[Assemblée nation-ale] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes.\ OPINION De 11. »E llllili V Député à l’Assemblée nationale, SUR LA NOUVELLE CONSTITUTION En m’honorant de leur confiance, mes commettants étaient loin sans doute de prévoir Ta Révolution qui s’opère, et que les pouvoirs qu’ils déposaient dans mes mains deviendraient l’ins-trumentde leur destruction et de celle de la monarchie française. Dénué du talent brillant de la parole, je n’ai pu défendre à la tribune les principes sacrés qui vivent dans mon cœur; borné à appuyer de tous mes efforts ceux qui les ont invoqués et rappelés d’une manière si éloquente, je veux que la postérité sache au moins que tous ceux qu’ils ont exprimés étaient gravés dans mon âme, et que le temps toujours jus e me mette au nombre des défenseurs de la vérité. Pénétré de douleur, gémissant sur les malheurs de ma triste p itrie, auxquels je ne connais aucun remède, il ne me reste plus qu’un devoir à remplir; je le dois à mes commettants, i'e me le dois à moi-même. Ce devoir est d’établir autement mon opinion sur la nouvelle Constitution, afin qu’on ne puisse me soupçonner d’avoir participé à la destruction de l’auiorité royale. Je n’entrerai point dans les détails de la Révolution, je n’en fais point l’histoire. Je ne rappellerai point les atrocités commises, les révoltes, les assassinats, les incendies, les crimes de toute espèce, calculés, prémédités par la scélératesse, et exécutés par la férocité. Je ne rappellerai point Put entât exécrable du 6 octobre : l’Etre suprême venge les rois; malheur aux mortels audacieux qui les outragent; malheur aux peuples qui les oppriment injustement. La puissance éternelle tient dans ses mains la vengeance, et ne la suspend quelques instants que pour la rendre plus terrifiante et plus exemplaire. Je ne rappellerai point le sort infortuné du malheureux Favras, sa mort est immortelle ; mais je dirai hautement que, quand les lois, refuges et protectrices de l’innocei ce, ne servent plus qu’à l’exécution du crime, tout est détruit. Je me hâte de jeter un voile sur tant d’horreurs; je suis encore Françai-, et le temps d’ailleurs ne le déchirera que trop pour l’honneur de ma patrie. L’Assemblée nationale est-elle ce qu’elle devrait être? Et avait-elle les pouvoirs suffisants pour devenir ce qu’elie est? Telle est d’abord la question qu’il est important de résoudre avant tout. Nous nous sommes érigés, de notre propre autorité, en pouvoir constituant, et nous voulons persuader que nous le sommes, parce que nous avons dit que nous l’étions. Avant d’entrer dans les détails de cette grande et importante question à laquelle est attaché le sort del’E npire, et qui est véritablement le joint qui doit être éclairé, puisque le succès de nos opérations en dépend; avant, dis-je, d’y entrer, il est essentiel d’expliquer ce qumn doit entendre par pouvoir cons-ti uant. Il est de principe que tous les pouvoirs émanent de la nation; et certainement toute société qui se réunit pour se donner une forme de gouvernement quelconque, ou pour changer celui sous lequel elle vit (1), ena le droit; personne, je pense, ne peut contester cette vérité; tous les individus qui composent cette société, ne pouvant travailler collectivement à la création de ses lois, doivent naturellement se rassembler et choisir ceux qu’ils croient Us plus capables de les rédiger; le total de ces individus nommés par la société s’appelle pouvoir constituant, parce qu’ils sont chargés de faire une Constitution; mais, en leur donnant le pouvoir de créer des lois, la société, qui les commet, se réserve certainement le droit de les accepter, modifier ou rejeter selon sa volonté; car il serait absurde d’imaginer que des hommes se soumissent à observer des lois qu’ils ne connaîtraient pas; des lois qui ne seraient pas encore existantes, et dont par conséquent ils ne pourraient j uger ni la bonté, ni les vices; il serait absurde d’imaginer qu’ils remissent entre les mains de quelques-uns d’entre eux, sans aucune restriction, le droit de disposer de leur liberté, de leur propriété, de leur religion, c’est-à-dire de tout ce qu’ils ont de plus cher et de plus sacré. Si la vraisemblance éloigne cette idée, si la raison la repousse, si la connaissance du cœur humain la détruit totalement, il est donc vrai que les lois, créées par un pouvoir constituant, ne peuvent avoir leur exécution que quand elles ont été acceptées formellement par la nation qui avait créé elle-même le pouvoir constituant; qu’elles ne peuvent avoir de vigueur et de force que par (1) Il m’est impossible de traiter ici la grande question des droits des peuples et des souverains, et de décider quel est le point où les premiers peuvent retirer les pouvoirs qu’ils ont confiés, et celui où un roi doit distinguer l’insurrection du vœu national; ce sujet demanderait à lui seul uu ouvrage. [Assemblée nationale] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] cette acceptation; et que, jusqu’à ce que le pouvoir constituant l’ait demandé et obtenu de la nation, elles sont nécessairement nulles; ainsi donc, la nation donne l’existence au pouvoir constituant; celui-ci la donne aux lois et 1 s lois doivent ensuite recevoir la sanction nationale, Sui seule les établit et les consacre lois de l’E at. 'après cette définition qu’il est possible d’étendre et de rendre d’une man ere infiniment plus claire, mais dont on ne peut nier le principe, il s’ensuit que, si nous sommes pouvoir constituant, tout ce que nous avons créé ne peut avoir force de lois qu’après l'acceptation formelle de la nation; et que si nous le sommes pas, cette acceptation devient bien plus nécessaire encore, puisque nous n’avions pas même le droit de rien créer, Mais sommes-nous effectivement pouvoir constituant, et nous a-t-on chargés de créer des lois et un gouvernement quelconque? La réponse à cette demande est simple, et elle se trouve consignée dans les cahiers de tous les bailliages et de tous les ordres ; l’existence de c-s cahiers seule Ïirouve que nous ne le sommes pas, puisque, si a nation avait voulu une nouvelle Constitution, ils devenaient inutiles; mais, qu’on les ouvre, et on y verra les bases du gouvernement sous lequel cette nation voulait vivre. On y verra que nous sommes simplement des mandataires chargés de suivre ces bases, et de rétablir les lois qui doivent maintenir la monarchie dans toute sa force et dans toute sa splendeur. On y verra établi, de la manière la plus impérieuse, que nous sommes envoyés pour réformer et non pour créer. Donc, puisque la nation nous a prescrit notre marche, il étau hors de notre pouvoir de nms en écarter ; et par cela même nous ne sommes pas pouvoir con-ti tuant. Eu vain, avons-nous annulé nos cahiers, en vain avons-nous changé les bases qu’ils nous prescrivaient, ce droit de la nation est toujours resté le même, et il est au-dessus de toute puissance humaine de le détruire. L’abus du pouvoir fut-il jamais un titre aux yeux des hommes? S’il était besoin d’un ex mpY, et que nous voulussions consulter l’histoire des peuples qui ont existé ava t qu’il fût question de nous, rappelons-nous ces Romains si grands, leurs décemvirs si exécrables, et frémissons! On veut nous persuader que les adresses des différentes villes prouvent clairement le vœu universel de la nation, et que le silence des provinces, ainsi que le serment solennel qu’elles ont prêté, constate assez formellement leur adhésion à la nouvelle Constitution. J’observerai : 1° que, puisque la nation a adhéré à ce que nous avons fait à mesure que nous le faisions, donc elle ne nous avait pas délégué le pouvoir d - le faire, puisque la procuration qu’elle nous aurait donnée à cet é.ard, en eût été l’acceptation; je dis, de plus, que la très grande majorité de ses adressas, sont ou tronquées quand on nous les présente, ou entièrement fausses ou extorquées par la crainte; et que nulle d’entre elles ne nous apporte le vœu des propriétaires de l’Empire, qui seuls, quoi qu’on puisse dire, forment la nation, et ont le droit de créer les lois qui doivent la gouverner; 2° Je nie formellement que le vœu des différentes villes, offert d’une manière isolée et partielle, représente celui delà nation, puisque cette nation n’ayant point délégué de pouvoir cousti-503 tuant, les municipalités et leurs adresses sont elles-mêmes illégales. Je dis enfin que le vœu de la nation était clairement et formellement énoncé dans les cahiers et les pouvoirs donnés à ses représentants; que ce vœu était de réformer les abus du gouvernement, mais non pas de changer le gouvernement, de mettre un frein au despotisme des ministres, mais de conserver au roi toute la plénitude du pouvoir suprême dont il jouit depuis la naissance de la monarchie, et sans lequel cet Empire immense ne p ut subsister; que ce vœu consistait en 4 articles : liberté individuelle, responsabilité des ministres, consentement à l’impôt et retour périodique des états généraux; voilà ce que la nation voulait, voilà ce qu’elle demandait avec les armes de la raison et de la justice tout ce que nous avons fait de plus est de noire propre autorité; tout ce que nous avons décrété comme const tutioonel, hors de ces 4 ar icles, est nul de toute nullité, jusqu’à ce que la nation rassemblée, sous les mêmes formes de sou ancienne Constitution, ait adopté formellement le nouveau régime sous lequel nous vou'ons la faire vivre. Les adresses isolées des différentes villes et des municipalités qui les gouvernent, non seulement ne sont pas le vœu de la nation, mais les municipa'ités et leurs adresses sont elles-mêmes illégales, puisque la nation ne les a pas consti uées, et qu’elle n’avait donné aucun pouvoir pour les constituer. Quant au silence ou aux non-réclamations des provinces, que l’on regarde comme une adhésion à la nouvelle Constitution, je suis loin de partager cetteopinion ; certes il serait étrange que des législateurs voulussent donner à leurs lois un anpui aussi fragile que celui d’un consentement tacite. En fait de Constitution, ce n’est pas le silence d’une nation qui doit, ni qui peut tra quer son consentement, il faut son adhésion formelle ; il eû indispensable qu’elle approuve d’une manière précise, claire, le nouveau contrat qu’elle passe avec ceux entre les mains desquels elle remet l’autorité sup ôm • ; il faut quYlle décide, de la manière la plus positive, si les instructions ont été suivies exactement, si on s’est soumis eu tout aux ordres qu’elle seule a pu donner ; et si enfin, par la manière dont les pouvoirs suprêmes ont été divisés, on n’a point détérioré, changé le gouvernement sous lequel elle voulait vivre. Le silence de; provin es ne prouve donc rien; il serait imprudent, dangereux d’assurer une Constitution sur une base aussi fragile; cela sei ait cont l'aire aux principes les plus sains de la raison, et la moindre réclamation suffirait pour faire crouler l’édifice que l’amour-propre ou l’intérêt auraient élevé contre le bien général. Je pense donc que nous ne sommes pas pouvoir constituant, parce que nous avions des mandats auxquels rien ne pouvait nous dispenser de nous soumettre. Que les adhésions partielles des villes n’expriment p dnt et ne peuvent exprimer le vœu de la nation, puisque ces adresses et les municipalités qui les ont faites sont elles-mêmes illégales, n’ayant été ni constituées ni approuvées par la nation. Que le silence des provinces non seulement ne constate point leur acceptation à la nouvelle Constitution, mais qu’il est indispensable, pour la tranquillité de l’Empire et le maintien même de la liberté, que leurs vœux soient exprimés clairement, formellement, et avec toute la léga- 504 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] lité qui doit accompagner un acte aussi solennel. Que le serment qu’on a prêté d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, est parfaitement juste, et n’ajoute ni ne change rien à nos principes, ni à nos opinions, non plus qu’à celles de tous les Français; mais que celui de maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale est iltisoire et absurde ; illusoire, parce que l’Assemblée nationale n’avait pas le droit de faire une Constitution ; absurde, parce que, à moins que des hommes ne soient en démence, ils ne peuvent jurer de se soumettre à des lois qu’ils ne connaissent pas, et qui n’existent même pas. Je pense enfin que l’Assemblée nationale n’est point ce qu’elle devrait être, parce qu’elle a été convoquée sous le nom d’états généraux; que ses pouvoirs lui ont été donnés comme à des états généraux, et qu’elle n’a pu changer même cette dénomination, sans outrepasser les bornes de l’autorité qui lui avait été confiée, à plus forte raison les fonctions qui en résultent ; et je dis hautement, j’articule positivement que ce que nous avons fait de plus que ce qui était consigné dans nos cahiers par nos commettants est nul de plein droit, jusqu’à ce que la nation l'ail ratifié formellement et légalement. Je crois avoir prouvé évidemment que l’Assemblée nationale n’avait pas les pouvoirs suffisants pour devenir ce qu’elle est, et que par conséquent elle n’est pas ce qu’elle devrait être ; car je défie tous les auteurs de la nouvelle Constitution de prouver qu’ils sont les représentants d’un peuple dont ils n’ont point reçu de pouvoirs, et dont ils se sont déclarés indépendants. Ce peuple est-il donc destiné à devenir perpétuellement le jouet des passions de ceux qui veulent le gouverner ? N’est-il échappé quelques instants au despotisme ministériel que pour retomber dans l’anarchie la plus épouvantable, et retourner de là sous un despotisme mille fuis plus cruel que celui auquel il a cru se soustraire, et dont rien ne pourrait p lu s l’arracher? Ah! sans doute, la Providence, immuable et toujours juste qui régit les Empires, a voulu donner aux hommes un exemple effrayant de ce qu’ils peuvent devenir quand elle les abandonne aux erreurs de leur propre raison, aux erreurs de leur propre cœur; et elle a voulu employer même jusqu’aux mots qui leur sont les plus chers et les plus sacrés, afin de leur démontrer, parleurs propres expériences, qu’elle a établi des bornes à l’égalité, qu’elle en a établi à la liberté, et que, ces bornes, rien ne peut, les détruire. Examinons maintenant les bases sur lesquelles porte la nouvelle Constitution, et voyons si elles peuvent faire le bonheur de cet Empire. Je vois d’abord les droits de l’homme à la tête, et j’aperçois une longue suite de prétendus principes naturels, appuyés sur une métaphysique obscure inintelligible, qui, s’ils étaient vrais, devraient être cachés sous le voile le plus épais, par des législateurs chargés de fonder le bonheur des hommes; mais examinons ces principes : Je lis article premier : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Je ne connais point d’hommes sur la terre qui ne vivent en société; ceux que nous appelons sauvages sont soumis à des usage3, à des règlements, ou à des lois plus ou moins perfectionnés; la définition de leurs droits est liée par conséquent d’une manière si intime avec celle de leurs devoirs qu’elle en est inséparable, et je ne comprends pas comment on ose détailler les uns sans les rappeler les autres. J’avoue d’ailleurs que je n’ai nulle idée de l’homme en état de pure nature, parce que je crois qu’il n’existe nulle part; par conséquent, je ne peux comprendre quelle est la nature de ces droits dans cet état. L’idée que je me fais de ces droits, quant à l’égalité dont on nous parle, est, au contraire, qu’il n’en existe point dans la nature de l’homme; que ce n’est que dans la réunion en société qu’il peut en trouver, et qu’il ne s’y réunit que pour en jouir. Cette égalité, dont il sent la nécessité, est celle d’être protégé individuellement et également, par une loi qui assure sa liberté et sa propriété, une loi qu’il jure de maintenir, d’appnyer, de défendre de toutes ses forces, et d’observer strictement : voilà la seule égalité qu’il puisse se procurer. Jusqu’à présent, il n’y a eu que trois manières déconsidérer l’égalité," et on n’a pu la diviser que sous trois rapports; l’égalité physique, Légalité morale et l’égalité politique; s’il en existe une autre, j’avoue que ma métaphysique ne s’étend pas plus loin; je crois voir que l’égalité des droits physiques entre les hommes est fausse, ainsi que l’égalité morale, et cela n’a nullement besoin de démonstration. Quant à l’égalité politique, elle est aussi fausse, hors la partie qui dérive de la loi; car dans une société les uns naissent riches, les autres pauvres, les uns rois, les autres sujets; par conséquent, l’influence et et le pouvoir des uns n’égalent jamais ceux des autres; l’égalité morale même détruit nécessairement l’égalité politique, et elle n’est vraie que sous le rapport pur et simple de la loi. Si c’est un malheur dont la majorité des hommes ait à se plaindre, je leur répondrai qu’il estabachéàl’es-pèce humaine, et que nul pouvoir constituant ne peut le changer. Ainsi donc, en résumé, selon moi, l’égalité naturelle n’existe point, et ne peut exister parmi les hommes, car elle est fausse au physique, et elle est fausse au moral ; ce n’est que par leurs réunions en société qu’ils peuvent jouir d’une égalité politique dénvaut de la loi; et, comme ce n’est que la société qui forme cette loi, il s’ensuit nécessairement qu’il n’existe vraiment point d’égalité naturelle, et que les fameux droits de l’homme, mis avec tant d’emphase à la tête de la Constitution, et destinés à en être la base, se réduisent à ces mots simples et clairs : « Tous les hommes sont égaux en droits aux yeux de la loi. » Si c’est là ce qu’on a voulu nous dire, il fallait donc le faire tout simplement; il fallait donc expliquer au p-up'e, qui n’entend pas la métaphysique, que, pour qu’il jouisse de cette égalité que la loi doit lui assurer, il faut qu’il commence par se soumettre à cette loi, par l’observer religieusement, parla maintenir de tout son pouvoir, parce que, du moment qu’elle est violée, l’égalité est détruite, et que l’une ne peut exister quand l’autre rie subsiste p!us. Voilà la vérité qu’il fallait lui faire sentir, ou plutôt c’était la loi elle-même qui devait le lui apprendre; au lieu d’énoncer les droits avant les devoirs, au lieu de se servir d’expressions obscures, fausses, et desquelles dérivent nécessairement le renversement total de la société, d’expressions qui ont échauffé toutes les têtes, animé toutes les classes de la sociélé, les unes contre les autres; d’expressions qui ont armé les soldats contre les chefs, les valets contre les maîtres, 505 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] les pauvres contre les riches, et les peuples contre leurs souverains; d’expressions enfin, et je ne crains pas de le dire, qui ont détruit toutes les bases sociales sur lesquelles reposent la tranquillité publique, en répandant parmi tous les individus de l’Empire un esprit d’insubordination, tel que nul ne veut obéir, et que tous veulent commander parce que tous se croient égaux. * Voilà jusqu’à présent les tristes effets qu’a produit la déclaration des droits de l’homme, et je n’ose parler des malheurs effrayants qu’elle produira encore, jusqu’à ce que l’opinion l’ait réduite à sa juste valeur. Je m’élève donc, avec toute !a force de la vérité et de la raison, contre cette première base de la Constitution, et je la regarde comme fausse, dangereuse, pernicieuse et destructive de toute tranquillité publique, tant qu’elle ne sera pas réduite à ces mots : <■ Tous les hommes sont égaux en droits aux yeux de la loi. » Quant à la liberté énoncée dans le premier article de la déclaration dus droits, j’ai déjà dit que je ne pouvais considérer l'homme que dans l’état de société, parce que je ne crois pas qu’il existe dans l’état de pure nature; ainsi ce grand mot de liberté ne peut être défini sans celui de lois; et, par conséquent, il faut donc commencer par établir les lois pour fixer la liberté; car cette liberté devant avoir nécessairement des bornes, il fau', avant tout, que ces bornes soient assises pour savoir jusqu’où la liberté s’étend ; cela est si vrai que l’article 4 dit positivement: «La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, etc... » Ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres delà société la jouissance de des mêmes droits : ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. Il fallait donc premièrement faite la loi, et c’est justement ce que nous n’avons [tas fait. Aussi qu’est-il arrivé? Le peuple ayant compris qu’il était libre, et ne sachant pas où devait s’arrêter cette libér é, en a outrepassé toutes les bornes; il s’est livré à la plus affreuse licence; il a refusé les impôts, il a renversé les barrières; il a méconnu toute espèce d’autorité, outragé tous ses chefs; il s’est baigné dans le sang de ceux qui ont voulu s'opposer à sa volonté; et enfin il eu est venu à ce point terrible de croire qu’il pouvait se faire justice lui-même. Voilà ce qu’a produit et ce que produira toujours ce mot de liberté prononcé d’une manière vague et indéfinie. Législateurs futurs, prenez exemple sur nous, que nos fautes et nos malheurs vous apprennent à respecter le voile religieux, dont l’Etre suprême a cru devoir envelopper ses bienfaits; rappelez-vous, avant tout, que, loin de mettre en mouvement les passions des hommes, vous ne devez travailler qu’à les calmer. Faites des lois, faites-lcs justes, et vous direz ensuite aux peuples qu’ils sont libres, parce u’alors ils le seront effectivement, tels qu’ils oivent l’être. Après avoir établi mon opinion sur les principes qui sont la base de la Constitution, et les avoir réduits selon moi à leur juste valeur, je vais prononcer celle que j’ai sur plusieurs articles constitutionnels, due je juge être les plus essentiels : je m’arrête à l’article 5 du 10 septembre 1789, qui dit : « L’Assemblée nationale ne sera composée que d'une Chambre. » Que de choses se trouvaient renfermées dans cette phrase si courte ! Que de pensées intéressantes elle fait naître dans l’âme, quand on réfléchit qu’elle renferme le bonheur et la tranquillité publique! Mais assure-t-elle l’un et l’aulre ? Voilà la question. Il faut, selon moi, avoir une idée bien peu juste du cœur humain et des passions qui le conduisent, pour confier l’exercice du pouvoir législatif à une seule Chambre, qui décide, en dernier ressort, de la créât on des lois. Je vois d’abord que cette Chambre unique se trouve par la nature même des choses, divisée au moins en deux parties, et probablement en trois ou quatre; je pourrais même en citer un exemple, et je ne le chercherai pas chez les anciens, puisque nous sommes convenus de n’en plus parler ; mais, cette diversité d’opinions inévitables et prises dans le cœur de l’homme étant une fois établie, on est obligé de s’en rapporter à la majorité dus voix pour étab'ir une loi. Et par exemple, dans une assemblée composée de 1,000 individus, il se trouve que 501 l’emportent, et les 499 autres deviennent par conséquent nulles par le fait; car il serait possible d’imaginer 501 personnes si bien coalisées qu’elles feraient passer telles lois e t telle Constitution qu’elles jugeraient à propos, sans que les 499 autres eussent aucun moyen de l’empêcher : d’où il s’ensuit nécessairement que 2 individus décident la loi : or, je demande s’il est possible d’établir un pouvoir législatif sous une forme plus injuste, et je dirai même plus impolitique (car il y'a des hommes qui se mettent au-dessus de l’inju tice) que celle d’une seule Chambre, où la minorité de cette même Chambre n’a aucun moyen d’empêcher la oi qu’elle trouve dangereuse, aucun espoir que cette loi sera revue, mo-diée ou rejetée par un pouvoir qui aura le droit de l’arrêter; et où, par conséquent, cette minorité est nulle et paralyse, par cette nullité, une très grande partie du pouvoir législatif. Que l’on daigne ensuite calculer les excès auxquels peut et doit naturellement se porter on pouvoir législatif, concentré dune une seule et unique Chambre; il sera uni par la passion la plus forte que le cœur humain renferme; qui est celle de tendre sans cesse à la plus gronde autorité il n’aura pas plus tôt créé les lois qu’il voudra les faire exécuter I ui-même, ne trouvai) t rien au-dessus de son pouvoir qui ne sera point divisé : son premier désir, sa première volonté sera de s’emparer de toutes les parties qui composent le gouvernement, nulle autorité ne pouvant l’arrêter dans sa marche, il se saisira bh ntôt du pouvoir exécutif, administratif, judiciaire; il voudra tout maintenir dans sa dépendance directe, (out juger, tout administrer : et j’en appelle à ceux qui me liront sans partialité, pour savoir si la réalité de ce tableau est possible, et si ce monstre en politique peut exister ! Oui, elle est possible, et je dois le dire, el l ■ existe. Qui oserait ai ■•peler d’un jugement de l’Assemblée nationale ? Qui oserait élever la voix contre une injustice qu’elle aurait prononcée, ou même contre ce qu’il croirait une injustice ? A qui en appellerait-on ? Tout est dans sa main, tout absolument : voilà le danger, je ne parle pas du malheur. Si on réfb’chit ensuite à combien de séductions se trouve livré un pouvoir législatif composé d’une seule Chambre ; combien un homme éloquent influe sur une décision; combien la manière insidieuse de présenter son opinion peut entraîner d’individus qui, ne connaissant qu’im-parfaitement le sujet que l’on traite, se laissent aisément séduire par des sophismes, et pronon- 506 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Annexe*.] cent contre les vrais principes, en croyant peut-être les avoir suivis ; combien Je tableau de l’improvisation surtout, si séduisant, mais en même temps presque toujours si dépourvu de solidité, a d’influence sur le plus grand nombre des membres qui ne voient que l’esp it qu’on montre, et n’ont ni le temps, ni peut-être les moyens d’approfondir la raison que l’on cache; combien enfin il est dangereux d’abandonner la décision des lois à l’empire irrésistible d’un homme éloquent et vertueux, mais qui peut être aussi éloquent et méchant. De plus, qu’arrivera-t-il de la formation du pouvoir législatif en une seule Chambre ? C'est que nécessairement le talent de la parole, devenant le premier de tous, on ne cherchera dans les élections que ceux qui le posséderont; en le cherchera à l’exclusion de tous les autres, et on choisira de préférence l’homme éloquent à l’homme vertueux, parce que l’utilité de l’un paraissant instante, et les bienfaits de l’autre n’étant que lents et progressifs, les hommes se laisseront toujours entraîner par l’espoir de la jouissance du moment; c’est donc au législateur à éviter cette erreur de leurs cœurs ; c’est à lui à les préserver de cette faiblesse attachée à l’humanité, et à les engager à ne considérer le moment présent que comme celui qui conduit à l’avenir. Or, si on abandonne le bonheur et la tranquillité publiques entre les mains de l’éloquence, je laisse à penser quels effets peuvent en résulter. Jedemande ensuite si un pouvoir législatif, composé d’une Chambre unique, décidant en dernier ressort, n’est pas bienplus facile à corrompre que s’il était divisé en deux ou trois sections ; il ne faudra que (rois ou quatre voix gagnées, deux ou trois personnages marquants qui seront achetés par le ministère, pour faire passer toutes le-lois que ce même ministère aura intérêt de faire créer. Une seule loi, rendue de cette manière, peut entraîner les plus funestes conséquences, et nous conduire à la perte de cette liberté pour laquelle nous avons fait tant de sacrifices. L’intérêt et l’ambition seront toujours les deux mobiles les plus puissants avec lesquels ou conduira les hommes; et le pouvoir exécutif ayant toujours daus s -s mains, de quelque manière qu’on s’y prenne, les hommes et les riche ses, il s’en servira toujours avec le plus grand avantage pour lui, et le plus grand danger pour nous, contre le pouvoir législatifcomposé d’u ce seule Chambre. Si, au contraire, le pouvoir législatif était divisé, on sent facilement qu’il faut alors quadrupler les moyens de corruption, et qu’au physique et au moral les difficultés deviennent très difficiles à vaincre, surtout si une des Chambres, formant le Corps législatif, était composée d’une classe intéressée individuellement au maintien de la Constitution ; mais nous avons fait tout différemment; nous avons une seule Chambre, une seule classe; et à force d’avoir voulu nous ramener à un seul intérêt, il se trouve que nous n’en avons plus, et qu’il n’existe actuellement que celui de la propriété, qui empêche que la société ne soit totalement dissoute; et cela est si vrai que la majorité des propriétaires français consentirait maintenant à l’établissement de toutes les Constitutions possibles, pourvu qu’elles établissent un ordre putdic qui leur garantisse la possession de leurs biens. J’en appelle à ceux qui me lisent, de cette vérité. Quel tableau présente, en outre, un pouvoir législatif composé d’une seule Chambre? Toutes les passions du cœur humain s’y montrent dans toutes leurs forces et dans toutes leurs violences ; toutes les intrigues y sont mises en jeu avec soc-cès. L'homme qui u’a que du bon sens et des vues droites n’y jouit d’aucun avantage, parce que, sûr de sa conscience, il dédaigne tous les moyens de fin! sse, d’adresse, d’astuce, pour arriver au but qu’il se propose; et que, se contentant d’exprimer simplement la vérité, il croit que tout le monde doit la sentir telle qu’elle est dans son cœur, et que ce serait l’avilir que de la présenter avec art; parce que, parlant toujours aux hommes d’après des principes continuellement en opposition avec leurs passions, ce qu’il dit se trouve toujours contraire avec ce qu’ils désirent, et qu’alors il doit jouir nécessairement d’une grande favenr. Quel avantage, n’a pas, au contraire celui qui n’est conduit que par les vues d’intérêt ou d’ambition pourvu qu’il arrive au but qu’il se propose? Il est satisfait, et tous les moyens lui semblent bons pour y parvenir; cachant avec adresse le fond du sujet qu’il traite, il le présente tour à tour avec le charme de l’éloquence, ou la séduction de l’esprit; en flattant les passions, il est sûr de réussir, et de trouver dans le cœur humain un soutien puissant qui lui aide à vaincre facilement le sentiment de la raison; il mettra en activité tous les moyens possibles de corruption pour se faire un parti, pour acquérir des voix : l’intérêt, l’ambition, la crainte, l’apparence du bien public même, tout sera mis en usage pour séduire. Quel est l’homme qui peut répondre de ne pas céder à l’un de ces sentiments; ? Quel est celui qui peut affirmer qu’il n’aura pas de faiblesses? Et quel danger de s’y exposer quand il s’agit de l’intérêt public? Une seule Chambre ne peut jamais être soutenue que par la faveur populaire; al ms vous verrez l’audace tenir lieu de mérite; vous verrez de ces hommes ardents dans le vice cacher, sous le masque de la popularité, toute la bassesse dont leur âme est pétrie : vous verrez de ces hommes haïs et méprisés, vils courtisans sous le règne des ministres, bas valets, petits intrigants, dépourvus de toute espèce de sentiments, même de celui de la honte; vous les verrez, dis-je, marcher avec un front d’airain, et invoquer avec audace les mots sacrés de la liberté et de patriotisme; vous y verrez de ces hommes parvenus au dernier degré de corruption, sans religion, sans mœurs, sans principes, se jouant de tout ce qu’il y a de plus sacré parmi les humains; de ces individus,- dont le nom seul est un opprobre, profiter des talents que la nature leur a accordés à la place de vertus, et étaler de grandes phrases, où les mots d’égalité, de bien public, ne seront points épargnés, pour en imposer à un peuple qui, courant toujours après un bonheur qu’on lui promet sans cesse et qu’on ne lui procure jamais, espère au moins le voir sortir de la bouche de celui qui le flatte; vous les verrez ces hommes destinés à la vengeance éternelle, après avoir séduit, égaré le peuple, le conduire d’erreurs en erreurs, de révolutions en révolutions, attiser sans cesse le feu delà discorde, perpétuer l’anarchie, et éloigner l’établissement de tout or; dre public, pour échapper à la rigueur de la loi dont ils sentent bien qu’ils seraient les premières victimes. Vous verrez de ces scélérats prétendus populaires, qui, après avoir échauffé les têtes par les écrits les plus incendiaires, arriveront au Corps législatif, un décret à la main, soutenus par vingt mille hommes dont les hurlements et les cris vous dicteront la loi. Un pouvoir législatif enfin composé d’une S07 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes ] seule Chambre se trouvera sans cesse en opposition avec le pouvoir exécutif; il tendra constamment à mettre celui-ci dans sa dépendance entière et absolue, et à diminuer ou à détruire la force publique qu’il aura entre les mains; il contrecarrera toutes ses opérations : il citera à tous propos les ministres à son tribunal : il les destituera ou les fera changer à sa volonté, et les dépouillera, par là, de cette considération qui leur est si nécessaire pour faire exécuter les lois, redoutant perpétuellement cette force publique qu’il aura été obligé de déposer dans les mains d’un seul, il en créera un autre pour soutenir ses prétentions, et les deux puissances constamment en opposition sechoquront sans esse, jusqu’à ce que l’une des deux soit totalement détruite, ce qui nous conduira incontestablement à l’anarchie où nous sommes, ou bien au despotisme absolu ou nous tendons. Tels sont, selon moi, quelques-uns des vices principaux qui se trouvent dans la formation du pouvoir législatif en une seule Chambre, et ces vices se présentent d’une manière si frappante à mes yeux, que je suis convaincu que tant que cet article constitutionnel ne sera pas changé, notre gouvernement sera constamment agité par les plus violentes secousses, et que les individus de la société ne jouiront d’aucune tranquillité ni d’aucune liberté; d’aucune tranquillité, parce que, les pouvoirs qui doivent commander étant sans cesse en opposition, on ne saura a qui obéir, ou on n’obéira qu’à la force; d’aucune liberté, parce que, la liberté politique n’étant point établie, la liberté civile ne pourra exister. Je ne sais si mon cœur me trompe dans la définition que je viens de faire; mais j’avoue que les principes qui l’ont dictée me semblent y être gravés par la vérité. Je ne me suis point dissimulé combien il est difficile d’arrêler le torrent de l’opinion, dont la rapidité et la violence entraînent’tout ; je ne me suis pas caché le danger qu’il peut y avoir à contredire cette opinion, et je n’ai ni espoir, ni crainte ; mais, représentant de la nation, je lui dois compte non seulement de mes actions, mais de mes pensées ; et du moment que je les lui présente, ayant le bien public pour objet, l’hommage que je lui en fais devient digne d’elle, et j’ose dire qu’elle doit l’accepter. POUVOIR EXÉCUTIF. Une Constitution n’étant autre chose que la division des pouvoirs qui doivent créer les lois et les faire exécuter, le premier but que doit se proposer le législateur est de constituer ces pouvoirs de manière que l’on ne puisse jamais empiéter sur les droits de l’autre, et que les bornes de leur autorité soient si bien établies que leur indépendance réciproque demeure à l’abri de toute atteinte ; car, sans cela, celui qui réunirait le plus de force envahirait bientôt toute la puissance, et la liberté serait détruite. Or, ce principe qui me paraît de toute vérité, étant une fois établi et avoué, je demande comment on peut concevoir que, la France ayant été déclarée monarchie, l’organisation qu’on a donnée au pouvoir exécutif puisse subsister ; car, au lieu de rendre le roi partie intégrante de la Constitution, nons l'avons mis entièrement hors de cette Constitution; nous lui avons ôté totalement l’initiative des lois, et nous l’avons réduit, à cet égard ,au même rôle que les départements du royaume, qui peuvent, comme lui, inviter l’Assemblée nationale à prendre un objet en considération ; et par là nous avons rendu nul dans la partie essentielle du gouvernement, pour nous et pour lui. Nous avons fait plus : nous lui avons ôté formellement le droit de refuser ces lois, quelque attentatoires qu’elles puissent être au bien public et à sa propre autorité ; car on n’appellera certainement pas cette espèce de veto qu’on a imaginé, pour lui, un droit de refuser, puisqu’il ne pe.it y avoir de refus, ou du moins qu’il devient illusoire lorsqu’on aperçait le terme où ce refus doit nécessairement cesser; par conséquent, le pouvoir législatif est sûr que, deux ou trois ans après qu'il aura proposé un 1 loi, le roi sera forcé de l’accepter, quelle qu’elle soit ; ainsi donc, non seulement le roi n’entre absolument p >ur rien dans la création des lois, mais même il est forcé de les accepter ; d’où il s’ensuit indubitablement qu’il est totalement à la merci du pouvoir législatif. Nous l’avons mis ensuite hors du pouvoir judiciaire, et il est à peu près nul dans l’a imims-tration de la justice ; il ne nomme point Us juges, et il ne peut leur refuser les lettr. s patentes qui doivent leur être expédiées par lui, pour qu’ils rendent la justice en son nom; dans la formation du ministère publie, le commis-aire nommé par le roi n’est point accusateur public; ainsi, dans tous les délits commis contre l'ordre et le repos de la société, le roi n’a aucune plainte à porter, et son commissaire, dans chaque tribunal, aura seulement le droit d’être entendu quand l’accusation aura été intentée; d’où il s’ensuit clairement que le roi n’est élus chargé du maintien de la tranquillité publique, puisqu’il ne peut pas même accuser ceux qui la troublent, et que, dans cette partie de la Gonsi Dation, le pouvoir exécutif se tiouve subordonné au pouvoir judiciaire. Je ne décide pas sur ce nouvel ordre de choses; le temps nous en démontrera bientôt les vices ou les avantages; mais je me plains de ce qu’on nous a dit constitutionnellement que la Fiance était une monarchie ; car comment concevoir un roi qui n’entre pour rien dans la formation d. s lois de son royaume, ni dans la justice qu’on rend à ses sujets ? Dans la formation de Fad ministration inlérieure du royaume, le mi est de même de toute nullité, et son pouvoir, dans cette partie si intéressante du gouvernement, se réduit à faire parvenir, dans cha |ue département, les décrets du Corps législatif; il n’entre pour rien dans la création des municipalités, ni dans celle des districts, ni dans celle des département-, et res divers corps n’ont aucun compte à lui rend e, ni de leur conduite, ni de leur gestion ; ils décident de toute espèce d’établissements publics, sans avoir besoin de son aveu, et sont entièrement hors de sa dépendance. Il n’est chargé ni de la répartition des impôts, ni de leur perception ; et même, si quelque partie de la société refuse de les payer, il n’a pas le droit d’employer son autorité pour les y forcer, et il ne peut le faire que sur la requis! ion du pouvoir administratif, auquel, par conséquent, il se trouve subordonné; telle est >a position dans la di tribution des pouvoirs établis par la nouvelle Constitution; dans le pouvoir législatif, il ne prend point de part à la formation des lois, et il ne peut les refuser. Dans le pouvoir 508 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [ Annexes ] judiciaire, il ne juge point, car il ne nomme point les juges; U ne les installe point, car il ne peut refuser de les installer et il ne dénonce pas même les crimes publics. Dans le pouvoir administratif, il n’administre rien, car il ne nomme ni les officiers municipaux, ni les membres des districts, ni ceux des départements ; il ne prend point de part ni à la masse de l’impôt, ni à sa répat tition, ni à sa perception. Dans le pouvoir exécutif, dont il a été déclaré chef suprême, la partie qu’on a fait dépendre immédiatement de lui est subordonnée dans l’intérieur du royaume au pouvoir administratif, sans la réquisition duquel elle ne peut point agir; et l’autre partie ne dépend nullement de lui, mais il n’est pas temps encore de parler des vices de celle-ci, et de démontrer combien elle est destructive de cette liberté, pour le maintien de laquelle on a voulu la créer. Ainsi, il est donc partout hors de la Constitution, et cependant, dit-on, il est roi ! Ah ! soyons plus francs, et disons que nous ne lui en avons laissé que le nom. Mais ce n'est point ainsi, non ce n’est point sous cette forme de nullité que les Français veulent un roi ! Ce n’est point avec de pareils attributs qu’ils nous ont chargés de maintenir celui qui existait! Non, celte nation qui fut idolâtre des siens pendant quatorze cents ans, cette nation franche, sensible et généreu e ne se contentera pas de le décorer d’un vain nom et d’un titre sans pouvoir ; elle se rappellera ces moments où, réunie sous des chefs adorés, heureuse et tranquille au dedans, elle a porté sa gloire à l’égal des peuples les plus célèbres de l’antiquité ; elle se rappelle laque, sous ces rois qu’on veut rendre nuis, elle est devenue la première monarchie de l’univers ; et si, dans l’ivresse voir supprimé! Hâtons-nous donc de rendre au roi son autorité légitime ; hâtons-nous de lui remettre entre les mains le dépôt sacré de la force publique dans toute son énergie; hâtons-nous, dis-je, ie temps presse, il s’enfuit, il ne nous laissera bientôt que des regrets éternels et des malheurs irréparables. Cette opinion sur les bases de la Constitution, si elle est lue, sera certainement regardée comme nulle, folle, antipatriotique, incendiaire même; que ceux qui m’accuseront se lèvent; qu’ils viennent avec moi jurer sur l’autel de la patrie, le maintien d’une Constitution vraiment libre, vraiment monarchique; qu’ils viennent jurer de mourir pour la défense du roi et du peuple; et quand ils entendront le serment prononcé du fond de mon cœur, ils ne m’accuseront plus. ! A RLE* U TABLEAU des citoyens qui doivent être employés dans la législature et dans les administrations de départements et de districts , dans les tribunaux judiciaires, pour les juges de paix et municipalités de France, et aperçu de la dépense fictive par la perte de temps de ceux qui ne seront point salariés. 518 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes. J TA des citoyens qui doivent être employés dans la législature et dans les administrations de départements et de de la dépense fictive par la perte de temps ADMINISTRATIONS ÉCONOMIQUES . LÉGISLATURE (1). Elle doit occuper. Elle coûtera ...... ADMINISTRATION DE DEPARTEMENT. Pour les 83, il faut, suivant les décrets. Qui coûteront ........................ Pour le service ...................... Pour la dépense ..................... ADMINISTRATION DE DISTRICT. Pour les 543, suivant les décrets ..... Pour les frais ........................ Pour les honoraires des trésoriers... Pour le service desdits administrateurs. Pour la dépense ..................... Pour la régie, le service et la garde des biens déclarés nationaux ....... Pour cette dépense .................. ADMINISTRATION DES PONTS ET CHAUSSÉES. Il faudra Dépense, Total des citoyens. CITOYENS. SOMMES. 1,046 3,130 996 8,143 4,887 11,946 26 30,796 Total de la dépense. livres. 2,106, 752 1,713,300 1,672,000 4,056,100 4,344,000 4,778,400 7,710,600 155,000 27,486,152 (1) La dépense des nouvelles législatures n’est levée que pour une séance annuelle de quatre mois. Les frais secondaires sont très modérés, cependant on évalue la somme de 100,000 livres bien ménagée, très suffisante. Il y a lieu d’espérer que les futures assemblées ne se perpétueront point dans leurs exercices. Alors la dépense serait mal portée dans ce tableau. L'Assemblée nationale n’a coûté, suivant les aperçus de M. Necker, de l'année 1789 jusqu’au 30 avril 1790 que. . . 5,687,763 livres Mais il n’a été payé que huit mois des honoraires. Depuis cette époque, elle coûte eu mai 1790 .............................................................. 818,206 — En juin ............................................................................................... ... 510,290 — En juillet ................................................................................ ............ .. 839,932 — En août .................................................................................................. 612,083 — En septembre ........................................................... ................................. 923,945 — M. Dufrêne donne eu aperçus pour octobre et novembre pour indemnité de messieurs les députés .............. 1,800,000 — Frais relatifs a l’Assemblée et impressions ................................................................. 300,000 On peut calculer ce que cette Assemblée coûtera dans l'année. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Annexes.] 519 BLEAU districts , dans les tribunaux judiciaires , pour les juges de paix et municipalités de France, et aperçu de ceux qui ne seront point salariés. Nota. — On n’a rien tiré pour leur dépense, parce qu’elle est à la charge de chaque commune. On donnera un detail de celle de la police seule de Paris, non compris les traitements, pour juger par approximation de la dépense générale de ces établissements. ASSEMBLEES PRIMAIRES ÉLECTORALES ET ADMINISTRATIVES. Assemblées pour les élections municipales ......... '. .................. ... Qui feront perdre du temps ou occasionneront une dépense de: .......... Assemblées primaires des cantons ...... Faux frais et perte de temps. . ......... Assemblées électorales ................ Frais et perte de temps ............. Assemblée du conseil de département.. Dépense et perte de temps ............ Assemblée des conseils de district ..... Dépense et perte de temps ............ Total des journées perdues. CITOYENS. S, 000, 000 2,500,000 250,000 1,696 139,000 7,890,696 Total de la dépense au compte des citoyens. SOMMES. livres. 10,000,000 7,500,000 1,500,000 677,964 1,251,072 20,929,036 OBSERVATIONS GENERALES. Outre la perte des journées détaillées à l’article des assemblées primaires, électorales, etc., il y aura la perte de temps de tous les adjoints, des 27,300 jurés, et celles des conseils des municipalités, même de tous ceux des officiers municipaux non salariés, ce qui est incalculable. On a annoncé le bordereau des dépenses des gardes nationales soldés de la ville de Paris, de la police et des ateliers de charité, pour les mois de mai, juin, juillet et août 1790. On va le présenter; mais avant il est bon d’observer que cette même garde nationale a coûté l’année dernière au gouvernement neuf millions deux cent mille livres; la démolition de la Bastille, cinq cent mille livres ; les subsistances pour la ville