[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. \ Annexes.] 97 RAPPORT SUR LA COMMISSION ÉTABLIE A TABAGO, FAIT AU NOM DES COMITÉS DE COMMERCE ET DES COLONIES. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Messieurs, Plusieurs capitalistes anglais demandent à l’Assemblée nationale l’anéantissement d’une commission établie dans l’île de Tabago, sous l’ancien gouvernement. Ges capitalistes sont soutenus par le ministre de Sa Majesté Britannique, qui sollicite, au nom de sa cour, la suppression de ce tribunal extraordinaire. Pour apprécier la nature de la réclamation qui vous est soumise, pour en bien saisir l’objet, il est indispensable de vous offrir le tableau de quelques faits. L’île de Tabago était sous la domination anglaise, lorsqu’en 1781 la France en fit la conquête. Elle nous fut cédée définitivement par le traité de paix du 3 septembre 1783, qui termina la longue guerre d’Amérique. Un des articles de ce traité porte : « que Les habitants de Tabago conserveront leurs propriétés, aux mêmes titres et conditions auxquels ils les avaient acquises. » Cette disposition de justice paraît avoir été provoquée par les démarches des capitalistes anglais dont il faut, Messieurs, vous faire connaître l’intérêt. Lorsque l’île de Tabago fut cédée à la Grande-Bretagne par le traité de paix de 1763, elle n’était point habitée, et n’offrait dans la surface que l’aspect u’une vaste forêt. Les Anglais qui s’y transportèrent étaientpour la plupart les parents ou les amis des plus riches maisons de commerce et de banque de l’Angleterre. Ges capitalistes prêtèrent des fonds à leurs compatriotes émigrants, pour acquér r des terrains, les défricher et les mettre en valeur. Les nouveaux colons hypothéquèrent au payement des sommes empruntées les propriétés qu’ils venaient d’acquérir. En Angleterre, les actes qui se passent à l’occasion de ces emprunts, se nomment contrats d’hypothèques ou contrat de morts-gages. Série. T. XXXII. Ges contrats contiennent en même temps la fixation de l’intérêt aux taux permis par la loi coloniale. Vous savez, Messieurs, que les colonies anglaises ont chez elles un Corps législatif qui peut faire des lois pour la colonie dans différents cas déterminés par la Constitution qui fi s unit à la métropole. Ce Corps législatif colonial a le pouvoir de régler l’intérêt de l’argent dans l’étendue de la colonie. A Tabago, un acte de l’assemblée générale, passé et. publié le 6 septembre 1768, fixa le taux de l’intérêt à 8 0/0. Cependant, d’après l’examen que vos comités ont fait des pièces qui leur ont été remises, ils doivent vous observer que, dans le plus grand nombre des contrais, l’intérêt n’est porté que de 5 à 6 0/0. Dans les premiers moments de la régénération agricole de Tabago, les nouveaux colons ne trouvèrent pas, dans les produits de leurs terres, les moyens de payer les intérêts des capitaux qui leur avaient été prêtés. Les prêteurs n’usèrent point du droit que les lois anglaises leur donnaient d’exiger leur remboursement : presque tous se rendirent aux vœux des colons, en conservant leurs capitaux dans leurs mains, et en leur donnant des moyens plus faciles pour le payement des intérêts échus. D’après les lois anglaises, les intérêts échus peuvent être réunis au capital. 11 est permis aussi de faire produire des intérêts au solde d’un compte arrêté. Ces principes sont attestés par Blackstone, et par le suffrage unanime des jurisconsultes anglais, membres du Parlement britannique, consultés sur cette matière. Ils déclarent tous que les cours d’équité, en Angleterre, ainsi que les cours de loi commune, consacrent loujouis cette réunion des intérêts au capital et la légitimité des intérêts, quand ils proviennent du solde d’un compte arrêté. Dans les différents modes de transactions qui 7 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [A nnexes.] 98 eurent lieu entre les capitalistes anglais et les colons de Tabago, on voit tantôt des actes nouveaux par lesquels les intérêts échus se trouvent réunis au capital, tantôt des comptes arrêtés, dont le solde était productif d’intérêts pour le créancier anglais. Ces uilférentes sortes d’engagements étant autorisés, comme vous le voyez, par les lois anglaises, leur exécution semblait ne devoir jamais être altérée. Les capitalistes anglais, en changeant de domination, ne devaient pas appréhender non plus que l’on portât atteinte à des contrats privés, faits de bonne loi, ei sous l’empire des lois municipales; aussi, lorsqu’ils s’adressèrent à Sa Majesté, après la signature des articles préliminaires du traité de paix, eu reçuient-ils une réponse satisfaisant. « Les lois anglaises cesseront d’être observées à l'époque où, par un édit., le roi j geia à propos de substituer les lois Irançaises; mais les engagements ne toute espèce qui auront été contractés sous les lois anglaises seront exécutés conformément auxdites lois dont les n uveaux tribunaux seront tenus de suivre les dispositions. » Les en an iers anglais et les colons de Tabago avaient trouvé antérieurement des motifs de tranquillité dans un des articles de la capitulation de l’île, qui porte que les habitants en général seraient mainte us dans la po.-session de leurs b ens et dans la jouissance de tout ce qu’ils pos-sénaient, de quelque nature qu’ils puissent être, ainsi que dans leurs privilèges, droits, honneurs et exemptions. Depuis, de nouveaux motifs d’espérance leur furent dunnés dans les instructions officielles que l’on remit à M. Darrot, envoyé après le traité de paix, comme gouverneur de Tabago. 11 était dit dans ces instructions que tous les actes passés sous l’autorité des lois anglaises seraient soumis à ces mêmes lois, et que, quant aux tribunaux existants dans l’île, l’intention de Sa Majesté était qu’il ne fût fait aucun changement dans la forme établie sous le gouvernement britannique. Les capitalistes anglais, comptant sur les promesses publiques qui leur avaient été si solennellement faites, vivaient tranquilles sur l’exécution des actes passés entre eux et les colons de Tabago. Mais vous allez voir, Messieurs, que cette sécurité n’a pas été d’une longue durée. Le 29 juillet 1786, il fut rendu un arrêt du conseil, qui établit une commission à Tabago. On donna pour motif à cette commission, que les capitalistes anglais avaient exigé des colons de Tabago un intérêt beaucoup plus fort que celui déterminé par les lois de la Grande-Bretagne, principalement par les actes du Parlement britannique de 1712 et 1713, qui avaient porté l’intérêt annuel à 5 0/0; que les capitalistes avaient fourni des pièces, des comptes où, sous différents prétextes, leurs profits annuels s’étaient élevés à plus de 10 0/0 ; que quelques prêteurs avaient même poussé l’avidité jusqu’à régler des comptes tous les 6 mois, pour former des progressions d’intérêts plus rapides. L’arrêt qui crée cette commission ordonna que, dans 8 mois, à compter du jour de sa publication, les créanciers et les débiteurs remettraient au greffe de la commission les originaux ou copies de leurs engagements, ainsi que les comptes et autres documents propres à en constater le montant et la nature, à peine de 10,000 livres d’amende et de confiscation de la somme prêtée contre les créanciers qui seraient en retard de faire ladite remise dans le terme ci-dessus fixé. Un aut’’e ariicle de l’arrêt ordonna q ,’il serait nommé des experts qui rédigeraient par écrit le rapport de ce qu’ils auraient reconnu d’illicite dans les stipulations du payement. L’arrôt or onna aussi que les contrats qui seraient reconnus usuraires n’auraient de valeur que pour les sommes qui auraient été véritablement prêtées, sans que le créancier puisse exiger ni retenir aucune espèce d’intérêts, à compter de l’origine de ces contrats. Le gouverneur et l’ordonnateur de l’île étaient les présidents de cette commission. Elle était composée, en outre, de 3 autres juges choisis par le gouverneur et l’ordonnateur, et que l’on alla chercher dans les îles voisines. Les juges de cetle commission se lirent remettre les titres de créances, les actes, comptes, et généralement toutes les pièces qui établissaient les droits nés créanciers et des colons. Ceux qui négligèrent de représenter leurs titres dans le delai pr. scrit par l’arrêt du conseil furent soumis à l’amende que cet arrêt prononçait, et leurs créances furent confisquées. Les juges de celte commission ont décidé plus de 200 affaires. On ne peut presque pas citer un seul engagement qui ne leur ait paru imprégné du vice d’usure. Dans toutes ils ont distrait du capital les intérêts qui avaient été payés depuis la constitution de la dette, et ils ont restreint la créance à ce capital ainsi réduit. Le capital réduit a été souvent ensuite soumis à la confiscation. La perte que les capitalistes éprouvent par l’ensemble de ces jugements se monte, selon eux, à plus de 13 millions. 11 avait été dit que cette commission jugerait sans frais; et les frais d’expertise joints à ceux du greffe, d’interprètes, et à d’autres dépenses exigées pour l’envoi des comptes d’Angleterre et d’une foule d’autres pièces, se sont portés à plus de 1 million tournois. C’est contre l’arrêt du conseil qui a établi cette commission que les capitalistes anglais sollicitent la justice de l’Assemblée nationale. Ils fondent leur réclamation : 1° sur les lois françaises, qui défendent l’établissement de commissions ou de tribunaux arbitraires; 2° sur le traité de paix de 1783, et sur les actes qui l’ont suivi ; 3° sur les lois anglaises, qu’ils prétendent violées par l’institution de la commission. Il s’est formé, à ce sujet, une espèce de lutte contradictoire entre les créanciers anglais et l’ordonnateur de Tabago, M. Roume,qui, maintenant en France, a publié et remis à vos comités des mémoires dans lesquels il cherche à justifier la conduite du gouvernement dans l’établissement de la commission, dont le projet avait été conçu par M. Roume, cemme il l’a avoué lui-même. Celui-ci soutient que la commission n’est contraire ni aux lois françaises, ni aux lois anglaises. Cette discussion respective a amené la question au point le plus simple ; détruirez-vous la commission, ou laisserez-vous subsister ce nouveau tribunal tel qu’il a existé jusqu’au moment de la Révolution ? Vos comités réunis des colonies et du commerce ont pensé que la commission n’étant qu’un tribunal créé arbitrairement et sans utilité, vous [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. ] 99 ne pouviez en consacrer l’existence ; et voici les moyens qui ont déterminé leur opinion. L’expression seule de commission vous offre l'idée d’un de ces tribunaux: privilégiés que des ministres despotes créaient à volonté, et contre lesquels se sont élevées sans cesse les réclamations les plus multipliées. Vous n’avez pas, dans cette occasion, à donner aux lois nouvelles un effet rétroactif. Il existait avant la Constitution les ordonnances de nos rois la plupart rendms sur la représentation des anciens Etats généraux, qui proscrivaient toutes les commissions et évocations arbitraires. L’une des plus anciennes est l’ordonnance du roi Jean, donnée en 1355. « Voulons et ordonnons, porte ceite loi, que toutes jurisictions soient laissées aux juges oninaires, sans que nos sujets soient dorénavant traits, ajournés, ni autrement travaillés par devant nos maîtres des requêtes et d’hôtel, etc. » Une ordonnance de Charles VI, de 1403, renouvelle les mêmes défenses. On les retrouve encore dans l’ordonnance de 1539, donnée par François Ier. Il serait trop long, Messieurs, de vous citer toutes les lois qui avaient fixé en France l’ordre des juridictions. Nul ne pouvait être légalement soustrait à ses juges naturels ; ce principe a toujours été regardé comme tenant à la Constitution du royaume, si l’on peut appeler de ce nom l’ancienne forme du gouvernement. Vous voyez donc, Messieurs, que les lois anciennes s’opposaient d’une manière positive à l’établissement d’aucune commission qui tend à distraire des citoyens de leurs juridictions naturelles. Si ces lois pouvaient être soumises à des exceptions, il fallait que l’utilité publique les demandât. Ici, rien ne pouvait justifier cette exception. Elle n’aurait pn être admise qu’autant qu’il n’y aurait pas eu dans l’île de Tabago de tribunaux ordinaires. Et l'on voit que lorsque cette île cessa d’appartenir à l’Angleterre, il existait dans la colonie une cour desplaids-communs, une cour de chancellerie, et les autres tribunaux, connus en Angleterre. C'était là, c’était devant ces juridictions que les créanciers anglais ou les débiteurs de l’île auraient dû se pourvoir, s’ils avaient à excercer quelques actions les uns envers les autres. Ces tribunaux étaient ceux delà loi; ils étaient institués pour connaître de toutes demandes personnelles et réelles. Il ne s’agissait que d’actions de cette nature dans l’espèce où se trouvaient les créanciers et les colons. C’étaient donc ces tribunaux seuls de l’île, qui pouvaient connaître de leurs différends. Mais, Messieurs, nous devons vous dire ici qu’il n’y avait même pas de contestations judi-ciairts entre les créanciers et les débiteurs. Au moment de la cession de l’île, il n’existait aucun procès entre les créanciers et les débiteurs sur la légitimité des titres des premiers. On les a véritablement forcés de plaider malgré eux. C’est contre leur propre volonté; c’est même en les faisant trembler, par l’appréhension des amendes dont on les menaçait, qu’on les a déterminés à produire leurs titres de créances. Si, comme vous le voyez, Messieurs, les lois françaises ne permettaient pas qu’une pareille commission s’établît à Tabago, nous devons vous dire que les lois anglaises ne l’autorisaient pas davantage. Et certes, ces lois doivent être écoutées ici, puisque, comme vous l’avez vu plus haut, il avait été convenu, et par le traité de paix, et par les instructions officielles remises au premier gouverneur, et par la réponse même de Sa Majesté, que les lois anglaises seraient conservées jusqu’au moment où l’on pourrait leur substituer des lois françaises, et que les engagements de toute espèce qui auraient été contractés sous les lois anglaises, seraient exécutés conformément à ces lois. En consultant les lois anglaises, on voit que le roi de la Grande-Bretagne ne peut, de son autorité privée, établir un tribunal quelconque. Il n’y a qu’un acte du Parlement d’Angleterre, sanctionné par le roi, qui puisse constituer légalement un tribunal. Sa Majesié n’a donc pas pu faire elle seule une chose qui ne pouvait avoir lieu que par le concours de la volonté du Parlement britannique et du roi d’ Angleterre. Mais c’est moins, Messieurs, à cette idée qu’il faut s’attacher, qu’aux promesses qui avaient été faites aux capitalistes angl iis, de les juger suivant les lois qui réglaient leurs conventions. Vos comités ont comparé les dispositions de l’arrêt du conseil avec les lois anglaises, rapportées dans des consuliations de plusieurs jurisconsultes anglais, qui ont été mises sous vos yeux. Ils ont vérifié les lois rappelées dans cet arrêt; et partout ils ont remarqué que ces lois étaient inexactement citées, faussement appliquées ou directement violées. Le gouvernement français, voulant faire la vérification de toutes les créances dues par les habitants de Tabago, ne pouvait suivre, pour la fixation de l’intérêt, d’autres règles que celles qui étaient tracées par la législation de cette colonie. Car vous avez vu, Messieurs (et ce principe est incontestable en Angleterre), que les colonies anglaises avaient le droit de faire des lois dans leurs assemblées coloniales, et que c’étaient ces assemblées qui réglaient spécialement le taux de l’intérêt, suivant la position commerciale de l’île, et les besoins de la colonie. L’arrêt du conseil a fait tout le contraire : il parle comme des lois en vigueur dans l’île, des actes du Parlement britannique de 1712 et de 1713, qui portent l’intérêt annuel à 5 0/0, sous peine de confiscation contre les prêteurs au triple de la somme portée à un intérêt plus fort. Il rappelle Pacte du Parlement de 1774, comme une loi qui, en légitimant les engagements contractés jusqu’alors en vertu des lois coloniales, a porté à 6 0/0 l’intérêt annuel sur les sommes qui seraient prêtées à l’avenir aux colonies anglaises! Vos comités ont vérifié ces lois anglaises; ils ont consulté les publicistes et les jurisconsultes de ce royaume; ils ont lu, surtout, avec une attention “sérieuse, les consultations de 6 jurisconsultes anglais, les plus distingués de la Grande-Bretagne, qui leur ont été remises; et voici, Messieurs, les observations qu’ils ont à vous soumettre sur les lois citées dans l’arrêt du conseil. L’acte ou statut du Parlement de 1713, connu sous le nom de statut de la reine Anne, parce qu’il a été passé sous son règne, porte que personne, à dater du 27 septembre 1714, ne prendra dans aucun contrat directement ni indirectement pour prêt d’aucun argent, denrée ou mar- 100 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] chandises au delà de la valeur de 5 0/0 par année, et que celui qui contreviendra à la loi et for-fera, perdra pour chaque offense le triple de la valeur de l’argent ou des denrées et marchan-dises. Mais, comme vous le voyez, Messieurs, cette loi ne parle poiDt des colonies qui ne pouvaient jamais être comprises dans un ai te du Parlement britannique, qu’autant qu’elles y étaient spécialement : elle n’a jamais eu de force et d’exécution que dans le sein de l’Angleterre. Les confiscations et les peines que cet arrêt prononce et dont Sa Majesté paraît faire grâce par l’arrêt du conseil, n’ont donc jamais été encourues par les colons ni par les créanciers qui ont traité avec eux à Tabago. Il faut raisonner de même de l’acte de 1712, qui n’a pas la plus indirecte relation avec la cause des créanciers anglais. Suivant la loi d’Angleterre, aucun étranger, c’est-à-dire aucun individu qui n’était pas sujet de la Grande-Bretagne, ne pouvait s’intéresser dans des biens-fonds par voie d’hypothèque ; ou, pour parler un langage plus clair, ne pouvait prêter son argent sur des fonds qui en font la sûreté, et dont le et é .ncier peut entrer en possession, faute de payement d’intérêts. Suivant la même loi, un ennemi étranger ne pouvait réclamer, dans li s tribunaux des colonies, l’argent qui lui était dû. Mais, le Parlement d’Angleterre, dans le dessein d’encourager les colonies et le commerce, passa, en 1712, l’acte en question, qui autorisa tous les étrangers à faire des prêts, et à recevoir des sûretés, et hypothèques à leur profil, pourvu que le taux d’intérêt n’excédât pas 5 0/0. Get acte du Parlement britannique ne concerne en aucune manière les colonies ; il n’est relatif, comme on voit, qu’aux prêts sur hypolhèques que les étrangers sont autorisés à faire sur les biens-fonds ; et ce point de loi est si clair, que, d’après l’opinion du chevalier Archibald-Mac-donald, procureur général du roi pour toute l’Angleterre, et membre du parlement britannique, des étrangers qui prêtent leur argent sur des billets ordinaires, ou sur toute autre sûreté personnelle, peuvent prendre l’intérêt établi par la loi de la colonie. Le troisième acte du Parlement de 1774, qui, suivant l’arrêt du conseil, légitime les engagements contractés jusqu’alors eu vertu des lois coloniales, et porte à 6 0/0 l’intérêt annuel des sommes qui seraient à l’avenir prêtées aux colonies anglaises; cet acte n’était pas plus applicable que les deux autres aux créanciers hypothécaires anglais. Get acte du Parlement britannique n’a eu pour but que de lever quelques doutes qui s’étaient élevés sur la localité du contrat, dans les cas où le contrat était passé dans la Grande-Bretagne, et la terre ou biens hypothéqués dans les Indes occidentales : l’acte du Parlement de 1774 règle ces forces de contrat, mais il ne s’étend à aucun autre. Si toutes les lois rappulées dans l’arrêt du conseil ne pouvaient recevoir aucune exécution dans la colonie de Tabago, il en résulte, Messieurs, que cet arrêt du con-eil est absolument contraire au trahé de paix de 1783, d’après lequel les habiiants de Tabago devaient conserver leurs propriétés, aux mêmes titres et conditions auxquels ils hs avaient acquises. Vous ne perdrez pas de vue non plus, Messieurs, que les lois anglaises, sous la foi desquelles les colons avaient traité, devaient seules être consultées dans les jugements de la commission. Suivant ces lois, on peut stipuler l’intérêt de l’intérêt : par exemple, un créancier hypothécaire n’est pas payé par son débiteur, des intérêts stipulés dans le contrat d’hypothèque ; il est libre à ce créancier de poursuivre ce débiteur et d’entrer en possession du fonds en en expulsant le possesseur. Mais, au lieu d’user de son droit, le créancier veut bien consentir à ne pas recevoir les arrérages dus et à les laisser entre les mains du débiteur, à condition qu’ils seront considérés comme capitaux, et qu’ils lui produiront intérêts. Une pareille convention est licite en Angleterre ; elle est toujours consacrée par les décisions des tribunaux : nos lois elles-mêmes ne la regardent pas comme illégitime. Les comptes arrêtés entre un créancier et un débiteur portent également intérêt suivant les lois anglaises, sans qu’il soit besoin de le stipuler. Aucune loi ne fixe les époques auxquelles ces comptes doivent être faits ; il est libre à chacun de compter quand et comme bon lui semble; jamais la justice ne se mêle de ces opérations privées. Cependant l’arrêt du conseil autorise la commission à rechercher les motifs et les causes de ces conventions particulière, et regarde comme usuraires la stipulation des intérêts d’mtéiêts et la fréquence des comptes passés entre les créanciers et les débiteurs. Ce n’est pas tout encore : suivant la loi anglaise qui est à cet égard conforme à la nôtre, puisque c’est la loi de la raison, on ne peut d’office attaquer, au nom de la partie publique, des actes privés qui n’intéressent que des particuliers, tant que l’une ou l’autre des parties intéressées ne réclame point ; la justice ne va pas au-devant de leur action ; elle la partage lorsqu’elle est formée, mais son intervention n’est nécessaire qu’en cas de contestation : le but unique des tribunaux est de juger les procès, et non de les provoquer. Cependant la commission a été établie et la commission a jugé sans qu’aucun débiteur se plaignît, sans qu’il existât aucune demande judiciaire ni de la part des créanciers, ni de la part des colons, sans que la commission fût désirée ni demandée par qui que ce soit. Une entreprise aussi hardie ne pouvait que jeter le trouble dans les familles, encourager la mauvaise foi ou la mauvaise volonté des débiteurs, bouleverser toutes 1< s relations d’intérêts entre les colons et la métropole, détruire les conventions les plus sacrées et jeter les alarmes les plus chagrinantes parmi ceux qui, comptant sur leurs actes, avaient pu ne pas conserver les pièces justificatives de leurs premiers comptes. Heureusement le mal n’a pas été aussi grand qu’il pouvait l’être : les débiteurs ont rejeté presque unanimement les moyens qui leur étaient offerts de se délier de leurs obligations ; ils ont tous demandé à payer d’après les stipulations portées dans leurs contrats, sans qu’il fût rien changé ni à leurs conventions, ni à la fixation de l’intérêt qu’ils avaient promis de payer; ils forment encore aujnurd’hui les mêmes demandes; et telle est, Messieurs, la Dature de cette affaire, que personne ne réclame l’exécution de i’arrêt du conseil qui a établi la commission : créanciers et débiteurs, lous s’accordent pour solliciter [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] Iftt la proscription de cet arrêt qui vous est dénoncé. Vos comités ont même eu sous lei yeux une délibération de l’Assemblée générale de la colonie de Tabago, tenue au Port-Louis le 27 mai 1790, dans laquelle il a été arrêté que lors de la rédaction des cahiers, on exprimerait la désapprobation de l'Assemblée contre les procédés de la cour d'inquisition , appelée cour de commission. Vous voyez au surplus, Messieurs, que, s’il se fût élevé quelques contestations entre un créancier de Londres et un débiteur de Tabago, cette contestation ne pouvait se porter que devant les tribunaux de la colonie; cette mesure était d’autant plus indispensable, quelles actions judiciaires en Angleterre comme en France ont un terme au delà duquel elles sont prescrites. C’est aux tribunaux seuls à décider si Faction a été formée en temps utile. L’action d’usure, soit qu’on la considère purement civile, soit qu’on la regarde comme criminelle, se prescrit en Angleterre par le laps d’une ou de deux années, suivant la qualité de la partie poursuivante. L’arrêt dn conseil, en rendant l’action d’usure éternelle, a contrevenu aux lois anglaises; il a compromis de la manière la plus fâcheuse les intérêts des créanciers anglais qui avaient un juste sujet de compter sur la prescription. Mais ce qui blesse plus particulièrement encore les dispositions du traité de paix, et par conséquent les lois anglaises que l’on devait conserver, c’est la suppression ne la procédure par jurés. Vous connaissez, Messieurs, le prix de cette institulion bienfaisante et l’attachement des Anglais pour ce palladium de leur liberté. Si, comme cela devait être, on eût laissé aux tribunaux leur pouvoir légitime, les créanciers anglais poursuivis par les débiteurs, -oit à la cour des plaids communs, soit à la cour de chancellerie, auraient eu la ressource des jurés pour faire constater l’usure dont on les accusait; car l’usure ne se prouve pas autrement en Angleterre. ■ Les jurisconsultes dont l’opinion vous est rapportée disent unanimement que l’on ne peut prononcer de3 peines contre l’usure que d’après le vrai dire des jurés. Ce serait abuser de vos moments, de vous parler plus longtemps de cette commission créée par un simple arrêt du conseil dans une colonie qui avait ses tribunaux et ses lois. Cette commission est illégale, contraire au traité fait avec l’Angleterre. II est de votre justice de l’anéantir. Il reste à vos comités à vous parler d’une autre espèce de tribunal établi par le gouvernement et l’ordonnateur de Tabago, sous le nom de tribunal de gouvernement. Nous ne pouvpns vous dire quelles étaient la compétence et les fonctions de ce prétendu tribunal, car nous n’avons trouvé ni arrêt du conseil, ni aucun acte quelconque émané de l’autorité royale, qui ait pu lui donner l’existence. Les administrateurs de l’î le disent qu’ils l’avaient établi à l’instar de ce qui se pratique dans les autres colonies françaises. Mais du moins il existe pour Saint-Domingue des lettres patentes du 16 juin 1680, conlirmées par une déclaration du roi, qui remettent entre les mains dégénérai et de l’intendant le pouvoir de concéder, ce qui a donné lieu à l’érection d’un tribunal terrier, composé de ces deux chefs et d’un greffier. Il fallait donc une loi pour établir ce tribunal. Deux administrateurs ne pouvaient de leur autorité privée former cet établissement. Un individu, quel qu’il fût, ne pouvait, même sous l’ancien régime, créer une juridiction. Il fallait indispensablement un acte exprès de l’autorité royale qui investît les administrateurs de Tabago d’un pouvoir qu’il n’était point en eux de se donner. Vous hésiterez d’autant moins, Messieurs, à anéantir jusqu’aux traces de cette juridiction, qu’il est certain, d’après les pièces remises aux comités, que ce tribunal a étendu son autorité usurpée à des objets absolument étrangers à la compétence que pourrait avoir un pareil tribunal légalement établi. Voici maintenant le projet de décret que vos comités vous proposent : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu ses comités des colonies et du commerce, déclare l’arrêi du conseil du 29 juillet 1786, portant établissement d’une commission à Tabago, ensemble tous les jugements qui ont pu être rendus par ladite commission, nuis et comme non avenus; sauf aux parties intéressées à se pourvoir, pour raison de leurs contestations, devant les juges qui en doivent connaître. « Déclare pareillement que les administrateurs de Tabago n’ont pu, de leur autorité privée, établir aucun tribunal sous le nom de tribunal du gouvernement, et que tous les jugements qu’ils auraient pu re idre sans autre titre ni qualité, ne peuvent avoir aucun effet, sauf aux parties intéressées, au profit ou au préjudice desquelles il aurait été rendu quelques jugements par ledit tribunal à se pourvoir comme elles aviseront, soit dans les tribunaux, soit par-devant l’assemblée administrative de Tabago qui sera établie par la nouvelle constitution coloniale. »