442 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE Le citoyen Bélanger, architecte, est admis à la barre et dit : Citoyens Représentons, Au mépris de cette maxime des Droits de l’homme, j’ai éprouvé une violation de propriété, et je viens, en conséquence, réclamer au milieur de vous, contre un acte d’oppression, et j’accuse de cette violation l’ancien comité révolutionnaire de la section de Robespierre, celui de la section des Piques. Une maison, dans cet arrondissement com-posoit toute ma fortune ; sa valeur et son produit étoient le gage de mes créanciers. En vendémiaire de l’an deux, elle étoit louée et occupée en grande partie, lorsque le comité des Piques, expulsant mes locataires, s’en empara sans ma participation, pour en faire une petite bastille à sa convenance. Le 20 de ce même mois, les membres de ce comité me firent appeler au milieu de la nuit, pour me signifier l’arrêté qu’ils avoient pris de s’emparer de ma maison. J’eus beau réclamer contre cette violation de propriété, la réponse fut : « Ta maison, ou en prison. » J’argüai de la déclaration des Droits, des indemnités qu’exigeroient mes locataires, si subitement évincés, pour toutes les dépenses de convenance et d’embellissement qu’ils avoient faites dans cette maison; j’exposai de plus qu’elle étoit décorée de beaucoup d’objets précieux dans les arts, faits pour servir de modèles ; que tous ces détails se dégraderoient par la multitude des détenus ; que tout cela don-noit ouverture à des indemnités considérables, sur lesquelles il falloit statuer ; la réplique fut : « Ta maison ou en prison. Quant aux indemnités, nous avons des logements vacans à la Force et à Saint-Lazare pour tes locataires et pour toi. » On devine aisément, (à cette époque), quel parti j’avois à prendre ; au surplus, je n’eus ni le temps de délibérer ni de composer. Douze factionnaires du poste furent incontinent envoyés à ma maison; six heures me furent données pour les déménagemens, et de suite, soixante-deux individus y furent envoyés en arrestation : pour lors l’entrée de ma maison me fut absolument interdite. Je crus que le département, qui étoit chargé de la localité des prisons, viendroit à mon secours; j’y courus, j’exposai ma position; un arrêté du directoire me renvoya, provisoirement, en jouissance, comme ayant été dépouillé par l’arbitraire, et m’ajourna au lendemain 21 vendémiaire, pour entendre, contradictoirement avec moi, le comité révolutionnaire des Piques. On sent facilement combien étoit illusoire et impossible la réintégration qui m’avoit été indiquée, puisqu’il eût fallu opposer la force à la force, et peut-être, armer les citoyens les uns contre les autres : aussi n’en fis-je aucun usage. Le lendemain 21, le département, après avoir entendu le comité des Piques et moi, feignit de prendre mon silence pacifique, depuis vingt-quatre heures, pour une adhésion tacite, et dès lors, mes droits sur ma propriété furent sacrifiés aux instances astucieuses du comité révolutionnaire, qui s’étoit présenté en masse. J’obtins seulement, comme par grâce, que l’architecte du département seroit (seul) chargé de statuer, s’il y avoit même lieu à indemnité. Je ne me permettrai aucune réflexion sur ce jugement; il me suffira de dire que les Luillier et les Momoro siégeoient dans cette assemblée. Aucun moyen ne me fut possible depuis ce moment pour obtenir l’exécution de l’arrêté du 21. Tantôt l’architecte du département étoit trop occupé; d’autres fois, c’étoit le concierge de la bastille des Piques qui nous en refusoit l’entrée ; mes réclamations devenoient fatigantes, embarrassantes, et bientôt devinrent impraticables, car, peu de temps après, portier, concierge, locataire et moi, enfin tout ce qui avoit droit à réclamations, tous furent incarcérés. La nuit des vengeances disparut enfin, et le jour de la justice a lui dans tout son éclat ; ma liberté m’a été rendue avec la faculté de réclamer mes droits, et je m’en sers utilement. Une loi des 27 et 28 germinal, derniers articles 17 et 20, enjoint à tous citoyens d’instruire la Convention des actes d’oppression dont ils auroient été victimes, etc. Ma maison évacuée, dit-on, depuis quelques jours, par la surveillance du comité de Sûreté générale, est dans un état de dépérissement qui exige toutes sortes de réparations urgentes, devenues aujourd’hui très dispendieuses; des objets d’art de tous genres y ont été déplacés, usés et brisés. On sent facilement qu’une habitation destinée pour deux ou trois locataires paisibles et soigneux est bientôt dégradée par un grand nombre de prisonniers qui, loin d’avoir intérêt à la conservation de leur cage, voudraient voir des ouvertures à tous les murs, et des portes ouvertes à toutes les fenêtres. Au surplus, on prétend que le comité des Piques a levé sur ses détenus des contributions représentatives de loyers; comme je n’ai vu nulle part dans la loi du 17 septembre qu’il y fût autorisé, le serais-je davantage à partager le produit d’une concussion illégale et sur laquelle ce comité pourrait être recherché? Ses membres prétendent encore avoir régi sous les ordres du comité de Sûreté générale, et s’appuient de l’abus d’autorité qu’ils ont exercé à mon égard sur ce que, dans les mandats qu’ils en ont reçus, soit pour détenir, soit pour mettre en liberté, ma maison y était particulièrement désignée sous le nom de Maison d’arrestation des Anglais. C’est dans cette incertitude, et après tant de vexations, que je viens, citoyens représentans, réclamer votre attention, attendu que, dans le mélange qui se rencontre ici de mon intérêt privé avec l’intérêt politique, il peut y avoir à examiner le produit de cette contribution révolutionnaire et son emploi; ce qui m’interdit l’exercice de toute action, m’abandonnant avec confiance à la justice de la Convention, ou des comités auxquels il lui conviendra me renvoyer. Dans un moment où les arts et l’industrie sont encouragés, elle ne souffrira pas qu’un artiste, père de famille, qui est resté constam- SÉANCE DU 30 BRUMAIRE AN III (20 NOVEMBRE 1794) - N08 73-77 443 ment attaché à la patrie, qui a naturalisé en France plusieurs découvertes utiles aux arts et au commerce, soit privé par l’effet d’une puissance plus que révolutionnaire du seul revenu qui lui reste pour satisfaire ses créanciers et faire exister sa famille. Signé, Belanger, architecte, rue du fauxbourg Poissonnière, n° 21. La Convention nationale ordonne le renvoi de cette pétition aux comités des Finances et de Sûreté générale réunis (144). 73 Le citoyen François Renault et son épouse sexagénaire et aveugle réclame des secours que l’âge et les infirmités nécessitent. Renvoyé au comité des Secours publics (145). 74 La commune de Laurent [ci-devant Saint-Laurent], département de Seine-Inférieure, réclame des secours pour François Savoye faisant les fonctions près la justice correctionnelle ; elle observe qu’il a deux enfans au service de la République et qu’il ne jouit d’aucun salaire. Renvoyé au comité des Secours publics (146). 75 Les habitans de la commune de Caune, district de Nemours, département de Seine-et-Marne, réclament contre la quote exorbitante de contributions foncières de l’année 1793, qui se trouve portée à la somme de 21 809 L, quoique les revenus de cette commune n’aient été portés qu’à 14374 L. Renvoyé au comité des Finances (147). 76 Le citoyen Michel, père de cinq enfans défenseurs de la patrie, réclame des (144) Débats, n° 788, 864-866. Moniteur, XXII, 553. Résumés dans F. de la Républ., n° 61 ; M. U., n° 1348. (145) P.-V., XLIX, 314. (146) P.-V., XLIX, 314. (147) P.-V., XLIX, 314-315. secours et contre la violation de sa propriété faite par l’administrateur Bazin. Renvoyé au comité des Secours publics (148). 77 Les régisseurs des transports et charrois militaires se plaignent de leur suppression. Renvoyé aux comités de Salut public et Militaire (149). Plusieurs pétitionnaires sont admis. L’un deux : Vingt-deux pères de famille viennent réitérer leur réclamation contre un abus de pouvoir et la violation de la loi, commis par l’ancien comité de Salut public. Tel étoit le but des conspirateurs de tout désorganiser, afin de mieux réussir dans leurs infâmes projets, qu’un arrêté de ce comité, du 14 prairial, détruit une de vos plus sages institutions en temps de guerre, celle des inspecteurs nationaux, crées, pour tous les transports et convois, par la loi du vingt-cinquième jour du premier mois de l’an deuxième. Cet arrêté brise le miroir dans lequel on voyoit la conduite des employés civils et militaires aux armées. Il supprime les fonctions de vingt-deux citoyens choisis, par décret du 29 du même mois, sur des listes de candidats présentés par le comité des Subsistances et charrois militaires. Quel a été l’objet de leur création? Une surveillance et des fonctions très importantes à la République, qui éprouve les plus grandes pertes en tous genres depuis qu’ils ont été contraints d’en suspendre l’exercice. Quel est le prétexte de l’arrêté portant suppression de ces inspecteurs. « que n’entrant pas dans l’organisation de la commission des Transports militaires, leurs fonctions sont réputées avoir cessée du jour de l’établissement de cette commission. » Mais elle représente, quant aux transports militaires, l’ancienne régie des charrois; elle a la même administration; elle fait exécuter par ses agens, qui ont leurs préposés et employés. Elle ne peut suppléer par elle-même à des fonctions qui nécessitent une activité soutenue, et une présence continuelle aux armées. Elle ne quitte ses bureaux de Paris que pour se rendre près de vos comités. Elle a conservé tous les individus attachés à la ci-devant régie. La chose n’a donc changé que de nom. Il est vrai que quelques-uns de commissaires sont animés du désir de tuer tous les abus. Pour y parvenir, il faut que des républicains probes et capables les fassent connoître et indiquent le remède. L’on nous assure que la division des dépôts de l’agence des transports vient de nommer des inspecteurs généraux et d’autres ambulans, qui (148) P.-V., XLIX, 315. (149) P.-V., XLIX, 315.