[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [1" février 1790.] 621 Avant de soumettre ce plan à vos lumières, Messieurs, j’ai consulté les gens les plus habiles en calculs ; j’ai sondé l’opinion des militaires mêmes ; et ce n’est qu’après avoir obtenu leurs suffrages, que j’ai acquis assez de confiance pour l’offrir moi-même à vos observations, comme à l’examen scrupuleux de cette raison profonde dont vous donnez tous les jours à la patrie des preuves qui vous assurent à jamais son amour et sa reconnaissance. Si je me suis trompé, je n’aurai que le chagrin de n’avoir point été utile à mes concitoyens; mais je n’aurai pas à me reprocher de n’avoir point voulu l’être, et j’espère qu’ils voudront bien rne savoir gré de leur avoir apporté des témoignages de mon patriotisme. J’ai vu dans ce projet le bien de l’humanité ; j’ai cru y apercevoir un but moral : Jj’ai satisfait mon cœur. Il ne me reste rien a désirer sinon que, dans le cas où mon projet paraît insuffisant ou difficile à exécuter, il se trouve parmi vous, Messieurs (et cette découverte ne sera sûrement pas tardive), des hommes plus éclairés que moi, qui ajoutent à mes idées, qui les perfectionnent et qui m’aident ainsi à consommer le bien j’ai voulu faire. L’Assemblée ordonne l’impression du projet de M. le marquis d’Usson et le renvoi au comité des finances et au comité militaire. M. le Président lève la séance. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE TÀLLEYRAND, ÉVÊQUE D’AUTUN. Séanoe du mercredi 17 février 1790 (1). M. le Président. Le procès-verbal de la séance d’hier n’étant pas terminé, la lecture en est renvoyée à demain. M. le baron de Cernon, rapporteur du comité de constitution , propose un projet de décret sur la division du département du Béarn. M. Garat l’aîné. Je demande que la première assemblée du département du Béarn se tienne dans un chef-lieu de district, et je propose la ville de Saint-Palais. M. Darnaudat. La ville de Navarreins est bien plus convenable que celle de Saint-Palais; elle est plus centrale et ce motif seul doit la faire préférer. M. le baron de Cernon déclare que cette raison a déterminé l’avis du comité de constitution. Le décret suivant est rendu : « L’Assemblée nationale décrète que la première assemblée des électeurs du département de Béarn se tiendra dans la ville de Navarreins, et qu’ils délibéreront sur le choix de la ville dans laquelle se tiendra la première assemblée de ce département, et s’il y a lieu à l’alternement. » M. le baron de Cernon donne lecture d’une (1) Cette séance est incomplète an Moniteur. rédaction générale des décrets de l’Assemblée relatifs à la division du royaume en départements et à celle des départements en distritcs ( Voy . plus loin le décret, séance du 26 février). Il prévient l’Assemblée que ces départements sont désignés par le nom du chef-lieu quand il est arrêté, soit )rovisoirement, soit définitivement, et par celui de a première assemblée lorsque l’alternat est prononcé. Le comité invite les députés à proposer le nom que ces départements porteront désormais. La lecture du rapport de M. de Cernon est fréquemment interrompue par les réclamations de divers députés. M. Lavie, député d’Alsace, fait décréter que les habitants du comté de Mont-Joye seront libres de quitter le district de Belfort pour se réunir au district de Saint-Hippoiyte. M. le baron de Cernon, après avoir terminé la lecture de son rapport, propose de décréter que la division des départements en districts n’est que réglementaire et pourra être changée dans les législatures suivantes. M. le vicomte de Toulongeon. Les décrets doivent être définitifs; l’Assemblée a décidé hier celte question ; il faut se conformer à cette décision. M. Dupont {de Nemours). La division des départements est constitutionnelle; celle des districts et la détermination des limites sont réglementaires. M. Bouche. Comme M. le rapporteur pourrait oublier les observations qui ont été faites, je demande que tous les décrets sur la division soient réunis sous leurs dates, pour que ce recueil, substitué au décret général, soit présenté à l’acceptation du Roi. M. Ce Boig-Desguays. Ces décrets, ainsi présentés, seraient incompréhensibles pour la plupart des provinces. M. Démeunier. Cette forme est absolument contraire à l’usage de cette Assemblée; ce n’est pas ainsi que les articles de la déclaration des droits et les articles constitutionnels ont été rassemblés. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu, à délibérer sur l’amendement de M. Bouche. M. de Cazalès. Je demande un jour pour présenter une motion que je crois aussi pressante qu’importante. On demande à ne pas s’écarter de l’ordre du jour. M. de Cazalès. Ma motion a pour objet de fixer l’époque à laquelle les membres de cette Assemblée seront renouvelés et une nouvelle législature convoquée. La partie placée à la droite du Président applaudit vivement. M. Gaultier de Biauzat. Les peuples doivent choisir pour une nouvelle législature les vrais amis de la Constitution; ils ne peuvent les connaître que quand la constitution sera finie : il faut donc la terminer, il faut donc ajourner la motion de M. Cazalès après la constitution. M. de Cazalès. Je demande l’ajournement à jour fixe. $22 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (17 février 1790.] M. le comte de Mirabeau. Quelque naturel qu’il soit, en général, d’accorder à tout membre l’ajournement d’une motion qu’il désire soumettre à l'Assemblée, je crois que ce n’est plus le cas, lorsque, par la nature de la chose même, la question est résolue ..... M. de Bouville. Gomment pouvez-vous parle!* ainsi d’une motion que vous ne connaissez pas? M. le comte de Mirabeau. Cette motion est connue, puisque M. de Gazalès en a énoncé le fond. Je demande à faire une observation simple. Nous sommes liés par le serment mémorable ......... (La partie droite interrompt et murmure.) — Nous sommes liés par le serment mémorable et solennel de ne pas nous séparer que la constitution ne soit terminée. Il est impossible d’indiquer le moment où elle sera faite; il est donc impossible de décider cette question : quand finira-t-elle? Nous avons à le demander à ceux qui ne sont pas du même avis que notis ; nous avons à leur demander, puisqu’ils désirent la fin de nos travaux, de ne pas en interrompre le cours, et de nous faire perdre le moins de temps possible. Si la question de M. de Gazalès est aussi simple que facile à résoudre, je demande, non un ajournement, mais la décision soudaine qu’il n’y a lieu à délibérer : si, au contraire, je n’ai pas prévu comment M. de Gazalès prétend proposer la question pour la rendre soutenable, je demande qu’il soit soudainement entendu, M. de Cazalès. Nous touchons à l’époque vraiment décisive de la Révolution; les départements vont s’assembler, et la nation va juger la conduite de ses représentants. Nous ne pouvons nous dissimuler qu’emportés par l’amour de la liberté nous avons dépassé les pouvoirs qui nous ont été confiés : le succès de nos opérations, le bonheur qui naîtra sans doute d’une constitution égale et libre sera notre excuse. 11 n’en est pas moins vrai que la constitution, pour être vraiment nationale, doit avoir la sanction de la nation elle-même ; que la nation seule peut lui donner le grand caractère qui sera sa force, et placer au rang des délits nationaux les atteintes qui lui seraient portées. Des serments et des adhésions individuels ne peuvent équivaloir à cette sanction générale : il faut que la nation approuve par l’organe des députés nouveaux., i.. M. Goupil de Préfeln. On ne peut entendre plus longtemps des assertions aussi contraires aux principes, aussi dangereuses, aussi évidemment destinées à troubler les provinces 1 M. de Cazalès. L’union intime de l’Assemblée avec les départements peut seule assurer le bonheur de l’Etat. Ce serait à tort qu’on voudrait chercher quelque accord dans une Assemblée composée de membres mutuellement aigris..... (On crie à l'ordre.) Je demande comment il se fait qu’on repousse ainsi une motion qui, à Versailles, présentée par M. de Volney, a été reçue avec un enthousiasme général. Personne ne désire plus que moi l’accord des membres de cette Assemblée; mais il n’est que trop vrai que cet accord est impossible entre des hommes choisis dans trois classes différentes et chargés de soutenir des intérêts opposés. Ces germes de division se sont développés depuis notre réunion dans cette enceinte : la division s’est accrue par la chaleur des discussions ; elle s’est fortifiée par l’amour-propre qu’on met toujours à soutenir des opinions combattues. C’est l’union intime de l’Assemblée nationale avec les départements qui peut sauver la patrie, qui peut arrêter les calomnies qui sont répandues contre vous. ( Par vous, par vous ! entend-on dans différentes parties de la salle.) Quand on veut m’insulter, qu’on parle seul et qu’on se montre. M. Malès Vous insultez tout le monde ! M. de Cazalès. Il est important de consacrer le principe dé la souveraineté de la nation, de demander l’adhésion générale à la constitution, et d’éloigner les soupçons des provinces sur le séjour de l’Assemblée et du Roi dans une capitale qui n’a pas les mêmes intérêts qu’elles ..... M. Guillaume. M. dé Gazalès est parjure à son serment. M. de Menou. Je crois que les intentions du préopinant sont pures ; mais il en est pas moins vrai que ses opinions tendent à allumer l’incendie dans tout le royaume. Je demande qu’il soit rappelé à l’ordre. Cette demande est fortement appuyée. M. de Cazalès reprend. Ma motion est dictée parle patriotisme le plus pur; je savais cependant qu’elle serait désapprouvée. Je conclus, et je propose un décret en ces termes : « 1° Dès que les départements seront assemblés, ils éliront de nouveaux députés à l’Assemblée nationale ; < 2° Aucun des membres de la législature actuelle ne pourra être élu pour celle qui la remplacera; « 3° Le Roi sera supplié de convoquer la nouvelle Assemblée nationale dans une ville distante de Paris, au moins de trente lieues. » (Celte motion excite à la fois de grands applaudissements et de violents murmures.) M. Lucas, député de Moulins. Messieurs, je laisse aux orateurs qui parleront après moi le soin de relever les erreurs de M. de Gazalès ; je monte à cette tribune pour remplir un devoir personnel. Je n’étais point à l’Assemblée le 20 juin, lorsqu’on a prêté le serment de ne pas se séparer que la constitution ne soit terminée. Je le prête. La majeure partie de la salle, les tribunes et les galeries applaudissent avec transport. M. de Menou. Je demande que tous ceux qui n’ont pas prêté le même serment le prêtent sur-le-champ. Dom Gerle, chartreux. La motion de M. de Gazalès me paraît si propre à détruire l’harmonie qui commence à régner dans les provinces que, désespéré de ne m’être pas trouvé à l’Assemblée le 20 juin, jour auquel vous avez prêté le serment de ne vous séparer qu’après avoir terminé la constitution, je viens jurer de ne me séparer de vous qu’après la confection de cet important ouvrage : je le jure. Le serment de Dom Gerle est vivement applaudi, et les escaliers de la tribune sont assiégés d’un nombre infini de membres qui, à l’exemple de ce religieux, renouvellent le même serment. M. de Bouville parait à la tribune et insiste