceront ni les rapports ni les prix, et l’on peut enfin les brûler à l’instant où cela devient nécessaire. Mais il s’en faut de beaucoup que ce mal soit réel, et que dans notre pauvreté nous devions craindre la surabondance du numéraire. On m’opposera enfin la loi de l’économie, et que les frais des petits assignats seront presque aussi considérables que ceux des gros. Et moi j’oppose la loi plus puissante encore de la nécessite qui ne marchande pas avec les besoins. Je réponds que la déperdition des petits assignats compensera ces frais pour le Trésor public. Je conclus donc, Messieurs, à ce qu’il soit décrété une émission d’assignats de 100 sols, en échange des assignats de 2,000 livres même si vous le jugez nécessaire, et en remplacement de ceux qui ont été brûlés en vertu de vos décrets. N’ayons point de regret à ce changement de système, à ce mouvement nouveau donné à votre théorie des assignats ; c’en est, je crois, le complément, c’était leur destination primitive. Les assignats, tels qu’ils sont, ont rempli vos intentions, ils ont réveillé les espérances et l’activité du commerce : un système plus complet le vivifiera; et les peuples qui ont respecté, qui ont partagé votre prudence, applaudiront à ce nouvel acte de votre vigilance pour leurs intérêts. Je vous propose donc, Messieurs, le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Qu’il sera formé des assignats de 5 livres; « 2° Que ces assignats seront échangés à la volonté des porteurs, contre ceux de 2,000 livres, qui seront en émission lors et après la publication du présent décret, lesquels seront retirés et brûlés ; « 3° Que les nouvelles créations d’assignats que l’Assemblée pourra décréter en remplacement des assignats brûlés, seront également formées en assignats de 5 livres; « 4° Qu’il sera envoyé desdits assignats dans tous les départements, où ils seront répartis dans les proportions convenables; « 5° Que son comité des finances lui proposera inces-amment ses vues sur l’entière exécution des dispositions du présent décret. « L’Assemblée nationale charge en outre son comité des finances de lui présenter des vues claires et sûres, d’après lesquelles elle puisse juger s’il est nécessaire de fabriquer une plus grande quantité de menue monnaie, de quelle espèce et en quelle qualité. ( Applaudissements .) Plusieurs membres demandent l’impression du discours et du projet de décret de M. Rabaud Saint-Etienne. M. Buzot. J’appuie la demande de l’impression et je propose l’ajournement du projet de décret à jour fixe. Vous n’avez pas encore permis qu’on traitât cette question avec toute la maturité dont elle est susceptible et toutes les fois qu’elle a été présentée, on a mal à propos refusé l’entrée en discussion. Permettez-moi de vous dire que les choses sont plus pressantes que jamais; il faut, de quelque manière que ce soit, prendre une mesure convenable pour que chacun puisse avoir l’argent qui lui revient et qu’il paisse s’en servir aisément pour ses besoins de chaque jour et ses affaires. Je pense que l’on peut ajouter de irès bonnes raisons à celles qui ont été données par le préopinant et qu’il ne faudra pas très longtemps pour se préparer sur cet objet. Je demande donc l’impression du discours et l’ajournement de la discussion à vendredi, séance du matin. ( Applaudissements .) M. de Crillon. Il y a des orateurs qui sont prêts à parler; on pourrait, tout en ajournant la délibération à vendredi, commencer dans l’instant même la discussion. M. îllalouet. 11 est très important de ne pas commencer sur cette matière qui n’a pas encore été assez approfondie avant que l’Assemblée ait pu recueillir toutes les lumières nécessaires. (Murmures.) Je demande que les commissaires de la trésorerie, le ministre des contributions publiques, les députés extraordinaires du commerce soient consultés. Je demande que la discussion soit fixée à huitaine. Plusieurs membres : Non! non! M. Cérard (de Rennes). Consultez plutôt les campagnes. M. Illalouet. Si vous vous décidez à décréter de petits assignats, il est nécessaire que vous connaissiez l’influence que cette innovation peut avoir non seulement dans la capitale, mais dans les provinces. Il est nécessaire que vous connaissiez par quelles précautions on peut préserver les petits assignats d’une altération inévitable qu’ils éprouveront dans le commerce. M. Cïgongne. Il en coûterait plus pour contrefaire des petits assignats qu’il n’en coûterait pour fabriquer des gros; ainsi, Monsieur, votre observation tombe. (Applaudissements.) M. Malouet. Je me borne à demander que le