194 ARCHIVES PARLEMENTAIRES ]6 juillet 1789.] [Assemblée nationale.] leurs représentants, vous devez faire ce que les représentés auraient fait eux-mêmes. Telle est l’opinion du comité des subsistances. 11 ne choisira pas entre les moyens qui vous ont été proposés; il se borneà les mettre sous vos yeux. M. le rapporteur présente six moyens que le comité a cru propres à remplir les vues de l’Assemblée. Il les expose dans les six propositions suivantes : 1° Ouvrir une souscription volontaire de secours pour la subsistance et le soulagement des peuples dans le sein de l’Assemblée, à Paris et dans les provinces; remettre aux Etats provinciaux, aux assemblées provinciales et aux municipalités, sous l’inspection de l’Assemblée nationale, l’emploi des fonds qui en proviendront ; , 2° Autoriser le gouvernement, les Etats provinciaux, les assemblées provinciales et les municipalités à faire les avances et les dépenses que la subsistance et le soulagement du peuple pourraient nécessiter, sous lu garantie de la nation et l’inspection de l’Assemblée nationale ; 3° Autoriser dans les provinces où la récolte n’est pas faite et ne serait pas au moment de se faire une contribution de vingt ou de dix sous par tête, ou de telle autre somme qui serait localement jugée suffisante, de laquelle l’avance serait faite dans chaque municipalité par les huit ou dix citoyens les plus riches et les plus hauts imposés des trois ordres, et partager en autant de payements qu’il y aurait de semaines à s’écouler jusqu’à la récolte, à l’effet d'être employés, selon la sagesse des assemblées municipales" en achats ou transports de subsistances, et au plus grand soulagement de la pauvreté, sous la condition qu’il sera rendu compte du tout aux assemblées supérieures d’administration, et par celles-ci à l’Assemblée nationale ; 4° Prendre le temps nécessaire pour rédiger avec le plus grand soin l’exposition des principes qui doivent assurer à tous les Français la Jiure et mutuelle communication des subsistances et la plus grande égalisation possible des approvisionnements et des prix, afin que le Roi y ayant ensuite donné sa sanction, cette équitable et utile répartition des subsistances ne puisse plus être interrompue par aucune autorité, et qu elle devienne une loi fondamentale et constitutionnelle de l’Etat ; 5° Remettre à s’occuper des autres questions que pourrait faire naître le commerce des grains et des farines, au temps où il deviendra nécessaire que vous preniez un parti à ce sujet ; 6° Sans attendre aucun éclaircissement ultérieur, prononcer dès aujourd’hui la prohibition de l’exportation des grains et des farines jusqu’en novembre 1790. Un membre objecte qu’il n’est pas permis par les mandats de s’occuper ni d’emprunts ni d’impôts avant que la constitution soit achevée. M. Dupont. Il serait fâcheux que la nation assemblée ne pût que plaindre la nation : s’il s’agissait de prodigalités, je suis persuadé qu’alors les mandats seraient impératifs; mais l’esprit des mandats est de soulager Je peuple et d’employer les moyens les plus prompts et les plus efficaces pour y parvenir. Le comité a été unanimement d’accord sur l’urgence. L’Assemblée ne se croit pas assez éclairée sur cet objet pour le soumettre d’abord à la discussion, Elle arrête que le projet du comité sera envoyé aux divers bureaux qui le discuteront séparément, et porteront à l’Assemblée générale, dans la séance prochaine, lu résultat de leurs discussions. La séance est levée. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. LE FRANC DE POMP1GNAN, ARCHEVÊQUE DE VIENNE. Séance du lundi 6 juillet 1789. La séance est ouverte à 10 heures du matin. [ M. Hébrard, membre du comité de vérification, a fait le rapport de l’examen des pouvoirs de M. Cortois de Balore, évêque de Nîmes; dki M. de Bethisv de Mezières, évêque d’Uzês, députés de la sénéchaussée de Nîmes ; de M. Papin, prieur-curé de Marly-la-Ville, nommé pour suppléant dje la prévôté de Paris, et quia remplacé M. Leguen, curé d’Argenteuil, décédé; de M. de Lafare, évêque de Nancy, député du bailliage de Nancy, Lunéville, Vezelise, Blamont, Rozières et Nomény ; de M. Clapier, député de la sénéchaussée d’Aix en Provence; de M. le marquis de Guilhem-Cler-mont-Lodève, député de la noblesse de la ville d’Arles ; de MM. Gonlier de Biran, Fournier de fa Gharmie; Lovset Paulhiac, députés des communes de Périgord. Leur nomination a été reconnuic régulière. j M. Hébrard a également fait le rapport de l’examen des pouvoirs de M. l’abbé Royer, député du clergé de la ville d’Arles, au sujet (lesquels se sont élevées plusieurs difficultés dans le comité de vérification, attendu que le clergé d’Arles, avant de nommer son représentant, avait pris part à l’élection du clergé de la sénéehausséé. M. Hébrard a cependant observé que la pluralité des opinions dans le comité avait été pour l’a démission de M. Royer ; qu’on s’était fondé sur un règlement fait par le Roi le 4 avril, qui donné une députation particulière à la ville d’Arles, en vertu de ses anciens privilèges ; qu’à la vérité, dans les précédentes Assemblées nationales, Je clergé de cette ville n’avait point de député, mais que les circonstances présentes et le règlement de Sa Majesté l’ont autorisé à en nommer un, et que lorsque le clergé de cette ville avait concouru à l’élection du député de la sénéchaussée, il ignorait l’existence du règlement. L’Assemblée a arrêté que M. Fabbé Royer serait admis comme député de la ville d’Arles, pour la présente session des Etats généraux, et sans tirer à conséquence pour l’avenir. On fait lecture du procès-verbal de la séance du 4. Après cette lecture, on ouvre la discussion sur le projet du comité des subsistances. M. Dlandin, curé de l'Orléanais , prend le premier la parole pour exposer le sentiment général de son bureau. Les moyens, dit-il, qui vous sont offerts par le comité des subsistances, ne nous présentent que des secours pour l'avenir, mais non pas pour le présent. Les besoins actuels sont urgents ; ils nous pressent de tous côtés ; les provinces éprouvent déjà les horreurs de la famine. Nous devons nous attacher aux deux grands ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juillet 1789]. 195 [Assemblée nationale.] malheurs qui nous désolent, la disette de blé et la disette d’argent. Les productions de notre sol, un numéraire immense, produit de nos richesses, se sont répandus dans des contrées étrangères, et y répandent, à nos dépens, un superflu que la nature et nos travaux nous avaient prodigué. Cependant, sans nous livrer ici à des craintes incertaines, nous pouvons sans danger croire que le blé ne manque pas en France. Les provinces frontières n’en sont pas dépourvues ; mais c’est vraiment en se rapprochant du centre du royaume que le fléau de la disette s’appesantit davantage. A Orléans et dans les environs, les troubles et les émeutes réitérés semblent être les avant-coureurs d’une famine prochaine ; dans d’autres provinces on a donné la mort à des malheureuses victimes auxquelles on ne pouvait pas donner du pain. Plus on avance, plus les obstacles se multiplient, et chaque jour présente un accroissement douloureux de nouveaux malheurs. Il était temps, il y a un mois, de prévoir ces calamités : on pouvait ordonner la libre circulation des grains ; je l’ai mémo proposée dans la Chambre du clergé ; mais à peine ma proposition a-t-elle été faite, qu’un membre s’est élevé contre elle ; il m’a accusé de peu respecter nos lois et l’autorité des cours. Sans doute personne ne respecte plus que moi les lois et la majesté du trône ; mais la religion des princes est souvent séduite, et le premier devoir d'un bon citoyen est de faire briller devant eux le flambeau de la vérité. Je pense que nous devons encore songer au moyen que j’avais soumis au clergé. Le comité vous l’a présenté, et je le remets sous vos yeux. Mais ce secours ne serait pas suffisant. Le mal est immense : chacun doit chercher, autant qu’il est en lui, à le diminuer ; et c’est ce qui me porte à croire qu’une souscription volontaire en faveur des pauvres contribuera beaucoup à soulager leur misère. M. le Président annonce qu’il vient de recevoir une lettre des boulangers de Paris adressée au comité, sur laquelle il y a pressée. L’Assemblée en demande le renvoi au comité des subsistances, qui est invité à s’assembler sur-le-champ. M. le comte de Lally-Tollendal jl). Messieurs, voici une de ces circonstances où l’impatience est permise, et où l’on prétendrait presqu’à se faire pardonner des discours dont l’utilité serait incertaine. Il s’agit du peuple, de ses malheurs ; nous les sentons tous, nous voudrions tous les soulager. On n’a pas un sentiment qu’on ne veuille épancher, on n’a pas une idée qu’on ne croie en devoir le tribut. Sur tout autre objet, j’aurais écouté et me serais instruit. Dans la cause du peuple, je ne puis résister à dire ce que j’ai pensé, ce que j’ai cru et ce que j’ai senti. Apràs avoir mûrement examiné les six propositions par lesquelles a été terminé l’intéressant rapport que nous avons entendu samedi dernier, il m’a paru qu’elles pouvaient se partager également en deux classes. La première offrant trois moyens de secours effectifs pour l’instant. La seconde trois objets d’administration dont deux éloignés et un présent. Quant aux moyens de secours, le premier consiste à ouvrir une souscription. Il m’a paru difli-(1) Le discours de M. le comte de Lally-Tollendal est incomplet au Moniteur. cile de ne pas trouver ce moyen trop incertain, trop peu prompt, trop peu productif peut-être, vu l’énormité des besoins; oserai-je le dire? peut-être aussi trop peu proportionné à la majesté de cette Assemblée. Les deux autres, dont l’un autoriserait le gouvernement et les Assemblées provinciales à faire des avances sous la garantie delà nation, et dont l’autre autoriserait une contribution locale de dix ou vingt sous par tête, n’auraient pas les mêmes inconvénients. Mais un danger différent fait craindre également de les admettre. Sous un nom ou sous un autre, c’est toujours un octroi, un emprunt, un impôt. Nous ne pouvons pas encore en accorder. Jamais, sans doute, le gouvernement ne mérita plus de confiance, plus de faveur, que dans cet instant et sur cet objet; mais c’est pour cela même qu’il faut être plus en garde contre nous. Moins il y a de précautions à prendre contre les personnes, et plus il en faut prendre contre les places. Enfin ce serait un exemple ; il n’en faut point donner qui ne soit à l’appui d’un principe. Le principe est que nous ne pouvons encore voter aujourd’hui ni subsides, ni emprunt, et l’on peut même dire, qu’à cet égard, il existe un concert honorable entre le zèle que nous mettons à défendre cette vérité, et l’hommage que lui rend aujourd’hui le gouvernement. Il faut cependant secourir le peuple, ce peuple qui souffre, ce peuple que nous avons l’honneur de représenter, et l’obligation de défendre. J’ai cru, Messieurs, que l’on pouvait concilier la rigueur du principe avec le second moyen proposé par Messieurs du Comité, en le modifiant différemment. Vous jugerez si je me suis trompé. Je vais avoir i’honneur de vous lire le projet d’un arrêté ou plutôt d’un décret que je soumets à vos lumières. Vous y verrez que , quant aux trois projets d’administration contenus dans les trois dernières propositions du comité, je les ai adoptées,, que j’ai même hâté l’exécution du premier, du moins en partie, et que j’ai même désiré qu’il fut mis en vigueur ainsi que le dernier à partir de cet instant. PROJET DE DÉCRET. « L’Assemblée nationale, sur le compte qui lui a été rendu par le Comité des subsistances, de la souffrance du peuple, de la cherté des grains et de l’infatigable bienfaisance avec laquelle le Roi, depuis un an, n’a cessé et ne cesse encore de lutter contre cette calamité pour en préserver ses sujets. « Pénétrée de tous les sentiments qu’elle doit éprouver pour le peuple et pour le Roi ; « Saisie d’un attendrissement respectueux à la lecture du mémoire que sa Majesté a fait remettre au Comité, pour le satisfaire sur les renseignements qu’il avait demandés; « Occupée enfin comme elle le sera toujours de remplir et de concilier tous les devoirs, « A résolu et décrété : « 1° Que le Roi sera remercié de ses soins paternels au nom de la nation, et avec l’effusion de tous les sentiments qu’il a mérités d’elle en celte occasion. « 2° Que Sa Majesté qui, seule dans ce moment, peut embrasser d’un coup d’œil tous les besoins de son vaste empire, sera priée de faire savoir par le ministre qui a si dignement concouru à ses vues, si un secours extraordinaire est nécessaire dans la circonstance, et qu’elle en serait la mesure précise, et l’Assemblée promet solennelle-